J’aime beaucoup ce que vous faites

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Parfois, on aimerait bien être une petite souris pour savoir ce qui se raconte sur nous… Et parfois, ça arrive et là, on regrette. Pierre et Marie sont en route pour rendre visite à leurs amis, Carole et Charles, retirés à la campagne depuis six mois. Sur le chemin, ils s’adonnent à leur sport favori : la langue de pute. Ils n’y vont pas de main morte sur leurs hôtes.
Petit détail gênant : le portable de Pierre, mal verrouillé appelle malencontreusement leurs hôtes qui, en direct, entendent tout ce que leurs “soi-disant” meilleurs amis pensent d’eux. Pour Carole et Charles, c’est la douche froide.
Choqués et très remontés, ils décident de les recevoir tout de même afin de – comme un chat avec une souris – s’amuser un peu avant la mise à mort. Ce week-end va ressembler à un match où la fausseté et l’hypocrisie, affronteraient le jeu et la perversité.
Quatre personnages qui se crachent leurs quatre vérités au visage, ça donne beaucoup d’occasions de rigoler !

Maison de campagne style vieille bicoque retapée. Le salon et la cuisine américaine sont attenants.

Sur le fauteuil du salon, Charles tient un magazine dans ses mains, qu’il retourne dans tous les sens avec l’air de ne pas tout comprendre, puis, ayant trouvé le sens de la photo, il est soulagé.

Charles - C’est quand même fou tout ce qu’on peut faire aujourd’hui avec un vagin.

Carole arrive. Elle est occupée à ranger les magazines qui traînent, avec un art et un ordre que seule elle doit comprendre. Elle fait une pile de magazines, puis la bouscule. Elle dérange savamment un bouquet de fleurs. Charles la regarde faire en soupirant.

Charles - T’as pas l’impression de vivre dans la double page centrale d’un « Marie Claire Déco » ?

Carole - Non.

Charles - On vit dans un magazine de décoration ! Il ne manque plus que la légende en bas à droite.

Carole - C’est le style à la mode : bohème, version rangé-dérangé… tu vois, un petit côté brouillon, laisser-aller, mais parfaitement calculé ! Chaleureux, quoi !

Charles - Ce qui m’épate, c’est que tu t’appliques très consciencieusement à foutre le bordel ! En gros, tu mets des heures à faire ce que je peux faire en cinq minutes ! Et ton bordel, il est tellement calculé qu’on ne peut plus y toucher ! La cuisine, on dirait une nature morte de Chardin. J’ose même plus bouffer un yaourt parce que ça n’irait pas dans le tableau ! Sans compter que ça n’existait pas à l’époque de Chardin les Danone Kid double saveur.

Carole - Hé ! ho ! T’as qu’à aller vivre dans une boutique Esso sur le bord de l’autoroute, si t’es pas content !

Charles - Non, mais, tu vois, je trouve que ça nous ressemble de moins en moins ici. Ça manque de naturel… Tu sais quoi ? Ça ressemble de plus en plus à l’idée qu’on voudrait que les autres se fassent de nous : des gens qui gagnent de plus en plus d’argent et qui veulent en mettre plein la vue. Il manque plus que la pile de DVD, l’appareil numérique… et on est foutus !

Carole - Oh non, on n’est pas encore foutus, je compte sur toi… Parce que d’ici à ce que tu publies quoi que ce soit et qu’on soit pétés de blé avec ta littérature, y a encore de la marge, je peux encore en acheter des appareils photo jetables ! (Elle ramasse un slip et une chaussette qu’elle brandit.) Et puis je te rassure aussi : les slips et les chaussettes sales qui traînent, j’en ai encore jamais vu dans les « Marie Claire Déco ». Et puis t’oublies que Pierre et Marie viennent passer le week-end ici. Je voudrais les recevoir dans une jolie maison, propre, alors laisse-moi encore ma journée de déco et puis lundi, je te promets, je vomis partout…

Elle va côté cuisine préparer le dîner tandis que Charles se met à son bureau, devant son ordinateur, et commence à taper.

Charles - Ils sont en retard, non ?

Carole - Pierre m’a appelée quand ils partaient de Paris. Mais c’est vrai que là, ça fait bien deux heures… Peut-être qu’ils se sont arrêtés. Ce soir, en entrée, je fais du foie gras sur des toasts, et puis après ma sole à la poire en gelée.

Charles - Ah non ! Pas la sole à la poire en gelée, c’est pas bon, je t’en supplie !

Carole - Eh bien, alors mon rôti de porc au miel.

Charles - D’accord pour la sole à la poire en gelée.

Carole - Merci, c’est agréable. Bon, O.K., je ne suis pas une super cuisinière, mais avoue que j’y mets beaucoup de bonne volonté, quand même…

Charles - C’est vrai, malheureusement, ça ne se mange pas la bonne volonté. (La charriant.) Non, franchement, c’est tout à fait acceptable ce que tu fais à manger, parfois même c’est pas mauvais… Tu te rappelles la fois où tu as fait une tarte à… à rien ?!

Carole - J’avais oublié de mettre la garniture ! Ça peut arriver à tout le monde !

Charles - Papa en avait repris deux fois !

Carole - Il est poli, quand même, ton père. Et puis, il aime bien la pâte…

Charles - S’il ne s’était pas étouffé, je te jure qu’il en aurait repris une troisième fois…

Carole - Une nuit aux urgences, ça n’a jamais fait mourir personne ! Ce soir, je te promets, je vais vous épater ! J’ai vérifié, il ne manque pas de pages dans le livre de recettes, c’est écrit gros, en attaché, en français, je n’ai aucune raison de ne pas y arriver.

Carole essaie de faire fonctionner le grille-pain tandis que Charles lit à voix haute de façon inspirée une phrase qu’il vient d’écrire.

