ACTE I
Scène 1
Corinne en pyjama est installée, décontractée dans un fauteuil, elle regarde une revue de voyages, de la chambre arrive Arnaud avec deux cravates dans la main.
Arnaud. – Laquelle à ton avis ?
Corinne. – Celle-là ! Non… L’autre ! Celle que tu veux après tout…
Arnaud. – Qu’est-ce que tu regardes ?
Corinne. – Les voyages proposés par cette agence.
Arnaud, pas aimable. – Ne rêve pas !... On n’a plus un rond !
Corinne. – Tu es aimable dès le matin, ça fait plaisir… Mais on est d’accord, en effet on n’a plus un rond... Et à qui la faute ?
Arnaud, sur la défensive. – « Fonce ! » C’est ce que tu m’as répondu lorsque je t’ai proposé ce placement américain à 10%. J’aurais voulu que tu voies ta tête ! J’avais l’impression d’avoir Oncle Picsou devant moi, avec des dollars plein les yeux, comme dans Picsou magazine !
Corinne. – Picsou magazine ? C'est ce qui s’appelle avoir des références ! Tu aurais mieux fait de t’abonner à L’Expansion ! Ça nous aurait peut-être évité la ruine !
Arnaud. – Ne joue pas à la plus fine Corinne... Tu sais très bien que je ne lis plus Picsou magazine depuis un certain temps !
Corinne. – Ah oui ? Depuis quand exactement ?
Arnaud. – Eh bien depuis... depuis l'année dernière !
Corinne, elle lui tend une lettre. – Tiens ! En attendant lis ça ! Le facteur l’a apportée pendant que tu prenais ta douche.
Arnaud, il lit la lettre. – Afin d’évaluer vos biens pour recouvrement de vos loyers impayés, pour un montant de 10 000 euros à ce jour, Maître Dominique Lerat... huissier de justice... se présentera à votre domicile : 58, rue du Coq-qui-Chante, Paris 15e à 8 h le 18 juin 2015. Le 18 juin ? C’est l’appel à la résistance, non ? Moi aussi je vais résister !
Corinne. – Je suis curieuse de savoir comment... mon général !
Arnaud. – Je ne le sais pas encore… mais je vais y réfléchir...
Corinne. – « Y réfléchir ! » Tout un programme ! (Ironique.) Arnaud... Si je peux me permettre de te donner un petit conseil, ne perds pas de temps, il ne te reste qu’une semaine.
Arnaud, d’un air détaché. – Au fait le loto ?... L’Euromillions rien de nouveau ? On n’a pas gagné ?
Corinne, rire ironique. – C’est ça ta fameuse idée pour nous sortir de la merde ? Le loto ? L’Euromillions ?
Arnaud, agacé, il enlève son gilet qu’il pose sur le canapé et enfile une veste. – Si tu joues c'est bien parce que tu espères gagner non ?... Je te laisse à tes rêveries de voyages... Au moins ça ne coûte pas cher… Je serai de retour en fin d’après-midi. J’ai rendez-vous au Pôle emploi...
Corinne, elle le toise. – Quand on traite son patron de « pauvre con » devant les clients il ne faut pas s’étonner d’être sur la touche !
Arnaud. – Et tu en parles en connaisseuse ! Balancer un dossier à la gueule de son chef, tu as raison, c’est beaucoup plus diplomatique !
Corinne. – C’est quand même moins violent que l’agrafeuse que toi tu as envoyée dans le nez de Bacard !
Arnaud. – Elle m’a échappé des mains et est venue se coller malencontreusement sur son pif ! Ce sont des choses qui arrivent...
Corinne, amoureuse. – J’adore parfois ta mauvaise foi ! C’est vrai qu’on fait une sacrée équipe toi et moi mon amour, dans le fond nous sommes pareils tous les deux !
Arnaud, amoureux. – Pareils ! Exactement pareils, et à tel point qu’on arrive même à se mettre dans la merde ensemble et au même moment !
Corinne. – Si ce n’est pas de l’amour, ça !
Arnaud. – C’est vrai ma Coco, toi et moi nous sommes faits l’un pour l’autre ! Le self-control on peut en avoir ou pas... Nous c’est con, l’un comme l’autre, on a manqué de sang froid ce jour là !
Corinne. – Ce qui m’est le plus insupportable dans l’affaire, c’est que nos patrons, eux, ont obtenu ce qu’ils voulaient... Nous virer sans que ça leur coûte 1 euro !
Arnaud. – On peut le dire, ils nous ont bien pressé le citron ! Mais bon, il valait mieux retourner notre violence contre eux, plutôt que contre nous-mêmes !
Corinne. – Je sais… Je te l’ai déjà dit, mais ça m’a fait un bien fou de lui balancer ce dossier dans la tronche !
Arnaud. – Et moi donc, depuis le temps que j’avais envie de lui dire ce que je pensais de lui ! Mais le passé est le passé, il faut aller de l’avant ! Bon, il faut que je file, je vais finir par être en retard et me faire éliminer d’office. Ce n’est pas le moment de laisser passer sa chance !
Corinne. – File ! et « Merde » ! Montre-leur de quoi tu es capable ! Je sais que tu es un winner mon Naunaud !
