ACTE PREMIER
Une fin d’après-midi. Le panorama est rose. Il ira en s’obscurcissant. Un calendrier proclame le 28 septembre.
En scène : Virginie travaille, sans courage, sur sa machine à écrire. Le téléphone sonne… sonne… sonne…
VIRGINIE Téléphone ! Mademoiselle Alice ! Le téléphone !…
VOIX D’ALICE (Dans le bureau de Charance avec lequel on l’entend rire.) J’arrive ! Minute ! Quelle barbe !
Entrée de Suzanne Brissard. Elle aurait pu être une assez jolie femme, mais ses cheveux tirés et sa robe simple lui donnent un côté sec et vieille fille. Elle pose des dossiers et s’énerve en entendant la sonnette.
SUZANNE Oh ! ce téléphone ! Mais que fait donc cette standardiste ?
VIRGINIE Elle bavarde ! Comme toujours !
SUZANNE (Hurlant, hystérique.) Mademoiselle Alice ! Té-lé-pho-ne !…
Et elle sort.
VIRGINIE Téléphone !…
VOIX D’ALICE Me voilà ! On ne peut pas souffler deux minutes sans qu’on vous sonne ! Quelle vie ! (Elle apparaît, charmante frimousse de cinquante ans, joyeuse et parigote.) Être standardiste, c’est l’enfer ! (Elle décroche.) Allô ! Étude Maître Rocher, j’écoute. Ooooh, c’est toi, Georgette ! On nous avait coupées tout à l’heure ! Il faut que je finisse de te raconter le film de la télé d’hier soir ! (Un client franchit la porte et entre.) Voilà que le mari, donc, revient et qu’il veut tuer sa bonne femme, une grosse blonde genre ta belle-sœur ! Là-dessus, son amant, le Chinois… (Le client, mécontent, frappe fort sur la balustrade. Alors, Alice le voit.) Vous désirez ?
LE CLIENT Je suis monsieur Prague.
ALICE Un instant. (Elle sonne une fiche.) Mademoiselle Suzanne, M. Prague est là… Très bien. (Au client.) Une seconde ! Asseyez-vous. (Alice reprend son amie.) Allô ! Georgette ? Je te continue le film : donc, la grosse blonde est obligée d’avouer qu’elle a eu un enfant avec un Russe pendant la guerre… Or, ce Russe…
Mlle Suzanne Brissard arrive de son bureau.
SUZANNE Bonsoir, M. Prague. (Le client la salue.) Il vous faut signer les trois exemplaires de votre bail. Installez-vous là.
Elle le fait asseoir à la table et lui donne des papiers à signer. Avec le tampon buvard, elle le surveille.
ALICE (Continuant sa conversation.) Non ! Georgette ! Tu confonds ! Suis-moi bien ! La grosse blonde, c’était sa femme, pas sa sœur ! Puisque… Écoute, ce n’est pas la peine que je te raconte le feuilleton…
Entrée d’une dame, cliente, style femme du monde casse-pieds.
LA CLIENTE Bonsoir… Bonsoir…
SUZANNE Ah ! madame Tachard ! Me Rocher avait cet après-midi rendez-vous pour votre affaire avec Me Poulard. Il ne va plus tarder. Attendez-le quelques minutes. Me Rocher vous remettra ainsi, lui-même, vos papiers et le chèque. (Elle lui désigne la banquette devant la balustrade et la dame s’assoit, remerciant d’un sourire.) Monsieur Prague, gardez le troisième exemplaire pour vous.
ALICE Mais non, pas étranglée ! Devine ! Avec un gros revolver de cow-boy ! Pan ! Pan ! (La dame, affolée, va s’asseoir au fond. Sonnerie du téléphone.) Allô ! Étude de Maître Rocher, notaire. Oui. Je vais marquer le rendez-vous.
Elle note. Robert de Charance sort de son bureau. C’est un beau garçon de trente-cinq ans, d’allure dégagée. Il a un dossier et s’adresse à Virginie après avoir fait une bise comique à Alice.
ROBERT Virginie, vous ne m’avez pas photocopié les deux actes de la saisie-gagerie de la rue des Marronniers !
VIRGINIE Oh ! j’avais oublié ! Je vous ferai ça demain !
ROBERT Non ! Il me faut le dossier complet ce soir. Me Rocher doit le consulter. Il va arriver. Dépêchez-vous ! Sinon…
VIRGINIE Des menaces ? Des coups ? Mon rêve !
ROBERT Attrapez ça ! (Le dossier.)… et ça !
Un baiser. Elle a un rire de gorge.