Charles - Valérie, je mange un rôti de porc, je pense à toi…

Carole - Eh bien, elle est peut-être nulle, mais elle t’inspire, ma cuisine ! Dis donc, j’espère que ça n’est pas autobiographique et que si c’est autobiographique, t’as une maîtresse parce que moi, j’aurais préféré : « Je mange un émincé de volaille, je pense à toi. »

Charles - Non, c’est un roman et pas autobiographique… Si ça l’avait été, j’aurais écrit : « Mon amour, je farcis une dinde, je pense à toi ! »

Carole - Fini les métaphores, je sens que je commence à être susceptible, là… En tout cas, si ton roman ne marche pas, tu peux toujours écrire un livre de recettes ! Dis-moi, c’est quoi l’histoire de ton chef-d’œuvre ?

Charles - Ben, c’est l’histoire d’une femme… mais j’suis pas encore calé là-dessus.

Carole - Ah ouais, d’accord… (Pour elle.) Heureusement que je bosse, moi.

Charles - Mais j’ai déjà le titre.

Carole - Ah bon ? C’est quoi ?

Charles - « Prix Goncourt ». Ben ouais, comme ça au moins les gens pourront dire : « Tiens, c’est celui qui a écrit le “Prix Goncourt” », c’est toujours ça de pris.

Carole - Faut que ça marche, faut que ça marche, tu vas y arriver, je le sens… Ton premier roman est génial, il va bientôt être signé, je le sens.

Charles - Ben tu sais, Pierre m’a dit qu’il m’avait recommandé auprès d’une amie éditrice qui doit me rappeler ce week-end pour me donner une réponse ferme, et ça m’a l’air bien parti.

Carole - Il est quand même génial Pierre, il n’était pas obligé… Ce type croit en toi, c’est ton ami, il faut que tu te serves de lui dans le bon sens ; tu écris des scénarios, profites-en.

Charles - Je sais que je devrais en profiter, mais j’ai l’impression que lui demander des tuyaux, des services, ça va pourrir nos relations. J’ai pas envie d’être redevable de quoi que ce soit, et puis c’est à sens unique, il ne peut rien me demander…

Carole - Tu rigoles ! On vit dans l’époque du « copinage plus plus ». C’est plus le talent qui marche, mais les relations et le vedettariat. Alors vas-y, fonce !

Charles - Il produit des pubs, pour l’instant. Le long-métrage, c’est encore autre chose. Et puis je lui ai donné mon scénario préféré la dernière fois, je ne sais même pas s’il l’a lu !

Carole - Demande-lui.

Charles - J’ose pas, faut que ça vienne de lui.

Carole - Eh ben, on n’est pas arrivé ! Tiens, fais-moi penser à débrancher le répondeur.

Charles - Non, surtout pas.

Carole (fait griller des tartines) - Ben si ! On le laisse tout le temps, c’est chiant, on vit en différé. On ne prend aucun appel, on est obligé de rappeler tout le monde, on perd un temps fou. Et puis si elle appelle, l’éditrice, il faudra lui répondre, tu sais…

Charles - Non, je veux que tu le laisses. Parce que si elle m’annonce une mauvaise nouvelle, il y aura plus de distance entre mon oreille et sa voix, j’ai l’impression que ça me fera moins mal… J’sais pas, c’est psychologique…

Carole - Et puis si c’est une bonne nouvelle ?

Charles - Eh bien, je pourrai te serrer dans mes bras pour fêter ça… C’est le kit « mains libres ». (Il la serre dans ses bras.)

Carole - Bon, d’accord.

Les tartines brûlent, le grille-pain fume et Carole remplit un verre d’eau qu’elle jette sur le grille-pain pour l’éteindre.

Charles - La résistance, putain ! La résistance !

Carole - Tu ne m’avais pas dit que tu écrivais sur Jean Moulin…

Charles - La résistance du grille-pain, patate ! Tu viens de griller la résistance et bousiller le grille-pain ! Ah ça, les femmes, pour ça vous n’êtes pas douées ! Faut dire qu’avec dans le cerveau un hémisphère « chaussures » et un hémisphère « soldes », c’était pas gagné…

Carole - D’abord, pas « patate » et ensuite, vous avec votre hémisphère « foot » et l’autre « j’en branle pas une », c’est pas mieux !… Si j’avais su que tu t’étais lié à ce point avec ce grille-pain, j’aurais fait plus attention… Alors, voilà, j’avais prévu de faire des toasts pour ce soir… du foie gras sur des toasts… Oh, mince, c’est dommage, enfin…

Charles - Bon, il faut absolument que je répare ce grille-pain, parce qu’en cuisine, je compte beaucoup sur ce que tu ne fais pas toi-même, genre le pain et le foie gras, l’eau, les serviettes en papier, tout ça…

Ils regardent la bête, assis tous les deux sur le canapé. Le téléphone sonne et le répondeur se met en route à la première sonnerie. On entend le déroulé du message : « Bonjour, vous êtes bien chez Carole et Charles, nous ne sommes pas là, peut-être dans le jardin, merci de laisser un message », puis le bip. Carole et Charles sont très attentifs au cas où ce serait l’éditrice.

Si le plateau est grand, on peut imaginer qu’il soit partagé pour voir Pierre et Marie dans leur voiture et simultanément observer les réactions de Charles et Carole qui entendent tout en direct.

Pierre et Marie sont en voiture.

Pierre - Bon, il y a marqué quoi sur la carte ? C’est quoi le nom du village ?

Marie (déchiffrant la carte) - Mi… che… lin, on vient de passer à Michelin, c’est ça ! On est à Michelin !

Pierre - Non, on n’est pas à Michelin, tu es tout simplement sur la couverture et plus sur la carte ! Et...

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