Voix de Marcelin. – Je m’appelle Marcelin Général, le légume dans le fauteuil, c’est moi. J’ai 82 ans. à 20 ans le conservatoire d’art dramatique de Paris me couvrait de médailles d’or, puis la Comédie-Française m’ouvrait les bras. J’étais l’ami des Gérard Philippe, Malraux, Aragon, Picasso, Jouvet ! (Entrée de William qui installe du décor.) J’ai été marié 4 fois, c’est Eléonore, ma deuxième épouse qui m’a donné un fils. William. C’est le grand con qui est sur scène. (William ressort.) Comme tout le monde, il me croit gâteux. Il y a 10 ans je leur ai fait le coup de l’AVC. Imparable. Depuis, j’ai mon infirmière à domicile et on m’installe dans ce fauteuil, c’est l’imbécile de psychiatre qui a dit que ça me ferait du bien de rester au contact de mon métier, de ma passion. (Entrée de Daphné qui installe du décor.)
Daphné. – Bonjour Marcelin, ça va aujourd’hui ?
Elle range des bricoles et sort.
Voix de Marcelin. – ça c’est Daphné, en réalité elle s’appelle Janine. Une comédienne sans grand talent, elle fut ma maîtresse, il y a longtemps. Elle a passé l’âge de ses rôles mais c’est elle qui a dépucelé mon fils alors il la garde… C’est un émotif.
Entrée de Dolorès.
Dolorès. – Bonjour Monsieur Général, c’est l’heure de vos cachets et du petit yaourt ! (Elle prépare les cachets, le yaourt.)
Voix de Marcelin. – Elle c’est Dolorès, mon infirmière. Elle est gentille, pas super futée, mais c’est une brave fille. J’aurais 3 ou 4 ans de moins… Hé, hé !
Dolorès. – Allez Monsieur Général, une bouchée pour Molière ! (Il mange.) Une bouchée pour Racine. (Il mange.) Une bouchée pour Corneille. (Il mange.) Une bouchée pour votre fils ! (Il crache.) Oh, ce n’est pas bien, il faut finir votre yaourt !
Entrée de William.
Voix de Marcelin. – Tiens, voilà le grand con, il va encore faire son numéro de playboy de sous-préfecture !
William, qui frime. – Bonjour vous… J’ai encore rêvé de nous, Dolorès ! Nous voguions sur un trois mâts, nous étions nus et la mer était turquoise.
Voix de Marcelin. – C’est ça et ma sœur elle joue du ukulélé ! Mais quel tocard !
Dolorès. – Vous êtes un coquin Monsieur William… Vous allez me faire rougir !
Voix de Marcelin. – Tu vas voir, il va lui dire que le rouge lui va bien !
William. – Mais le rouge vous va si bien !
Voix de Marcelin. – Mais quel tocard ! (Entrée de Martine.) 22, voilà la mégère !
Martine. – William, je te cherchais !
William, mielleux. – Mais je suis là ma colombe !
Dolorès. – Bonjour madame, voilà : il a bien mangé son yaourt ce matin ! Au revoir madame, au revoir monsieur.
Elle sort.
Voix de Marcelin. – Elle va encore gueuler ! Vieille peau ! C’est Martine, ma belle-fille, la femme du grand con ! ça va démarrer !
Martine. – Dès que j’ai le dos tourné, tu fais le joli cœur ! Fais très attention William ! Un jour je vais partir !
Voix de Marcelin. – Oui, oui, casse-toi !
William. – Mais ma chérie, que vas-tu encore imaginer ?! Cette fille est insignifiante ! Tu sais que tu es le seul astre d’amour qui brille pour moi !
Martine. – Fais quand même gaffe que l’astre ne te pète pas à la gueule !
Voix de Marcelin. – Mon dieu, mais quelle poissonnière !
William. – Poussin d’amour… Calme-toi !
Martine. – Le poussin d’amour, il n’est pas né de la dernière pluie ! Vu que tu as des prédispositions familiales aux batifolages extraconjugaux, je me méfie !
William. – Mais pas du tout !
