La Victoire d’Alexandre

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Dans un village côtier de Normandie, quelques jours avant le débarquement, un inventeur Français va créer une machine qui peut bouleverser le cours de l’histoire. Il faut à tous prix empêcher un gradé Allemand de connaître la vérité. Il en va de l’issu de la deuxième guerre mondiale et de l’avenir du monde !
Cette comédie, mêlant science-fiction et histoire de France, ne manque pas d’originalité.
Ah oui, j’oubliais, elle est écrite en alexandrins. Mais des alexandrins dépoussiérés, fluides, drôles.
Un régal !

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Liste des personnages (4)

PAULETTEFemme • Adulte/Senior/Jeune adulte • 164 répliques
Paulette, sœur d’Alexandre, est une résistante qui ne se dégonfle pas devant le colonel Richter. Elle est directe.
ALEXANDREHomme • Adulte/Senior/Jeune adulte • 261 répliques
Alexandre est un chercheur, il est un peu naïf vis-à-vis des intentions du colonel. Il est dans son monde, obnubilé par son expérience.
VICTOIREFemme • Jeune adulte/Adulte • 231 répliques
URSULAFemme • Jeune adulte/Adulte • 100 répliques
Ursula, fille du colonel, est entrepreneuse et nymphomane. Elle est fourbe et prête à tout pour obtenir des résultats.

Décor (1)

Un laboratoire en 1944Nous sommes dans un laboratoire en 1944. Au fond de scène, une paillasse avec au mur un panneau avec quelques voyants et fils électriques. Juste devant un fauteuil de travail. Côté jardin en avant-scène une porte donnant sur l'extérieur, juste après une fenêtre avec vue sur la mer. Côté cour une porte donnant sur le laboratoire de Victoire. Toujours côté cour, une table avec deux chaises en paille, une étagère au mur avec quelques bouteilles de vin..

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La Victoire d’Alexandre

(3 juin 1944)

 

Pièce en vers de François Scharre

 

 

 

 

 

Nous sommes le 3 juin 1944, à Saint-Laurent sur mer, petite ville sur la côte Normande.

 

Le décor : le laboratoire d’Alexandre Delamouillette. Une grande paillasse qui prend pratiquement tout le fond de la scène, avec quelques tiroirs. Au-dessus de la paillasse, sur le mur, un grand panneau de bois d’où sortent fils, voyants et autres manettes. Côté jardin, au premier plan, une porte donnant sur l’extérieur, au second plan, une fenêtre donnant sur la plage de Saint-Laurent-sur-mer. Côté cour, au second plan, une porte donnant sur un second laboratoire, celui de Victoire. Un fauteuil à roulettes devant la paillasse. Au premier plan côté cour, une simple table avec deux chaises en paille. Sur la table, 3 bouteilles de vin, une cruche d’eau. Au-dessus de la table, une étagère avec des verres, des bouteilles de vin, une bouteille de sirop d’orange. Sur la paillasse, quelques outils, un bonnet de cuir relié à des fils électriques, une radio TSF, un téléphone. Sous la paillasse, un gros boitier en bois (30x30x80 cm) muni d’une poignée avec un autre bonnet de cuir avec fils électriques. À côté de la porte d’entrée, une patère avec une veste.

 

 

Acte 1 :

 

Le matin du samedi 3 juin 1944

 

Acte 1, Scène 1 : Paulette, Victoire.

 

Paulette, assise sur le siège à roulettes, écoute Radio Londres, au poste TSF. Elle est dos à la porte d’entrée. Un panier est posé à ses pieds. Quand elle parle, Paulette est franche et sans détours.

 

Voix nasillarde de la radio - Ici Londres, les Français parlent aux Français.

Ce matin à Greenwich, le fond de l’air est frais.

Nous sommes le trois juin mille neuf cent quarant’ quatre,

La guerre n’est pas finie et il faudra combattre.

Et voici tout d’abord des messages personnels :

Si tu perds ton falsar, achète-toi des bretelle s.

Le petit brun, Adolf, porte une fausse mousta che,

la mère Éva Braun lui file des coups de crava che.

Les clés du char d’assaut sont sur le pare-soleil .

Monseigneur l’archevêque a mal au gros ortei l.

Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone.