Arnaud, il revient vers elle, hésitant. – Tu sais... par moment... je doute... je flippe... J’ai peur... Je ne voudrais pas qu’on finisse comme le couple de SDF en bas de chez nous... Chaque fois que je passe devant eux, et c’est tous les jours, j’y pense...
Corinne. – Momo et Momone !
Arnaud. – Momo et Momone ?
Corinne. – Maurice et Simone de leurs prénoms ! Ils sont très sympas !
Arnaud. – Tu les connais personnellement ?
Corinne. – Oui ! Ils sont un peu mes protégés...
Arnaud. – Tes protégés ? C’est-à-dire ?
Corinne. – Je leur donne la pièce !
Arnaud. – Quoi ? Tu leur donnes la pièce alors qu’on n’a plus un rond !
Corinne. – En fait, quand je dis la pièce, je devrais plutôt dire le billet !
Arnaud, bégayant. – Le bi… le bibi…
Corinne, très fort. – Le billet !
Arnaud, à peine audible. – Le billet ?
Corinne. – Tu connais l’adage, faites le bien il vous sera rendu au centuple ! Avec ton fameux placement à 10%, je m’étais dit qu’il était de mon devoir de les aider un peu ! Mets-toi un peu à leur place !
Arnaud, inquiet. – Je peux savoir à quelle hauteur et dans quelles proportions se situe ton aide ?
Corinne. – Eh bien… Au début je leur donnais un billet de 10 euros...
Arnaud. – Par mois ?
Corinne. – Ben non ! Par jour !
Arnaud. – Quoi ?
Corinne. – Mais pour les deux ! Pas chacun !
Arnaud. – Encore heureux ! 10 euros par jour ? J’ai épousé Mère Teresa ! Ou plutôt une folle ! As-tu fait seulement le calcul de ce que ça représente par mois ? Et sur une année, je ne préfère même pas faire l’addition !
Corinne. – Compte tenu de notre situation, j’ai dû réduire un peu ma contribution...
Arnaud. – C’est-à-dire ?
Corinne, triste. – Depuis six mois je ne leur donnais plus que 5 euros... et depuis la semaine dernière, j’ai encore diminué la somme, ils doivent se contenter de 2 euros les pauvres !
Arnaud. – Se contenter ?
Corinne. – Au début, ils faisaient un peu la gueule, mais je leur ai expliqué la situation et ils ont compris !
Arnaud. – Trop aimable ! Eh bien tu vas leur expliquer qu’à partir d’aujourd’hui, c’est terminé, à Momo et Momone ! Momo et Momone ! Ridicule !
Corinne. – Tu n’as pas de cœur mon Naunaud !
Arnaud. – Je n’ai pas de cœur, je n’ai pas de fric non plus ! Mais j’ai un cerveau contrairement à toi ma Coco ! Quand je pense que je me suis sacrifié en arrêtant de fumer pour faire des économies…
Il sort en claquant la porte en marmonnant « Momo et Momone ! » Corinne regarde le gilet d’Arnaud.
Corinne. – Qu’est-ce qu’il est tarte ce gilet ! Un cadeau de sa mère ! Elle doit être daltonienne ! Je ne vois que ça !
Scène 2
Corinne, elle prend le journal. – Puisqu’on peut toujours rêver, ça ne coûte pas cher, voyons les résultats de l’Euromillions... On ne sait jamais… Après tout... Au point où on en est... Ils finiront bien par sortir un jour ces foutus numéros, depuis le temps qu’on les joue... Après, je consulterai les petites annonces... Parce que bon… Quand même il faut être réaliste !... C’est... Ce n’est pas possible... (Elle part comme une somnambule et va chercher ses lunettes, elle relit le journal... Même jeu, elle va chercher le ticket de loto dans son sac... Elle compare et prononce les numéros gagnants sur un ton « orgasmique ») 20... 12... 7... 4... 3... Et les étoiles : 1... 9... Les étoiles ! (On frappe à la porte…) Oui... Oui... Oui… J’arrive !
Elle revient à elle et ouvre, apparaît la concierge.
Madame Bignole, glaciale. – Bonjour madame... Je vous dérange… J’aurais cru… (Elle cherche dans la pièce une présence masculine.)
Corinne. – Bonjour madame Bignole, que me vaut votre visite ? Pour ne rien vous cacher je m’en doute un peu, mais allez-y, faites votre boulot !
Madame Bignole. – Je ne vous apprendrai rien en effet en vous disant que vous avez dix loyers de retard ! Vous connaissez votre propriétaire, (rêveuse) c’est un homme charmant, sensible...
Corinne. – Vous ne seriez pas un peu amoureuse vous, madame Bignole !
Madame Bignole. – Ne dites pas n’importe quoi ! Figurez-vous qu’il en est malade d’avoir été obligé d’avoir recours aux huissiers ! Il est couvert de plaques d’eczéma tellement ça le contrarie !
Corinne. – Le pauvre ! Il n’a pas besoin de ça ! Déjà qu’il n’est pas très avantagé par la nature !
Madame Bignole. – C’est votre avis, moi je le trouve bel homme ! En attendant il vous demande de trouver une solution.
Corinne. – Vous tombez bien ! Elle est toute trouvée cette solution !
Madame Bignole, autoritaire. – Tant mieux ! Et… C’est quoi ?
Corinne. –...