Facteur à risques, ou Des maux et des lettres

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Tout va pour le mieux chez Guste et Mélanie, ils attendent le passage prochain de Mlle Potain des services de la DDASS afin de pouvoir achever les formalités d’adoption : encore quelques jours et Cathy deviendra leur propre fille ! C’est alors que survient Raoul, le neveu de Paris au look un peu louche. Paniqué par cette arrivée surprise, Guste demande alors de l’aide au Fonse, le facteur un peu particulier, afin de surveiller de plus près cet « asticot qui arrive de la capitale »… Malheureusement l’espionnage s’avère plus compliqué que prévu ! Les foyers de Guste et Mélanie, et de Fonse et Bertille se retrouvent pris dans une tourmente inattendue sous le regard ébahi de Mlle Potain. Comment tout cela finira-t-il ?

Acte I

Scène 1

Guste, Cathy, Mélanie

 

La scène se passe chez le Guste. Cuisine de ferme traditionnelle. La famille est à table pour le repas de midi.

Guste - Alors, qu’est-ce que tu dis de ça ma petite Cathy ? Elle n’est pas bonne la cuisine de la mère Mélanie ?

Cathy - Extra, vraiment extra.

Guste - Eh bien, reprends-en un peu et n’aie pas peur pour ta ligne, va ! Quand la cuisine est fine, la taille suit le reste ; d’ailleurs, regarde Mélanie : vingt ans de fourneaux et pas un seul bourrelet. Quand je pense qu’il y en a qui mangent des hamburgers au ketchup, si ce n’est pas une honte ! Té, moi aussi j’y retourne et tant pis si je m’en fais péter la « courade » (1). Et encore, attends demain que j’aille au marché, je ramènerai des choux, on va se faire une de ces potées, j’en salive d’avance. Y’a pas à dire, ma petite femme, t’es vraiment la fée des marmites.

Mélanie - Arrête, arrête, j’ai les chevilles qui enflent, je frise la phlébite. J’espère que si tu m’as prise pour femme ce n’est pas uniquement pour mes blanquettes de veau et mes tartes aux pommes.

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(1) avoir l’estomac qui gonfle

Guste - Mais non, grosse bête, qu’est-ce que tu vas chercher là ? Tu sais bien que depuis le premier jour où je t’ai vue, je n’ai d’yeux que pour toi.

Mélanie - Tu parles si je m’en rappelle ! C’était pour la saint Jean. On dansait autour du feu dans le Couderc, tu m’as pas lâchée d’une semelle. C’était il y a si longtemps…

Guste - C’était hier et rien n’a changé depuis. Allez, viens, va, pose ton tablier et approche-toi par là. (Il la fait venir près de lui. À ce moment-là, le téléphone sonne.) Et mince ! C’est pas vrai, on n’a jamais un moment de tranquillité. Y se reposent jamais aux PTT ?

Mélanie (au téléphone) - Allô ! (…) Oui, c’est bien ici. (…) M. Pignard, oui, je vous le passe. (À Guste.) Guste, c’est pour toi.

Guste (au téléphone) - Oui, de la part de qui ? (…) Comment ? (…) Monsieur ? (…) Mademoiselle Potain, excusez-moi j’avais mal compris. (…) Oui… (…) La DDASS… (…) Oui… (…) Oui… (…) Comment ? (…) Maintenant ? Eh bien, si vous voulez… À tout à l’heure. (Il raccroche.) C’est l’autre enquiquineuse de la DDASS, tu sais la miss Potain et son air de sainte-nitouche. Elle doit venir cet après-midi. Eh bien, moi, j’y suis pas, j’ai des betteraves à repiquer.

Mélanie - Tu n’y penses pas ! Tu vas me faire le plaisir de rester là. Tu sais très bien que quand la DDASS nous a confié Cathy il y a douze ans, c’était pour être sa famille d’accueil et que depuis on peut l’adopter et devenir ses parents, y’a juste un dossier à finir avec Mlle Potain et après Cathy sera notre fille. Tu vas pas me dire que ton boulot passe avant ta famille, quand même ?

