Je de rôle

Note moyenne : 4/5 (1 critique)

Genres :
Thèmes : · ·
Durée :

Roxane, professeure de français, a invité sa
collègue Albertine de Clèves, fragilisée par un
divorce récent, ainsi que son cousin Cyrano.
Mais Christian de Neuvillette, son mari depuis
une dizaine d’années, n’a pu remplir le
frigidaire et Ragueneau, devenu traiteur, tarde
à livrer ses succulents plats. Comment chacun
va tenir son rôle ?

Liste des personnages (5)

ROXANE DE NEUVILLETTEHomme • Adulte • 169 répliques
Professeure de français en lycée.
CHRISTIAN DE NEUVILLETTE, professeur d’EPS en collègeHomme • Adulte • 172 répliques
professeur d’EPS en collège
CYRANO DE BERGERACHomme • Adulte • 44 répliques
libraire
ALBERTINE DE CLÈVESFemme • Adulte • 12 répliques
professeure de français en lycée
MAXIMILIEN DE NEMOURSHomme • Adulte • 23 répliques
directeur d’une agence bancaire

Décor (5)

La scène se passe dans l’appartement de Roxane et de Christian. Cet appartement est au deuxième étage d’un immeuble de huit situé dans le Dix-huitième arrondissement de Paris, entre les stations de métros La Chapelle et Barbès. Une tenture sépare la porte d’entrée du salon. Près de la porte d’entrée, un petit guéridon sur lequel traîne tickets de carte bleue, courriers divers, stylos. Dans le salon, un canapé recouvert de quelques coussins, une table basse, deux tabourets. Derrière le canapé, une porte-fenêtre permettant d’accéder à un petit balcon.1 - LE TORCHON Roxane, veste en cuir noir, chemisier gris perle, jean bleu délavé, chaussures à talon noir. Elle pousse très énergique ment la porte d’entrée. En bandoulière, côté droit, un car table, plein comme un œuf. Côté gauche, un sac en toile sur lequel se dessine une énorme tâche d’eau.
2- ENTRÉE DES ARTISTES Dans la cuisine, puis dans le salon
3- EN PISTE Albertine, Maximilien et Cyrano sont dans le salon. Alber tine et Maximilien sont assis sur le canapé, Cyrano leur fait face. Il vient de remplir les verres. Une discussion informelle s’engage à propos du sèche-cheveux que Maximilien vient de trouver sur le canapé. Roxane et Christian sont dans la cuisine. Roxane est contrariée. Le salon est dans la pénombre, la cuisine est éclairée.
-4 EN COULISSE Une lumière éclaire successivement chacun des personnages lorsque celui-ci s’exprime. Christian et Maximilien sont dans le salon, l’un sur le canapé, l’autre sur un tabouret. Albertine est dans la cuisine.
-5- RIDEAU Roxane, veste en cuir noir couverte de sauce tomate, chemisier gris perle déchiré par endroit, jean bleu délavé et tâché, un talon cassé. Elle pousse très énergiquement la porte d’entrée.

-1- LEVER LE TORCHON

ROXANE, énervée :

— Quel empoté ! Je n’y crois pas ! Chris ! Chris ! Y a quelqu’un ? (Elle laisse tomber son cartable près de la porte d’entrée. Elle passe dans le salon, se déchausse en jetant ses chaussures près du canapé.) C’est une catastrophe ! C’est bien ma veine. Juste le soir où j’invite Albertine de Clèves à dîner. Non, mais quel empoté, cet hurluberlu avec sa bouteille d’eau mal capuchonnée ! Chriiiiis !? Le petit Christian est demandé au salon par son épouse. Il devrait être déjà rentré ! (Elle secoue le sac en toile, des copies d’élèves tombent à terre, certaines sont délavées.) L’étendoir, c’est la solution ! (Elle ouvre la porte-fenêtre qui donne sur un petit balcon. Un étendoir sur roulettes à 4 étages occupe une grande partie de l’espace).

