Douce France

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1957, Balloche-les-Olivettes : un petit village paisible au cœur frais de la France. La vie s’écoule tranquillement entre son café, sa mairie, son église… Mais quand Adélaïde Francœur, la femme du cafetier, apprend que son benêt de fils Augustin s’est entiché de Juliette Tourquendieu de la Picaudière, la fille du maire, on court droit à la catastrophe ! En effet, bien que Firmin, le père de Juliette, ne voie aucune raison de s’opposer à cette union, il va déchanter quand Adélaïde lui rappelle leur liaison passagère, vingt ans plus tôt, Augustin n’étant autre que son propre fils !

Cette comédie mêlant vaudeville, farce paysanne et voyage dans le temps, propose de nombreux rôles, de tous les âges. Une pièce généreuse et inventive, pour un théâtre qui réunit les générations !




Douce France

Acte I

Scène 1 : Juliette, Augustin

L’histoire se déroule en 1957, le jour du 14 Juillet. Au lever du rideau, la scène est vide. C’est l’aube, les rayons du soleil commencent juste à illuminer la place et l’on entend le chant du coq. L’église sonne 6 heures. Juliette et Augustin apparaissent dans une lumière faible. Ils se tiennent par la main, s’arrêtent et s’embrassent.

Juliette. — Oh ! mon Augustin ! Que cette nuit fut belle !

Augustin. — Hein ? Quoi ? Ah oui ! Une belle nuit, un ciel bien dégagé… On voyait toutes les étoiles. C’était beau. Pas un nuage ! Mon vieux, une belle nuit !

Juliette, très amoureuse. — Oui, oui, bien sûr, les étoiles ! Que tu es romantique, mon Augustin ! Mais je te parle de la nuit, de notre nuit, tous les deux, dans la paille, dans la grange du père Mathurin. Hum… quelle fougue ! Quelle passion ! Augustin, je t’aime.

Augustin, mal à l’aise, se grattant partout. — Oui, moi aussi, Juliette, moi aussi je t’aime… Oh ! bon sang, ça me gratte ! Je dois avoir encore de la paille coincée dans ma culotte…

Juliette, dans ses pensées. — Tu es si doux, si prévenant, si tendre, si romantique…

Augustin. — Bon sang, que ça me gratte le cul !

Juliette. — Augustin… mon Augustin… tu es l’homme de ma vie. Je t’aime. Tu veux bien m’épouser ? Mon Apollon, mon Cupidon…

Augustin. — Ah ! non, Juliette, moi c’est Augustin, pas Cupidon !

Juliette. — Mais enfin, Augustin, je le sais bien ! Cupidon, c’est l’ange de l’amour. Hein, mon petit ange ? Mon Cupidon !

Augustin, qui n’a rien compris. — Ah ! d’accord ! L’ange de l’amour. (Fougueux tout d’un coup.) Ah ! ah ! Viens ici, ma Cupidonne !

Juliette. — Ah ! non, Augustin, ce n’est pas possible, il n’y a pas de Cupidonne !

Augustin, ne comprenant toujours pas. — Ah bon ? Y a pas de Cupidon fille ?

Juliette, très tendre avec lui. — Mais non ! Cupidon, c’est un ange. C’est une allégorie, si tu veux.

Augustin. — Une allé… go… quoi ?

Juliette. — Une image… qui représente l’amour. Cupidon, c’est l’ange qui représente l’amour, mais il n’est ni fille ni garçon. Les anges n’ont pas de sexe. C’est bien connu, enfin !

Augustin, interloqué. — Quoi ? Les anges n’ont pas de sexe ? Ben comment font-y alors pour pisser ?

Juliette. — Oui, bon, Augustin, on parlera de ça une autre fois. Donc c’est d’accord, hein, on dit à nos parents qu’on s’aime et qu’on veut se marier. Tu as bien compris, Augustin ?

Augustin, embêté. — Oui, oui, j’ai compris, mais avec la mère, ça va pas être commode. Oh là là ! Comment je vais lui dire ? Parce que la mère Adélaïde, elle est pas facile, tu sais. Toujours à me gueuler dessus : « Allez, Augustin, au boulot ! Oh ! quel empoté tu fais ! Allez, feignant, plus vite ! Le boulot va pas se faire tout seul ! » (Tout à coup, une pensée l’inquiète.) Et en plus, Juliette, on est pas majeurs, on a pas 21 ans ! Il va falloir l’accord de nos parents. Oh là là ! La tuile !

Juliette, maligne. — T’inquiète pas pour ça, mon Augustin. Si je suis enceinte, on aura pas de souci.

