Du sang dans le potage

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Une maison de retraite en apparence ordinaire devient le théâtre d’un meurtre sanglant.
Crime passionnel ? Chantage ayant mal tourné ? La police enquête. Mais le crime se répète et les morts se succèdent. Et si tout cela n’était qu’un jeu ?
Georges Contamin signe une comédie policière au suspense haletant, où le frisson prépare toujours un éclat de rire. Bien malin qui pourra en deviner la fin !




Du sang dans le potage

Acte I 

Scène 1 : Raymonde et Arlette.

Intérieur salle à manger. Deux seniors sont attablées, jouent au Monopoly.

Raymonde. — Qu’est-ce qu’on s’emmerde !

Arlette. — Qu’est-ce que tu dis ?

Raymonde. — Rien ! Joue !

Arlette, lançant les dés et avançant un pion. — Ah ! j’arrive rue de la Paix ! J’achète !

Raymonde. — Profites-en, y a qu’au Monopoly que tu pourras jamais te payer la rue de la Paix !

Arlette. — Qu’est-ce que tu dis ?

Raymonde. — Rien ! Paye !

Arlette. — Comme j’ai déjà les Champs-Élysées, si tu passes chez moi, je te dépouille !

Raymonde. — Oh ! je suis déjà dépouillée !

Scène 2 : l’infirmière,
Raymonde et Arlette.

L’infirmière entre.

Arlette. — Bonsoir, Magalie.

L’infirmière. — Bonsoir, Madame Copaert. On n’oublie pas les gouttes du soir ! Madame Vanbeveren, vous avez pris vos cachets ?

Raymonde. — Hum !

L’infirmière. — Ça n’est pas une réponse, ça ! (Elle soupire.) Vous n’êtes pas raisonnable ! Vous savez que si vous oubliez, ça peut être grave !

Raymonde. — Que voulez-vous que je risque encore à mon âge ? (Tout bas, à Arlette.) Elle m’emmerde !

Arlette. — Qu’est-ce que tu dis ?

L’infirmière, à haute voix, devant Arlette. — Elle vous dit que je l’emmerde ! (Puis vers Raymonde.) Et ce n’est pas fini ! Alors vous prenez vos cachets ou ce sera la piqûre ! (Elle sort une seringue.)

Raymonde. — Arrière, frelon !

Scène 3 : l’infirmière, Raymonde,
Arlette et Régine.

Régine entre.

Régine.  Ça ne te fera pas grand mal, t’as la peau des fesses tannée ! Un des rares avantages de nos grands âges… Bonsoir, Magalie. Vous avez raison, ne vous laissez pas impressionner par cette vieille bête ! Ça va, Arlette ?

Arlette. — Ah ! ben c’est Régine ! Tu joues au Monopoly avec nous ?

Régine. — Non, merci ! Trop de mauvais souvenirs !

Arlette. — Tu y jouais avec ton mari ?

Régine. — Ah non ! Des souvenirs bien plus récents ! Noël ! Les réveillons chez ma belle-fille !

Raymonde. — Toi, au moins, tu y vas, chez tes enfants, pour Noël !

Régine. — Ah ! c’est sûr ! Chaque année, ils n’oublient pas de faire leur B.A. du 24 décembre ! Et puis la fête des grands-mères aussi ! Là, j’ai juste droit au coup de fil. À la réflexion, ce n’est pas plus mal, ça m’épargne le Monopoly !

Raymonde. — Mais si ça t’embête tant que ça le Monopoly, tu n’as qu’à leur dire ! Peut-être qu’ils te proposeront de faire autre chose.

Arlette. — Oh oui ! Peut-être que tu pourras faire un Scrabble !

Régine. — Un Scrabble, excellente idée ! Et puis c’est un jeu où ma belle-fille pourrait me faire gagner… C’est vrai, pouffiasse en mot compte triple, ça rapporte combien ?

Raymonde. — À la réflexion, je me dis que le Monopoly, c’est préférable !

Régine. — Peu importe. Dis-toi bien que les jeux de société, c’est la seule solution qu’ils ont trouvée pour occuper le temps et éviter les engueulades.

Raymonde. — Ben ça part d’une bonne intention, ils veulent te ménager !

Régine. — Me ménager ? Tu ne crois pas si bien dire ! Il ne faudrait pas que ça éclate devant moi, le plus gros de leurs litiges concerne l’héritage que je dois leur laisser, alors on évite les dérapages malencontreux. Note bien, ils sont toujours plus attentionnés que les vautours : ils attendent que la bête soit vraiment morte avant de bouffer la charogne.

L’infirmière. — Mais enfin, vous ne pouvez pas parler de la sorte de vos enfants !

Raymonde. — C’est vrai, ce n’est pas gentil pour ta bru.

Arlette. — Pour qui ?

Raymonde. — Sa belle-fille… (Arlette ne semble pas comprendre.) La pouffiasse !

