Évasion garantie !

Ils sont venus déguisés en cow-boys ou Indiens afin de se présenter à un casting de film publicitaire, et se retrouvent enfermés dans l’agence.
Des situations comiques en rafales dans cette comédie burlesque où les répliques fusent comme des flèches et ne peuvent recevoir que des salves d’applaudissements.

ACTE UN

Dans la salle d’attente, Chantal, chapeau et jupe western, est assise sur le divan. Elle feuillette son script. À côté d’elle, Hélène, également en tenue western, se fait les ongles. Debout, Fernand, habillé en cow-boy, joue avec son revolver, le fait tourner autour de son doigt, dégaine et rengaine en pointant à chaque fois son arme vers la porte d’entrée.

Chantal, excédée. – Dites, vous ne pourriez pas arrêter deux secondes ? Vous bougez tout le temps, c’est énervant ! J’aimerais bien pouvoir lire tranquillement si c’était possible.

Fernand. – Ce n’est pas de ma faute, chère madame, je n’aime pas attendre… Alors plutôt que d’attendre bêtement, j’ai décidé de tuer le temps… (Dégainant à nouveau.) Pan ! Le temps, t’es mort ! T’es mort que je te dis ! Vous avez vu la vitesse ? Vous avez vu ? Pas mal, hein ? Vous dites que le temps passe ? Moi, je dis qu’il trépasse. Pan ! Je t’ai encore eu ! Sans me vanter, je crois que je suis assez rapide. Lucky Luke, à côté de moi, n’est que l’ombre de son ombre, il peut tout de suite aller se rhabiller. (Il fait plusieurs fois le geste de dégainer et de rengainer.) Vous avez vu ? Vous voulez essayer ? (Il lui tend le revolver.)

Chantal. – N’importe quoi !

Fernand. – Ben quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Vous n’aimez pas jouer ? C’est un peu dommage pour une actrice.

Chantal. – Figurez-vous qu’il y a une petite différence entre jouer et faire le guignol, mais j’ai l’impression que la nuance vous échappe ; cela ne m’étonne pas d’ailleurs. Ce n’est pas parce que vous gesticulez et cabotinez comme un malade que vous êtes un acteur. Alors, je vous en prie, asseyez-vous ! Et arrêtez de vouloir nous épater avec vos pitreries, je trouve cela d’une puérilité !

Fernand. – Holà ! Attention ! Attention ! Ladies and gentlemen ! Voilà la diva qui s’offusque ! Dites-moi, entre nous, si vous voulez vraiment jouer les actrices, vous ne pensez pas que vous vous êtes trompée d’endroit ? Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, je vous signale que nous ne sommes pas dans l’antichambre de la Comédie-Française, nous sommes chez Pub Productions, la boîte qui fait les clips publicitaires ; avouez que ce n’est tout de même pas pareil !

Chantal. – Je ne m’offusque pas, je voudrais simplement lire tranquillement. (Faisant mine de l’ignorer, elle se réfugie dans sa lecture.)

Fernand. – C’est le script que vous lisez ? Vous avez vu ? Franchement, ils ne se sont pas foulés… Pas besoin d’avoir fait dix ans de conservatoire pour décrypter le scénario… C’est encore plus ringard que d’habitude… Vous n’êtes pas d’accord ? Eh bien, répondez-moi… Ça ne vous dérange pas de lire pendant que je parle ? Ce n’est pas très poli… Non, je rigole… Ça y est, voilà qu’elle boude à présent… (Lyrique.) Chère gente dame, mon cœur se désespère et ne peut se résoudre à vous voir « boudiner ». Faire ainsi du boudin vraiment ne vous sied guère, prenez plutôt la vie du bon côté. (Chantal continue de faire la tête et se tourne ostensiblement pour ne pas voir Fernand. Il continue à l’agacer.) Hou ! hou ! Je suis là… (Chantonnant, comme s’il s’adressait à un enfant.) Ne te cache pas, je te vois.

Chantal. – Écoutez, ça suffit ! C’est déjà suffisamment agaçant d’être obligée d’attendre, ce n’est peut-être pas la peine d’en rajouter, vous ne croyez pas ?

Fernand. – Mais je rigole ! Je ne vous embête pas, je rigole ! Vous savez, si nous sommes amenés à travailler ensemble, faudra vous y faire. Avec Fernand, on rigole tout le temps. Fernand, c’est mon nom… Et vous ? C’est comment ?

Chantal. – Vous n’avez pas besoin de le savoir.

