Hors-piste

Pour fêter la vente de son site internet, qui l’a rendu milliardaire, Tom invite ses meilleurs amis dans son nouveau chalet de luxe, au fin fond des Pyrénées.
Mais, entre les règlements de compte (en francs), les vieilles histoires réchauffées et les sushis au four, le week-end s’annonce explosif… pour le plus grand bonheur des spectateurs !




Hors-piste

Acte I

Scène 1

Le rideau s’ouvre sur le thème musical 1 : « Rock1 ».

Tom et Stan pénètrent dans un somptueux chalet. Tom, lunettes de soleil sur le nez, très classe, porte un pull-over de marque sur les épaules. Stan, brun, barbe fournie, porte un long manteau noir usé. Il suit nonchalamment Tom en observant les lieux.

Il y a dans la pièce une œuvre d’art qui représente comme un bouquet d’allumettes géantes ; cela ressemble à s’y méprendre à un portemanteau…

TOM Tu as vu la vue ? Oh ! pardon, c’est un petit peu sombre ! Le petit plus de la maison ! (Il tape deux fois dans ses mains, la lumière s’allume.) C’est pas bon esprit, ça ? Et derrière, regarde… Ah ! c’est partout ! C’est à 360 degrés ici… Ah ! au fait, Stan, ça faisait longtemps que tu m’attendais à la gare ?

STAN Cent vingt-trois pages !

TOM Ah oui ! Bon, Stan, je suis désolé que tu aies assisté à ce spectacle à la gare. Mais tu comprends, elle devait juste passer la soirée d’hier, pas rester tout le week-end ! Mais bon, tu connais les femmes : tu leur donnes un petit peu de bonheur et elles s’attachent, elles s’accrochent, elles compliquent… Enfin bon, tu sais ce que c’est une mannequin…

STAN Non !

TOM Oui, je suis con ! Au temps pour moi ! Et sinon, tu m’as pas dit, t’en penses quoi ?

STAN Tu sais, j’ai très peu d’avis sur elle, on s’est à peine croisés.

TOM Qui ça ?

STAN Eh bien, le machin, là, la mannequin !

TOM Ah non ! Je te parlais de ma voiture ! J’en suis dingue : 540 chevaux, 12 cylindres en V, exclu Porsche, série limitée… T’as senti la puissance du moteur quand j’ai doublé le motard dans le dernier virage ?

STAN Et ça te coûte combien, ce monstre, sans indiscrétion ?

TOM Toutes options, 120 000.

STAN (Étonné.) Oh ?

TOM Euros !

STAN Ah ouais !

TOM Ça fait dans les 750 000 francs, si tu préfères.

STAN Non, je préfère en euros, ça me paraît presque accessible !

TOM Je me souviens plus ! T’es branché voitures, toi ?

STAN Non, j’ai toujours pas le permis. J’aime les bus !

TOM Ah oui ! C’est rigolo, ça… Ah ! Stan, ça me fait plaisir que t’aies accepté mon invitation ! Alors tu sais, pour moi, le ski, c’est sacré. En plus, là, j’avais vraiment besoin de faire un break. Je bosse comme un dingue. J’arrête pas. Mais bon, le plus important c’est que je m’amuse en gagnant de l’argent !

STAN C’est bien, parce que moi je m’emmerde en n’en gagnant pas !

TOM Ah ouais ! C’est rigolo, ça ! (Il tape sur la cuisse de Stan.) Ah ! putain, Stan !

STAN (Il l’imite.) Ah ! putain… euh… Tom !

TOM Tu sais que t’as pas changé d’un pouce ?

STAN C’est parce que je fais beaucoup de stop.

TOM Pas compris le… (Stan montre son pouce.) Ah ouais ! C’est rigolo aussi !

STAN Ouais, je vais dire plein de trucs rigolos comme ça tout le temps, tu vas voir !

TOM Bon, Stan, c’est quoi ton problème ?

STAN C’est quand la dernière fois qu’on s’est vus, Tom ?

TOM Ben, c’était pour le deuxième mariage de Francis. Ça nous rajeunit pas, car j’ai calculé et ça fait pile-poil dix ans !

STAN Oui, enfin, on s’est furtivement croisés au deuxième mariage de Francis. Non, la dernière fois qu’on s’est vus, pour moi, c’était avant ton départ pour ton reportage de l’extrême sur les traces du Che en Amérique du Sud.

TOM Oh ! t’es sûr ?

STAN Certain ! C’était un mardi ! À 15 h 36 ! Enfin, 37 !

TOM Sans déconner ! T’as une mémoire, toi ! Et il s’est passé quoi ce mardi à 15 h 37 ?