Guste - Non, non, tu as raison, c’est moi qui suis un couillon. Depuis douze ans qu’on attend ce moment, quand même, c’est pas trop tôt. Cathy, tu te rends compte tu vas être notre fille ? C’est pas beau, ça ?

Cathy - Ce sera le plus beau jour de ma vie ! Mélanie et Guste, enfin mes parents ! Combien de fois j’ai imaginé cet instant… Depuis toute petite déjà, dans mes rêves, quand j’appelais « papa » ou « maman » c’était vous que je voyais venir me chercher les bras ouverts et le sourire aux lèvres.

Mélanie - Là, tu vois un peu, alors faut pas tout faire capoter. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Elle vient, elle écoute, elle regarde, elle remplit son questionnaire, on signe et basta, à nous la vie de famille ! Mais attention, hein ! Pas de blagues, tenue irréprochable, langage correct et distinction sont de rigueur, ne l’oubliez pas !

Pendant ce temps, le facteur entre.

 

 

Scène 2

Guste, Cathy, Mélanie, Alphonse

 

Guste - Ouais, si tu le dis. Té, voilà le Fonse. Alors la poste, ça roule ?

Alphonse - Ça roule pour vous ! Bonne fin d’appétit tout le monde. V’là le courrier et du bon courrier.

Mélanie - Du bon courrier ?

Alphonse - Enfin, je crois, je suis pas dedans.

Guste - T’es pas dedans mais t’as jeté un œil, hein ? C’est ça !

Alphonse - Non, j’ai pas jeté un œil, c’est défendu ça, non ! Mais tu sais, l’habitude, je contrôle un peu à cause des lettres piégées et alors, sans le vouloir, je vois ce qu’y a d’écrit mais je ne lis pas, ça non ! Je ne lis pas !

Guste - Tu ne lis pas mais tu sais ce qu’y a dedans ! Alors, c’est bon ou c’est mauvais ?

Alphonse - C’est pas mauvais mais c’est peut-être pas bien bon non plus, faut voir !

Guste - Alors, comme ça tu lis le courrier. Hé bé mon lascar, tu t’embêtes pas !

Alphonse - Tu sais, faut pas le voir comme ça. La poste, c’est un service public, hé bé, moi, j’avance les gens, tu comprends, je peux leur dire si c’est utile, pas utile, grave, pas grave, si faut répondre, pas répondre. C’est un plus ça, c’est la convivialité du service public à la campagne. En ville, tu fous le courrier dans la boîte et pfuit ! tu files. Tandis que moi, j’applique la formule : « La poste, le service qui relie les hommes. »

Cathy - Dites plutôt « le service qui relit le courrier » !

Guste - Tant que tu y es, tu pourrais leur préparer les réponses ou leur payer les factures ! Ça, ça serait du service public.

Alphonse - Note que je ne fais pas ça à tout le monde, naturellement, ça dépend de l’importance du courrier.

Guste - Naturellement, ça dépend de l’importance du coup de pied au cul que tu risques de prendre et chez moi tu risques rien parce qu’on se connaît depuis la communale, hein ! Et tu m’espionnes depuis longtemps comme ça ? Quand je pense que cet animal a peut-être lu toutes les lettres que j’écrivais à ma Mélanie, ça me fait peur !

Alphonse - Non, t’inquiète pas, le courrier du cœur je n’y touche pas. Les lettres d’amour à ta chère biquette j’y ai pas touché, secret professionnel… Chut ! Je ne sais pas si tu sais mais avant, les rois, pour pas se faire empoisonner, ils avaient des goûteurs qui gouttaient tous les plats. Hé bé, moi, c’est un peu pareil : pour que les gens ne soient pas empoisonnés par la mauvaise nouvelle, je fais le goûteur. C’est utile ça !

Mélanie (ouvrant le courrier) - Bon ! Hé bé, voilà la meilleure : figure-toi que ta sœur Lucie de Paris, elle nous envoie Raoul, son voyou de fils, en vacances forcées pour qu’on le dresse. Comme si on a que ça à faire nous ! Té ! Tu peux lire.

