Acte I

Scène 1

 

Prudence est sur son stepper quand arrive M. Bidet.

Bruit et de quelqu’un qui trébuche sur une marche.

Jean-Marc (off) - Merde !

Prudence - Ah ! voilà M. Bidet !

Jean-Marc (off) - Foutue marche ! (Il sort de l’immeuble et envoie un baiser vers l’immeuble. Apercevant Prudence, il se reprend.) Bonjour, madame Messonnier. Frisquet pour un 28 août ! Eh, 28 août ? Ça vous dit rien ? Un an que je suis votre locataire. Alors je me disais, pour fêter ça, vous pourriez peut-être commencer à me parler… Non ? Toujours pas ? Bon, ben tant pis… Vous avez rallumé le chauffage aussi dans la cour ? Vous avez bien fait. D’un autre côté, nous, sous la couette, on a eu chaud, enfin je veux dire, il a fait chaud… Vous avez trouvé de nouveaux locataires ? Y’a encore des visites de prévues ? (Mimant qu’elle a répondu.) Ah ! d’accord… Vous pensez leur parler à eux ? Non plus… Faudrait peut-être leur préciser sur le bail, ça leur évitera de se poser des questions comme moi jusqu’à Noël ! Bon, je vais à la boulangerie, vous avez besoin de rien ?… J’l’aurais parié ! (Il sort. Prudence descend de son stepper, puis l’entend revenir. Off.) Madame Messonnier…

Prudence - Ah ! zut ! Le revoilà.

Prudence remonte sur son stepper, Jean-Marc revient avec le courrier.

Jean-Marc - Tenez : le courrier. C’est le facteur qui… Alors il me l’a… (Regardant Prudence peiner sur son stepper.) Vous attaquez une côte, là ? Je vous le pose où ? Bon, ben là ! Tiens, y’a une lettre des impôts… Je vous la mets sur le dessus. On sait jamais, c’est peut-être un remboursement, on peut toujours rêver… Toujours rien à la boulangerie ? Bon, ben j’y vais alors…

Prudence descend de son stepper et se rue sur la lettre des impôts.

Prudence - Un remboursement ? (Elle lit la lettre.) Oh non ! C’est une catastrophe !

 

 

Scène 2

 

Arrive Alexandra, sourire aux lèvres. Elle a l’air bien.

Alexandra - Il fait une chaleur dans cet immeuble ! Prudence, c’est toi qui as rallumé le chauffage ? Parce que nous sous la couette, on a eu chaud.

Prudence - Ne me dis pas que tu as couché avec Bidet ?

Alexandra - Hein ? Pas du tout !

Prudence - Ce n’est pas vrai, depuis un an, il n’y en a pas un qui trouve grâce à tes yeux, et au final tu couches avec Bidet ! C’est vraiment pour m’enquiquiner ! J’ai dit : on ne parle pas aux locataires !

Alexandra - Mais qui te dit qu’on s’est parlé ?

Prudence - Je croyais que tu ne le supportais pas !

Alexandra - C’est vrai, il m’exaspère.

Prudence - Et voilà ! Ça recommence, t’es en train de tomber amoureuse ! Je vais encore te récupérer en lambeaux. Tu crois que je n’ai pas assez de soucis ?

Alexandra - Qu’est-ce qui se passe ? Y’a un de tes petits fiancés qui te fait des malheurs ?

Prudence - Tu parles à une veuve, Alexandra, respecte un peu la mémoire de ton oncle ! Et puis franchement c’est pas le moment ! (Elle lui tend la feuille des impôts.)

Alexandra - « Impôt de Solidarité sur la Fortune : redressement ». Mais quelle fortune ? On n’a pas un centime…

Prudence - Ben cet immeuble, ça suffit. Soixante mille euros à payer avant la fin de l’année. Cinq ans de rattrapage ! Comment je vais faire ?

Alexandra - Je sais pas, moi… Oh ! tiens si, installe encore des locataires ! Tu adores ça, virer ta propre famille !

Prudence - Je ne t’ai pas virée, tu es passée du troisième au deuxième étage.

Alexandra - Encore heureux ! Tu aurais préféré me mettre à la cave ?

Prudence - Tu crois que ça m’amuse de faire entrer des inconnus dans notre maison de famille ? De la morceler, de la dépecer par petits bouts… Ça me fend le cœur.

Alexandra - Oh ! j’ai une idée ! Tu transformes le local à vélo en studette. Tu installes un de tes petits fiancés et toute sa famille… et tu récupères les allocs.