STAN Il s’est passé que tu m’as emprunté 3 000 francs pour le billet en me promettant de me rembourser jeudi… mais effectivement, tu ne m’as pas précisé le jeudi de quelle année !

TOM Ah ! d’accord ! Et c’est pour ça que depuis la gare, tu…

STAN Non, je m’en fous ! C’est une question de principe et de respect, je voulais te le rappeler, c’est tout.

Tom se lève et attrape un chéquier. Il remplit une souche.

TOM Et c’est pour ça que tu as accepté mon invitation ? Pour m’envoyer ça à la gueule ? Sérieux, Stan, je suis désolé. Je t’avoue qu’à cette époque, c’est vrai, j’ai tapé pas mal de monde pour ce projet. J’ai depuis remboursé avec intérêts tous les gens qui se sont manifestés. (Un temps.) Toi, tu t’es jamais manifesté. Alors, ça peut te sembler improbable, mais c’est la vérité, j’ai oublié que je te devais de l’argent. Enfin, 3 000 balles c’est pas grave. (Regard noir de Stan.) On parle de 3 000… Bon, écoute, je ne veux pas qu’on reste là-dessus, alors… alors je vais te faire un petit chèque !

STAN Je ne suis pas venu pour ça.

TOM Non, je me doute bien, mais tu sais ce qu’on dit : les bons comptes font les bons amis. Évidemment, on va faire chauffer le Montblanc, car tout ça n’était pas prévu. (Il sort son chéquier, un stylo Montblanc et chausse ses lunettes de vue.) Euh… dis-moi un truc… tu n’as pas changé de nom ?

STAN C’est rigolo !

TOM « C’est rigolo », c’est avec un trait d’union ? (Il déchire le chèque et le tend à Stan.) Voilà, monsieur !

STAN Trois mille euros ?

TOM Oui ! Ça fait 20 000 francs, à peu près. J’espère que ça couvre le respect, les intérêts et surtout le principe de notre amitié. Sincèrement, je suis désolé, j’avais vraiment oublié. Bon, on clôt l’affaire et on passe à autre chose ?

STAN Si on y réfléchit bien, t’es en train d’acheter notre amitié, Thomas.

TOM Si on y réfléchit bien, t’es en train de me casser les couilles, Stanislas. (Stan saisit rapidement le chèque. Tom va vers le bar.) On boit un verre ? Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

STAN Si t’as du…

TOM … Southern Comfort sans glace ? Tu sais que la première fois que j’en ai bu, c’était dans ce bar où tu bossais, à l’angle du square Jean-Jaurès et des allées Jean-Jaurès ? Comment il s’appelait, déjà, ce bar ?

STAN Le Jean-Jaurès !

TOM Eh oui, voilà, le Jean-Jaurès ! T’as une mémoire, toi, alors ! Allez ! À ce pauvre Jean Jaurès ! (Ils trinquent.) Salute ! Et sinon, tu connaissais le coin ? Tu sais que t’es au cœur des Pyrénées, ici, mon pote ! T’as senti cet équilibre en arrivant ? (Il respire fort.) Eh, tu connais le slogan de la région ?

STAN Pas du tout.

TOM Alors accroche-toi, c’est fort, je te jure, le type qui a trouvé ça est un génie… C’est pas compliqué, j’aurais aimé le pondre moi-même. « Ariège, terre courage… »

STAN Ouais, c’est fort !

TOM Ouais, mais c’est pas fini, le slogan ! Y a une suite : « Ariège, terre courage, vie sauvage ! » (Un temps.) Voilà, mais là, c’est fini !

STAN Eh bien, c’est bien quand c’est fini ! Enfin, c’est un bon slogan pour la région.

TOM On est de retour aux sources, ici. Et puis tu sais, les Alpes, c’est mort !

STAN Non, je ne savais pas. Je viens d’arriver, on m’a rien dit !

TOM Mais c’est ici que ça se passe maintenant ! Platini et Arthur ont un chalet à deux pas et Tony Parker fait construire dans la vallée. (Tom voit le manteau de Stan sur son œuvre d’art, il est mécontent.) Oh ! Stan ! Comment ça se passe, là, mon grand ? T’as craqué ou quoi ?

STAN Qu’est-ce que t’as à gueuler ?

TOM Qu’est-ce que j’ai à gueuler ? C’est pas un portemanteau, ça, c’est une œuvre d’art ! Une pièce unique… Un portemanteau ! Portenawak ! Enfin bon, tu ne pouvais pas savoir, mais c’est pas un…

Tom sort avec les affaires de Stan.

STAN Il devait y avoir une très grosse boîte !

Retour de Tom vers le bar.

TOM Et sinon moi, voilà, on sait, mais toi… je sais plus rien de toi, j’ai des milliards de questions !

STAN Je ne suis pas sûr d’avoir autant de réponses.

