Incruste à domicile

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Avec sa voiture, Karine a renversé un piéton, c’est du moins ce que prétend le clochard qu’elle ramène chez elle afin de lui administrer les premiers soins. L’homme geint, se plaint, pousse les grands cris et accuse Karine de lui avoir cassé les os. Réalité ou simulation ? Karine décide d’appeler son amie Élodie, qui est infirmière, pour en avoir le cœur net. Profitant de la situation et sentant que l’automobiliste a des choses à se reprocher, le clochard va tranquillement prendre ses aises dans le confortable appartement. Comme on dit, « il va tailler l’incruste ».

SCÈNE 1

 

Karine rentre chez elle, elle soutient un homme qui geint. C’est une sorte de zonard, mal rasé, mal fagoté, il a un jean déchiré au genou et légèrement taché de boue et de sang.

Karine. – Venez… Venez par là… Laissez-vous faire, je vous tiens…

Alphonse. – C’est que je suis lourd.

Karine. – Ça va, ça va, vous en faites pas…

Ils avancent dans la pièce. L’homme pousse des cris au moindre mouvement.

Alphonse. – Ah ! j’ai mal ! Aïe ! Aïe ! Je souffre ! Oh ! que j’ai mal !

Karine. – Vous n’êtes pas un peu douillet ? Je suis sûre que vous avez deux fois rien.

Alphonse. – On voit bien que c’est pas vous qui souffrez. Oh là là ! J’ai la patte de traviole, non ?

Karine. – Mais non. Faites encore un petit effort et vous allez pouvoir vous asseoir.

Alphonse. – Je me demande si ça serait pas mieux d’appeler les urgences tout de suite.

Karine l’amène vers le fauteuil.

Karine. – Voilà… Je vais vous poser sur le fauteuil… Laissez-vous aller…

Alphonse. – Mais je vais salir…

Karine. – C’est pas grave. On nettoiera plus tard.

Alphonse. – C’est que je suis tombé dans la flotte, moi… Ah ! j’ai mal !… Et puis votre voiture a dû me laisser du pneu dessus, c’est sale un pneu.

Karine. – Je vous dis que c’est rien.

Alphonse. – Ah ! c’est pas rien, je l’ai bien senti !… Vlan ! le pied, le talon, la cuisse, tout fracturé. Vous m’avez sûrement cassé la hanche en mille morceaux aussi.

Karine. – Mais non, je vous ai à peine touché.

Alphonse. – C’est vous qui le dites. Quand on se prend le véhicule de plein fouet dans la carcasse, je peux vous dire qu’on établit un autre diagnostic.

Karine. – D’accord, d’accord.

Alphonse. – J’ai touché mes roubignolles ; elles sont toujours là, heureusement.

Il rit mais son rire se termine en gémissement.

Karine. – Écoutez, je vous ai à peine touché. Vous dites beaucoup, bon, je veux bien vous croire. Alors vous voyez, je suis gentille, plutôt que vous laisser attendre l’ambulance sur le trottoir, je vous ai amené jusque chez moi. Maintenant, ce qu’on va faire c’est que je vais appeler une amie infirmière, elle va venir vous ausculter et vous faire un pansement.

Alphonse. – Pas l’hôpital, hein ?

Karine. – Non, pas l’hôpital. Je vous le promets. Vous n’en avez pas besoin.

Alphonse. – Même si j’ai besoin, j’veux pas. Vous entrez en bonne santé et vous ressortez les pieds devant.

Karine. – Vous n’irez pas à l’hôpital, je vous le jure.

Alphonse. – J’veux rester ici. C’est bien ici. C’est quoi ?

Karine. – C’est mon salon. Mais si vous voulez vous allonger, je peux vous aider à aller à côté.

Alphonse. – C’est quoi, à côté ?

Karine. – C’est une chambre d’amis.

Alphonse. – Et où ils vont aller vos amis ?

Karine. – J’ai pas d’amis.