Si tu vas à Rio, n’oublie pas ton chapeau. (Victoire entre discrètement par la porte d’entrée, puis referme doucement la porte derrière elle.)

Le chien du général n’est qu’un vilain cabot.

PAULETTE sursaute en voyant Victoire - C’est toi ! Tu m’as fait peur !

Voix de la radio -                                                  La grande tour est détruite.

VICTOIRE - Le son est bien trop fort ! (Paulette baisse un peu le volume de la radio. Elles continuent d’écouter toutes les deux la radio.)

Voix de la radio -                                                       Les carottes sont cuites.

N’oublie pas ton caleçon pour traverser la manche .

Ma grand-mère en cachette a sifflé trois boutanches .

Les messages sont finis aujourd’hui, messieurs-dames,

mais nous continuons la suite de nos programmes.

 

 Musique de Glenn Miller à la radio puis, Paulette éteint le poste.

 

VICTOIRE - On entend de dehors, fais un peu gaffe, Paulette !

PAULETTE la rassurant - Le colon est parti, avec mon frère.

 

VICTOIRE -                                                                Arrête !

Moi je veux bien t’aider, je te l’ai déjà dit…

PAULETTE lui coupant la parole - Mais tu n’veux pas plonger, ça, je l’ai bien compris !

VICTOIRE se tournant vers la machine qui est fixée au mur - Alexandre a fini son anticipator !

PAULETTE montre la machine. - Faire ça pour les Allemands, je ne suis pas d’accord !

Mon frère est collabo !

VICTOIRE -                                   Ne dis pas ça, Paulette !

PAULETTE - Aider les boches, Victoire ! (Elle soupire), Mais qu’est-ce qu’il a en tête ?

VICTOIRE défendant Alexandre - Ton frère est comme il est, il ne pense pas à mal.

PAULETTE - Il ne pense pas du tout. Il fait un arsenal,

payé par les Allemands, pour l’Allemagne d’Hitler !

Il travaille pour l’ennemi ! Et dire qu’il est mon frère !

VICTOIRE - Tu exagères toujours, c’est un grand inventeur !

Tu ne crois pas en lui, pourtant tu es sa sœur !

(Rêveuse, amoureuse)

C’est un idéaliste, moi je l’aime comme il est !

PAULETTE - Oui tu l’idéalises, car tu l’aimes, je le sais !

VICTOIRE, gênée - Non, qu’est-ce que tu racontes !

PAULETTE -                                                                Tu crois qu’je t’ai pas vu !

Depuis la première fois que tu l’as aperçu.

Quand tu es près de lui, tes yeux brillent, tes mains tremblent.

VICTOIRE - Ce n’est pas c’que tu crois ! Si on travaille ensemble,

depuis cinq ans déjà, il est vraiment normal…

PAULETTE lui coupant la parole - Que tu l’aimes comm’ une folle, c’est clair comme du cristal !

VICTOIRE - Écout’, tu es gênante ! (Un temps. Passant à autre chose) Ça y est, j’ai préparé

tous les explosifs que tu m’avais demandés.

PAULETTE - J’ai ici un panier, au fond j’ai mis d’la paille.

(Elle attrape le panier qui était à ses pieds. On voit deux poireaux dépasser.)

Cachons-les comme si c’était des victuailles.

VICTOIRE - Les bâtons d’dynamite, dans du papier journal,

comme de la charcut’rie !

PAULETTE -                                           Ton idée n’est pas mal !

VICTOIRE - Et pour les trois bouteilles de cocktails Molotov ?

Paulette - Je vais les enrouler dans ce vieux bout d’étoffe ! (Elle sort un morceau de tissu.)

VICTOIRE - J’ai camouflé le tout dans des bouteilles de cidre !

Les mèches sont à part.

PAULETTE -                                        C’est loin d’être stupide !

VICTOIRE - J’ai fait comme convenu, douz' bâtons d’dynamite !

PAULETTE  - Super, et grâce à toi, avec mes acolytes

du réseau résistant, juste au lever du jour

On f’ra péter le poste de la Kommandantur.

VICTOIRE - Tu feras attention !

PAULETTE  -                                     T’en fais pas, n’ai pas peur !

VICTOIRE - Et s’ils t’arrêtent, tu dis…

PAULETTE  plaisantant. -

qui a tout préparé ! Championne du sabotage,

elle est dans le labo, juste au bord de la plage !