SUZANNE Merci, monsieur Prague. On vous enverra, chez vous, le reçu du bureau des hypothèques. Au revoir !
Le M. se lève.
ALICE Ah ! oui, c’est ça… une tête dans le genre de Frankenstein ! On en tremble de peur… Ouuuuuh !
Terreur des deux clients. Le M. disparaît par la sortie.
SUZANNE Oh ! mademoiselle Alice ! ça ne vous ferait rien de moins hurler ? (Elle prend la cliente à témoin.) Parce qu’elle travaille ici depuis vingt ans, elle se croit chez elle !
ROBERT (Se penchant vers Virginie.) On va faire une partie de baby-foot, au tabac de la Muette, tout à l’heure ?
VIRGINIE (Coquine.) Peut-être… Je vais y réfléchir… Faut que je consulte ma famille !
Il l’embrasse dans le cou. Elle glousse de rire.
SUZANNE (Choquée.) Un peu de tenue, s’il vous plaît !
Et elle entre dans son bureau.
ALICE Donc, le Russe avait fait un enfant à la grosse blonde, en 44… Elle disait qu’il l’avait violée… À d’autres ! Le viol, moi, je n’y crois pas. Et toi ?
Entrée du notaire. Chapeau, pardessus, lunettes d’écaille. C’est un homme de quarante-cinq ans un peu grisonnant. Allure digne et autoritaire.
VIRGINIE (À mi-voix.) Vingt-deux !
À les voir s’affairer, on devine qu’ils craignent leur patron.
MAÎTRE ROCHER Bonsoir.
LA CLIENTE (Très aimable avec lui.) Bonsoir, Maître… Me voici… Me voici !
MAÎTRE ROCHER Ah ! madame Tachard ! Encore ! Tout est arrangé ! Voici votre engagement de location dûment enregistré. Et votre chèque ! (De sa serviette, il sort un dossier qu’il lui donne.) Tout est en ordre. Et, ne vous inquiétez plus ! Désormais, faites adresser votre courrier directement à votre avocat. Et, vous serez protégée.
LA DAME (Heureuse, n’arrêtant pas de parler.) Oh ! merci mille fois… Mais, est-ce que je ne crains plus rien ?
MAÎTRE ROCHER Je vous en prie. C’est mon métier.
LA DAME Je compte revenir…
MAÎTRE ROCHER Non ! Cette affaire est terminée ! Ça suffit ! Au revoir, madame Tachard ! (Elle s’accroche à lui. Il la repousse avec rage.) J’ai assez perdu de temps ! Bonsoir !
Il entre dans son bureau et la dame s’en va, un peu vexée.
ALICE (Toujours au téléphone.) Or, le Russe était marié dans son pays. Avec une grosse blonde… Oui. Encore ! Il n’y avait que des blondes dans ce film…
Entrée de Suzanne.
SUZANNE (Tendant un dossier à Robert qui chahute avec Virginie.) Voilà de quoi vous occuper les mains.
ROBERT Pourquoi me rendez-vous ce dossier ?
SUZANNE Il y a une erreur de date.
ROBERT Où ?
SUZANNE Cherchez-la. Ça meublera votre soirée ! (À Virginie.) Vous pourriez porter des jupes un peu moins courtes. C’est un scandale !
VIRGINIE Celles qui cachent leurs genoux, ce sont celles qui ont des genoux cagneux !
ALICE Alors, le tueur prend une mitraillette et tire dans la foule… Tac-tac-tac-tac-tac…
ME Rocher, qui sort de son bureau, l’interpelle.
MAÎTRE ROCHER Mademoiselle Alice ! Je vous en prie ! Du silence !
ALICE Oooh ! Maître, excusez-moi… Une parente qui…
Elle parle bas.
MAÎTRE ROCHER (À ses employés.) J’ai encore du travail pour une heure. Je fermerai l’étude. Je n’y suis plus pour personne.
ROBERT Bien, Maître…
MAÎTRE ROCHER Mademoiselle Alice, téléphonez à ma femme et dites-lui de dîner sans moi. Je n’aurai que le temps de passer à la maison pour mettre mon smoking…
ALICE D’accord.
SUZANNE (S’avançant vers lui, toute frémissante.) Oh ! il faut manger ! Vous allez tomber malade !
MAÎTRE ROCHER (Brusque.) Mais non !
VIRGINIE Vous allez ce soir au gala de l’Opéra ? Quelle veine !
MAÎTRE ROCHER (À Robert.) Demain, dès huit heures, je m’occupe de la vente Gondry. Le dossier est-il complet ?
ROBERT Complet. Je le pense.
MAÎTRE ROCHER Je vous le souhaite.