Augustin. — Quoi ? Déjà ? En une nuit ? Eh ben, mon vieux, ça va vite !

Juliette. — Mais non ! Ce que je veux dire c’est que si je dis à mon père que je suis enceinte, on va aller tout droit chez le père Loïc pour un beau mariage. Une fille-mère à Baloche-les-Olivettes, t’imagines le scandale ? Et en plus la fille du maire !

Augustin. — Ah bon ! Tu m’as fait peur. Je pensais pas que ça allait aussi vite. (Il réfléchit.) Quoiqu’une fois, le père Mathurin, il a mis qu’une fois la noiraude dans le pré avec le taureau, le gros Marcel, eh ben le premier coup c’était le bon.

Juliette, un peu gênée. — Oui, hum… J’aime bien la comparaison, Augustin, c’est bucolique… Bon, allez ! (Elle approche ses lèvres du visage d’Augustin en se cambrant.) Un petit bisou avant de se quitter…

Augustin fait de même, cou tendu, lèvres avancées et cul en l’air. Tout à coup, un livreur de vin en tricycle percute le fessier d’Augustin pendant que les amoureux s’embrassent.

Scène 2 : Le livreur, Augustin, Juliette

Le livreur. — Eh ben, eh ben… Attention, les amoureux ! Eh, dites donc, faut me faire de la place ! C’est que je travaille, moi !

Augustin. — Eh ben, dites donc, vous pouvez pas faire attention avec votre machine, non ? Pour un peu il m’embrochait, l’idiot !

Le livreur. — Ah ! pardon, mon petit gars, pardon, mais faut que j’aille livrer, moi, et je suis déjà point de bonne heure ! (Juliette se dirige vers la maison des Tourquendieu. Sur le seuil de la porte, elle fait un petit signe de la main et, lui envoyant des baisers, Augustin fait de même. Ils ont l’air très niais.) Eh, petit, tu me donnerais pas la main ? C’est que c’est lourd, ces bouteilles ! Et en plus elles sont pleines !

Augustin. — Eh bien, oui, il faut bien qu’elles soient pleines pour que mon père les vide dans le verre des clients. Mon père, il dit toujours : « Plein je te vide, vide je te plains. »

Le livreur. — Eh ben, dis donc, c’est un poète, ton père !

Augustin. — P’têt’ bien, mais j’ai jamais rien compris à c’te phrase ! (Il essaye de comprendre, en vain.) Plein je te vide, bon, d’accord… mais vide je te plains… Je te plains de quoi ? Faudrait dire « je te remplis », non ?

Le livreur. — Oui, bon… Attrape ça, mon garçon. (Il lui tend une caisse.) Et laisse tomber la poésie, c’est trop compliqué pour nos pauv’ cerveaux.

Augustin. — O.K., chef.

Scène 3 : Le livreur, Augustin,
Adélaïde, Paulo

Adélaïde sort du café.

Adélaïde. — Ah ! tu es là, Augustin ! Qu’est-ce que tu fais, mon garçon ?

Augustin. — Ben j’aide le môssieu à sortir les caisses de vin pour papa.

Adélaïde. — Ah oui ! Oui, très bien. Bon, cela dit, le livreur, il est payé pour ça, hein ! Et ça m’étonnerait qu’il te donne la pièce, radin comme il est celui-là…

Regard noir du livreur qui baisse la tête.

Le livreur. — Oui, t’inquiète pas, mon petit gars, ça va aller. Je vais me débrouiller tout seul maintenant. (Il termine sa livraison et sort.)

Adélaïde, d’un ton ferme. — Oui, je pense que c’est mieux, hein ! (Elle change de ton.) Mais tu es déjà levé, toi, Augustin ? D’habitude, tu te lèves plus tard.

Augustin. — Oh ! ben oui, je suis déjà levé, c’te blague, pour la bonne et simple raison que je me suis pas couché ! (Il rit naïvement.) Eh ben, non, je me suis pas couché !

Adélaïde, d’un ton inquisiteur. — Comment ça, pas couché ? Mais enfin, ce n’est pas possible ! Où étais-tu, cette nuit ?

Augustin, toujours naïvement. — Hein ? Ben j’étais dans la grange du père Mathurin…

Adélaïde, de plus en plus inquiète. — Quoi ? Dans la grange du père Mathurin, toute la nuit ? Et avec qui, s’il te plaît ?

Augustin, piteux. — Avec qui ? Euh… comment ça, avec qui ?

Adélaïde. — Oui, avec qui ? (Fort.) Y avait qui dans cette grange ?

