La Dernière y restera

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Cinq femmes sont bloquées par les neiges dans un refuge de montagne.
La maîtresse des lieues, Odette, une fermière d’une cinquantaine d’années, vit là avec sa fille de vingt ans, Sissi, légèrement « innocente ». Deux étranges religieuses et une curieuse directrice de télévision, se sont réfugiées à l’Edelweiss, en attendant la fin de la tempête. A la radio, on apprend qu’une folle dangereuse s’est échappée d’un hôpital de la région. Aux murs et sur les meubles du chalet, trônent des animaux empaillés…

Acte 1

 

Nous sommes au rez-de-chaussée d’un refuge isolé dans la montagne. A côté de la réception, le salon.

Partout aux murs, des trophées de chasse. La cheminée et les étagères sont encombrées de belettes, renards, écureuils et autres animaux naturalisés.

A une table du salon, deux religieuses portant le voile jouent aux cartes. Ce sont sœur Marie-Rose et sœur Marie-Reine.

Une jeune fille d’une vingtaine d’années, Sissi, joue avec une balle. Elle la lance contre le mur et la rattrape en chantonnant.

Sissi - « Passe passe passera, la dernière la dernière.

Passe passe passera, la dernière y restera.

Qu’est-ce qu’elle a donc fait la p’tite hirondelle ?

Elle nous a volé trois p’tits sacs de blé… »

Près de la cheminée, de dos, une très vieille femme dans une chaise roulante fixe le feu, un plaid sur les jambes.

Tandis que dehors la neige tombe à gros flocons, une femme, en blouse, sort de la cuisine. Elle a une cinquantaine d’années et l’énergie d’une fille de la campagne. C’est Odette, la tenancière des lieux. Elle entre dans le salon.

Odette - Ça ne vous dérange pas, mes sœurs, si j’allume la radio ? C’est pour la météo.

Sœur Marie-Rose - Non, non, au contraire, je vous en prie.

Sœur Marie-Reine - D’autant que mère Bénédicte doit commencer à s’inquiéter…

Odette tourne le bouton d’un vieux poste de radio.

Voix radio - … Les manifestants se sont dispersés dans le calme. A Sallanches, le directeur de l’hôpital a bien confirmé la disparition d’une malade mentale. La femme, âgée d’une quarantaine d’années, se serait échappée, pendant la nuit, des services psychiatriques où elle était en observation. La gendarmerie continue ses recherches, hélas ! très handicapées par le mauvais temps. La météo n’est d’ailleurs pas optimiste, aucune amélioration n’est à attendre avant vingt-quatre heures… Résultats des courses, dans la…

Odette éteint la radio.

Sœur Marie-Rose - Faut pas s’inquiéter. Si ça se trouve, il fera beau dans deux heures.

Odette - Oui, ben, en attendant, je vais quand même aller rentrer du bois.

Elle sort vers la cuisine. Les religieuses reprennent leur jeu de cartes, Sissi lance sa balle contre le mur et la rattrape des deux mains. Elle continue de chantonner en jouant avec sa balle.

Sissi - « Passe passe passera, la dernière la dernière.

Passe passe passera, la dernière y restera… »

La porte d’entrée s’ouvre, provoquant un courant d’air. Une femme d’une quarantaine d’années, couverte de neige, emmitouflée dans un gros anorak, fait irruption dans l’hôtel. C’est Barbara. Elle porte un sac de voyage et tient, coincé à son oreille, un téléphone cellulaire. Elle referme la porte tout en continuant sa conversation téléphonique.

Barbara - … Mais je me fous de la presse, c’est pas eux qui font l’audimat que je sache ! Rappelle-toi « La jeune fille en tutu rose », on avait fait combien de part de marché ?… Bon ben alors ! De toute façon, si on n’a pas une meilleure audience la semaine prochaine, moi je fais sauter l’émission… Il le sait, je le lui ai dit ! Bon, tu demandes à Simon de m’appeler… Oui, ben donne-le-lui ! Bon, à tout à l’heure. (Elle raccroche et met son téléphone dans son sac. Puis elle appelle.) Y’a quelqu’un ?

Sœur Marie-Reine (du salon, en criant) - Oui… Dans le salon !

Barbara se dirige vers le salon.

Barbara - Bonjour…

Seules les sœurs relèvent la tête de leurs cartes et, ensemble, la saluent, puis se remettent à jouer.

Les sœurs - Bonjour madame…

Barbara - Pardon… Je cherche une chambre pour la nuit… (Dans le salon, personne ne fait plus attention à elle.) L’une d’entre vous s’occupe de l’hôtel ?

Derrière elle, Odette paraît.

Odette - Oui, c’est pour quoi ?

Barbara - Ah, bonjour. Je suis bloquée par la neige, là. Il vous reste peut-être une chambre ? Juste pour la nuit.