VICTOIRE souriant - Tu es bête !

PAULETTE  -                       C’est pratique d’avoir pour connaissance

une chimiste en temps d’ guerre, qui aide la résistance.

VICTOIRE - Viens avec moi, Paulette, tout est dans mon labo.

PAULETTE - Et tes nouvelles mixtures seront finies bientôt ?

VICTOIRE – J’ai terminé hier deux nouvelles potions.

J’ai besoin de cobayes pour voir leurs réactions !

 

Elles sortent vers le second labo.

 

Acte 1, Scène 2 : Helmut, Ursula.

 

Ursula entre. C’est une jolie jeune femme Allemande, habillée d’une petite robe (nous sommes en juin), suivie d’Helmut, soldat Allemand en uniforme. Ils ont l’accent Allemand. Il lui court après et ils rigolent tous les deux. Il la chatouille, ils finissent contre le plan de travail où se trouve l’invention d’Alexandre.

 

URSULA - Tu me chatouilles, Helmut !

HELMUT -                                            Et alors, tu n’aimes pas ?

 

Il sort une flasque d’alcool de sa tenue militaire et en boit une rasade.

 

 

URSULA, l’œil coquin – Oh ! Tu n’es pas sérieux ! On n’va pas faire ça là ?

HELMUT - Pourquoi pas, Ursula ?

URSULA - Et si quelqu’un entrait ! (Elle s’éloigne de lui.)

HELMUT - Qui donc ? Le colonel ? Ou le petit Français ?

URSULA - Ou bien n’importe qui ! Dans ce laboratoire,

rien n’est fermé à clé !

HELMUT impatient -              Viens plutôt me faire voir !

Ces jolis sous-vêtements que tu as mis pour moi !

URSULA - Toi, tu n’es qu’un fripon ! Tu ne penses qu’à ça !

HELMUT - Tu m’excites, que veux-tu ! Viens ici, Ursula !

Je t’aime autant, je crois, qu’ma bouteille de vodka  !

 

Il se ressert une rasade avec sa flasque. Ursula se retourne vers la machine.

 

URSULA - C’est donc ça, cette machine dont m’a parlée mon père !

HELMUT - Oui, oui ! Mais viens par là, j’aimerais me distraire !

URSULA - Tu sais comment ça marche. À quoi ça peut servir ?

HELMUT - Non, je n’y comprends rien, mais ils ont l’air de dire

que ça peut tout changer !

URSULA -                                       Comment ça, tout changer ?

HELMUT - Pour la fin de la guerre. Allez ! Viens m’embrasser !

URSULA - Si mon père nous voyait : sa fille et son chauffeur !

HELMUT - Ça barderait pour moi, il me tuerait sur l’heure !

URSULA - Ne parle pas de ça, je tiens à toi, Helmut !

HELMUT - Sur cette belle parole, je bois encore une goutte !

(Il reprend une rasade de vodka.)

Pourtant Dieu sait combien j’aime mon colonel !

(Provocateur) S’il nous surprend un jour, je le provoque en duel !

URSULA amoureusement. -  Tu ferais ça pour moi !

HELMUT -                                     Viens donc sur mes genoux !

 

Elle s’assoit sur ses genoux.

 

Acte 1, Scène 3 : Helmut, Ursula, Richter, Alexandre.

 

Entre le colonel Richter, en trombe (en tenue d’officier allemand, il a l’accent allemand.) Ursula et Helmut se lèvent d’un bon. Ursula rajuste sa tenue, Helmut se met au garde-à-vous. Alexandre, en blouse blanche, suit le colonel et referme la porte derrière lui.

 

RICHTER - Ah ! Helmut, tu es là ! Je te cherche partout !

HELMUT - Bonjour, mon colonel ! (Il fait le salut militaire.)

RICHTER -                                      Je ne suis pas content !

Ça fait plus d’une heure trente que dans tout Saint-Laurent

je te cherche, fripouille. Où étais-tu passé ?

Je me suis dit : quand même, il n’a pas déserté !

HELMUT - Je vous cherchais aussi, mein colonel Richter !

J’ai sillonné les rues de Saint-Laurent sur mer !