Fernand. – Vous n’allez pas commencer à faire la fière, vous pouvez bien me le dire… Alors ? C’est comment ?

Chantal. – Chantal.

Fernand. – Chantal ! Quel joli nom ! Enchanté, Chantal ! Chantal ! Un prénom ouvert à toutes les évasions ! Chantal enchanteresse, chevelure chatoyante cachée sous son chapeau, Chantal charmante, mon cœur chavire et chuinte en te voyant, il chuinte comme une chouette et dit en chuchotant : « Toi aussi tu es chouette, Chantal, entends mon chant. » (Il lui tend la main qu’elle finit par prendre. À Hélène.) Et vous ? C’est comment votre petit nom ?

Hélène. – Je ne vous serre pas la main, ce n’est pas sec… Moi, c’est Hélène.

Fernand. – Hélène ? J’adore ! (Il chante.) « Hélène à rire, Hélène à boire, Hélène à chanter comme nous, oui comme nous ! Oui comme nous ! »

Chantal. – À sortir des âneries pareilles, vous n’êtes pas fatigué ?

Fernand. – Je vous ai prévenue : avec Fernand, on rigole tout le temps.

Hélène. – C’est cela, t’as qu’à croire ! Dites-moi, cow-boy : depuis que nous sommes arrivées, vous n’arrêtez pas de vous agiter. Vous nous donnez le tournis… On ne vous a jamais dit que vous étiez saoulant ? Vous nous saoulez jusqu’au plafond avec vos tirades imbéciles. Moi aussi je peux vous en faire, fastoche… (Lyrique à son tour.)

« Le Fernand fanfaronne, Fernand fait le frimeur

Se croit fort et finaud, il fait le flagorneur

Il effarouche les femmes en frétillant, frivole

Finalement fait fuir avec ses fariboles. »

Fernand, applaudissant. – Bravo ! Ah si ! Très bien ! Madame, je m’incline. (Il tire son chapeau et la salue.)

Arrivée par la porte d’entrée d’Églantine, elle est habillée en Indienne.

Églantine. – Bonjour, messieurs-dames ! Pub Productions, c’est ici ? Ah ! ben oui, on dirait bien… Ça m’étonnerait que dans les autres bureaux, ils travaillent habillés en cow-boys…

Hélène. – Oui, c’est ici… Mais vous savez, il ne faut s’étonner de rien, aujourd’hui tout est possible… À force de traiter leurs employés comme du bétail, moi je ne serais pas étonnée de voir, un jour, des petits chefs arriver au boulot déguisés en cow-boys.

Fernand. – Comme du bétail ? Rien que d’y penser, ça m’émeut, ça « m’émeuh »… En tout cas, elle est profonde votre réflexion et je ne sais pas si vous l’avez remarqué, en plus, vous l’avez sortie d’une seule traite. Oh ! la vache ! (Il sourit niaisement, guettant la réaction des autres.)

Chantal. – Affligeant ! Vraiment affligeant… (À Églantine.) Ne faites pas attention. Venez ! On va vous faire de la place.

Églantine. – Ce n’est pas de refus ! Dites donc, vous avez vu ? On dirait que le travail ici, il faut le mériter… Vous vous rendez compte, mettre les bureaux au cinquième étage, sans ascenseur ! Avouez qu’ils font fort ! Sûre qu’ils l’ont fait exprès ! Je le connais leur raisonnement : les intermittents, c’est fainéantise et compagnie… On va les faire grimper au cinquième, comme ça, on les verra les motivés, ceux qui veulent vraiment travailler… J’vous dis que c’est fait exprès !

Hélène. – C’est comme cette idée de nous faire venir déguisés. Vous parlez si c’est discret ! J’ai dû me changer dans la voiture et laisser toutes mes affaires dans le coffre.

Fernand. – Moi, je suis venu à pied. Vous auriez vu le nombre de gamins qui me suivaient ! C’était sympa.

Chantal. – Ça ne m’étonne pas de vous. Frimeur comme vous l’êtes, vous l’aviez votre public.

Fernand. – Et vous, duchesse ? Vous êtes venue comment ?

Chantal. – Je suis venue en taxi, c’était plus pratique.

Églantine. – De toute façon, maintenant c’est partout pareil, même dans ce milieu. Rentabilité et rapidité. Vite fait, mal fait ! La qualité, on s’en fiche ! On travaille à la chaîne et on est payé au lance-pierres, pas vrai que j’ai raison ? En parlant de rapidité, ça fait longtemps que vous attendez ? Vous avez vu quelqu’un à l’accueil ?