Augustin, très naturel mais de plus en plus angoissé. — Euh… ben en bas… y avait les moutons du père Mathurin…

Adélaïde, de plus en plus énervée. — Mais bon sang de bon sang, je ne te parle pas des moutons du père Mathurin ! Je m’en fous, moi, de ses moutons !… Et arrête de te toucher le kiki, c’est insupportable ! Elle va pas tomber, non ! Bon, alors j’attends !

Augustin. — Ben quoi ?

Adélaïde, autoritaire. — Avec qui as-tu passé la nuit, Augustin ?

Augustin. — Ben avec une fille, tiens ! C’te blague !

Adélaïde. — Non mais je rêve ! Une fille ! À tout juste 20 ans ! Eh ben, c’est du propre !

À ce moment-là, Paulo sort du café.

Paulo. — Mais bon sang, qu’est-ce que tu as à gueuler comme ça, ce matin ? Tu vas réveiller tout le village !

Adélaïde, avec aplomb. — Ce que j’ai ? Ce que j’ai ? Eh bien, j’ai, mon cher mari, que ton fils a découché cette nuit, voilà ce que j’ai ! Et il a passé la nuit avec une fille, voilà ce que j’ai !

Paulo. — Oh ! c’est qu’ça ? Oui, oui, bon, et alors ? C’est pas une catastrophe. Faut bien qu’il s’amuse un peu, non ? C’est de son âge.

Adélaïde. — Qu’il s’amuse ? Non mais on aura vraiment tout entendu ! Arriver en 1957 pour entendre ça ! Qu’il s’amuse ! Ah ! ben c’est ça, alors, amusons-nous ! Tu m’étonnes que tout part à vau-l’eau, maintenant ! Non mais tout juste 20 ans et il s’amuse !

Paulo, l’œil malicieux. — Dis donc, Adélaïde, tu veux que je te rappelle l’âge que nous avions, nous deux, quand nous sommes allés pour la première fois dans la grange du père Mathurin ?

Adélaïde, gênée. — Oui, bon, ça va, ça va… De toute façon, ça n’a rien à voir. C’était une autre époque.

Paulo, souriant. — Ouais, c’est ça ! (Il rit.) Une autre époque… Ouais, ouais…

Paulo vaque à ses occupations, entrant et sortant du café. Puis il monte à l’échelle pour arranger son enseigne dissimulée sous un drap.

Scène 4 : Adélaïde, Augustin

Augustin, profitant du fait que sa mère est un peu plus adoucie. — M’man ?

Adélaïde. — Oui, Augustin ?

Augustin. — Je peux te poser une question, s’te plaît ?

Adélaïde. — Oui, vas-y, mon grand. (En aparté.) Je crains le pire…

Augustin. — Comment qu’on qu’sait quand on est amoureux ?

Adélaïde, en aparté. — Ah ! ouf ! J’ai eu peur ! (Haut.) Ah ! ça, c’est une bonne question, Augustin ! Comment sait-on qu’on est amoureux ? Eh bien, tu vois, ça se ressent plus que ça ne se décrit. (Un temps. Elle ferme les yeux.) On a des papillons dans le ventre, le cœur qui bat fort fort fort, si fort qu’il pourrait sortir de la poitrine, on ne pense qu’à lui ou à elle toute la journée, toute la nuit, on aimerait être toujours serrés l’un contre l’autre, on est heureux, on voit la vie en rose… Tu vois, Augustin, c’est ce qui se passe quand on est amoureux.

Augustin, pas certain d’avoir compris. — Ah ! d’accord ! Les papillons dans le ventre, la vie en rose… toujours serrés…

Adélaïde. — Oui, c’est ça. C’est tout à fait ça.

Augustin. — En plus, ce qu’est bien quand on est amoureux, c’est que ça arrête les fulgurances !

Adélaïde. — Les quoi ?

Augustin, naïf. — Les fulgurances ! (Sa mère fait signe qu’elle ne comprend pas.) Ben oui ! Les gaz, les pets, les ballonnements ! Les fulgurances, quoi !

Adélaïde. — Ah ! les flatulences, Augustin ! Tu veux dire les flatulences !

Augustin. — Oui, c’est ça, les flatulences, si tu veux, mais c’est pareil.

Adélaïde, lui faisant la leçon. — Ah ! non, mais ça, Augustin, ça n’a rien à voir avec l’amour ! Non, non et non ! Ah non ! C’est même antinomique !

Augustin. — Antino… quoi ?

