Enquête à Follywood

SCÈNE 1

Paul X, seul en scène

Musique de jazz. Paul X regarde vers l’extérieur comme s’il regardait au travers de la vitre d’une fenêtre.

Paul X

Une nuit sans lune. La pluie flic-flaque dans les rues vides. Les branches des arbres cric-craquent sous le vent et l’eau clip-clapote dans les gouttières. C’est un décor idéal pour un polar… mais ce n’est pas un temps à mettre un détective dehors. Je préfère rester bien au chaud à la maison. (S’adressant au public.) Excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Paul X et je suis détective privé. Au premier abord, je peux apparaître comme un Monsieur X tout à fait commun menant une vie tout ce qu’il y a de plus ordinaire, le genre d’individu qui ressemble un peu à tout le monde. Et pourtant… vous pouvez regarder dans les pages jaunes ou blanches ou vertes des annuaires téléphoniques, je suis le seul détective privé nommé Paul X. Pas de concurrence. Vous devez vous demander pourquoi Paul X et pas plutôt Paul… Paul Sherlock Holmes, par exemple ? (Sur le ton de la confidence.) C’est pour garder la discrétion et le secret sur toutes les affaires que je traite. (Un temps.) Mais il faut reconnaître qu’en ce moment, il y a très peu d’affaires à traiter. Pas de cadavres qui traînent dans le quartier ni de vols de bonbons chez l’épicière du coin. Aucune demande pour retrouver un matou, un toutou ou un python domestique. Que voulez-vous, il faut s’y faire, c’est la crise… même pour les détectives privés. (Il bâille.) Eh bien, je vais profiter de la crise pour siester un peu.

Il bâille de nouveau et commence à s’endormir, puis on entend des ronflements. On entend une musique comme dans les rêves. La lumière baisse progressivement. Noir rapide, puis la lumière revient.

SCÈNE 2

Marie, Paul X

Marie entre précipitamment. Elle tient un DVD et une liste entre ses mains.

Marie

Paul ! Paul, réveille-toi ! J’ai besoin de toi.

Paul X, se réveillant.

Hein ? Qu’est-ce qui se passe, Marie ?

Marie

Mon frère a disparu.

Paul X

Comment ça ?

Marie

Tu sais qu’il adore le cinéma…

Paul X

Oh oui, ça, je le sais. Il y a des jours où il se prend pour James Bond, d’autres pour Batman ou encore pour Zorro.

Marie

Si ce n’est pas Dracula ou Tarzan. Et tous les jours il faut qu’il regarde des DVD de ses héros préférés.

Paul X

Je suis au courant, il a une collection de DVD étonnante.

Marie

Eh bien, figure-toi qu’aujourd’hui, en regardant un de ses DVD — c’était un film policier —, il a disparu.

Paul X

Que veux-tu dire ?

Marie

Il voulait tellement s’identifier au personnage de l’inspecteur Harry qu’il a réussi à pénétrer dans la vidéo.

Paul X

Qu’est-ce que tu racontes ? Tu es folle !

Marie

Pas du tout. C’est la vérité. Oh, je t’en prie, Paul, va le rechercher dans le monde de Follywood !

Paul X, étonné.

Le monde de Follywood ?!

Marie

C’est l’univers du cinéma. Oh, pour s’y rendre, rien de plus facile : il suffit que tu glisses ce DVD dans le lecteur, et tu entreras comme mon frère dans le monde de Follywood. Et tiens, je te donne la liste des DVD qu’il apprécie particulièrement, tu devrais le retrouver dans l’un d’entre eux.

Paul X

Mais… comment le reconnaîtrai-je ?

Marie

Il est en jean et il porte un tee-shirt sur lequel il est écrit : JE.

Paul X

Jeu ? Il joue à quelle sorte de jeu ?

Marie

Non, JE le pronom personnel de la première personne du singulier.

Paul X

Il porte un tee-shirt où il est écrit : JE ? Eh bien, dis donc, il ne se prend pas pour n’importe qui, ton frangin.