Hélène. – On a surtout vu l’écriteau.

Églantine. – J’espère qu’on ne va pas poireauter des lustres… Ça me rend nerveuse… À chaque fois c’est pareil… Faut que j’aille au petit coin.

Fernand. – Vous cherchez un petit coin ? Tenez… Il y en a un ici, un autre là… Ce ne sont pas les coins qui manquent.

Églantine. – Qu’est-ce que vous dites ?

Fernand. – Remarquez, vous n’êtes pas la seule à chercher… Les canards, ils font comme vous : ils cherchent… C’est pour cela qu’ils se promènent toujours en faisant « coin-coin » !

Églantine. – Je n’y comprends rien à vos histoires. Qu’est-ce que les canards viennent faire là-dedans ? (Elle se dirige vers Fernand et commence à lui tourner autour.) Dites donc, vous vous fichez de moi, c’est cela ?

Fernand. – Vous ne devriez pas tourner en rond comme ça… Si vous voulez un bon conseil, ce n’est pas en tournant en rond que vous allez trouver un coin.

Églantine. – Eh ! oh ! Je fais comme je veux ! Et si je veux tourner, je tourne.

Fernand. – Alors là, je vous comprends… Parce que si on est là, c’est bien parce qu’on espère tourner. (Il crie.) Silence ! On tourne ! Ben quoi ? Vous ne tournez plus ?

Chantal. – Ne faites pas attention ! Il pense qu’il est drôle.

Fernand. – Mais oui ! Ne faites pas cette tête-là ! Je rigole ! Je m’appelle Fernand. Avec Fernand, on rigole tout le temps.

Églantine. – Ce doit être de l’humour de cow-boy, de l’humour avec de gros sabots ; ceux de votre cheval peut-être ?

Fernand. – Et moi je viens de comprendre pourquoi vous n’avez pas trouvé les toilettes ; c’est vrai que chez les Indiens, c’est toujours marqué : « suivez la flèche » !

Chantal, désignant la porte menant aux toilettes. – Allez-y ! C’est par là.

Après un haussement d’épaules et un regard noir en direction de Fernand, Églantine se dirige vers la porte et sort.

Hélène. – Ça y est ! Je savais bien que je vous avais vue quelque part… C’est elle qui m’y a fait penser… La pub W.-C. ! Vous étiez dans la pub W.-C. !

Fernand. – La pub Canard-WC ?

Hélène. – Non, pas celle-là… Une autre.

Chantal, à Fernand. – Vous, j’ai comme l’impression que vous faites une petite fixation sur les canards, vous devriez vous méfier, cela peut devenir grave.

Hélène. – En attendant, moi, j’ai a-do-ré ! Franchement, vous étiez épatante avec votre sourire éclatant qui se reflétait dans la blancheur de l’émail de la cuvette, c’était très beau !… Et votre réplique… C’était comment déjà ? Allez ! Dites-le-moi !

Chantal. – Je ne sais plus… Vous savez, ceci n’a pas beaucoup d’importance…

Hélène. – Vous plaisantez ! Un texte pareil, ça ne s’oublie pas… Ça va me revenir… Ah oui ! C’est ça… « Avec W.-C. Clean, c’est aussi propre dans mes W.-C. que dans ma cuisine. »

Fernand. – Un slogan pareil, ça ne donne pas envie d’aller manger chez vous.

Chantal. – Ça tombe bien, je ne vous ai pas invité.

Hélène. – Vous êtes un modèle pour moi, c’est grâce à des gens comme vous que j’ai eu envie de faire des films publicitaires.

Chantal. – Vous savez, c’est purement alimentaire… J’ai aussi fait dernièrement un téléfilm très intéressant…

Fernand. – Vous voulez dire que vous ne tournez pas que des trucs de chiottes ? Ne vous justifiez pas, ma petite dame, nous aussi, nous en sommes là… Il faut bien croûter et payer son loyer, c’est humain…C’est évident qu’on préférerait un grand rôle au cinéma, mais à la grande tombola des comédiens, tous les numéros ne sont pas gagnants, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, alors, un jour ou l’autre, on se résigne à tourner dans des films publicitaires et on se retrouve ici. Que voulez-vous, c’est ainsi… À présent, il nous faut assumer sans nous plaindre, personne ne nous a forcé car rappelez-vous, Chantal… (Lyrique.) « Nul ne peut se prévaloir de sa...

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