CHRISTIAN, la main droite bandée, surgit :

— Rox ! Tu en fais un raffut.

ROXANE, à demi tournée :

— Où étais-tu ?

CHRISTIAN :

— Pas loin. Dans la chambre.

ROXANE :

— Je te croyais évaporé, évanoui, atomisé. Tu faisais quoi ?

CHRISTIAN  manque de glisser sur les copies :

 — Le plancher flotte ? C’est quoi ça ?

ROXANE, de dos :

— Des dissertations. Entraînement pour le Bac Blanc. (Pour elle-même) Enfin, blanc, c’est vite dit. Pour certains, cela vite virer au rouge. Cela se voit, non ?

CHRISTIAN :

— Non mais sans rire, c’est quoi ce bazar ? Pourquoi ces copies sont en mode carrelage ? J’ai failli me vautrer. Il ne me manque plus qu’une cheville foulée pour compléter le tableau. Tu joues à quoi avec cet étendoir ?

ROXANE, se retourne, hausse les épaules :

 — Ai-je l’air de jouer ? Élémentaire, mon cher. J’étends. (Les étages de l’étendoir se désolidarisent et chutent au pied de Roxane.) Saperlipopette ! Aide-moi au lieu de commenter.

CHRISTIAN, agite sa main bandée :

— Avec une main ? Et pas la meilleure. Mais tu ne l’avais pas remarquée.

ROXANE, une pince à linge au coin de la bouche :

— Encore blessé ? C’est une marotte. Le mois dernier, un élève de 3ème, aussi large que haut, a choisi ton pied, le gauche je crois, comme zone d’atterrissage pour son poids ou son javelot, qu’importe. Et c’est ainsi que le poids a chu. Cela sonne bien, le poids a chu, un chuintement de toute beauté, tu ne trouves pas ?

CHRISTIAN, soupire :

— Pas qu’importe. Un javelot bien planté tel un couteau suisse sur une plaquette de beurre.

ROXANE :

— Ou tel J.-C.

CHRISTIAN, interloqué :

— J.-C. ? Qué J.-C. ?

ROXANE, tout sourire :

— J.-C. pour Jésus Christ, voyons. Pas Jean-Claude.

Christian ouvre de grands yeux d’incompréhension.

ROXANE :

— Dusse, Jean-Claude Dusse. Suis, un petit peu. Bref. Deux pieds croisés l’un sur l’autre, un clou, long d’une trentaine de centimètres. Ouch ! Entre le deuxième et troisième métatarsien. Une botte de Nevers version plantaire.

CHRISTIAN :

— Merci pour ce moment de culture, mais non. Tu te trompes.

ROXANE, avec le plus grand sérieux :

— Comment ça je me trompe ?

CHRISTIAN :

 Plantaire c’est sous le pied. Pas dessus. Plantaire, comme voute plantaire ! N’est-ce pas toi qui me serines à longueur de journée qu’un mot est un mot !

ROXANE :

— Soit.

CHRISTIAN :

— Et donc ?

ROXANE :

— Rien. Réminiscence d’une intervention d’un de mes élèves passionné par toutes les pratiques de mise à mort.

CHRISTIAN :

— Charmant jeune homme. Mon encloueur, pour revenir au propos, n’est pas un soldat romain mais Jonathan Bouzigues. 3ème B. Large, haut, bas de plafond, avec des mains comme des ailes de goéland.

ROXANE, la pince à linge entre les dents :

 Qui l’empêchent de marcher.

CHRISTIAN, saisit la pince à linge :

— On y gagnera en clarté. Tu disais ?

ROXANE, imperturbable :

Bouzigues, goéland, il y a une certaine cohérence. D’ailleurs, ça me revient, j’expérimente le frère aîné, Justin. Il est en seconde. Entre son Bic quatre couleurs qui ne cesse de tomber au sol, sa propension à se balancer sur sa chaise, sa vélocité à interrompre, à commenter le commentaire du commentaire d’un autre péquin de la classe, c’est un festival. Tout cela pour dire que cet olibrius a une lecture très personnelle du poème de L’Albatros.