TOM Tu fais quoi ? (Il sort un portable.)

STAN Je travaille dans le social.

TOM Ah oui ? C’est bien, ça, le social. Mais quel genre de social ? Genre humanitaire, genre caritatif, genre… (Il sort un deuxième portable.)

STAN Genre social.

TOM Ah ouais ! C’est bien. (Il sort un troisième portable.) Parce que c’est important, le social…

STAN Et c’est là qu’on se rend compte que c’est con d’avoir que deux oreilles, finalement.

TOM Ouais ! Bon, sinon, t’as une morue ?

STAN C’est-à-dire, une morue ?

TOM Je ne te parle pas d’un animal de compagnie ! Tu vis avec quelqu’un, si tu préfères ?

STAN Oui, je préfère ! Et non, j’ai pas de… enfin plus de… morue ! Mais j’ai une chatte : Minette ! C’est pas original, je sais, j’avais pensé à Roussette ou Caramel, ben, bon, elle est grise… Alors Minette l’a emporté.

Tom l’observe un temps.

TOM Tu sais, Stan, ça marche pour moi. Tu es mon ami. Alors si tu es dans la merde, si tu as besoin de quoi que ce soit… des croquettes, de la litière…

STAN Je te remercie. Si je suis dans la merde, j’ai un pass Navigo annuel, une guitare et je connais par cœur le répertoire de Cabrel. Et puis tu m’as fait un chèque de 3 000 euros en cinq minutes, alors t’inquiète pas, si je me sens dans la merde pendant le week-end, je te ferai signe !

Bruit de moto.

TOM Choisis tes armes, camarade !

STAN Bon, et maintenant tu vas me dire c’est quoi ce week-end de…

TOM Je ne dis rien, c’est une surprise !

STAN Attends, je me suis pas tapé cinq heures de train pour…

TOM Attends, attends ! Tu peux aller voir dehors, s’il te plaît, quel est le con qui tond la neige ?

Ils s’approchent de la baie vitrée.

STAN Ah ! ça, c’est le motard que tu as failli écraser et à qui tu as fait un doigt en sortant de la gare avec ton 4x4 à 700 mille !

TOM Sans déconner ! Il veut quoi, le biker ? Il arrive ici, Optic 2000 ! Putain. Il prend l’escalier, non ?

STAN Dis-moi, Tom, t’as pas un flingue ? (Regard de Tom.)

TOM Ben non ! (Coup de sonnette. Ne voulant pas se débiner, il s’avance, peu fier quand même. Il disparaît en coulisse pour ouvrir la porte. Il revient à reculons, poussé par le motard, casqué, visière teintée baissée. Tom semble embêté. Le motard s’arrête face à lui.) Bon, écoutez, je suis désolé… J’étais énervé, mais bon, y a pas mort d’homme ! On va pas se prendre la tête pour une histoire de doigt, en plus à un doigt près c’était le salut motard !

COOKIE Tu conduis comme un con, tu le sais ça ?

TOM Vous pouvez enlever le casque ? Parce que Daft Punk, à cette heure-ci, ça ne va pas le faire !

Le motard enlève son casque. C’est Cookie, jeune femme, la trentaine, cheveux mi-longs, légèrement masculine, craquante. Elle secoue la tête pour se lâcher les cheveux et répond en souriant.

COOKIE Dis donc, t’étais un peu liquide !

TOM Moi ? Tu rigoles… Cookie ! Ça me fait plaisir !

COOKIE Moi aussi, Tom.

TOM Tu es magnifique ! Laisse-moi te regarder… Mais tu es une bombe anatomique !

COOKIE T’es pas mal non plus ! Merci pour ton invitation, vraiment…

TOM Non, c’est moi qui te remercie d’avoir accepté. (Il la tourne pour qu’elle voie Stan en retrait.)

COOKIE Oh ! c’est Stan ! Stan !

STAN (Froid.) Salut, Cookie. What a surprise !

TOM C’est mieux que Facebook, ici, mon pote !

STAN On s’embrasse ? Je prends le créneau à gauche !

COOKIE T’as… (Elle cherche ses mots.) T’as bonne mine !

STAN Merci. Par contre, toi, t’as… t’as pris un coup de vieux.

COOKIE Sympa !

STAN (Soudain gêné.) Non, mais… euh… je… je suis content de te voir…

COOKIE (Ironique.) Ouais, ben moi, maintenant, faut que j’y réfléchisse !

Elle enlève son blouson et s’éloigne.

TOM T’as un secret avec les femmes, tu sais trouver les mots à chaque… (Tom voit le manteau de Cookie sur son œuvre. Il râle à nouveau.) Non, Cookie, t’es mignonne, l’objet, là, n’est pas un portemanteau…

STAN Ça y ressemble un peu.