Prudence - Alexandra, ton oncle !

Alexandra - Eh bien, vends ! Ça nous fera du cash. On t’a proposé une fortune pour faire des parkings.

Prudence - Vendre ? Comment tu peux envisager une chose pareille ? Je te rappelle que tu es née dans cette maison, Alexandra !

Alexandra - Bon, j’ai un entretien d’embauche. Je vais essayer de décrocher le boulot, pour au moins payer mes charges ! Tu serais capable de me couper l’eau.

Alexandra sort.

Prudence - Commence par mettre une jupe courte : pour les pourboires, c’est plus payant. (Elle prend son stepper et remonte dans l’immeuble.) Soixante mille euros ! Quand on voit ce qu’ils en font…

 

 

Scène 3

 

Arrive Géraldine, habillée chaudement. Elle irradie de bonheur. Elle guide Nicolas en lui mettant la main sur les yeux.

Géraldine - Attends, attends.

Nicolas - Géraldine, c’est ridicule !

Elle l’arrête devant la façade et enlève sa main.

Géraldine (ravie) - Et voilà ! (Nicolas regarde l’immeuble, il est consterné.) Immeuble de quatre étages. Cinq appartements. Isolation des fenêtres inexistante. Bilan thermique catastrophique. Système de gouttières totalement obsolète. Pas de tri sélectif des ordures ménagères. (Se lâchant.) C’est génial ! Cet immeuble est une insulte à l’environnement ! C’est génial !

Nicolas - Mais il est pourri !

Géraldine - Mais c’est parce qu’il est pourri que c’est génial ! C’est l’immeuble idéal pour mon mastère ! Et encore tu n’as pas vu le meilleur : à l’intérieur de l’amiante à tous les étages, du plomb en veux-tu en voilà… C’est génial ! (Elle aperçoit le parasol chauffant.) Tiens, c’est bizarre… Mais… ça chauffe ! Ça chauffe le… banc ??? Il chauffe le banc le parasol ! Tu réalises ? Il chauffe le banc ! Non mais c’est n’importe quoi ! C’est génial ! (Sortant un dictaphone.) « Au-delà de l’état lamentable de l’immeuble, nous sommes confrontés à une totale inconscience de ses habitants, qui frôle l’irresponsabilité. »

Nicolas - Géraldine ! Tu ne veux pas habiter là ?!

Géraldine - Mais si ! (Effondré, Nicolas regarde toujours l’immeuble.) Arrête, Nicolas, je t’ai montré les photos…

Nicolas - Enfin, les photos, on leur fait dire ce qu’on veut. Nos photos de mariage par exemple.

Géraldine - Oui, et alors ?

Nicolas - On aurait dit qu’on avait le même projet de vie et visiblement, depuis six mois, ce n’est plus le cas.

Géraldine - Qui t’empêche d’avoir le même projet que moi ? Quitte ton boulot ! Soyons des green lovers. Pourquoi tu ne veux pas être mon green lover ?

Nicolas - Promis : à la prochaine Saint-Valentin, on passe la nuit dans un gîte rural, dans l’étable si possible… près des bêtes… les deux pieds dans le purin.

Géraldine - Pour ton information, le purin est un engrais, un anti-puceron et un merveilleux activateur de compost…

Nicolas - Et aphrodisiaque ?

Géraldine - Non ?

Nicolas - Qu’est-ce que je regrette le bon vieux temps où tu bossais chez Esso. Le temps où tu polluais les plages. Où tu mettais le chauffage à vingt-quatre pour te balader à poil dans l’appartement.

Géraldine - Parti comme ça, ce n’est pas ce soir que tu vas me voir à poil.

Nicolas - Géraldine, pas de chantage !

Géraldine - Pourquoi tu t’énerves ?

Nicolas - Je ne m’énerve pas !

Géraldine - Si. Tu t’énerves… D’accord, j’ai eu une prise de conscience tardive mais j’ai su réagir, moi ! Tu ne vois pas que la planète souffre ?

Nicolas - Et pourquoi on doit souffrir, nous aussi ? On ne va pas passer un an dans ce taudis ?

Géraldine - Mais c’est quoi un an ? Exactement le temps qu’il faut pour faire de cet immeuble un modèle de développement durable. Un vrai bijou !

Nicolas - Et la propriétaire ? Elle est d’accord pour souffrir elle aussi ?

Géraldine - Mais enfin Nicolas, qui ne serait pas d’accord, aujourd’hui ? Et puis convaincre des populations réticentes, c’est ça qui est excitant ! Je t’ai bien fait acheter une voiture hybride.