Arlette. — Ah oui !

L’infirmière. — Et puis votre fils est très aimable ! Il est toujours aux petits soins avec vous !

Régine. — Ah ! mais ce n’est pas pareil ! Lui, c’est un benêt !

L’infirmière. — Comment pouvez-vous dire ça ?

Régine. — C’est simple : pour l’évaluer sur l’échelle de la connerie, y a pas assez de barreaux !

L’infirmière. — Je ne suis pas d’accord, c’est un homme fort cultivé.

Régine. — Et alors ? La culture, on l’utilise aussi pour les champs de patates…

L’infirmière. — Je ne vois pas le rapport !

Régine. — Eh bien, même une patate peut être cultivée, et pour autant, vous avez déjà vu une patate intelligente ? Oh ! et puis assez parlé de ma famille ! Vous voulez me fiche le bourdon ou quoi ?

Scène 4 : l’infirmière, Raymonde, Arlette, Régine et l’animateur.

L’animateur, entrant, au téléphone, avec un ballon de baudruche gonflé en main. — Oui, je vous répète : le matériel que vous m’avez laissé ne marche pas ! C’est de la camelote ! Comment je fais pour mon karaoké, demain soir ? Je suis obligé de l’annuler par votre faute !

Régine, à Raymonde. — Pas de karaoké ? C’est Arlette qui va être contente, elle attend ça comme l’événement du siècle !

Raymonde. — En même temps, je m’en plains pas ! Si ça peut nous éviter de l’entendre brailler toute la soirée…

Arlette. — Qu’est-ce que vous dites ?

Régine. — Rien, pense à bien répéter ta chorégraphie de Jeanne Mas pour le karaoké !

Arlette. — Ah oui ! Le karaoké ! J’ai vraiment hâte ! Mais pour demain, pas de Jeanne Mas, j’en fais une autre ! (Elle se lève et entame une chanson.)

Étienne, Étienne, Étienne

Oh ! tiens-le bien

Baisers salés salis

Tombés le long du lit…

Raymonde. — Oh ! calme-toi, Arlette ! Bon, au moins, grâce à Cédric et sa sono détraquée, on évite le pire ! (S’adressant à Régine.) Et toi, tu es cruelle ! Tu sais que c’est annulé et tu lui mets l’eau à la bouche !

Régine. — Ben oui, c’est un des derniers petits plaisirs qui me reste depuis que je vis ici.

Raymonde. — Lequel ?

Régine. — Foutre le bordel, pardi ! C’est mon occupation à moi ! Parce que quand elle va savoir que la petite veillée festive n’aura pas lieu, elle va ruer dans les brancards, Arlette !

L’animateur, au téléphone. — Bon ! C’est la dernière fois que je loue du matériel chez vous ! Ras-le-bol de votre incompétence ! (Il raccroche, contrarié.)

Arlette. — Alors, Cédric, demain soir, vous nous faites un beau karaoké ?

L’animateur. — Madame Copaert, le karaoké, je pense qu’on va pouvoir oublier !

Arlette, aux autres seniors. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Raymonde. — Il dit que…

Arlette. — Oui, j’ai bien compris ce qu’il a dit, mais on ne va pas laisser passer ça ! Encore une fête qui tombe à l’eau ! (À l’animateur.) Je vais me plaindre à la directrice.

L’animateur. — Plaignez-vous si vous voulez, ça ne changera rien ; et puis, il vous reste le Monopoly !

Régine. — Le Monopoly ! Quelle escroquerie ! Y a Arlette qui peut acheter des hôtels et Raymonde gagne 10 000 francs grâce à un concours de beauté ! Et quand on ferme la boîte de jeu, je me rends compte que dans mon frigo de capitaliste, il me reste juste un yaourt nature et une tranche de jambon. Le Monopoly, y en a plein le…

L’infirmière. — Madame Verbruge ! Ça suffit les grossièretés ! Vous savez que la directrice a décidé de vous punir à chaque fois que vous parlerez comme ça ?

Régine. — La directrice, comment dire… je l’emmerde !

L’infirmière. — C’est bon, vous avez gagné : vous passez la soirée dans votre chambre… et n’essayez pas d’allumer la télé !

Régine. — Allumer la télé ? Vous rigolez ! Vous m’avez sucré les chaînes pornographiques !

Elle sort.

Scène 5 : l’infirmière, Raymonde,
Arlette et l’animateur.

L’infirmière. — D’ailleurs, vous non plus vous n’avez rien à faire là ! La salle à manger doit être libérée en fin de repas ! Allez donc finir votre partie dans le salon !

Raymonde. — Par contre, c’est vrai ça, comment ça se fait qu’elle avait les chaînes de films X, Régine ?

Arlette. — Son fils lui avait pris un abonnement, mais il s’est trompé dans la sélection des chaînes !

Raymonde. — C’est vrai que c’est un benêt.