CHRISTIAN, interloqué :

—  Qu’est-ce que ce poème vient faire dans la discussion ?

ROXANE :

— Association d’idées. Goéland, Bouzigues, huître, marée, donc albatros.

CHRISTIAN :

Encore ! Entre J.-C. et l’Albatros, te suivre est tout un art.

ROXANE, hausse les épaules :

— Tu m’écoutes ?

CHRISTIAN :

— Je brûle d’impatience.

ROXANE :

— Baudelaire ? Tu situes ?

CHRISTIAN  :

— Quand même ! Pour qui me prends-tu ?

ROXANE :

— C’était juste pour m’assurer. Bref, lorsque Baudelaire écrit : « L’un agace son bec avec un brûle-gueule » cela devient sous la plume de Bouzigues aîné : « L’oiseau a la haine, car il s’est cramé la gueule en fumant la pipe. »

CHRISTIAN  :

— Bref. Et ?

ROXANE :

— Que la fratrie Bouzigues est particulièrement a…

CHRISTIAN, faussement triomphant :

— Amorphe !

ROXANE :

— Non !

CHRISTIAN :

— Atone !

ROXANE :

— Tu m’énerves !

CHRISTIAN :

— Acarien !

ROXANE :

— Grrrr !

CHRISTIAN :

— Al dente !

ROXANE, lève les yeux au plafond :

— De mieux en mieux ! Atypique, à l’ouest. Au choix. Revenons à toi, mon très cher Christian. Je ne voudrais pas appuyer là où ça fait mal, mais tu mérites la médaille des profs d’EPS les plus esquintés du collège, crois-moi. À la veille des vacances de Toussaint, c’était le nez. J’étais là.

CHRISTIAN :

— Pour une fois.

ROXANE :

— Et oui, pour une fois ! Tu ne vas pas remettre ça sur le tapis.

CHRISTIAN :

— Je ne remets rien sur le tapis vu que nous n’avons pas de tapis.

ROXANE :

— Très drôle.

CHRISTIAN, l’index levé :

— Je me contente de constater.

ROXANE, retire vivement la pince à linge de la main valide de Christian :

— Oh mais je le connais ton constat, très cher ! Comme quoi, je ne viens pas admirer ta musculature lors de tes entraînements du mercredi, tes tournois du samedi, tes courses des dimanches et plus encore. Ce n’est pas un homme que j’ai épousé, c’est un feu follet. Sache que le syndrome de Pénélope, très peu pour moi.

CHRISTIAN :

— Qué Pénélope ?

ROXANE :

— Celle qui attend derrière sa tapisserie le retour…

CHRISTIAN :

— Du roi !

ROXANE fait les gros yeux :

— Incroyable ! Sur l’échelle du Bouzigues, tu n’es pas loin du sommet.

CHRISTIAN :

— Tu t’éloignes, tu t’éloignes.

ROXANE :

— À cause de qui ? (Moment de silence.) J’ai tout vu. Et tout entendu aussi. On devait filer au Touquet, une escapade en amoureux (Elle pointe la pince à linge vers le torse de Christian) sans compétitions, ni tournois, ni semi-marathons, ni copies, ni cours à préparer. C’était juste après l’entraînement de tes poussins !

CHRISTIAN :

— C’étaient des benjamins !

ROXANE :

— Tu ergotes. Crac, la cloison nasale ! Juste à la fin. Tes rugbymen de poche rangeaient consciencieusement leur attirail quand l’un d'entre eux a eu une pulsion subite. Une montée d’hormones discordantes dans le corps d’un petit sixième, on n’en mesure pas les dégâts. Paf ! Coup de pied viril dans le ballon. Pif paf pouf ! Télescopage non moins viril avec...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Connectez vous pour lire la fin de ce texte gratuitement.



Retour en haut
Retour haut de page