Acte I
Sur scène, Mariette et Guy. Mariette est sur la terrasse, accoudée à la balustrade. Elle écoute d’un air béat le chant des grenouilles. Guy, un portable à l’oreille, est dans la maison ; il cherche l’endroit idéal pour capter. Après avoir essayé plusieurs endroits, il va sur la terrasse pour y découvrir Mariette.
Guy - Tiens ! Tu es là ? Qu’est-ce que tu fais ?
Mariette - Tu vois, j’écoute les grenouilles. J’adore cet endroit ! J’ai l’impression d’être entourée de centaines de princes charmants à qui on aurait jeté un sort. Pauvres petits princes ! Les voilà tous transformés en grenouilles, à présent.
Guy - Complètement folle ! Décidément, ma pauvre fille, ça ne s’arrange pas.
Il entre dans la maison et cherche à nouveau à capter.
Mariette - Au revoir mes princes et mes princesses. À plus tard !
Elle rejoint Guy dans la maison.
Guy (se perchant dans différents endroits de la pièce) - Allô ! Allô ! On ne capte rien ici ! Qu’est-ce que c’est agaçant ! Allô !
Mariette - Eh bien, moi, au contraire, je trouve cela très bien.
Guy - Comment ça très bien ? Qu’est-ce que tu dis ?
Mariette - Je dis que je suis ravie de constater que tu ne captes pas. Tu vas enfin avoir la chance de pouvoir te désintoxiquer. Profites-en ! Je ne sais pas si tu t’en rends compte, mon pauvre chéri : tu ne peux plus faire un pas sans utiliser ton satané portable. Ce n’est plus un portable, c’est un vrai cordon ombilical !
Guy - Tu exagères !
Mariette - Pas du tout ! Ce téléphone c’est devenu ton doudou, ton mimi, ta peluche ! N’aie pas peur ! Tu sais, il ne va rien t’arriver si tu t’en sépares.
Guy - Est-ce de ma faute si j’éprouve le besoin de communiquer ?
Mariette - Avec les autres, oui ! Tu penses bien si je m’en suis aperçue ! Monsieur passe des heures au téléphone et, pendant ce temps-là, monsieur oublie l’essentiel : monsieur oublie tout simplement de communiquer avec sa femme.
Guy - Ah ! nous y voilà ! Je me demandais pourquoi ma lionne sortait ses griffes… Voyons, qu’y a-t-il ? Ma gazelle se sent délaissée ? C’est cela ?
Mariette - Mais oui !… Parfois.
Guy - Et d’après toi à quoi ça sert que ton gentil mari se décarcasse ? Hein ? Qui a eu l’idée de venir ici pour fêter ton anniversaire ? Qui t’a aidée à rédiger les invitations ? Alors ? Y verrais-tu un signe de désintérêt ? Réponds, fille de mauvaise foi !
Mariette - Mais oui, mon petit chéri… Je te l’accorde, tu as eu une bonne idée… Tu as surtout eu l’excellente idée de te faire inviter par ton beau-frère et ta belle-sœur… Sans eux, nous n’aurions jamais pu organiser ce rassemblement.
Guy - N’empêche que c’est tout de même moi qui ai pensé à cet endroit… Ceci dit, il est vrai que ton frère et Liliane ont tout de suite été adorables et n’ont pas hésité un seul instant à proposer leur maison.
Mariette - Ça, ce n’est pas un scoop. Cela fait déjà belle lurette que nous connaissons la générosité légendaire de Liliane et Laurent. Cela ne m’étonne pas… D’ailleurs, nous sommes tous comme cela dans la famille. La générosité est notre seconde nature.
Guy - Et la modestie est votre première ? C’est cela ?
Mariette - Tu peux toujours essayer de railler, il n’empêche que c’est la vérité.
Guy - Bien sûr, bien sûr ! Dans votre famille, vous êtes tous parfaits !
Arrivée de Liliane et Laurent. Ils viennent de l’extérieur. Laurent porte des lunettes noires : il est aveugle.
Laurent - Heureux de te l’entendre dire, mon cher beau-frère. Tu as mis du temps à t’en rendre compte, mais tu as raison : nous sommes parfaits. N’est-ce pas petite sœur ?
Après avoir tâtonné, Laurent cherche à se rapprocher de Mariette. Elle vient alors vers lui. Ils s’embrassent.
Mariette - Évidemment mon Lolo ! Des comme nous, il n’y a pas mieux.
Guy - N’importe quoi ! Regardez-les ces deux-là ! Non mais je vous jure ! Il y a des jours on aimerait bien être sourd.
Laurent - On a déjà un aveugle dans la famille, tu ne crois pas que c’est suffisant ?
Guy - Ah ! ça c’est malin ! Mon cher beau-frère, méfie-toi avec tes blagues vaseuses parce que moi aussi… je t’ai à l’œil !
Ils rient en se donnant des tapes dans le dos.
Liliane - Alors ? Avez-vous des nouvelles de vos amis ?
Guy - Comment veux-tu en avoir ? Impossible de capter quoi que ce soit par ici.
Liliane - Guy, faut-il te rappeler que nous sommes au cœur du marais ?
Laurent - C’est bien pour cela qu’ils n’ont pas pu implanter un émetteur et, crois-moi, c’est tant mieux ! Ici on préfère rester en communication directe avec les grenouilles. Nous n’avons pas besoin de parasites sonores. Tu te rends compte de la chance que t’as, mon Guitou ? Le temps d’un week-end, tu vas pouvoir arrêter tes sonneries. Cela te changera.
Mariette - C’est exactement ce que je me tue à lui expliquer… Savez-vous que je vous envie de vivre ici ? Cet endroit est si extraordinaire ! J’espère que nos amis apprécieront autant que nous ce cadre merveilleux.