Nicolas - Ça, c’était pour mettre fin à dix jours de grève du sexe !

Géraldine - Eh bien, ça a marché.

Nicolas - Je ne vais quand même pas acheter une voiture tous les mois !

Géraldine - Allez, Nicolas… Arrête de ronchonner. (Elle se retourne vers l’immeuble.) Regarde comme il est charmant. Enfin un immeuble à taille humaine. C’est tellement agréable quand on connaît ses voisins, qu’on se parle, qu’on s’entraide… C’est convivial.

Nicolas - Tu sais ce que je vais faire ? Je vais m’asseoir sur ce banc, symbole de convivialité extrême, et je vais parler avec tous les gens de l’immeuble qui passent.

Nicolas sort son téléphone et s’assied.

Géraldine - Qu’est-ce que tu fais ?

Nicolas - Ben, je travaille !

Géraldine - Nicolas, on doit visiter l’appartement.

Nicolas - Non : tu veux visiter l’appartement. Et puis j’ai mal au dos.

 

 

Scène 4

 

Arrivée de Jean-Marc, un sac de chouquettes à la main.

Nicolas - Ah ! quelqu’un ! Formidable ! Bonjour !

Géraldine - Bonjour !

Jean-Marc - Excusez-moi, j’ai pas l’habitude qu’on me parle ici. (Allant serrer la main de Géraldine, puis de Nicolas.) Bonjour ! Bonjour !

Nicolas - Des viennoiseries ! Comme c’est convivial !

Regard assassin de Géraldine à Nicolas.

Jean-Marc - Excusez-moi… C’est à vous la voiture ?

Nicolas - Tout à fait. C’est une voiture hybride. Essence et électricité. Je suis très concerné par l’environnement.

Géraldine - Oui, enfin, ça c’est pour la galerie. La prochaine étape, c’est quand il éteindra les lumières en sortant de l’appartement : moins tape-à-l’œil mais très utile.

Jean-Marc - Cela dit, si je peux me permettre, Madame a raison… Je n’arrête pas de le dire à mes élèves : en ville, cinquante pour cent de la déperdition d’énergie est due à des comportements d’incivilité à domicile…

Nicolas - Vous êtes prof de… ?

Jean-Marc (fier) - SVT : Sciences et Vie de la Terre.

Nicolas (effondré) - Formidable ! Je suis tombé dans un nid.

Jean-Marc - Sans vouloir vous déranger… la voiture… euh…

Nicolas - Oui ?

Jean-Marc (timide) - Elle gêne un petit peu l’entrée.

Nicolas (avec humeur) - Bon, je vais la garer puisqu’elle gêne !

Nicolas s’en va.

 

 

Scène 5

 

Surpris, Jean-Marc regarde Nicolas s’éloigner.

Géraldine (prenant son dictaphone) - « Rectificatif : un des autochtones semble doté d’une conscience environnementale supérieure à la moyenne : un allié potentiel. » (À Jean-Marc.) Géraldine Bariani. Enchantée.

Jean-Marc - Jean-Marc Bidet.

Géraldine - Nous cherchons la propriétaire pour la visite.

Jean-Marc - Pour l’appartement du troisième ? J’ai hâte qu’il y ait enfin d’autres locataires, je vais me sentir moins seul.

Géraldine - Ah bon ? Y’a personne dans l’immeuble ? La propriétaire… Mme Messonnier… elle habite bien là ?

Jean-Marc - Bien sûr ! Mme Messonnier et ses deux nièces…

Géraldine - Eh ben alors ?

Jean-Marc - Je ne devrais peut-être pas vous dire ça… (Parlant un peu plus bas.)… mais les Messonnier ne m’adressent pas la parole.

Géraldine - Pourquoi ?

Jean-Marc - Je ne fais pas partie de la famille…

Géraldine - Ah bon ? Moi qui me disais un petit immeuble, ça va être convivial…

Jean-Marc - Oui ! C’est ce que je pensais aussi en arrivant quand j’ai été nommé à Paris l’an dernier. J’ai vite déchanté. Quand je dis bonjour, au mieux j’obtiens un vague grognement. C’est très, très stressant.

Géraldine - Et vous n’êtes pas parti ?

Jean-Marc - Ben… disons que… progressivement je me suis attaché…

Géraldine - À quoi ?

Jean-Marc - À qui plutôt… (Presque ému d’en parler.) La nièce, la plus jolie, Alexandra....

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