TABLEAU 1
Un homme, vu de dos, se trouve devant la porte d'un immeuble équipé de nombreux interphones.
Il appuie sur l'un des boutons.
Grésillement.
Pas de réponse.
Il appuie de nouveau, plusieurs fois, impatient.
Grésillements répétés.
Voix de FEMME (dans l'interphone) - Oui ?
L’HOMME - C'est moi.
Voix de FEMME (dans l'interphone) - Qui ?
L’HOMME (voix plus forte) - Moi !
VOIX DE FEMME (dans l'interphone) - Ah bon !
(Déclic de la porte qu'on libère.)
(Noir progressif sur l'homme qui pénètre dans l'immeuble.)
TABLEAU 2
L'intérieur d'un appartement.
Une salle de séjour sur laquelle donne la porte palière.
La femme qui a répondu à l'interphone ouvre cette porte avant de se rendre dans une autre pièce, laissant ainsi la scène vide.
L'homme que l'on a vu de dos, en bas de l'immeuble, ne tarde pas à apparaître. Il entre sans hésitation et referme la porte derrière lui.
Il lance un salut qui reste sans réponse et accroche sa veste à un portemanteau qui se trouve près de la porte. Il s'agit d'un geste manifestement habituel. On le devine très à l'aise.
La femme revient dans la salle de séjour et s'immobilise, étonnée, en apercevant l'homme qui lui tourne le dos.
LA FEMME - Excusez-moi. Je croyais que c'était mon mari. On entend si mal dans ces interphones. Toutes les voix finissent par se ressembler.
L’HOMME (se retournant) - Mais oui, c'est bien moi. Tu ne m'embrasses pas ce soir ?
LA FEMME (stupéfaite) - Vous embrasser ?
L’HOMME (amusé) - Comme ce matin, avant de partir à mon bureau.
LA FEMME - Ce matin ? Je n'ai embrassé personne. Je n'ai pas quitté l'appartement et je n'ai eu aucune visite. J'en ai même profité pour faire le ménage en grand. D'ailleurs, vous pouvez le constater : c'est propre.
L’HOMME - C'est toujours propre ici.
LA FEMME (intriguée) - Vous êtes déjà venu ?
L’HOMME - Ecoute, tu es une excellente comédienne, mais ce soir, je suis fatigué. On continuera ce petit jeu une autre fois. Un jour où il y aura du public pour apprécier ton talent.
LA FEMME - Je n'ai jamais joué la comédie.
L’HOMME - Je le sais, alors ne commence pas maintenant.
LA FEMME - Je ne vois pas de quelle comédie vous voulez parler.
L’HOMME - Celle qui consiste à faire semblant de ne pas reconnaître ton mari.
LA FEMME (n'ayant pas l'air de comprendre) - Ne pas reconnaître mon mari ?
L’HOMME (agacé) - Oui, ton mari.
LA FEMME (répétant, toujours sans comprendre) - Mon mari ? (Se rendant compte soudain) Vous, mon mari ?
L’HOMME (s'énervant) - Après tout, si cela t'amuse ! Préviens-moi seulement quand tu auras décidé d'arrêter ce jeu stupide.
(L'homme sort un journal de sa poche de veste et se dirige vers un fauteuil avec l'intention manifeste de s'y installer.)
LA FEMME - Je vous interdis de vous asseoir dans ce fauteuil. C'est celui de mon mari. Je ne veux pas qu'il vous y trouve en arrivant.
L’HOMME (ton las) - Maintenant, franchement, tu m'ennuies. Je t'ai dit que j'étais fatigué, alors, par pitié, laisse-moi lire mon journal en paix.
LA FEMME - Si vous ne partez pas immédiatement, j'appelle la police.
L’HOMME - La police ? Ne te gêne surtout pas. Ça ne sera plus une comédie mais un drame.
(La femme décroche le téléphone et compose un numéro à deux chiffres.)
LA FEMME - Allô, police ?
(L'homme se précipite en direction de l'appareil et coupe la communication.)
L’HOMME - Tu es folle ! (Soudain inquiet) Tu veux que je fasse venir un médecin ?
LA FEMME - Je n'ai pas besoin d'un médecin. Je souhaite seulement que vous partiez. Et vite !
L’HOMME - Ah ! Très bien ! Je comprends tout. Tu veux te débarrasser de moi. Tu trouves que dix ans de mariage, ça suffit... Il fallait me le dire plus simplement. Il y a beaucoup de femmes qui en ont assez de leur mari. Elles ne font pas tant de manières pour le leur signifier.
LA FEMME - Je n'ai pas l'intention de me débarrasser de mon mari, (élevant la voix) mais de vous.
L’HOMME - Voyons, c'est la même chose, puisque je suis ton mari. (Exaspéré) Tu veux voir ma carte d'identité, mon permis de conduire, ma carte d'électeur ?...
LA FEMME - C'est inutile.
L’HOMME - Je vais quand même te montrer mes papiers. Comme à un flic. (Il va...