Guy - À condition qu’ils le trouvent… Je ne sais pas ce qu’ils fichent… Ils devraient être là… Et dire que je ne peux même pas les joindre ! (Il manipule son portable.)
Mariette - Ah non ! Tu ne vas pas remettre ça ! Bien sûr qu’ils vont arriver ! À pied, à cheval ou en voiture, mais ils vont arriver. Veux-tu que je récapitule ? Dolorès et son nouveau fiancé vont certainement venir en voiture. D’accord ?
Guy - Comment cela, son nouveau fiancé ? Elle n’est plus avec son rugbyman ?
Mariette - Mon pauvre ami, tu as encore un métro de retard ! Le rugbyman, cela fait six mois qu’il la plaquée.
Guy - Remarque, c’est un peu normal… Se faire plaquer par un rugbyman…
Mariette - Et monsieur trouve ça fin ? Franchement, il y a des jours, tu n’es vraiment pas aidé.
Guy - Oh ! on peut bien rigoler cinq minutes ! Pas vrai Laurent ?
Laurent - Comme on dit au rugby : « Je ne voudrais pas m’en mêler. »
Guy - Ouais ! C’est ça ! Tu préfères botter en touche. (À Mariette.) Bon ! Ensuite ? Et les autres ?
Mariette - Jo et les autres devraient arriver à pied. C’est bien ce que tu as prévu, non ?
Guy - Tu connais Jo, la reine de la rando : pour rien au monde elle aurait voulu qu’on vienne la chercher à la gare. Elle devait juste se charger de convaincre les autres invités.
Liliane - Ça fait tout de même une petite trotte pour venir jusqu’ici.
Laurent - Tu l’as dit ! J’espère qu’ils aiment marcher, parce que sinon…
Mariette - De toute façon, même si nous l’avions voulu, cela n’aurait pas été possible d’aller les chercher puisque Guy a laissé notre véhicule en révision au garage du village. Je ne pense pas que cela dérange Paulette et Roger mais j’en connais une qui doit faire une drôle de tête.
Guy - Qui donc ?
Mariette - Samantha, pardi ! La pauvrette ! Je ne la vois pas du tout faire de la marche à pied. On est vache ! Nous aurions dû aller à sa rencontre.
Guy - Et la ramener comment ? En brouette ? Ah ! Samantha ! C’est vrai que tu l’as invitée, j’avais oublié… Samantha ! La reine de la bonne humeur ! Avec elle rire et ambiance assurés. Tu peux être sûre qu’à peine arrivée elle va commencer à râler, à tout critiquer. Ne dis pas le contraire, je connais la bête, elle ne peut pas s’en empêcher.
Mariette - Guy ! Tu exagères !
Guy - Je n’exagère rien du tout ! Ta copine, c’est une râleuse professionnelle ! Alors qu’on vienne la chercher ou pas, cela ne l’empêchera pas d’être grincheuse.
Mariette - Tout de même ! L’obliger à venir à pied de la gare à ici… Je ne suis pas certaine que cela puisse améliorer son caractère.
Liliane - Vous auriez dû nous en parler, nous aurions pu trouver une solution.
Guy - Ne t’inquiète pas, Liliane, Samantha n’en mourra pas ! Cela lui fera du bien de s’oxygéner ! Ce sera une excellente entrée en matière parce que je doute qu’elle mette souvent les pieds à la campagne. Tiens ! Lorsqu’elle a accepté l’invitation à venir fêter l’anniversaire de Mariette au cœur du marais, à tous les coups, elle a pensé qu’on l’invitait… dans le quartier du Marais, à Paris.
Mariette - Allons donc ! Elle n’est pas si sotte.
Guy - Je ne dis pas cela… Disons qu’elle manque parfois un peu d’ouverture et de souplesse.
Mariette - Là, tu es dur ! Dur et injuste… Samantha est peut-être différente de nous mais elle possède des qualités de cœur.
Guy - Ne t’emballe pas ! Je te crois. Ou du moins vais-je faire semblant de te croire. Je n’ai pas du tout envie de te contrarier, ce week-end.
Mariette - J’espère que tout le monde va s’apprécier. Après tout, nous, on les connaît, mais eux, ils ne se connaissent pas entre eux. Il faut bien reconnaître qu’ils ont tous des personnalités différentes… Souhaitons qu’elles s’harmonisent.
Laurent - Ne te fais donc pas de mouron ! Tout va bien se passer. Ne dit-on pas que les amis de nos amis sont nos amis ? Tous seront là dans la joie et la bonne humeur pour te souhaiter un joyeux anniversaire.
Mariette - Puisses-tu dire vrai… Il n’empêche que j’appréhende un peu. Si vous saviez comme je me sens nerveuse ! Je voudrais tellement que tout se passe bien…
Liliane se dirige vers un meuble, l’ouvre et sort un tube de granules homéopathiques.
Liliane - Tiens, prends-moi ça : Argentum Nitricum, trois granules trois fois par jour. Contre l’anxiété, il n’y a pas mieux.
Mariette prend les granules et s’apprête à les avaler.
Mariette - Tu crois que cela va me soulager tes bonbons ?
Liliane - Puisque je te le dis ! Tu peux me croire.
Mariette - Après tout, il n’y a que la foi qui sauve. (Elle les avale.) J’ai beau essayer de me raisonner, je me demande si nous avons fait le bon choix… Nous aurions dû les inviter séparément… Je ne sais pas pourquoi, j’ai comme un mauvais pressentiment.
Laurent - Allons bon ! Pourquoi, veux-tu ?
Mariette - Parce qu’ils sont tous si différents ! Vous comprendrez quand vous les aurez vus.
Laurent - Ne me dis pas que tu as invité des lapins avec des crocodiles ?
Guy - Tu peux...