...et son pendant

 

Acte Unique

 

Scène 1

 

C’est le jour mais on voit la lune. Deux personnages sont sur la scène : le malheur (Victor) qui arrive et son pendant (une femme).

 

VICTOR

Bien le bonjour !

 

L’autre se retourne, surpris.

 

VICTOR

Bonjour ! Oui, madame, mon bonjour était à votre adresse.

 

PENDANT

Ah ah ! Mais bonjour, bonjour cher monsieur.

 

VICTOR

Belle petite place.

 

PENDANT

Comme vous voyez ! On gagne toujours à visiter de petits villages.

 

VICTOR

Je vois.

 

Grand silence.

 

VICTOR

Au fait, nous ne nous sommes pas présentés !

 

PENDANT

Mais non !

 

VICTOR

Je suis le malheur.

 

PENDANT

Enchantée.

 

VICTOR (après un silence gênant)

Et vous êtes…

 

PENDANT (lui tend la main)

Son pendant…

 

Victor reste interloqué et c’est machinalement qu’il se laisse brutalement serrer la main.

 

VICTOR

Le pendant du malheur ?

 

PENDANT

Mais oui.

 

VICTOR

Mon pendant…

 

PENDANT

Tout à fait. Et j’en suis d’autant plus enchantée de vous connaître.

 

VICTOR (réflexif, toujours)

Alors vous êtes le bonheur ?

 

PENDANT

Si vous voulez…

 

VICTOR

Comment si je veux. Je suis le malheur et vous êtes le pendant du malheur. Vous êtes donc logiquement le bonheur.

 

PENDANT

Je suis votre pendant. Le malheur, le bonheur, vous savez, tout cela ne sont que des mots.

 

VICTOR

Vous êtes mon pendant, c'est-à-dire que vous m’êtes radicalement opposée, n’est-ce pas ?

 

PENDANT

Probablement. Mais comment le saurais-je, c’est la première fois que je vous rencontre, moi aussi.

 

VICTOR

Vous n’aviez jamais rencontré le malheur ?

 

PENDANT

Non.

 

VICTOR

Ah heureuse femme que vous êtes !

 

PENDANT

Oui. Enfin, aujourd’hui je vous rencontre.

 

VICTOR

Oui aujourd’hui, j’ai droit au bonheur…n’est-ce pas magnifique ?

 

PENDANT

C'est-à-dire que vous n’aviez jamais rencontré votre pendant auparavant ?

 

VICTOR

Non. Je suis le malheur depuis peu.

 

PENDANT

Ah. En revanche, je suis le pendant du malheur depuis longtemps.

 

VICTOR

Oui, forcément… Et où pendez-vous ?

 

PENDANT

Place de Grève, comme toujours.

 

VICTOR

Je croyais que l’on avait arrêté de pendre place de Grève depuis longtemps.

 

PENDANT

Mais non.

 

VICTOR

Nous parlons bien de la même place de Grève, la place de l’hôtel de ville, à Paris ?

 

PENDANT

Mais oui. Il n’en est qu’une.

 

VICTOR

Et vous pendez donc devant la mairie…

 

PENDANT

Sous les yeux même du maire.

 

VICTOR

Il n’est jamais là.

 

PENDANT

Non. Sauf pour les pendaisons bien sûr. C’est toujours un spectacle.

 

VICTOR

Et ça attire du monde, encore ?

 

PENDANT

Le maire, des officiels évidemment, des curieux de passage. Mais peu de monde en réalité, je pends de nuit, en général. Vous pensez bien que si ça se savait…

 

VICTOR

Peut-être…

 

PENDANT

Enfin, je suis bien heureuse que vous soyez venu à moi. C’est si gentil de votre part !

 

VICTOR

Votre capacité au bonheur est formidable !

 

PENDANT

Merci.

 

VICTOR

Je l’admire.

 

PENDANT

Encore merci. Vous êtes trop bon pour moi.

 

VICTOR

C’est ma nature.

 

Le pendant du malheur reste rêveuse pendant quelques secondes, jusqu’à ce que l’autre décide de reprendre la parole.

 

VICTOR

Mais qui pendez-vous, au fait ?

 

PENDANT

Mais le malheur.

 

VICTOR (pas rassuré)

Mais forcément…

 

PENDANT

Bien sûr, je suis le pendant du malheur.

 

VICTOR

Oui, le bonheur, le bonheur parfait… il vous faut donc vous débarrassez du malheur.

 

PENDANT

Corps et âme.

 

VICTOR

Le corps aussi ?

 

PENDANT

Et comment ! C’est bien le plus sûr moyen…

 

VICTOR

Malheureusement.

 

PENDANT

Vous trouvez que perdre le malheur et si malheureux…

 

VICTOR

C’est qu’on finit par s’y attacher, au malheur…

 

PENDANT

Vous, peut-être…

 

VICTOR

Oui, c’est vrai, je dois penser aux autres. Il serait dangereux pour eux que je leur refilasse le malheur.

 

PENDANT

Ce serait malheureux…

 

VICTOR

Pour eux.

 

PENDANT

C’est pour cela que je vous pends.

 

VICTOR

Attendez que ce soit fait pour parler au présent.

 

PENDANT

C’est pour cela que je vous pendrai.

 

VICTOR

Oui. Mais…

 

PENDANT

Mais ?

 

VICTOR

Si je ne m’abuse, vous n’avez pas très bien réussi dans votre rôle.

 

PENDANT

Pourquoi dîtes-vous cela ?

 

VICTOR

Puisque je suis encore là ! Puisque le malheur existe toujours, c’est que vous n’avez...

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