Odette - Juste pour la nuit, juste pour la nuit… c’est vous qui le dites ! Vous pouvez monter vos affaires, c’est à l’étage.

Barbara - Quel numéro de chambre ?

Odette (riant) - La double zéro ! Vous ne pouvez pas vous tromper, c’est juste la porte en face, sur le palier. (Elle la regarde monter et l’imite.) « C’est quel numéro de chambre ? » Non mais elle se croit où celle-là !

Barbara réapparaît à la balustrade de l’étage.

Barbara - Pardon madame, mais cette chambre est déjà occupée.

Odette - C’est pas une chambre, c’est un dortoir, madame ! Et ici c’est pas un hôtel, c’est un refuge ! Vous pouvez vous installer, il y a de la place.

Barbara retourne vers le dortoir. Odette passe dans le salon et, tout en parlant, astique quelques objets au passage.

Odette - Vous allez avoir de la compagnie, mes sœurs !

Sœur Marie-Rose - Finalement, votre maison c’est un peu l’auberge du Bon Dieu : vous récupérez les âmes en perdition…

Odette - Et avec cette neige qui continue de tomber, ça sera peut-être pas la dernière !… Tous les ans c’est pareil !

Sœur Marie-Reine - C’est le piège des saints de glace !

Odette - Eh oui ! On risque de se retrouver en espadrilles dans la neige sans comprendre ce qui arrive !

Sœur Marie-Reine - Qui sait, des gens seraient peut-être morts sans votre refuge ?

Odette - Dame ! oui, c’est sûr. Les promeneurs sont souvent imprudents dans le coin.

Sœur Marie-Rose - Imprudents et inconscients ! Nous en sommes les exemples vivants.

Sœur Marie-Reine - Mais quelle imprudence avons-nous commise, sœur Marie-Rose ? Nous ne pouvions pas prévoir !

Sœur Marie-Reine - C’est vrai, tout a été tellement soudain ! En moins d’une demi-heure, la neige a tout recouvert et, sans vous, nous étions bel et bien perdues !

Barbara fait son apparition dans le salon.

Barbara - Alors, vous aussi, vous êtes rescapées de la tempête ?… Pardon, bonjour mes sœurs, je me présente : Barbara Couder. (Elle serre la main des deux religieuses.)

Sœur Marie-Reine - Bonjour, sœur Marie-Reine…

Sœur Marie-Rose - Sœur Marie-Rose, enchantée…

Barbara - Nous partageons la même chambre, je crois ? (Les sœurs acquiescent d’un sourire.) A la guerre comme à la guerre ! (Elle se retourne vers la vieille qui regarde le feu depuis sa chaise roulante.) Bonjour madame !

Odette - Elle vous répondra pas, elle est sourde. Et elle n’aime pas qu’on lui parle. Pas vrai, grand-mère ?

Sissi s’est approchée de la « nouvelle » comme un petit animal craintif. Très vite, on s’aperçoit qu’elle a le comportement d’une enfant.

Sissi (tendant sa main fièrement) - Bonjour, moi je m’appelle Sissi.

Barbara - Bonjour, mademoiselle…

Odette - Laisse la dame tranquille, tu veux, Sissi.

Sissi obéit et va se cacher derrière un fauteuil.

Barbara - Mais elle ne me dérange pas du tout…

Odette (baissant la voix) - C’est ma fille. Elle est un peu… (Elle fait un discret geste de la main à hauteur de la tête.) Vous voyez ce que je veux dire.

Sissi se dresse de derrière son fauteuil, fort mécontente.

Sissi (hurlant) - C’est pas vrai ! Je suis pas brindezingue ! Je suis pas brindezingue ! Je comprends tout tout tout ! (Boudeuse, elle s’assoit par terre.)

Odette - Calme-toi, Sissi, je te prie ! Personne n’a dit que tu étais brindezingue !

Sissi - Je t’ai bien vu faire avec ta main, va ! Je sais bien ce que ça veut dire.

Barbara - Je suis très heureuse de vous connaître mademoiselle Sissi. Je m’appelle Barbara.

Sissi (inquiète, à Odette) - Pourquoi elle me dit pas « tu », la dame ?

Odette (à Barbara) - Faut la tutoyer, sinon elle croit que vous êtes fâchée.

On entend une sonnerie électronique. Barbara fouille dans son sac, en retire son téléphone portable et répond à l’appel.

Barbara - Allô !… Ah ! c’est toi !… Oui, ça va, enfin ça pourrait aller mieux. Je suis bloquée par une tempête de neige en haut du col de la Chamoise… Non, dans un refuge… Très drôle… J’espère pouvoir repartir demain matin… Quoi ? Seulement !… Ah, d’accord ! Superman a tout raflé, j’en étais sûre !… Attends, contre...

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