ACTE I
L’action se passe au bloc opératoire. Murs blancs, aucun décor autre que la table d’opération (un brancard sur roulettes afin de faciliter les déplacements) où est allongé le patient, endormi. Un masque à oxygène est posé sur son visage. Il est recouvert d’un drap qui occultera les gestes du chirurgien.
Scène 1
Docteur Schmoll, Paulette, Cécile
Au lever de rideau, deux infirmières en blouses chirurgicales encadrent le patient recouvert d’un drap. L’une, Cécile, tient un plateau (haricot) chargé d’instruments de chirurgie. La seconde, Paulette, surveille le bon endormissement du patient et le masque à oxygène.
Le chirurgien, même tenue, un stéthoscope autour du cou, se tient en fond de scène. Il enfile des gants de chirurgie puis, mains levées, théâtral, s’avance vers la table d’opération sur un fond musical sévère[1],[2].. Il entreprend d’opérer, concentré. Ses manipulations se déroulent sous le drap recouvrant le patient. À plusieurs reprises, il tend la main et Cécile lui passe un instrument en silence. Paulette, après avoir donné quelques signes de faiblesse, sort en courant.
SCHMOLL, interloqué. ― Eh bien, Paulette, ne vous gênez plus ! (Il appelle :) Paulette, enfin, revenez !
PAULETTE, entre en épongeant son visage. ― Je suis désolée, docteur, mais je ne me sens pas très bien… (Elle reprend sa place.)
SCHMOLL ― Je vous ai dit cent fois de manger léger avant une opération. (Paulette bougonne.) Quel était votre menu, ce midi ?
PAULETTE ― Tripes à la mode de Caen… mais à la cantine le choix est limité. Aujourd’hui c’était tripes ou cassoulet…
SCHMOLL ― Oh ! On a évité le pire !
CÉCILE ― Moi, j’ai pris le cassoulet. Il n’était pas fameux !... Faut dire que je suis née à Castelnaudary. Alors, question cassoulet, on mange du bon à la maison.
SCHMOLL ― Forcément ! C’est comme les tripes (Il s’adresse plus particulièrement à Paulette.), à Caen ! (Il rit de son humour un peu lourd, alors que Paulette a des nausées. À Cécile et tout en continuant d’opérer :) Et qu’est-ce que vous y mettez dans le cassoulet ?
CÉCILE ― D’abord, il faut bien choisir son haricot... (Elle met en évidence le « haricot » qu’elle tient dans les mains.)
SCHMOLL ― Ah, oui ! La mon-jeu-ta… (Il prononce à la parisienne.)
CÉCILE, le reprend. ― La mongeta ! (Elle prononce « monjète » à la toulousaine.) Qu’on laissera tremper au moins une nuit dans de l’eau froide… et attention, pas de l’eau calcaire, hein !… de l’eau douce !
SCHMOLL ― Merveilleux ! De l’eau douce…
Paulette grimace dans le dos du docteur.
CÉCILE ― Mais le vrai miracle, c’est le confit, d’oie ou de canard…
SCHMOLL ― Oh, oui ! Oh, oui ! Parlez-moi du confit…
CÉCILE ― Il ne faut pas oublier pour autant les quelques légumes qui parfumeront le cassoulet. Et l’ail ! Sans ail, pas de cuisine occitane !
SCHMOLL ― Mon Dieu, comme c’est vrai…
CÉCILE ― Et le secret d’un bon bouillon onctueux, je vous le donne en mille…
SCHMOLL ― Je suis tout ouïe.
CÉCILE ― C’est la couenne de lard…
SCHMOLL, en extase. ― Oh !...
PAULETTE, écœurée. ― Oh !... (Au bord de l’évanouissement, elle se saisit du masque du patient pour en respirer goulument une bouffée d’oxygène.)
SCHMOLL, stupéfait. ― Paulette !... Ressaisissez-vous ! C’est lui le malade, et vous allez nous l’estourbir.
PAULETTE, repose le masque de mauvaise grâce. ― C’est lui, c’est lui… Si vous regardez bien, il a le teint plus frais que le mien.
SCHMOLL ― Plus frais, c’est vite dit… à l’extérieur peut-être, mais à l’intérieur ce n’est pas appétissant, voyez vous-même…
PAULETTE, grimace. ― Je ne veux pas voir ça… (Elle reprend le masque et le reste de sa phrase est peu compréhensible :) Elle n’est pas bientôt finie cette opération ? (Schmoll et Cécile se tournent vers elle, l’air sévère. Paulette repose le masque vivement.) Je disais… elle est un peu longue cette opération, vous ne trouvez pas ?
