ACTE I
Quand le rideau se lève, Éric est seul en scène, sur le balcon. Il observe quelque chose en contrebas, et s’adresse à quelqu’un qui se trouve dans le cabinet de toilette, dont la porte est grande ouverte.
Éric. – Bon, ce serait peut-être bien d’accélérer un peu, là ! Les journalistes commencent à s’impatienter… Et on se rappelle ce qu’on doit dire, hein ?… « La Jeunesse et les Sports sont une priorité pour le gouvernement », on rappelle la promesse du président d’allonger le budget de notre ministère, etc. C’est du vent, mais on brode ! Et on prend l’air un peu concerné par ce qu’on dit ! Quand on est ministre, on prend un air concerné… Ou au moins, on sourit… Après le dernier point presse, j’ai dû ramer à mort pour rattraper la com… Déjà que, niveau crédibilité, on a du taf… Je parle tout seul, là ?… (Il se rapproche de la porte grande ouverte.) Bon, ça y est, c’est fini ?… Mais ? Qu’est-ce que c’est que cette tenue ? C’est pas du tout ce qu’on avait validé ! Vous pouvez pas sortir comme ça ! Enfin, vous avez oublié ou quoi ? Vous êtes ministre de la Jeunesse et des Sports !
Cécile, sortant du cabinet de toilette. – Et donc ? Tu veux que je fasse le point presse en jogging ?!
Cécile apparaît complètement, vêtue d’un costard féminin. Elle est d’extrême mauvaise humeur. Elle remonte jusqu’au balcon et jette un coup d’œil en contrebas.
Éric. – Cécile, on va encore se faire cartonner…
Cécile. – Pourquoi « cartonner » ? C’est Saint Laurent ! (Observant les journalistes en contrebas.) C’est pas parce que tes journalistes sont tous habillés comme des baboss, qu’il faut que je me sape comme un sac !
Éric. – Ce sont pas mes journalistes !
Cécile. – J’ai rien à me mettre ! Et surtout, j’ai rien à annoncer ! Alors, ma tenue, ça les occupera en attendant… Tu te rappelles ce que dit tout le temps Gaby ? « On fait de la politique…
Éric. – … donc de la communication », je sais ! Mais, pour une fois, j’aimerais bien qu’on parle de vous ailleurs que dans les pages « mode » !
Cécile. – Si tu continues à me chauffer, c’est dans les pages « faits divers » qu’on va te trouver !
Éric. – La fin du quinquennat est dans trois mois. Donc dans trois mois, c’est fini pour nous ! Vous voudriez pas qu’on laisse une trace de notre passage au ministère ?
Cécile. – Bah, on en laisse une de trace : j’ai fait refaire toute la déco !
Éric, regardant autour de lui. – Ah ça, c’est sûr, ils vont s’en souvenir… Non, je parle d’une loi, d’un amendement…
Cécile, ironique. – Ah, pardon ! Môssieur l’ancien jardinier devenu directeur de la communication veut apporter sa pierre à l’édifice ?
Éric, rectifiant. – Je parle pas de moi… Vous pensez pas que ce serait un super bras d’honneur à tout le monde de montrer que vous n’avez pas été nommée ministre juste pour le fun ?
Cécile. – Mais tu veux que je propose quoi ? Y a plus de fric ! Je vais pas casser mon Livret A !… Sers-moi un café.
Éric. – Non, faut y aller, là…
Cécile. – D’abord un café. Et puis, je descends pas sans Gaby, de toute façon…
Éric. – Qu’est-ce qu’elle fout, d’ailleurs ?
Cécile. – Ta petite femme est dans les bouchons. (Éric lève les yeux au ciel, exaspéré.) Bah quoi ? C’est pas ma faute si ça roule mal, j’suis pas aux Transports !… Ils auraient dû m’y mettre, cela dit, moi, j’aurais su parler aux routiers… (Son portable sonne. Elle jette un coup d’œil à l’écran et raccroche.) Oh non ! Mais il va me lâcher, lui !
Éric. – C’est qui ?
Cécile. – Hamad. Mon prince du Qatar. Faut qu’il débloque, sérieux…
Éric. – Vous êtes dure… C’est quand même grâce à lui que vous en êtes là !
Cécile. – Ouais, ben ça va, j’ai assez donné de ma personne… Il est collant comme un makroud !
Éric. – Répondez-lui. Il va pas vous lâcher, sinon !
Cécile. – C’est bon, je lui appartiens pas !
