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Quelques gazouillements d’oiseaux, le vent souffle dans les arbres. Lumière.
Les volets de la maison côté cour sont fermés. Côté jardin, tout est ouvert.
Gilles Constant est étendu sur un transat, un chapeau mou enfoncé jusqu’aux yeux. On entend le bourdonnement désagréable d’une abeille. Gilles balaye l’air face à lui, mais l’abeille revient aussitôt à la charge. Gilles râle et tente avec son chapeau de la chasser. Après plusieurs tentatives, le bruit s’estompe. Gilles saisit la bière posée sous son transat et en boit une lampée.
Isabelle (off) - Gilles ? Gilles ? (Gilles pose sa bière et se rallonge.) Gilles, qu’est-ce que tu fais ? Tu peux venir m’aider ?
Gilles ne bouge pas. L’abeille revient rôder autour de lui.
Il balaye violemment l’air de sa main.
Gilles - Dégage !
Gisèle Guselier entre côté jardin.
Gisèle - Madame Constant ? Hou ! hou ! Madame Constant ? (Elle aperçoit Gilles sur son transat.) Ah, il me semblait bien avoir vu passer la voiture. Bien rentrés alors ? Et ces vacances, c’était comment la Croatie ? (Gilles laisse entendre un léger ronflement.) Hé, monsieur Gilles ? (Elle le secoue légèrement.) Ah, il changera jamais celui-là ! Il part deux semaines en vacances, il revient toujours aussi fatigué. (Elle voit la bière sous le transat et en prend une bonne gorgée. Elle frissonne.) Bah, c’est pas de la bière, ça ! (Elle examine l’étiquette de la bouteille.) Il a dû l’acheter là-bas !
Dans son dos apparaît Isabelle, un sac de mauvaises herbes à la main. Elle est enceinte de cinq à six mois.
Isabelle - Ah, c’est vous Gisèle ! (Gisèle repose précipitamment la bière sous le transat.) Je me demandais qui hurlait comme ça…
Gisèle - J’ai vu passer la voiture. Ça va bien ? (Les deux femmes s’embrassent.) Je me suis dit que j’allais vous faire un petit bonjour pendant que Raymond fait sa sieste.
Isabelle - Je vois qu’il n’est pas le seul. (Elle montre son sac à Gisèle.) Regardez tout ce que j’ai ramassé dans le potager.
Gisèle - Ouh… Et c’est pas trop fatigant dans votre état ?
Isabelle (la main sur le ventre) - Au contraire, ça me fait de l’exercice. Et puis ça ne prend pas de vacances ces cochonneries-là…
Gisèle - Et mon petit chéri, où est-il ?
Isabelle - Jordan ? Il est chez ma mère jusqu’à la fin du mois.
Gisèle - Quel dommage…
Isabelle - Ça nous fait une petite semaine tranquille, en amoureux.
Gisèle (regardant Gilles) - Ça, vous allez pas vous ennuyer, c’est sûr !
Isabelle - Au fait, Gisèle, c’est vous qui avez coupé mes tomates ?
Gisèle - Je me suis dit qu’elles allaient pas vous attendre. Elles étaient grosses comme ça… Raymond s’est régalé.
Isabelle - Vous avez bien fait. Comment il va M. Guselier ?
Gisèle - Comme ça. Avec son arthrose qui l’a lancé tout le mois de juillet… Au train où il va, ça m’étonnerait pas qu’il me refasse une goutte avant l’hiver… Mais vous, alors, racontez-moi vos vacances… Comment ils sont les Croatiens ?
Isabelle - Les Croates… Adorables ! Attendez, je vais vous chercher les photos.
Isabelle entre dans sa maison, laissant la porte ouverte. Gisèle en profite pour observer l’état des vitres. Elle passe un doigt dessus, regarde son doigt…
Gisèle - Ça aurait bien besoin d’un coup de torchon, ça.
Isabelle revient avec une dizaine de photos.
Isabelle - Tenez. Voilà notre hôtel.