SCHMOLL ― Encore un effort. Il ne reste plus qu’à refermer…
On voit une aiguille énorme dépasser du drap. Le docteur recoud.
CÉCILE ― Dites donc, c’est de la haute couture !
SCHMOLL ― On appelle ça le point « écureuil ». C’est ma spécialité… comme vous, le cassoulet. (Paulette reprend aussitôt le masque.) Paulette, enfin, soyez raisonnable…
PAULETTE ― Raisonnable, raisonnable… Soyez raisonnable vous-même… Cessez de parler de… de…
SCHMOLL ― De cassoulet ?
Paulette remet le masque.
PAULETTE, peu audible. ― De gastronomie !
On entend la sonnerie d’un téléphone portable.
SCHMOLL ― Zut ! Mon portable !
CÉCILE ― Ça, c’est votre épouse, elle a le chic… Vous devriez couper votre téléphone pendant les opérations.
SCHMOLL ― Vous n’y pensez pas, elle est tellement jalouse… (Il cherche.)… Mais qu’est-ce que j’en ai fait ? Ils sont si petits de nos jours, on finit par les perdre.
Le regard des trois personnages se porte lentement vers le ventre du patient. Chacun est dubitatif tandis que retentit toujours la sonnerie du téléphone.
PAULETTE ― Là, vous abusez, docteur ! La dernière fois déjà, c’était vos lunettes… Vous pourriez vérifier avant de recoudre…
Schmoll s’empare d’un stéthoscope, le pose sur le ventre du malade.
SCHMOLL ― Allo ! Allo !... ça ne marche pas… Allo !
PAULETTE ― Et je ne parle pas de votre carte bleue, de la télécommande du garage, de votre stylo… et j’en oublie… la clé du vestiaire, le…
Schmoll lui met le masque à oxygène sur le nez.
SCHMOLL ― Respirez, Paulette, respirez…
CÉCILE, en poussant les deux autres. ― Bon, arrêtez de vous chamailler. Faut rouvrir, on va rouvrir, et puis c’est tout. Allez, hop… (C’est elle qui opère.) Bistouri ! (Le chirurgien, confus, lui passe les outils.) Pansements… pince…
Elle extrait enfin le téléphone, sanguinolent, le tend au bout d’une pince au chirurgien qui s’en saisit, décroche.
SCHMOLL ― Allo… oui, Bibiche… oui mais… je ne pouvais pas… je suis en pleine opération… un intestin, c’est délicat… (Cécile et Paulette font des grimaces dans le dos du docteur qui a la joue maculée du sang imprégnant le téléphone.) C’est presque terminé… on recoud… (Il se tourne vers les infirmières :) N’est-ce pas, les filles ?... (Au téléphone :) Comment ça, qui c’est ? Mais ce sont Cécile et Paulette, tu les connais… oui m’amour… (Il s’adresse de nouveau aux infirmières :) Dites-lui bonjour, les filles…
CÉCILE et PAULETTE, en chœur tandis que Schmoll leur présente le portable. ― Bonjour madame.
SCHMOLL ― Tu es rassurée, m’amour, tu les as reconnues ?... (Aux infirmières :) Bon, vous finissez de recoudre, je vous fais confiance… (Il sort en parlant au téléphone.) Oui, Bibiche, je suis tout à toi…
Cécile et Paulette rouspètent.
CÉCILE, en recousant. ― Il est gonflé, le patron… on recoud, on recoud, c’est pas nous les spécialistes du point « machin »… moi, c’est le cassoulet ! (Paulette se saisit vivement du masque.) Oh ! On ne peut plus rien dire… Tu devrais te mettre au régime, ça te ferait pas de mal… Voilà, c’est fini, et tant pis pour le point… « truc-chose »…
Le docteur réapparaît.
SCHMOLL ― Dites-moi, les filles, vous n’auriez pas vu ma montre, par hasard ?
CÉCILE et PAULETTE, biglent vers le ventre du malade. ― Oh, non !…
Le docteur, déçu, disparaît.
CÉCILE ― Bon, allez, on l’embarque, ça a assez duré !
Elles sortent en emportant la table d’opération.
Scène 2
Béa, Inspecteur Lafuneste, Paulette, Cécile, le blessé
La femme de ménage, Béa, entre en poussant une lavette par terre. Elle est de mauvaise humeur et parle toute seule avec un fort accent portugais.