Adélaïde. — Oui, non, oublie… Ce que je veux dire, c’est que… (Lyrique.) L’amour, c’est la brise qui souffle doucement dans les feuilles des arbres, c’est une rose qui éclot au soleil, c’est le blé doré dans les champs, c’est le chant des oiseaux, ce sont les anges qui…

Augustin, la coupant. — Ah oui ! Les anges ! J’en ai déjà entendu parler. Cul bidon ! Oui, oui, oui…

Adélaïde. — Quoi ? Qui ça ?

Augustin. — Ben oui, quoi ! Cul bidon, l’ange de l’amour, celui qu’a pas de sexe ! Je me demande d’ailleurs toujours comment il fait pour pisser, ç’ui-là. Cul bidon, quoi !

Adélaïde, riant. — Cupidon, Augustin ! Cupidon, pas cul bidon !

Augustin. — Oui, oh ! Cupidon, si tu veux.

Adélaïde, gentille. — Et au fait, j’y pense : comment elle s’appelle, cette charmante jeune fille ? Elle doit bien avoir un prénom…

Augustin, gêné. — Oh ! m’man, ça va pas, non ? C’est personnel, ça !

Adélaïde. — Allez, tu peux bien le dire à ta mère ! Ce sera notre secret.

Augustin. — Oh ! ben ce sera pas secret ben longtemps parce qu’elle veut s’marier avec moi, alors !

Adélaïde, agacée. — Hein ? Quoi ? Déjà ? Oui, ben nous en reparlerons, hein, Augustin, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Augustin, riant. — Ah ! ben si, c’est à l’ordre du jour, même qu’elle a dit que vous serez ben obligés d’accepter parce qu’elle est enceinte ! Et toc ! Eh oui, du premier coup ! Faut le faire, hein ! Comme avec la noiraude du père Mathurin ! Pas mal Augustin, hein ?

Adélaïde, affolée. — Quoi, enceinte ? Tu en es sûr, enceinte ? (Elle appelle.) Paulo ! Paulo ! Viens vite !

Paulo, passant la tête. — Quoi ? Qu’est-ce que tu veux encore ? Suis occupé ! (Il rentre.)

Adélaïde. — Bon, cette fois-ci, mon petit Augustin, l’heure est grave. Je veux savoir tout de suite qui est cette fille. Tu m’entends ? Tout de suite !

Augustin. — Oh ! de toute façon, tu le sauras un jour ou l’autre, alors… C’est Juliette. Voilà, t’es contente ?

Adélaïde, un temps, livide. — Juliette… Juliette…

Augustin. — Ben oui ! Juliette, quoi !

Adélaïde, d’une voix blanche. — Juliette Tourquendieu de la Picaudière ? Juliette Tourquendieu, la fille du maire ?

Augustin. — Ben oui ! Je connais pas d’autre Juliette. Eh oui, c’est elle et du premier coup, hop !

Adélaïde, s’efforçant de ne pas sortir de ses gonds. — Juliette Tourquendieu ! Oh non ! C’est une catastrophe ! Juliette Tourquendieu ! Il n’y en avait qu’une dans le village et il est tombé dessus !

Augustin. — Eh ouais ! Pas mal, hein !

Adélaïde, calme mais colère froide. — Mon petit Augustin, tu vas monter dans ta chambre et tu ne redescendras que lorsque je te le dirai. Tu as compris ?

Augustin. — Mais…

Adélaïde, s’énervant et levant la main. — Monte dans ta chambre, je te dis ! Tu as compris, imbécile ? Monte dans ta chambre et restes-y ! (Augustin ne demande pas son reste et rentre à toute vitesse dans le café. Adélaïde est comme assommée. Elle répète à plusieurs reprises et à mi-voix.) Juliette Tourquendieu… (Elle s’essuie le front puis se reprend et se dirige vers la mairie.)

Scène 5 : Adélaïde, Henriette, Firmin

Adélaïde frappe à la porte principale de la mairie.

Adélaïde. — Eh ! oh ! Ouvrez ! Ouvrez donc ! Y a quelqu’un, s’il vous plaît ? Ouvrez, c’est important !

La fenêtre de la demeure des Tourquendieu s’ouvre et la tête d’Henriette sort.

Henriette, peu aimable. — Eh bien, qu’est-ce que c’est que ce raffut si tôt le matin ? Non mais ça va pas ?

Adélaïde. — C’est moi, madame Tourquendieu.

Henriette, toujours peu aimable. — Ah ! c’est vous, madame Francœur ! Qu’est-ce que vous voulez ?

Adélaïde. — Il faut que je parle tout de suite à votre mari, c’est très urgent.

Henriette. — Quoi, mon mari ? Mais vous avez vu l’heure, non ? Il est encore au lit,...

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