SUZANNE Voulez-vous que je vérifie le dossier ?
MAÎTRE ROCHER Non !
SUZANNE Voulez-vous que j’aille vous chercher un sandwich ?
MAÎTRE ROCHER (Sec dans son nez.) Non ! NON !
SUZANNE (Blessée.) Ah ? bon.
Elle entre dans son bureau. On entend vaguement Mlle Alice parler à la femme du notaire et faire la commission.
MAÎTRE ROCHER (À Robert.) Monsieur de Charance, sur le cadastre, c’est en trois couleurs que vous auriez dû faire figurer les divisions entre les héritiers Simonot. (Il jette un dossier à Robert, vexé.) Quant à vous, mademoiselle Virginie, cessez de ricaner, faites allonger votre jupe et regardez ceci. (Il brandit une lettre de plusieurs pages.) Ce sont trois fautes d’orthographe !
VIRGINIE Je vais retaper la page !
MAÎTRE ROCHER Non ! Vous retaperez tout ! Ça vous apprendra ! (Il déchire la lettre.) Voilà !
Il la jette et la lettre tombe sur Alice.
ALICE Oh ! mes frisettes !
Cependant Suzanne revient avec son manteau.
MAÎTRE ROCHER Et qu’est-ce que vous avez tous à me regarder comme des statues de sel ? Il est dix-huit heures trente et une. Envolez-vous ! N’essayez pas de me faire croire que vous faites une demi-minute supplémentaire ! Ça ne prend pas ! Sortez ! Je vous ai assez vus !
Il leur tourne le dos. Robert et Virginie regagnent leurs bureaux. Suzanne s’avance, mielleuse.
SUZANNE Pas trop fatigué ?
MAÎTRE ROCHER (Hurlant.) NON ! (Terrifiée, elle s’en va définitivement.) Quant à vous, mademoiselle Alice, si vous continuez à donner des communications téléphoniques personnelles, je vous flanque à la porte !
Il entre dans son bureau en claquant la porte.
ALICE (Sans timbre, au téléphone.) Allô ! Georgette ? T’es toujours là ?… Rien, c’est le singe qui est en pétard ! J’ai l’habitude. Il aboie, mais il ne mord pas… (Robert, avec son imperméable, s’en va à son tour, après avoir fait une bise à Alice.) Je mets une sourdine, mais je vais vite te finir le film… Donc, le mari de la sœur du Russe apprend que la mère de la grande blonde… tu me suis ? (Habillée de son manteau, Virginie accroche en cachette une caricature au standard de Mlle Alice [dessin comique qui la représente en perruche à son standard.] Puis Virginie sort.)… Et c’est alors que le type jaloux décide de tuer l’amant de sa femme… Il s’empare d’un couteau, et vlan ! dans le ventre… Et c’est la fin du film. Ça finit bien, hein ? Quelle heure il est ? Sept heures moins vingt. Bon, puisque tu es pressée, je te laisse… Embrasse tout le monde pour moi et à dimanche… (Elle raccroche et elle se met à chanter un air yéyé.) Alors, il n’y a plus personne ? Je suis la lanterne rouge ? (Elle voit la caricature.) Oh ! les sales bêtes ! Ils ne m’ont pas arrangée ! Mais c’est gentil quand même. Ça me fait un souvenir. Je vais l’accrocher dans mon cagibi… (Elle ouvre son placard et l’accroche.) Et qui va se faire un petit blanc-cassis ? C’est Lili ! (Elle farfouille dans son placard. [Ce placard comiquement sympathique doit être biscornu et fourre-tout. Un lavabo miniature. Des étagères. Des boîtes de biscuits. Des bouteilles. Le compteur électrique. Une cuisinette avec un réchaud et des casseroles. Un service à café et une cafetière. Une boîte à pharmacie, des photos souvenirs, des babioles de fêtes foraines. Ce placard est à l’image de Mlle Alice baroque, naïf et farfelu.] Donc Alice se fabrique un petit vin blanc-cassis en chantant. Le crépuscule est arrivé et l’ombre a envahi la pièce. Or, sortant du bureau du notaire, une ombre paraît. C’est nettement ME Rocher. Et ME Rocher a un grand poignard planté dans le dos. Il s’accroche à sa porte, titubant. Il longe le mur, vacille sur ses jambes… Mais la demi-obscurité [et le fait qu’on ne verra jamais l’homme de face] doivent laisser planer un doute d’identité utile à la suite de la pièce. Alice, sans