ACTE I
A l'ouverture du rideau, il n'y a personne sur scène mais on entend des éclats de voix et des rires en provenance des coulisses. Ceux ci baisseront en intensité pour ne pas gêner l'arrivée du premier personnage. Il vient par la salle, tout vêtu de noir, d'allure inquiétante et s'arrête devant la scène. Son portable vient de sonner. (voir sonnerie de circonstance, genre celle des tontons flingueurs) Il décroche. On entendra la voix de son interlocuteur.
FRANCIS, voix lugubre. – Francis Petipois, j'écoute.
VOIX OFF, gravement. – C'est vous Petipois ?
FRANCIS, voix lugubre. – Oui, c'est moi. C'est vous monsieur ?
VOIX OFF, un peu agacé. – Le mot de passe Petipois, le mot de passe...
FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.
VOIX OFF. – Parfait.
FRANCIS. – Parfait, parfait... vous ne vous êtes pas foulé pour trouver un code pareil.
VOIX OFF, gravement. – L'important, c'est de pouvoir communiquer sans être reconnu.
FRANCIS. – Parlez pour vous... je ne sais même pas qui vous êtes.
VOIX OFF, presque menaçant. – Moins vous en saurez sur moi, mieux ça vaudra pour vous.
FRANCIS. – Par contre, vous savez tout de moi.
VOIX OFF. – Un bon patron doit tout connaître de ses employés. Il semblerait que vous ayez les atouts nécessaires pour faire un bon tueur à gages, mon cher Francis.
FRANCIS, buvant du petit lait. – Vous avez tapé à la bonne porte, m'sieur. Cent pour cent de réussite, aucun échec.
VOIX OFF. – Relativisez voulez vous... c'est votre premier contrat je crois ?
FRANCIS, essayant de se rattraper. – Ouais, mais avec Francis Petipois, on passe de vie à trépas. Un bon slogan publicitaire, non ?
VOIX OFF. – Sauf que pour cette mission, vous ne descendrez personne.
FRANCIS. – Quoi ! On ne trucide personne ? Et ma réputation, qu'est ce que vous en faîtes ?
VOIX OFF. – Vous vous contenterez de menacer et de faire peur à mon client.
FRANCIS. – Fallait le dire avant... j'aurais changé mon 6/35 par un pistolet à eau.
VOIX OFF. – Qu'importe, vous serez payé de la même façon.
FRANCIS. – Payer un tueur de mon envergure juste pour affoler un quidam... Vous avez de l'argent à foutre en l'air..
VOIX OFF. – Contentez vous de bien faire le travail ou vous pourriez le regretter.
FRANCIS, calmé. – Compris monsieur.
VOIX OFF. – Vous êtes bien au numéro 9 de la rue des mauves ?
FRANCIS, vérifiant le N° de la rue. – Affirmatif m'sieur.
VOIX OFF. – Alors allez y, je compte sur vous.
FRANCIS. – Comment s'appelle le futur traumatisé ?
VOIX OFF. – Pas de nom au téléphone ! Je vous rappelle juste que « sa cervelle est sous son chapeau ».
FRANCIS. – Ça ne veut carrément rien dire vot'truc.
VOIX OFF. – Vous savez ce qu'est un chapeau ?
FRANCIS. – Ben oui, j'suis pas demeuré quand même.
VOIX OFF. – Vous savez ce qu'est une cervelle... si tant est que vous sachiez vous servir de la vôtre ?
FRANCIS. – Ben oui, j'vous remercie.
VOIX OFF. – Donc je répète : La cervelle est sous le chapeau.
FRANCIS, répétant. – La cervelle est sous le chap...
Au même moment, un homme arrive sur scène, portant un chapeau d'aventurier sur la tête. Francis le voit et comprend.
FRANCIS. – Sous le chapeau ! OK m'sieur, j'ai pigé. Vachement subtil vot'truc.
VOIX OFF. – Au travail Francis, je vous rappellerai plus tard pour vous fournir d'autres détails.
Presque aussitôt, deux femmes arrivent, portant elles aussi, un chapeau sur la tête -(Voir des chapeaux très différents). Elles sont en conversation avec l'homme. Francis vient de réaliser.
FRANCIS. – C'est quoi ce chantier ! Allo m'sieur, y a un problème. Ouh ouh, m'sieur ? Il a raccroché.
Une troisième femme arrive, chapeautée, elle aussi.
FRANCIS, de + en +affolé. – En voilà quatre maintenant ! Oh, pétard ! Elle est sous quel chapeau, la cervelle ?
Il va se planquer dans un coin, en bas de la scène et observe.
SIMON, pressé par ses fans, mimant son récit, une baguette de pain à la main. – J'étais là, ma carabine spécial safari 416 Rigby à la main... l'oeil et l'oreille aux aguets... le nez à l'affût, sentant l'odeur âcre et nauséabonde d'un fauve en rut proche de nous... quand soudain...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Quand soudain ?
SIMON. – Un cri déchirant envahit la brousse. (Il hurle à la mort.)
Les trois femmes se serrent les unes contre les autres tandis qu'en bas de la scène, Francis sursaute et sort son revolver de sa poche. Arrivée de mamie Agnès... avec un chapeau !
FRANCIS. – Eh merde ! Voilà un cinquième chapeau. C'est carrément carnaval là dedans !
AGNÈS. – Qu'est ce qu'il se passe ?
AXELLE. – Chut madame Agnès, c'est Simon qui raconte son safari en Afrique.
AGNÈS. – Pourquoi il crie comme ça ?
ALISSON, prise dans l'histoire. – Il vient d'y avoir un accident.
AGNÈS. – Il s'est blessé ?
ANNA, lui intimant de se taire. – Pas lui, il tient le fusil.