BÉA ― Ma qu’esche ch’est chale ichi… ch’est pas ouné challe d’opéracion, ch’est oune boucherille, parfaitement, oune boucherille… y’a des chaletés partout…et aprech on ch’étonne d’attraper des maladies « nos-oss-qu’on-emballe »… (Vers le public.)… ch’est des maladies que vous avez pas quand vous entrech à l’hochpital et que vous avej en chortant… ch’est la cherise sur le gâteau, lé petit plous dé la médechine dé aujould’hui… comme cha, y chont chûr que vous revenej… pour la garantie, comme chez Chitroen…
On entend un grand remue-ménage en coulisse, une sirène, des claquements de portes, des cris :
Urgence ! Urgence !
Le docteur, où est le docteur ?
Vite, une urgence !
Police, laissez passer !
Docteur ! Houhou, docteur !
BÉA ― Cha y est, oune ourgenche maintenant que j’avais fini… y vont encore tout chalir !
Entrent en trombe les deux infirmières, Cécile et Paulette, ainsi que l’Inspecteur Lafuneste. Cette dernière porte un imperméable fripé et une longue écharpe.
LAFUNESTE ― Bon, alors ! Il est où votre toubib ?
CÉCILE ― Il était là il y a une minute, Inspecteur.
LAFUNESTE ― J’ai un client qui se vide, moi. Faut le trouver vite fait !
PAULETTE ― Le trouver, le trouver, vous faites rire… s’il est parti…
LAFUNESTE ― Il n’est pas parti, il est de garde ! Trouvez le ou ça va chauffer !... (Elle aperçoit Béa.) Et vous, qu’est-ce que vous faites, plantée là ? Vous ne savez pas où il est, le docteur Schmoll ?
BÉA, indignée. ― Yé chouis pas Irma la voyante, moi, yé chouis Béa la femme de ménache. Le doctor il est pas chous mon balai et vous chavez che qu’elle vous dit la femme de ménache qu’elle est plantée là devant vouch?...
CÉCILE ― Non, non, ne lui dis rien s’il te plait, Béa. Calme-toi. C’est l’Inspecteur de Police Lafuneste et elle a une urgence…
LAFUNESTE ― C’est ça, j’ai une urgence et tout le monde papote. Alors, vous (Elle désigne Béa.), la femme de ménache, vous allez me chercher le docteur Schmoll dans les sous-sols. Vous (Elle désigne Cécile.), vous allez me le chercher dans les étages. Et vous (Elle désigne Paulette.), vous me préparez le terrain…
CÉCILE, sort en pestant. ― C’est demandé si gentiment, j’y cours…
BÉA, en sortant de son côté. ― Et ch’est moi qui me tape les chous-chols, merchi…
PAULETTE ― Je prépare quoi ?
LAFUNESTE ― L’apéritif. C’est l’heure de l’apéro, non ?
PAULETTE ― Hein ?
LAFUNESTE ― Mais non, préparez la table d’opération et mon client… s’il n’est pas déjà mort…
PAULETTE ― Ah, ben dis donc ! Vous êtes aimable dans la Police !
Elle sort chercher le blessé.
LAFUNESTE, crie pour que l’entende l’infirmière. ― J’ai pas le temps d’être aimable. C’est une question de vie ou de mort.
PAULETTE, revient sur scène. ― C’est sûr que ça va l’aider… (Elle pousse le brancard, sur lequel repose le blessé recouvert d’un drap, jusqu’au centre de la scène, lui ajuste le masque à oxygène. L’Inspecteur tourne en rond, l’œil mauvais.) Vous croyez que ça va le ramener à la vie de faire la gueule ?
LAFUNESTE ― Je fais pas la gueule, je suis inquiète…
PAULETTE ― C’est quelqu’un de votre famille ?
LAFUNESTE ― Manquerait plus que ça ! C’est un gros bonnet de la Mafia…
PAULETTE ― Ben alors, faut pas vous en faire…
LAFUNESTE ― Oui, je m’en fais… Oh, et puis ce n’est pas le moment de discutailler. Où est-il ce chirurgien de malheur ?... Écoutez, on ne peut pas attendre… Partez le chercher par là… moi, je vais de l’autre côté… Allez ! Un peu de nerf…
Elles sortent, Paulette en ronchonnant, chacune d’un côté.
Scène 3
Le blessé Matteo, Docteur Schmoll, Cécile, Paulette, Inspecteur Lafuneste
La scène est vide durant quelques secondes et l’on n’entend plus que les gémissements du blessé. Il lève péniblement un bras, qui retombe aussitôt. Entre le docteur Schmoll. Visiblement, il cherche quelque chose.
SCHMOLL ― C’est dingue, je perds tout… où est-ce que je l’ai mise cette lampe ?... (Il regarde dans les recoins de la scène.) Elle m’a coûté une...