TOM Oui, mais ça ne l’est pas et pour tout le week-end ! Merci !

Il sort les blousons.

COOKIE T’as une vue magnifique !

TOM Ouais, c’est pas presque magique, hein ? Perso, hein, c’est pas pour me la raconter ni rien, mais j’ai jamais rien vu d’aussi beau. Enfin si, le Fuji-Yama ou le Kilimandjaro, mais ça faisait un peu loin à moto… (Stan le dévisage sans rien dire.) Et puis tu sais, Cookie, les Alpes, c’est mort ! C’est ici que ça se passe, maintenant ! (Sonnerie du portable de Cookie.) C’est quoi cette sonnerie à la con ?

COOKIE T’es gentil, c’est mon portable ! (Au téléphone.) Ouais, ça va… Je suis bien arrivée… Tu m’entends, là ?… Et là, tu m’entends ? Allô ! Allô !

Elle sort.

TOM Elle est encore bonne, hein ?

STAN (Il le dévisage, sévère.) Oui, donc là, on est dans le vif du sujet !

TOM Excuse-moi, j’avais pas remarqué. T’es devenu mormon ? J’ai des corn-flakes dans la cuisine, si tu veux. Oh ! ça va ! Me regarde pas comme ça ! C’est Cookie, quoi !

STAN « C’est cookie, quoi ! »

TOM Je veux dire que… Eh ben, elle a pas changé, elle est toujours aussi belle !

Cookie revient.

COOKIE Excusez-moi. Vous parliez de quoi ?

STAN (Sec.) Tom disait qu’il te trouvait encore bonne.

COOKIE Merci, Tom !

TOM (Faux sourire.) Non, mais j’ai pas vraiment dit ça comme ça. Il est con ce Stan. Il en rate pas une depuis le début !

COOKIE Tom, dis-moi, t’as Internet ici ?

TOM Oh ! la question de la meuf ! Est-ce que j’ai Internet ici ? Non, mais Cookie, tu sais à qui tu t’adresses ? Moi ! Le créateur de ­tuvoitout.com ! Parce que tuvoitout.com, c’est l’idée du siècle ! Tu as raté le journal régional de France 3 Limoges d’hier soir ? ­Tuvoitout.com : la main de Thierry Henry lors de France-Irlande ! ­Tuvoitout.com : 15 600 connexions/jour dès la deuxième semaine. Ça fait cinq ans et aujourd’hui je fais ce que je veux, j’investis dans ce qui me plaît. Bref, je suis en pleine synchronicité avec ma life !

COOKIE Tutelapètes.com !

TOM Mais je peux te retourner le compliment, ma douce amie ! J’ai vu ta prestation, un soir, par hasard, sur une chaîne du câble… euh… À perte de vue…

COOKIE C’était donc toi mon seul spectateur ? Et alors ?

TOM Ben alors, ça va bien en ce moment, je suis un peu à cran avec la crise et tout…

COOKIE Non ! Oh ! Tom ! Mon film ! Tu en as pensé quoi ?

TOM Ah ! ton film ! Ben je… C’était formidable… Prenant ! Ce film a une puissance émotionnelle sans limites. L’histoire de cette fille qui veut s’en sortir mais… euh… et qui ne s’en sort pas finalement… c’était déchirant, je te jure ! Enfin, moi ça m’a… ça m’a remué.

COOKIE C’est un parti pris de réalisation. J’ai filmé très près des corps, caméra embarquée. On vit avec le personnage en mouvement constant. C’est ce qui donne cette sensation de secousses.

TOM Voilà, secoué ! J’ai dit remué mais je pensais secoué !

COOKIE Même si le film a eu un super bon écho dans la profession, les critiques m’ont massacrée.

TOM Mais c’est qui les critiques, Cookie ? Toi t’es une artiste, Cookie ! T’as un message à faire passer. Hein, Stan ?

STAN D’autant plus que les critiques, c’est pas non plus…

TOM (Il ne l’écoute pas.) Mais bien sûr… L’art n’est plus reconnu en tant qu’art mais en tant que produit.

STAN D’autant plus que les critiques…

TOM (Il ne l’écoute toujours pas.) Voilà ! C’est de l’art pour des cochons !

STAN C’est pas non plus important ce que j’ai à dire…

TOM Mais bien sûr !

STAN Eh bien, merci !

TOM Je t’en prie ! Ben alors ! Et donc financièrement ?

COOKIE Un fiasco total. Manque de couilles général de l’ensemble de la profession. C’est pourquoi je me suis dit que toi, tu pouvais m’avancer trois millions sans problème.

Un long temps. Tom reste bouche bée. Stan ironise.

STAN Fais chauffer le Montblanc !

TOM Trois millions ? Je sais pas,...

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