Gisèle - Ouh ! C’est Jordan, là…
Isabelle - Avec son père.
Gisèle - Il m’a manqué le petit chéri… Comme c’est beau !
Isabelle - Le restaurant… La piscine… Notre chambre, avec un grand lit double…
Gisèle - Vous en avez de la chance. J’aurais bien aimé partir, moi aussi. Mais avec Raymond qui va toujours de travers…
Isabelle - Le minigolf de l’hôtel…
Gisèle - Tenez : c’est comme vos nouveaux voisins ! Ils sont venus chercher leurs clés la semaine dernière.
Isabelle - Ah bon, ça y est ?
Gisèle - Ils revenaient tout droit d’Asie. Arhh, comment c’était déjà ?… Un nom en « a »…
Isabelle - En « a » ?… Jakarta ?
Gisèle - Non, non, plus simple… Kenya, voilà !… Je serais bien partie avec eux, moi ! Ou avec vous. J’étais faite pour voyager.
Isabelle - Mais alors c’est fait, ils ont signé ?
Gisèle - Les Neveu ? Mais oui !
Isabelle - Alors, comment ils sont ?
Gisèle - Oh, ils ont leur style. On voit qu’ils viennent de Paris. Mais lui est charmant. Très chic. C’est lui qui m’a dit qu’ils emménageaient aujourd’hui.
Isabelle - Aujourd’hui ? Et mes rosiers qui ne sont pas taillés !
Gisèle - Oh, les rosiers c’est rien. Mais vous avez vu vos vitres ?! Avec tout ce qui est tombé la semaine dernière… Tenez, je vais vous donner un petit coup de main puisque j’ai cinq minutes.
Isabelle - Non, non, laissez, Gisèle.
Gisèle - Mais si, je vous dois une heure ! (Elle entre chez les Constant.) Et puis ça les fera venir.
Isabelle suit Gisèle à l’intérieur de la maison.
Gilles se redresse, puis cherche à tâtons la bière sous le transat. Ne la trouvant pas, il se penche pour regarder. Celle-ci n’est plus à la même place et à moitié vide.
Il en boit une gorgée, repère attentivement le niveau restant dans la bouteille, puis il la replace à un endroit précis sous le transat. Il se rallonge.
Gisèle sort de la maison, un Jex Vitres et un torchon à la main. Isabelle la suit munie d’un sécateur.
Isabelle - Vous savez ce qu’il fait, lui ?
Gisèle - Non. Mais qu’est-ce qu’il est bel homme ! Pour tout vous dire : j’en ferais bien mon quatre heures !
Isabelle - Quoi ?
Gisèle (astiquant la vitre) - Une petite partie de radada, pendant que Raymond fait sa sieste ! En plus, je suis sûre que ça lui déplairait pas. Je l’ai même surpris qui louchait sur ma poitrine. Remarquez qu’elle, Mme Neveu, c’est pas le genre à laisser faire… C’est elle qui porte la culotte, ça se voit tout de suite.
Isabelle - Ah bon ?
Gisèle - D’ailleurs, sa tête me dit quelque chose. Je suis sûre de l’avoir déjà vue… Pas par ici, en tout cas… Elle m’a dit qu’elle avait découvert la région quand ils sont venus en janvier pour le mariage d’un cousin à lui… Moi, en janvier, j’étais à l’hôpital pour la phlébite de Raymond.
Isabelle - Ils ont des enfants ?
Gisèle - J’en ai pas vu… Mais si vous voulez mon avis, c’est pas son truc.
Isabelle - Pourquoi ?
Gisèle - J’ai dans l’idée qu’elle a mieux à faire avec son mari, si vous voyez ce que je veux dire.
Isabelle (désignant Gilles) - Chuut ! Gisèle…
Gisèle - Bah, il dort comme une souche. Hein, mon asticot ?… (Gilles grogne.) Vous savez ce que j’aime chez M. Neveu ? Ce sont ses fesses…
Isabelle - Ohhh !