Guste (lisant la lettre) - « Mon petit Gustounet et chère belle-sœur, il y a bien longtemps qu’on ne s’est pas écrit… » Tu parles, depuis notre mariage ! « … et pourtant ce n’est pas faute de penser à vous. J’espère que vous êtes tous en bonne forme et que chez vous là-bas en Auvergne y fait beau. Ici, c’est la banlieue avec son train-train habituel, métro-boulot-dodo… » Elle pourrait rajouter « bistro » ! « Eh bien, des fois, quand je regarde les HLM d’en face, je m’imagine là-bas à Champs-Longe en train de garder les “fides” (1) dans la senteur des pins et des genêts en fleur. » Tu parles qu’elle les gardait les fides, elle pensait plus aux bergers qu’aux moutons ! Les genêts, c’est couchée qu’elle les sentait. « Enfin bon ! Tout ça c’est du passé et bien passé. Enfin, si je vous écris c’est pas pour faire de la nostalgie, c’est plutôt à cause de mon petit Raoul. » Petit ? Il va avoir vingt ans ! « Il me cause bien du tracas. Bien sûr, c’est un bon petit gars mais il se laisse trop faire et il est toujours dans les embrouilles avec les flics et tout le reste, comme ils disent ici il est “chébran”, branché si vous préférez. » Branché, branché… Il a qu’à venir, on va l’allumer nous ! « Aussi, je vous l’envoie dès demain passer un petit mois chez vous pour le mettre un peu au vert et lui faire voir ce que c’est la vie, sans la schnouf, le rap, les tags, les meufs et les keufs mais avec le grand air, les vaches, le foin que l’on respire à plein nez et les papillons, les vrais, ceux qui se posent pas sur les pare-brise. En espérant qu’il ne vous causera pas trop de soucis, je vous remercie à l’avance et vous fais de grosses bises. Ta Lucie qui pense bien à son “frérou”. » Hé bé ! Garce, il manquait plus que celle-là. (Il se sert un verre qu’il boit cul sec. Le facteur en profite pour s’en servir un.)

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(1) brebis

Alphonse - Tu vois que ce n’est pas bon-bon mais d’un autre côté tu vas voir ton neveu et ce n’est pas mauvais-mauvais. Allez, à la revoyure.

Il sort. On frappe à la porte. Mélanie va ouvrir. Entrée de Mlle Potain, jeune fille distinguée un peu hautaine, avec une sacoche à la main.

 

 

Scène 3

Guste, Mélanie, Cathy, Mlle Potain

 

Mlle Potain - Excusez-moi de vous déranger, je suis bien chez M. et Mme Auguste Pignard ?

Mélanie - C’est cela.

Mlle Potain - Je me présente, mademoiselle Potain de la DDASS.

Mélanie - Entrez chère madame, nous vous attendions. Cathy, ma fille, donne un petit coup d’éponge à la table. Naturellement, vous allez prendre le café avec nous !

Mlle Potain - Non, je vous remercie, la caféine ne me convient pas, je fais de l’hypersomnie chronique et mon médecin m’interdit absolument de prendre des collapsodilatateurs.

Guste (à l’écart) - Qu’est-ce qui ne faut pas entendre ! Moi ça me fait dilater !

Mlle Potain - Pardon cher monsieur, vous disiez ?

Guste - Non, je disais on se croirait l’été, n’est-ce pas ? Y fait tellement chaud !

Mlle Potain - Bien. Cependant, pour vous être agréable, je prendrai volontiers un verre d’eau nature, c’est la seule boisson non alcoolisée, non gazeuse et non sucrée que je supporte. Enfin, je ne voudrais pas vous importuner. Alors, reprenons nos affaires. (Elle sort un dossier de sa sacoche et commence à l’ouvrir.) Comme je vous le disais à l’instant lors de notre conversation téléphonique, votre période de mise à l’essai, si je puis dire, est entrée...

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