se retourner.) C’est vous, Maître ? Excusez-moi mon bavardage au téléphone. C’est Georgette, une amie, à qui je racontais le film de la télé d’hier… Vous l’avez vu ? C’était une histoire policière, tirée par les cheveux… Un type assassiné ! Pan ! Ce que j’ai rigolé ! Ça s’appelait : « Les témoins, ça se sucre ! » Épatant ! (Le blessé semble à bout de forces… Il accroche les chaises, fait tomber un dossier. Enfin, il heurte la table et tombe dessus, la face contre le tapis. Il a un soubresaut. Alice, se retournant.) Qu’est-ce qu’il y a, Maître ? Vous cherchez un dossier ? Mais… vous avez quelque chose dans le dos ! (L’homme suffoque, bat l’air de ses bras. Soudain, sa main retombe. Il est mort ! Alice, effarée et incrédule, s’approche un peu avec prudence.) Mais… on dirait le poignard qui orne le mur de votre bureau, non ? Mais… c’est… Oh ! mon Dieu… Au secours !… (Elle a réalisé l’horrible drame et soudain bat en retraite et s’affole… Elle se fait peur à elle-même et elle produit de petits sons gutturaux paniqués… Puis elle fait avec nervosité un numéro au standard.) Allô ! C’est le dix-sept ? C’est police secours ? Bon. Alors, voilà ce que je voulais vous dire : « Au secours ! À l’aide ! À l’assassin ! » (Elle a un soupir.)… Qu’est-ce que j’ai ? J’ai un mort, monsieur. Oui. Un mort à l’étude… Non, je ne suis pas étudiante ! Écoutez. Il y a un mort dans l’étude de Me Rocher. L’adresse ? 8, rue des Vignes… Le mort, c’est mon patron, Me Rocher. Moi ? Je suis la standardiste et je vais me trouver mal… Ah ! ça y est ! Mes jambes flanchent… Une seconde, ne coupez pas ! (Elle boit son petit verre rapidement.) Allô ! Ça va mieux, merci… Hein ?… Je m’appelle Alice Postic. Mon adresse à moi ? 8, rue des Vignes. Oui, c’est la même adresse que l’étude ! J’ai un petit appartement au rez-de-chaussée de l’immeuble ! Ça vous dérange ? C’est interdit ?… Moi, je crie ?… Oui. Le mort est là. Il est couché… Non, monsieur, il ne dort pas ! Est-ce que vous avez déjà vu des gens dormir avec un poignard dans le dos ?… Aaah ! Quand même ! Vous commencez à me croire ! Venez vite, hein ? Parce que je sens mes jambes qui flanchent encore… Oui. Je suis seule. Je dois fermer les portes à clef ? Pourquoi ? Hein ? Vous croyez que l’assassin est encore ici ? (Elle tremble.) Aaah ! Mais… alors, il va me régler mon compte ! Je suis au courant, figurez-vous : « Les témoins, ça se sucre ! » Arrivez vite, monsieur, avant que je ne sois sucrée… Aaah ! Mon cœur…Je me trouve mal ! Au secours ! Au secours ! Police ! Police !
En effet, elle se trouve mal. Elle lâche le téléphone et, tombant à la renverse dans un fauteuil, elle s’évanouit.
NOIR
Bande sonore. Musique suspense. Sirène et appels radio successifs.
VOIX Police judiciaire standard… Appelez-moi le numéro de l’inspecteur Grandin… Il va hurler, mais tant pis ! (Sonnerie de téléphone.) Allô ! Grandin ?… Ici, Central P.J. Debout, mon vieux ! Debout !
VOIX DE GRANDIN Atchoum ! Je suis malade !
VOIX Malade ou pas malade, il faut vous lever. Une affaire urgente.
VOIX DE GRANDIN J’ai quarante degrés de fièvre… Je suis tombé à l’eau hier, vous le savez… Je vais crever !
VOIX M’en fous ! Sautez du lit ! Au trot. Une affaire de meurtre. 8, rue des Vignes. Métro Muette.
VOIX DE GRANDIN Atchoum ! N… de D… Être flic, c’est… tuant ! Atchoum…
Sirène police secours
FIN DU NOIR
La lumière revient en scène. Mais très faiblement Car, à présent, le crépuscule a noirci la pièce. On devine toujours Mlle Alice évanouie dans son fauteuil. Des bruits de pas qui galopent. La porte du couloir s’ouvre, jetant un rai de lumière.
Paraît l’agent de police Maximin. Un brave cornichon de quarante ans, bien sympathique.
MAXIMIN C’est ici, le crime ? Eh ? Y a quelqu’un ? Bonsoir de sort, on n’y voit rien ! Où ça s’allume ?