Éric. – Si, excusez-moi mais vous lui appartenez ! Vous savez combien ça lui a coûté votre formation ? Plus la mienne ? Au moins cent briques !
Cécile. – C’est pas moi qui voulais me lancer dans la politique ! C’est lui qui s’est mis cette idée débile sous le chèche !… Et puis, cent briques, pour un prince qatari, c’est que dalle ! C’est quoi ? Un pourboire ! Et les résultats sont quand même à la hauteur de son « investissement », non ? J’ai pas couché pour devenir ministre !
Éric. – Non, mais pour devenir maire du 19e, si ! C’est grâce à lui, quand même !
Cécile. – Non. C’est cet arrondissement qui veut ça ! Fallait pas m’envoyer faire du porte-à-porte ! On m’avait collé le secteur « Place des Fêtes »… Eh bah, en matière de fêtes, ça a surtout été la mienne !…
Éric renverse la tasse de café qu’il tendait à Cécile.
Éric. – Merde !
Cécile. – Eh bah, toi qui voulais laisser une trace, t’as déjà réussi à flinguer la moquette !
Arrivée de Gaby.
Gaby, speed. – Pardon, pardon, pardon !… Bonjour à tous !
Éric. – Ah, quand même ! Mais t’étais où, bordel ?!
Gaby, ironique. – « Bonjour » aussi, mon cœur. Ça va, merci… (À sa mère.) T’as toujours pas commencé le point presse ?
Cécile. – Ben, j’t’attendais ! J’allais pas me pointer sans ma chef de cabinet…
Gaby, à Éric. – Tu l’as briefée sur ce qu’elle devait dire ?
Éric. – Avec ta mère, faut surtout la briefer sur ce qu’elle ne doit pas dire !
Gaby. – Fallait pas te lancer avec elle en politique…
Éric. – J’ai pas forcément choisi… Mais quand tu peux profiter d’une formation Sciences Po accélérée et surtout gratos, faudrait être débile de refuser, non ?
Cécile. – O.K., si vous pouviez faire un break, Amadou et Mariam… J’ai autre chose à faire que de compter les points !
Arrivée de Sara, enceinte, et de Louis, en survêtement et banane.
Sara. – Coucou la famille !
Louis. – Hello, hello !
Cécile. – Ah, voilà les plus beaux ! (Voyant Louis.) Enfin, la plus belle…
Louis. – Eh, dites, Cécile, deux tons en dessous, hein ?
Cécile. – Non mais Loulou, tu te laisses aller là…
Louis. – Foutez-moi la paix ! Je suis retraité !
Cécile. – Peut-être, mais t’es marié, aussi ! Et avec une bombe, en plus ! Alors, le survêt, à la limite – mais la banane, c’est illégal !
Sara. – Ça fait trente fois que je lui dis, il refuse de l’enlever !
Louis. – M’enfin ! C’est hyper pratique !
Éric. – Peut-être, mais c’est moche.
Louis. – Je peux mettre plein de choses dedans : mes clés, mon porte-monnaie… Y a même une minipoche pour mon goûter.
Cécile, à Sara. – Y a pas des jours où tu regrettes ?
Sara. – Même pas ! Je dois être complètement cinglée, mais je le kiffe toujours !
Gaby. – Allez, maman ! Faut y aller, là !
Louis. – Je peux venir, moi ? J’aime bien les points presse, ça me rappelle le bon temps.
Gaby. – Si tu veux. Mais tu restes hors champ. Et tu m’enlèves cette banane.
Louis, l’enlevant à regret. – Vous n’avez aucun goût…
Cécile. – Si, justement !… (À Éric.) Il vient aussi, Bébé Kennedy ?
Éric. – Non, je vous surveille du balcon.
Cécile. – Voilà ! Comme ça, si tu vois un drone, chope-le, ça fera un jouet pour la petite !
Elle sort, suivie par Gaby et Louis. Restent en scène Éric et Sara. Éric est sur le balcon et Sara sur le canapé.
Sara, se massant les pieds. – Ces escaliers m’ont tuée ! Je préférais quand vous étiez à l’Éducation. Au moins, on était de plain-pied…
Éric. – Ta grand-mère à l’Éducation ?!
Sara. – Bah, ma grand-mère ministre, déjà !
Éric. – Le président voulait faire un coup…
Sara. – C’est pas l’éclate avec maman, en ce moment, non ?
Éric. – C’est compliqué… On travaille beaucoup…
Sara. – Oui… Vous travaillez ensemble, surtout !