Alphonse. – Vous avez pas d’amis ? C’est triste ça. Moi j’en ai plein : j’ai Nanard, Boudu, Toto Lariflette, Garcin, et pis les poulets du commissariat du…

Karine, le coupe. – Je veux dire que j’en ai pas pour le moment… dans la chambre… Mais ne vous inquiétez pas, ma copine va vous remettre d’aplomb et ce soir je vous ramène chez vous.

Alphonse. – Ah ! mais non !

Karine. – Comment ça, non ?

Alphonse. – Je veux pas. Je veux rester ici.

Karine. – Mais il faut bien que vous rentriez chez vous !

Alphonse. – J’ai pas de chez-moi. Mon chez-moi c’est le porche du BHV avec un toit en carton. Y a pas photo avec ici.

Karine. – Mais je ne peux pas vous garder…

Alphonse. – Si, si, si ! Vous êtes responsable. Vous m’avez renversé, alors vous me gardez jusqu’à complète guérison.

Karine. – Écoutez, je suis bien gentille de m’occuper de vous. À vrai dire, je ne suis pas certaine de vous avoir percuté, je me demande même si vous n’êtes pas tombé avant…

Alphonse. – Taratata ! Vous m’avez touché et moi j’ai très mal. Ouille, ouille ! Ah oui, j’ai très très très mal.

Karine. – Je vous ai dit qu’on allait vous soigner, alors arrêtez ce cinéma.

Alphonse. – Oh ! sur un autre ton ma petite dame, sinon, moi, je vous fais un « infractus » en plus !

Karine. – D’accord, d’accord. J’appelle ma copine mais après faudra partir.

Alphonse. – Non !

Karine. – C’est pas vrai ! Vous êtes un véritable emmerdeur ! Qu’est-ce qui m’a pris de vous ramener ici ?

Alphonse. – Moi je sais.

Karine. – Vous savez quoi ?

Alphonse. – Ouais, ouais, ouais.

Karine. – Qu’est-ce que vous insinuez ? (Alphonse sifflote en mimant un téléphone qu’on porte à son oreille.) Quoi ? Mais pas du tout, je ne fais jamais ça !

Alphonse. – Ouais, ouais, ouais.

Karine. – Je vous répète que je ne téléphone jamais au volant. D’ailleurs mon téléphone est toujours dans mon sac et comme dans mon sac il y a un bordel sans nom, il me faut toujours un quart d’heure pour le trouver et la communication est toujours terminée avant que je décroche.

Alphonse. – On dit toujours ça mais moi j’ai vu un truc noir collé à votre oreille.

Karine. – Mes boucles d’oreilles ! Ce sont mes boucles d’oreilles que vous avez vues. Je vous le jure.

Alphonse. – Alors c’est pour autre chose… À cause de l’assurance. Ou d’un truc que vous voulez pas qu’on sache. Elle est à vous la BMW ?

Karine. – Bon, d’accord, d’accord, je vous garde quelques jours. Mais après vous partez.

Alphonse. – Ouais, ouais, ouais… On verra.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE 2

 

Élodie et Karine sont près de la porte d’entrée. Elles parlent à mi-voix.

Élodie. – Tu te souviens que j’existe ?

Karine. – Ah ! ne m’engueule pas ! Je t’expliquerai. Je suis dans l’embarras, là.

Élodie. – C’est toujours comme ça. Tu ne m’appelles que lorsque tu as besoin de moi.

Karine. – C’est bien dans le malheur qu’on voit ses vraies amies, non ?

Élodie. – Merci pour le mot « amie », il me semblait qu’on était un peu plus.

Karine. – Élodie, je t’en prie, pas maintenant.

Élodie. – Et donc, tu es dans le malheur ? Et il est de quelle nature ce malheur ?

Karine. – C’est un type, un poivrot. Que j’ai renversé. Je ne suis même pas sûre de l’avoir touché. Il est tombé devant ma voiture, il a gueulé que je l’avais renversé, qu’il avait mal, alors je l’ai ramené ici.

Élodie. – Pourquoi tu l’as ramené chez toi ? Pourquoi t’as pas appelé le Samu ?

Karine. – Parce que.

Élodie. – Parce que quoi ? C’est con ce que tu as fait. Sans compter qu’on ne...

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