Arlette. — Et quand sa belle-fille s’en est rendu compte, elle l’a tout de suite fait supprimer.

Raymonde. — C’est vrai que c’est une pouffiasse !

L’infirmière. — Vous ne m’avez pas entendue ? Du balai !

Arlette et Raymonde rechignent à partir et laissent le jeu sur place.

Arlette. — Monsieur Cédric, si le karaoké n’a pas lieu, vous n’avez plus besoin des ballons… Vous pouvez me le donner ? J’aime bien ça, ça met de la couleur dans ma chambre !

L’animateur. — Avec plaisir, Madame Copaert. (Il le lui offre.)

Arlette. — Oh ! vraiment, merci, Monsieur Cédric, merci !

Elle le reçoit, reconnaissante, et sort avec Raymonde.

Scène 6 : l’infirmière et l’animateur.

L’infirmière, ironique. — Eh bien, te voilà d’une grande générosité avec les pensionnaires ! Je ne te reconnais pas !

L’animateur. — Ben, je trouve ça émouvant de la voir partir avec son petit ballon !

L’infirmière. — C’est bien la première fois que je te vois t’émouvoir sur la joie d’une vieille dame ! Tu aurais donc un cœur ?

L’animateur. — Non, ce n’est pas ça. J’aime le charme de l’imprévisible !

L’infirmière. — Le charme de l’imprévisible ?

L’animateur. — Oui, quand tu offres un ballon à un enfant, y a pas de suspense, il va finir par le faire éclater, mais là, quand tu l’offres à une petite vieille, tu ne sais pas lequel des deux va claquer le premier !

L’infirmière. — Décidément, j’ai du mal avec ton humour.

L’animateur, enlaçant l’infirmière. — De toute façon, ce n’est pas mon humour qui t’attire, hein ? J’ai d’autres atouts !

L’infirmière, se débattant. — Arrête tes bêtises ! Il pourrait arriver !

L’animateur. — Mais il ne voit rien, cet abruti ! Des mois qu’on fait ça dans son dos ! Il n’a jamais eu l’ombre d’un soupçon. Ou alors, si ça se trouve, il s’en fout complètement !

L’infirmière. — Détrompe-toi ! Il est jaloux et violent ! S’il nous surprenait, ça se passerait très mal pour nous deux ! Je ne pense qu’à le quitter… Vivement que tu m’emmènes ! Que je le plaque ! (Revenant dans les bras de l’animateur.) C’est pour bientôt ! Tu me promets, dis ?

L’animateur, hésitant. — Oui, euh… enfin, ne précipitons rien ! On va encore se donner un peu de temps.

L’infirmière. — Tu en as de bonnes, toi ! Ce n’est pas toi qui dois vivre avec ce monstre !

L’animateur. — Ce monstre… Il ne te maltraite pas, non plus, que je sache !

L’infirmière. — Peut-être, n’empêche que je ne le supporte plus ! Je déteste tout chez lui, de ses mains calleuses à son haleine fétide ! Un gros imbécile qui ne doute jamais de rien. D’ailleurs, c’est bien la particularité de l’imbécile de ne jamais douter de rien.

L’animateur. — Tu viens de me dire qu’il doutait de ta fidélité !

L’infirmière. — Non, il n’en doute pas, il est certain que je le trompe.

L’animateur. — En même temps, parfois, il est dans le juste !

Scène 7 : l’infirmière, l’animateur
et le cuisinier.

Le cuisinier, entrant précipitamment. — Ah ! ben il est là ! (Il se dirige vers la chaise où traîne le foulard d’Arlette.) C’est bon, je l’ai retrouvé, Madame Copaert ! (Il aperçoit l’infirmière et l’animateur qui viennent brusquement de se séparer.) Qu’est-ce que vous faites là, vous ? Et qu’est-ce que tu faisais dans ses bras ?

L’infirmière. — Dans ses bras ?

Le cuisinier. — Ne me mens pas, je vous ai vus !

L’infirmière. — Non, mais qu’est-ce que tu vas encore imaginer ?

L’animateur. — C’est vrai, Lucien, vous vous…

Le cuisinier. — Toi, ta gueule ! Et ne me prenez pas pour un imbécile ! Vous pensez que je ne vois pas votre petit manège ?

L’infirmière. — Lucien ! Tu es pénible !

L’animateur. — Bon, je vais finir de ranger ! J’ai du boulot, moi !

L’animateur attrape le jeu de Monopoly laissé par les seniors et tente de s’esquiver. Le cuisinier le rattrape.

Le cuisinier. — Ah non ! Tu ne penses pas que tu vas t’en tirer comme ça ! Je veux une explication.

L’animateur. — Mais Lucien, vous n’êtes pas bien ! Imaginer un seul instant que je pourrais…

Le cuisinier, agrippant l’animateur par le col. — C’est ça,...

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