Tableau 1
Le pont d’un bateau de pêche. Au fond un gouvernail. Quelque part une bouée de sauvetage avec le nom du bateau : L’Entreprenant. Devant deux transats. Max, une casquette de capitaine sur la tête, déplie une carte pour l’étudier. Il regarde la carte à l’envers, la remet dans le bon sens, puis il regarde autour de lui, essayant de s’orienter. Diane, à l’allure de business woman, arrive, traînant derrière elle une valise de luxe à roulettes. Après une légère hésitation, elle s’adresse à Max.
Diane – Vous avez consulté la météo marine, ce matin ?
Max replie précipitamment la carte.
Max – Oui, et ils annoncent du brouillard.
Diane – Quel mot de passe à la con...
Max – Les mots de passe, c’est toujours un peu con.
Diane – La question, c’est... pourquoi un mot de passe ?
Max – Par les temps qui courent... Si vous saviez le nombre de gens qui seraient prêts à tuer père et mère pour quitter cette île au plus vite. Vous êtes sûre que personne ne vous a suivie ?
Diane – Je ne crois pas...
Max – Bon... Je vous demanderai quand même de ne pas parler trop fort. Depuis le pont d’un bateau, vous savez, les voix portent très loin. Et il n’est pas impossible qu’on nous observe...
Diane – Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ?
Max – C’est mon devoir de veiller à la sécurité des passagers. Vous connaissez la formule. Seul maître à bord après Dieu. Et comme je ne crois pas trop en Dieu...
Diane jette un regard autour d’elle.
Diane – Donc vous êtes le... capitaine de ce bateau ?
Max – C’est moi, oui. Mais je vous en prie, appelez-moi Maximilien.
Diane – Maximilien ? C’est curieux, ce nom me dit vaguement quelque chose.
Max – Ou Max, pour les intimes.
Diane (froidement) – Diane de la Rochelière.
Max – Diane, très bien.
Diane – Vous parliez d’un yacht... Je ne m’attendais pas à... ça.
Max – Hélas, j’ai dû laisser mon yacht en cale sèche pour le contrôle technique. C’est un ami qui m’a prêté celui-ci. Mais je vous assure que...
Diane – Ça ressemble beaucoup à un bateau de pêche, non ?
Max – Mon ami est pêcheur, en effet. Enfin... la pêche au gros, bien sûr. Le thon... ou l’espadon.
Diane – Le thon ? D’après l’odeur, je pencherais plutôt pour la pêche à la morue...
Max – Ça doit venir du port... Quand on sera en pleine mer, vous verrez, on ne sentira plus que l’air du large.
Diane – Et vous êtes sûr que ce rafiot est vraiment fait pour le grand large ?
Max – Nous ne sommes qu’à une trentaine de kilomètres du continent... On ne peut pas vraiment parler de grand large.
Diane – Enfin, à la guerre comme à la guerre. La traversée dure combien de temps ?
Max – Je dirais une petite heure, pas plus.
Diane – OK...
Max – Deux au maximum, par vents contraires.
Diane – Par vents contraires ? Ne me dites pas que c’est un bateau à voile... Vous me prenez assez cher comme ça pour le gasoil.
Max – Rassurez-vous, c’est bien un bateau à moteur.
Diane – Je peux voir ma cabine ?
Max – Votre cabine ?
Diane – Ah, d’accord...
Max – Il y a deux couchettes en bas. Mais je vous préviens, c’est assez sommaire.
Diane – Rassurez-moi, il y a des toilettes, au moins...
Max – Ah oui, quand même.
Diane – Bon...
Max – Je vous l’ai dit, il s’agit seulement d’une traversée d’une heure ou deux. On ne va pas y passer la nuit. (Plus bas) Enfin, j’espère...
Diane – Pardon ?
Max – Non, je disais... Si vous voulez vous détendre un peu sur le pont en attendant.
Diane – Je ne suis pas sûre de pouvoir me détendre aussi facilement. J’imagine que vous ne servez pas de cocktails non plus.
Max – Désolé, le barman a pris sa journée. Mais asseyez-vous donc dans cette chaise longue.
Diane – Merci, je vais rester debout. On met les voiles dans combien de temps ?
Max – C’est un bateau à moteur.
Diane – Oui, j’ai compris. Mettre les voiles, c’était juste une façon de parler.
Max – Eh bien... nous appareillerons dès que tout le monde sera là.