SIMON, avec suspense. – Dans mon dos, un cri déchirant envahit donc la brousse. Je me retourne et là...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Et là ?
SIMON, ménageant le suspense. – Qu'est ce que je vois ? Un énorme tigre en train de boulotter la guibolle gauche de mon guide...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Quelle horreur !
SIMON. – Le pauvre se débattait et plus il se débattait, plus la bête s'acharnait sur lui. Le sang giclait partout et maculait de coulées rougeâtres les feuilles vertes des acanthéas... C'était horrible. Jamais de ma vie de chasseur de fauves je n'avais assisté à un spectacle aussi répugnant.
AXELLE. – Fallait tirer !
SIMON. – Réaction primaire Axelle, mais hélas... le tigre du Bengale est une espèce protégée... et je risquais de passer dix ans dans une geôle bengalaise. Ça ne m'aurait pas grandi dans le monde des chasseurs de safari.
AGNÈS. – Pendant ce temps, ton guide, lui, il se raccourcissait à vue d'oeil.
SIMON. – Elle a raison mamie, d'autant que le fauve venait de s'attaquer à sa deuxième guibolle. Mais non, impossible de tirer, je risquais de les tuer tous les deux.
ANNA. – T'as fait quoi alors ?
SIMON. – N'écoutant que mon courage, j'ai défait la ceinture de mon pantalon...
AXELLE. – Pourquoi faire ?
SIMON. – Je l'ai jeté à Amrish pour qu'il se fasse un garrot en urgence.
ALISSON. – Ben oui, forcément. Dans la panique, j'y aurais jamais pensé.
ANNA. – Quoiqu'on dise aujourd'hui que le garrot ce ne serait pas conseillé.
SIMON, même jeu. – Conseillé ou pas, là, les filles, y avait vraiment urgence...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Oh le pauvre !
SIMON. – Alors, tel un toréador, j'ai excité le fauve pour qu'il vienne vers moi.
AXELLE. – Et ça a marché ?
SIMON. – Exactement comme prévu. Il s'est retourné lentement, a léché quelques gouttes de sang sur la rotule de mon guide avant de le quitter puis il s'est avancé vers moi, doucement, de sa démarche chaloupée, ses yeux braqués sur les miens, la gueule grande ouverte découvrant ses crocs sanguinolents...
ANNA. – T'as dû avoir la trouille ?
SIMON, faussement modeste. – Tu sais, la peur est la compagne quotidienne du baroudeur, faut savoir faire face au danger, c'est tout.
ANNA. – Quel courage ! Je suis admirative.
ALISSON, impatiente. – Finalement, tu l'as descendu, ou pas ?
SIMON. – A force de reculer à petits pas, je sentais mon pantalon, privé de ceinture, obéir aux lois de la gravité et quitter lentement la rondeur de mes hanches pour glisser insidieusement vers mes genoux...
AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Noooon !
ANNA. – Comment tu fais pour raconter ça le plus naturellement du monde ?
SIMON, mimant. – Alors, avec une parfaite synchronisation, le tigre m'a sauté dessus au moment précis où je me baissais pour remonter mon froc.
ALISSON, époustouflée. – Oh le bol !
SIMON, mimant. – Du coup, il est passé carrément au dessus de moi et, emporté par son élan, il est allé se fracasser le crâne sur le tronc d'un énorme baobab qui était juste derrière nous.
ALISSON, idem. – Oh le re- booool !
SIMON, faussement fatigué par son récit. – Je n'avais jamais vu la mort d'aussi près.
AGNÈS. – Le tigre aussi j'imagine.
ANNA. – Oh pétard, à quoi ça tient.
AGNÈS. – On dit souvent que la vie ne tient qu'à un fil mais là, ça n'a tenu qu'à une ceinture de pantalon.
AXELLE. – Et ton guide, vous avez pu le sauver ?
SIMON. – Les secours sont arrivés très vite et ont récupéré les deux jambes arrachées pour les lui greffer. Il était temps parce qu'un singe commençait à jouer avec les orteils d'une de ses guibolles
AXELLE. – Ce qui fait qu'aujourd'hui, il remarche ?
SIMON. – Ouais, mais mal parce que les chirurgiens bengalais se sont plantés et lui ont greffé la jambe droite sur le genou gauche. Alors forcément, il fonctionne beaucoup moins bien qu'avant et il marche un peu en crabe.
ANNA. – Il ne doit plus être très bien latéralisé.
ALISSON, catastrophée. – Oh le manque de booool !
SIMON. – Je déconne Allison... j'déconne ! C'est pour donner une petite note marrante au récit.
ALISSON. – J'aime mieux ça. Je le connais pas le mec mais j'avais de la peine pour lui.
SIMON. – Il a quand même eu droit de garder la tête du tigre comme trophée. Bon, elle était un peu esquintée mais ça lui fait quand même un bon souvenir. Par contre, il n'a jamais voulu m'accompagner dans mes autres expéditions.
Arrivée d'Andréa, chapeau sur la tête, un peu énervée. Étonnement de Francis.
FRANCIS. – Mais c'est pas vrai, en v'là encore un autre !
ANDRÉA. – Ça va ? Pas trop fatiguées les filles ?
ALISSON. – Tu sais qu'on vient de passer un sale moment dans la jungle...
AXELLE. – Tu nous avais caché que ton mari était un véritable aventurier.
ANDRÉA. – Ah d'accord... Au lieu de préparer la table, vous avez eu droit à la mort du tigre du Bengale...
ANNA. – Comme ce doit être excitant de vivre aux côtés d'un homme comme Simon.
ANDRÉA, relativisant. – Excitant n'est pas le mot exact. Le seul safari qu'il ait fait, c'est un safari photos en...