Marie

Je ne te dis pas le contraire. Mais le plus important c’est que tu le retrouves avant que mes parents reviennent ce soir. Sinon, qu’est-ce que je vais entendre ! À bientôt, Paul, je compte sur toi. (Elle sort.)

Paul X, vers les coulisses.

Mais voyons, Marie, c’est impossible de le retrouver ! Il n’y a qu’au cinéma que l’on peut voir des histoires comme celles-là. Je crois rêver ! (Un temps.) Je vais tout de même essayer pour voir… mais c’est tellement stupide… (Il place le DVD dans le lecteur d’un téléviseur. Il est attiré vers le téléviseur et il s’écrie.) Mais… Mais je suis attiré vers l’écran ! C’est horrible ! Je vais m’écraser sur l’écran ! Au secours ! Au secours !

Noir.

SCÈNE 3

Le commandant de police, la lieutenante de police,
le prévenu, Paul X

Panneau sur scène sur lequel il est écrit : « Entrez dans la police. Mais n’oubliez pas de fermer la porte en sortant. »

Entrée en scène de Paul X.

Le commandant et son adjointe interrogent le prévenu assis.

Le commandant

Oh, tu sais, mon garçon, nous, nous avons tout notre temps. Pas vrai, lieutenant ?

La lieutenante

Tout à fait, patron.

Le commandant

Nous finirons bien par savoir où tu l’as planqué.

La lieutenante

On le saura… même si on doit te casser les pieds.

Le commandant

Eh, doucement, lieutenant. Doucement. Pas de violence, vous le savez. Sauf si le lascar ne veut pas coopérer, alors là vous pourrez tirer sans sommation.

La lieutenante

Bien, commandant.

Le commandant

Alors je reprends dans l’ordre. Comment t’appelles-tu ?

Le prévenu

Je ne m’appelle jamais, ce sont les autres qui m’appellent.

Le commandant

Ouais… et comment ils t’appellent… les autres ?

Le prévenu

Avec leur portable.

Le commandant

Ouais, ouais. Je vois que monsieur veut jouer au plus fin avec moi, mais ça ne marchera pas. Quel âge as-tu, gros malin ?

Le prévenu

Je ne sais plus où sont mes papiers d’identité. Mais je pense que je dois me situer entre 7 et 77 ans.

Le commandant, à la lieutenante, en ricanant.

Monsieur est un rigolo. Mais rira bien qui rira le dernier, mon ami.

La lieutenante

Signe zodiacal ?

Le prévenu

Je crois que c’est Verseau… ou peut-être le contraire : Recto… Je ne sais plus. Excusez-moi.

Le commandant

Couleur préférée ?

Le prévenu

C’est important ?

Le commandant

On ne pose pas de questions. C’est moi qui pose les questions et c’est prévu dans le livret d’interrogatoire. Couleur préférée !

Le prévenu, cherchant.

Vert… bouteille… non, vert… d’eau avec un vert… menthe ou un vert anis… non… un vert…

Le commandant, l’interrompant.

Ça suffit !

Le prévenu

J’essaie de répondre le plus précisément possible à vos questions.

La lieutenante

Et où habites-tu ?

Le prévenu

Où est-ce que j’habite ? (Cherchant.) J’habite… ah oui, j’habite dans le pays… dans le pays RF. J’en suis sûr.

La lieutenante

Le pays RF… (Au commandant.) Je crois qu’il veut dire République française. (Au prévenu.) Et dans quel département ?

Le prévenu

Département ? (Cherchant, puis faisant un geste vague.) Euh… je crois que c’est par là-bas.

Le commandant

Dans quelle ville ?

Le prévenu, cherchant.

La ville de… la ville de… ah, c’est pourtant une grande ville. Mais où ? Elle se trouve certainement dans le département par là-bas et dans le pays RF. (Leur demandant.) Non ? Excusez-moi, mais j’ai l’impression que ma carte mémoire s’est bloquée.

Le commandant, s’énervant.

Bien sûr. Bien sûr. Eh bien, moi, je vais te rafraîchir la mémoire, mon lascar. Donnez-moi...

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