Martine. – Taratata ! Ton père a passé sa vie à courir la gueuse ! Regarde où ça l’a mené ! Maintenant il a l’étendard en berne le chéri de ses dames ! Quand tu tires trop sur le manche... C’est une expression, voilà ce qui arrive, le cœur lâche ! Alors fais gaffe !
William. – Ma poussinette, voyons, il n’y a que toi ! Allez, appelle les autres, on va répéter la scène du 3, la scène que j’ai écrite pour toi ! (Martine sort, elle est rassurée.) Papa, comment as-tu fait pour supporter 4 femmes ? Si tu savais la chance que tu as d’être dans ton fauteuil. (Il va arranger les décors, entrée de Martine et Daphné.) Où est Bérénice ?
Daphné. – Au maquillage, elle arrive !
William. – Au maquillage !!!??? Mais c’est une répétition !
Entrée de Bérénice.
Voix de Marcelin. – ça c’est Bérénice, ma fille, je l’ai eue avec ma troisième femme.
Bérénice. – Mon cher frère, enfin demi, je respecte mes partenaires, je me présente au mieux ! Déjà à 20 ans, le secret, c’est le maquillage ! Alors à presque 40…
Martine. – Tu comptes en années bissextiles ma chère belle-sœur !?
Bérénice. – Qu’est-ce qu’elle dit la quinquagénaire !?
William. – Rien, elle n’a rien dit ! Bon, en place !
Les 3 comédiennes s’installent sur 3 chaises, ou un banc, face au public, et ont chacune un ouvrage de tricot avec aiguilles.
Voix de Marcelin. – Le pire moment de la journée, les répétitions ! Mon abruti de fils se prend pour un auteur de théâtre ! En plus il porte mon nom ! C’est la seule qualité que je lui ai transmise.
William. – Bon, mesdemoiselles ! (Il réfléchit.)
Voix de Marcelin. – Encore une tradition débile, au théâtre, on appelle toujours une comédienne mademoiselle ! ça fait un bail que celles-ci ont dépassé la date limite de fraîcheur !
Entrée d’Elvire.
Elvire. – Bonjour les artistes ! Bonjour grand-père !
Elle l’embrasse et arrange son écharpe.
Voix de Marcelin. – Elle, c’est ma petite-fille, Elvire, la fille de Bérénice, c’est mon soleil ! Elle me ressemble, le talent saute une génération dans la famille !
William. – Elvire, s’il te plait, nous sommes en répétition !
Elvire. – Je vois ça tonton ! Je vais à mon cours de danse, à tout à l’heure. Un peu voyant ton maquillage maman !
Elle sort.
Bérénice. – Bérénice !! C’est usant cette gamine qui m’appelle maman !
William. – C’est relativement logique puisque c’est ta fille !? Bon… Allons-y ! Je veux entendre le cliquetis des aiguilles !
Daphné. – « C’est bien du 42 les chaussettes que tu fais ?
Martine. – Non, du 42 et demi qui chausse petit.
Bérénice. – à vue d’œil, j’aurais dis du 41 qui chausse grand !
Daphné. – Impossible c’est trop petit pour du 41 qui chausse grand.
Martine. – Par contre, ça peut se confondre avec un 43 qui chausse petit ! »
William. – Stop ! Faites sonner les chiffres ! 42 ! 41 ! 43 ! Vos chiffres souffrent d’un manque de musicalité qui les rend mesquins ! Faites-les vivre ! Reprenez !
Daphné. – « C’est bien du 42 les chaussettes que tu fais ?
Martine. – Non, du 42 et demi qui chausse petit.
Bérénice. – à vue d’œil, j’aurais dis du 41 qui chausse grand !
Daphné. – Impossible c’est trop petit pour du 41 qui chausse grand.
Martine. – Par contre, ça peut se confondre avec un 43 qui chausse petit ! »
William. – C’est mieux mais… Ce n’est pas encore assez dramatique ! Votre gestuelle n’est pas assez angoissante !
Bérénice. – Pourrais-tu nous expliquer comment tricoter de façon dramatique ?
William. – Mais votre tricotage est symbolique ! Vous tissez la toile du capitalisme impudique qui sclérose la société !
Daphné. – D’accord, vu...