RICHTER - Tu as vu ta tenue ! Tu te moques de moi ! (Helmut rajuste sa tenue.)

Et que fais-tu ici, toi aussi, Ursula ?

URSULA - Ne grondez pas Helmut, c’est de ma faute, papa !

Je lui ai demandé de me montrer tout ça ! (Elle fait un geste vers la machine d’Alexandre.)

ALEXANDRE - Bonjour mademoiselle !

URSULA -                                                 Bonjour à vous, monsieur !

Ces machines m’émerveillent et j’en ai plein les yeux !

Je suis fort intriguée ! À quoi cela sert-il ?

ALEXANDRE - C’est là mon invention, elle sera fort utile !

RICHTER - Mais ma petite fille, tu n’y comprendras rien !

Ceci est scientifique !

ALEXANDRE -                            Et complexe, je le crains !

URSULA - Je ne suis pas trop bête, j’aim’ la science, vous savez !

HELMUT - Je crois bien qu’Ursula…

RICHTER, énervé, lui coupant la parole -                   On ne t’a pas sonné

pour te demander le moindr’ avis, soldat Schmitt !

Et reste dans ton coin parce que là tu m’irrites !

 

Helmut va se placer à côté de la table où sont placées plusieurs bouteilles de vin.

 

ALEXANDRE - J’ai fini les réglages cette nuit, colonel !

La machine est cette fois tout à fait fonctionnelle !

URSULA - Oh très bien ! Dites, papa, laissez-moi regarder !

RICHTER - Ce n’est pas fait pour toi, il te faut retourner

dans nos appartements.

ALEXANDRE -                               Mais elle ne dérange pas !

HELMUT, à part - Tiens, voilà de l’alcool !

URSULA -                                                   Allez, dites oui, papa !

RICHTER autoritaire. - Quand je dis non, c’est non ! Sors d’ici maintenant !

HELMUT au public - Un petit verre de vin, ce n’est pas bien méchant  ! (Il se sert un verre de vin.)

URSULA - Au revoir, professeur, je reviendrai vous voir !

ALEXANDRE - Entendu Ursula ! (Ursula sort.)

 

Acte 1, Scène 4 : Helmut, Richter, Alexandre.

 

RICHTER -                                  Pouvons-nous nous asseoir ? (Il s’assoit sur le fauteuil à roulettes.)

ALEXANDRE - Tout à fait, colonel. Mon système est au point,

et, vous m’avez promis que vous prendriez soin

qu’il ne servirait pas à des fins militaires !

RICHTER - Mais j’adore la science ! On a beau être en guerre,

monsieur Delamouillette, je suis un honnête homme.

Vous êtes un grand chercheur, qui fait son maximum

pour faire évoluer la connaissance humaine !

ALEXANDRE - Arrêtez, voulez-vous, car tout ceci me gêne !

RICHTER - Alors, cette machine est vraiment terminée ?

ALEXANDRE – Mon tout dernier essai à très bien fonctionné !

RICHTER - Parce que ça fait deux ans que nous vous finançons,

il ne faudrait pas trop…

HELMUT -                                       Nous prendre pour des cons  !

 

Le colonel, se retourne vers Helmut et le fusille du regard.

 

ALEXANDRE - C’est vrai, grâce à l’argent de votre état-major,

j’ai pu enfin finir mon « Anticipator ».

RICHTER - Rappelez-vous, monsieur, quand je suis arrivé,

les hauts gradés Allemands voulaient tous vous virer…

ALEXANDRE - Vous avez insisté pour que je reste ici !

Vous avez cru en moi et je vous dis : merci !

RICHTER - Tous les autres chercheurs sont partis en Allemagne

sauf vous et Victoire. (Amoureusement, il se lève.) J’aime beaucoup cette femme.

Si je la garde ici, ce n’est pas qu’elle est douée.

Ces malheureuses potions qu’elle nous a fabriquées

ont très peu d’intérêt et tout cela m’amuse.

Mais, je crois qu’elle m’inspire, elle deviendra ma muse :

(Il sent l’inspiration arriver et commence un poème. Il se rapproche de l’avant-scène.)

Elle a toute la beauté d’un Panzer au solei l,

Elle a toutes les rondeurs d’une jolie...

HELMUT qui tient encore la bouteille de vin à la main. - Bouteille  ?