ALICE (Revenant à elle doucement.) Aaah ! Au secours ! Allô ! Police ?
MAXIMIN J’arrive ! J’ai trouvé la lumière. Ça y est ! (Il éclaire. Pleins feux. Et le public constate tout de suite que le cadavre n’est plus là. Cependant Maximin se précipite vers Alice, allongée.) C’est vous ?
ALICE Oui. C’est moi ! Oh ! monsieur l’agent ! C’est affreux ! Un couteau dans le dos !
MAXIMIN Ça vous fait mal ? Qui vous a frappé ? Faites voir votre dos.
ALICE Mon dos ? Pour quoi faire ?
MAXIMIN (Regardant.) Mais le couteau n’est plus dans votre dos !
ALICE Mais enfin… monsieur l’agent, je ne suis pas la victime. Je suis le témoin ! Et même le témoin numéro un.
MAXIMIN Ah bon ! Excuses. Mais, à vous voir comme ça, renversée…
ALICE Je me suis évanouie. Je suis une femme sensible.
MAXIMIN Excusez-moi, madame.
ALICE (Rectifiant.) Ma-de-moi-selle !…
MAXIMIN Bon ! Où est le corps ?
ALICE (Désignant la table d’un geste.) Là-bas.
MAXIMIN (Qui ne voit rien.) Où ça ?
ALICE Sur la table.
MAXIMIN Je ne vois rien.
ALICE Ouvrez les yeux.
MAXIMIN Je les ouvre… Je ne vois pas de mort.
ALICE Mettez vos lunettes.
MAXIMIN Mettez donc les vôtres… Regardez !
ALICE (Se redressant, fait un pas, reste soufflée.) Ah ! ça alors !… Il était là !… Le mort… il est parti !…
MAXIMIN … En croisière ; sans doute ?
ALICE Je vous assure qu’il était couché sur la table, avec un couteau dans le dos. Je l’ai vu ! De mes yeux, vu !
MAXIMIN Ouais ! Connaissez-vous le tarif quand on appelle police secours sans motif ?… Deux jours de prison.
ALICE Sans motif ? Si vous trouvez qu’il n’y a pas de quoi tirer la sonnette d’alarme quand on découvre son patron avec un poignard entre les deux épaules !
MAXIMIN Vous vous expliquerez avec l’inspecteur qu’on envoie du Quai des Orfèvres.
ALICE J’ai ma conscience pour moi.
MAXIMIN À la vôtre ! Il va être fou de rage. Parce qu’ils l’ont fait sortir de son lit où il cuvait sa fièvre…
ALICE Est-ce ma faute ?
MAXIMIN Oui. Car c’est la personne qui dérange qui est responsable !
ALICE J’ai appelé quand j’ai vu le mort !
MAXIMIN (Voyant la bouteille de vin blanc dans le placard.) Tiens ! Tiens ! Serait-ce une explication ?
ALICE (Furieuse.) Non ! Mais…
MAXIMIN Peut-être bien que, des morts, mademoiselle, vous en avez vu deux… ou trois… ou davantage, non ?
ALICE Grossier personnage ! Je vous ai assez écouté. Je descends chez moi. Pour tous renseignements : Mademoiselle Alice Postic, même immeuble, rez-de-chaussée gauche. Bonsoir. (Elle va sortir. Il la rattrape, la ramène au centre et l’assoit de force.) Mais voulez-vous me lâcher !
MAXIMIN Rébellion ? Tentative de fuite ? Tarif : huit jours de prison. Vous ne bougerez pas d’ici, ma mignonne.
ALICE Je ne suis pas votre mignonne, grande andouille ! Et quand je dis « grande » !
MAXIMIN (Qui est petit de taille.) Insulte à un agent ? Tarif : un mois de prison.
ALICE Tarifs ! Tarifs ! Écoutez, au train où ça part, faites-moi vite un prix de gros : travaux forcés à perpète et n’en parlons plus !
MAXIMIN Je vous garde à vue jusqu’à l’arrivée de l’inspecteur. Restez assise !
ALICE Ah ! on m’y reprendra à voir des cadavres !
Elle est furieuse.
MAXIMIN Ce serait trop facile de déranger la police pour rien ! Tête de Fer va s’occuper de vous. Il en a maté de plus coriaces…
ALICE Qui c’est ça, Tête de Fer ?
MAXIMIN C’est le surnom de l’inspecteur.
ALICE Pourquoi ? Il a une tête de fer ?
MAXIMIN C’est à cause de son caractère. Une autorité de fer ! Il ne cède jamais ! C’est le plus terrible inspecteur de la P.J.
ALICE Mince ! C’est bien ma veine de...