Éric. – Pas faux…
Sara. – Vous allez divorcer, tu crois ?
Éric. – Non ! Enfin, j’en sais rien ! C’est quoi cette question ? (Il jette un coup d’œil en contrebas.) C’est bon : ils sont installés… Ah, merde ! Elle s’est mise dos au vent, elle a une mèche qui rebique… On dirait un paon. (Faisant des signes à Cécile.) Votre mèche ! (Faisant de nouveau signe à Cécile, en imitant le paon.) Votre mèche ! (Désespéré.) Elle comprend pas !
Sara. – En fait, j’ai vraiment besoin de savoir si vous allez rester ensemble. Pour la petite.
Éric. – Quel rapport ? (À Cécile.) Plaquez-moi ces cheveux, bordel !… Ça y est, le vent a tourné, on dirait une punk, maintenant !
Sara. – Parce qu’avec Louis, on a réfléchi, et on s’est dit que s’il nous arrivait quelque chose…
Éric, nouveau coup d’œil et nouveau grand signe en direction de Cécile. – M’enfin, personne n’a de la laque ?
Sara. – Enfin, si la petite se retrouve orpheline, on voudrait savoir si…
Éric, à peine intéressé. – Oui, j’t’écoute, hein… (Il semble intrigué par quelque chose et sort complètement sur le balcon pour mieux entendre Cécile.) Qu’est-ce qu’elle dit, là ?
Sara. – … on voudrait savoir si vous voudriez bien être parrains !
Éric, râle de bête. – Quooooiiii ?!
Sara. – Bah quoi ? C’est cool, non ? On est sûrs qu’avec maman, vous vous en occuperiez super bien !
Éric, en furie. – Je vais la tuer !
Sara. – Ma mère ?!
Éric, se dirigeant vers la porte. – Non, ta grand-mère ! J’vais la buter !
Sara. – De quoi tu parles ? T’as entendu ce que j’ai dit ?
Éric. – Non, mais toi, t’as entendu ce qu’elle a dit ?
Sara. – Qui ?
Éric. – Cécile !
Sara. – Ma grand-mère ?
Éric, ironique. – Non, la mienne !
Sara, naïve. – Ta grand-mère s’appelle Cécile ?
Éric. – Mais non, ma grand-mère s’appelle Clémence !
Sara, paumée. – Alors pourquoi tu me parles de ta grand-mère ?
Arrivée de Cécile, Gaby et Louis. Éric lui fonce dessus.
Cécile. – Putain, y a un vent ! J’ai les faux cils en bandoulière !
Gaby, hurlant, à sa mère. – T’es cinglée ?! Qu’est-ce qui t’a pris ?
Cécile. – Bah quoi ?
Gaby, hurlant. – Tu viens de te présenter à l’élection
présidentielle !!!
Louis. – Vous les avez scotchés ! C’était génial, Cécile !
Cécile, détendue. – T’as vu ? Celle-là, ils l’ont pas vue venir !
Gaby. – Nous non plus, j’te signale !
Sara, philosophe. – J’avais raison : elle a pas changé…
Éric, ulcéré. – Qu’est-ce que vous avez fait ?!
Cécile. – Tu m’as perturbée ! Je te voyais sur le balcon, en train de me faire des grands signes, ça m’a mis dedans ! J’ai perdu mon texte, je savais plus quoi dire, donc…
Gaby. – … donc tu t’es présenté aux élections ! Normal, quoi !
Cécile, à Éric. – Tu me disais toi-même que tu voulais qu’on laisse une trace, que ça ronronnait un peu pour nous, en ce moment… Là, au moins, ça bouge !
Éric. – Ah oui, là, ça bouge, c’est sûr…
Gaby. – Y en a une autre qui va bouger !
Cécile. – Qui ?
Gaby. – Ta chef de cabinet !
Cécile. – De toute façon, avec toi, je fais jamais ce qu’il faut… Dès qu’y a un tout p’tit peu de nouveauté, tu tachycardises ! Même refaire ta couleur, ça te met en panique… Alors qu’entre nous, puisqu’on en parle, ça serait pas mal si tu te faisais un petit balaya…
Gaby. – Merde !
Éric, à Cécile. – Notre parti a déjà un candidat !
Sara. – Ah bon ? Y a plusieurs candidats ?
Éric. – Tu vis dans une grotte, toi, ou quoi ?
Louis, à Sara. – Depuis les primaires, notre majorité avait déjà un candidat : Paoli. Mais depuis l’annonce de Cécile, elle en a deux.
Sara. –...