Gisèle - Il a de belles fesses, bien dures, bien rondes. Deux ballons de rugby. C’est pas comme Raymond… Les ballons de rugby, lui, il les a là, dans le bide ! Et vous ?
Isabelle - Quoi, moi ?
Gisèle - Vous m’avez jamais dit ce que vous préférez chez M. Gilles ?
Isabelle - Oh, je ne sais pas…
Gisèle - Allez, vous gênez pas…
Isabelle - J’aime bien ses mains.
Gisèle - Hein ?!
Isabelle - Ses mains.
Gisèle - Eh bien, ça doit être gai chez vous !
Isabelle - Je n’ai pas à me plaindre. Je trouve que Gilles a des mains très sexy. C’est ce qui m’a plu chez lui, tout de suite. (On voit l’œil de Gilles s’entrouvrir.) Et puis en cas de panne, ça peut toujours servir.
Gilles - Comment ça, en cas de panne ?
Gisèle - Ah, monsieur Gilles…
Gilles - Bonjour Gisèle. (A Isabelle.) Hein ? Comment ça, en cas de panne ? Qu’est-ce que tu sous-entends par là ?
Isabelle - Je ne sous-entends rien, mon chéri.
Gisèle - Comme si c’était notre genre…
Gilles (à Gisèle) - Ça va, vous ! (Il prend sa bouteille de bière.) Essayez plutôt de m’expliquer ça.
Gisèle - Oui…
Gilles - Tout à l’heure, le niveau était là. Et maintenant il reste ça… Elle est presque vide.
Gisèle - Vous buvez trop, je l’ai toujours dit.
Gilles - Mais oui, surtout en dormant…
Isabelle - Ça pour dormir…
Gisèle - Vous m’embrassez pas ? (Gilles et Gisèle s’embrassent.) Vous êtes tout bronzé, dites donc !
Isabelle - C’est normal, ils avaient les mêmes transats à l’hôtel.
Rires des deux femmes.
Gilles - Bon, c’est fini ? Qu’est-ce que vous avez à vous agiter comme ça ?
Isabelle - Les nouveaux voisins arrivent aujourd’hui.
Gilles - Ah oui ?
Gisèle - C’est moi qui leur ai donné les clés.
Isabelle - Lui est très aimable, d’après Gisèle.
Gilles - Et elle ?
Gisèle - Ma foi, elle est dans la moyenne. Ni trop belle, ni trop moche. Comme nous, quoi.
Gilles - Je suis bien avancé…
Isabelle - Evidemment, toi, c’est tout ce qui t’intéresse…
Gilles - Je me renseigne, ma chérie… En tout cas j’espère qu’ils ne seront pas aussi collants que les Giraux.
Isabelle - Oh, tu exagères…
Gisèle - Ils n’avaient pas que des défauts… Ils m’ont tout de même donné une petite prime avant de partir. Et du bon cognac pour Raymond.
Gilles - Bon, bon… Faut le dire vite.
Gisèle - Vous avez eu droit à votre bouteille, vous aussi ?
Gilles - Au bout de quatre ans, c’est un minimum.
Isabelle - C’est vrai qu’il avait comme un goût, leur cognac.
Gisèle - N’empêche qu’avec leur départ, ça me fait deux après-midi de moins par semaine. Et un sacré trou dans la caisse.
Isabelle - Les Neveu auront sûrement besoin de vous.
Gisèle - A propos, vous voulez que je fasse l’intérieur ?
Isabelle - Ça ira, Gisèle.
Gisèle - C’est quand même plus propre…
Isabelle - Chuut ! (Elle cesse de tailler ses rosiers et se dresse sur la pointe des pieds.) Voilà une voiture…
Effectivement, le bruit d’un moteur se fait entendre. Gisèle et Gilles rejoignent Isabelle.
Gisèle - C’est eux !
Gilles - Putain le 4x4 ! Il est énorme !
Isabelle - Il ne...