Diane – Tout le monde ? Comment ça, tout le monde ?
Max – Les autres.
Diane – Ah parce qu’il y a d’autres passagers ?
Max – Avec cette grève surprise de la compagnie de ferry, beaucoup de gens sont coincés sur cette île. Ils cherchent tous désespérément un moyen de regagner le continent. À n’importe quel prix...
Diane – Donc vous vous êtes improvisé passeur...
Max – J’essaie seulement de rendre service.
Diane – Moyennant finance...
Max – Vous n’étiez pas obligée d’accepter... À ce propos, si cela ne vous dérange pas, je préférerais être payé d’avance. Et en liquide...
Elle fouille dans son sac, et lui tend quelques billets.
Diane – Voilà votre argent... (Ironique) Capitaine...
Max – Merci.
Diane – On se croirait dans un mauvais remake de film noir américain.
Max – Vous trouvez ?
Diane – Le Port de l’Angoisse, par exemple. Sauf que vous ne ressemblez pas du tout à Humphrey Bogart.
Max – Ni vous à Lauren Bacall... Je vais mettre le moteur en route. Si vous avez besoin de moi, vous n’avez qu’à me siffler. Vous savez siffler, Diane ?
Il s’en va sans attendre la réponse. Le portable de Diane sonne et elle répond.
Diane – Oui, Monsieur le Directeur, on vient de signer le contrat, je m’apprêtais à vous appeler, justement. Oui, mais j’ai quelques difficultés à trouver un moyen de transport pour regagner le continent. Les marins de la compagnie de ferry ont arrêté le travail. Que voulez-vous ? Maintenant, même dans les paradis fiscaux, on n’est pas à l’abri d’une grève. Non, ne vous inquiétez pas, je serai bien là demain matin pour le conseil d’administration. Avec le contrat signé, oui, je vous le promets... Je sais, votre réélection au conseil en dépend... Et les actionnaires attendent des résultats... Non, je ne vous décevrai pas, Monsieur le Directeur...
Arrive Amanda, genre starlette ou call girl, vêtue de façon sexy mais plutôt vulgaire. Elle porte une valise, elle aussi, mais plus ordinaire et plus usagée, voire une valise de routard couverte d’étiquettes évoquant d’innombrables destinations de voyages. Diane, toute à sa conversation téléphonique, ne remarque pas son arrivée.
Diane – Oui, je rapporte aussi tous les fonds qui étaient sur le compte secret que vous m’avez demandé de solder. En liquide oui, comme convenu... Dans le double-fond de ma valise, c’est ça... Alors dans un sens, c’est vrai que si on peut éviter la douane... Écoutez, j’ai trouvé une place sur une sorte de chalutier. C’est assez pittoresque... C’est cela, je vous raconterai. Bonne journée, Monsieur le Directeur.
Elle range son portable.
Amanda – Salut. Vous avez regardé la météo, ce matin.
Diane remarque enfin sa présence.
Diane (encore ailleurs) – Non pourquoi ?
Amanda – Excusez-moi, je croyais que...
Diane – Ah oui, si... Pardon... Je crois qu’ils annoncent de l’orage.
Amanda – Je pensais que c’était du brouillard, plutôt...
Diane – Oui, bon, du brouillard, de l’orage... On s’en fout, non ?
Amanda – C’est vous la taulière ?
Diane – La taulière ?
Amanda – J’ai réservé une place sur ce morutier. Il est où, le maquereau ?
Diane – Le maquereau ?
Amanda – Le capitaine !
Diane – Ah oui, le... Il est en train de faire chauffer le moteur, je crois.
Amanda – Je vais l’attendre ici, alors. (Lui tendant la main) Moi, c’est Amanda. Et vous ?
Diane (sans saisir la main qu’elle lui tend) – Diane de la Rochelière.
Amanda – Encore une veine qu’on ait réussi à trouver ce taxi, parce que sinon, on restait coincées là comme des phoques sur la banquise. Une grève surprise, comme ça, sans préavis. Ça ne devrait pas être permis.
Diane – En même temps, s’ils avaient déposé un préavis, ce ne serait plus une grève surprise...
Amanda – Vous êtes une maligne, vous... Alors vous aussi, vous avez le feu au cul ?
Diane – Pardon ?
Amanda – Non, je veux dire, vous aussi, vous êtes pressée de...