RICHTER se tourne vers Helmut - Tais-toi donc, imbécile ! Je compose un poème,

pour une jolie Française, dont le nom de baptême

est Victoire, c’est un signe. (Il reprend avec emphase.) Je veux crier : Victoire !

Ell’ même peut-être, un jour, me prendra…

HELMUT en riant -                                               Pour une poire  !

RICHTER changeant brusquement de ton. - Tu vas prendre mon poing, crétin buse à la noix !

HELMUT - C’était pour faire la rime !

RICHTER, le menaçant de sa main -       Et celle-là, tu la vois  !

                        (Il reprend son poème.)

Je lui ferais la cour pour pouvoir l’amadouer,

alors, peut-être, un jour, je pourrais... (Il cherche la rime.)

HELMUT faisant un geste obscène -                     La sauter  !

RICHTER – Mais vas-tu arrêter tes grosses blagues à deux balles !

 

Il sort son revolver de son étui et le pointe vers Helmut.

 

Et puis sors d’ici, ou tu vas prendre douz’ balles  !

HELMUT craintif, il recule vers la porte. - Bien sûr, mon colonel, j’attends, là, dans la cour !

 

Toujours l’arme dirigée vers Helmut.

 

RICHTER acide. - Pourquoi ne nous fais-tu plus aucun trait d’humour  !

 

Helmut sort à reculons et referme la porte d’entrée.

 

Acte 1. Scène 5 : Alexandre, Richter.

 

ALEXANDRE - Votre chauffeur Helmut est plutôt rigolo !

RICHTER rengaine son arme. - Moi je dirais plutôt : c’est un sacré poivrot  !

ALEXANDRE - Il a effectivement attaqué mon vin blanc !

RICHTER - Et attaqué mon calme et mes nerfs  en même temps !

ALEXANDRE - Alors mon colonel, prêt pour le grand essai ?

RICHTER - J’attends depuis longtemps !

ALEXANDRE -                                         Vous serez satisfait !

 

Alexandre, s’assoit sur son fauteuil, dos au public, il enfile un bonnet de cuir relié à des fils électriques, règle quelques boutons, branches des fiches électriques au panneau qui est au mur.

 

Il faut déjà poser ce bonnet sur ma tête,

fermer la jugulaire pour une liaison parfaite !

RICHTER - Mais qu’est-ce que tout cela ?

ALEXANDRE -                                                      De la technologie !

RICHTER - Vous vous moquez de moi ? J’ai payé tout ceci ?

ALEXANDRE toujours de dos - Oui ! Mais vous allez voir, dans un petit instant

que je saurais l’av’nir bien mieux que le présent !

RICHTER - J’ai bien du mal à croire qu’avec votre bidule…

ALEXANDRE - Vous avez peur de quoi : que je sois ridicule ? (Il se retourne d’un coup et sourit bêtement.  Coiffé du bonnet, il a effectivement l’air ridicule.)

RICHTER - Pour cela, professeur, il est déjà trop tard  !

ALEXANDRE - Mais l’anticipator, sans être trop vantard

est la machine qui va tout révolutionner.

RICHTER, sceptique - Essayez tout d’abord de ne pas vous blesser !

ALEXANDRE - Je branche maintenant mon bonnet magnétique

aux bornes plus et moins de ces piles électriques.

RICHTER - Oh là là ! Professeur, je crois, vous allez faire

sauter toute la ville de Saint-Laurent sur mer.

ALEXANDRE - Pas du tout ! Et voilà, je règle l’appareil

sur deux minutes, pas plus. Ouvrez grand vos oreilles !

 

(Il règle un curseur qui se trouve sur le tableau)

 

 

Maintenant, prenez donc au fond de ce tiroir,

dans ce jeu de questions, trois cartes au hasard.

RICHTER - Mais croyez-vous vraiment, monsieur Delamouillette,

que j’ai envie de jouer au jeu de la crapette  !

ALEXANDRE - Non, c’est un jeu plus fin, de culture générale

où je vais deviner les réponses sans mal.

RICHTER - Je vous faisais confiance, tout ça pour investir

dans trois fils électriques et un bonnet de cuir !

Ah ! Si mes supérieurs l’apprennent, ils vont me faire

curer les cabinets jusqu’à la fin d’la guerre !

 

Alexandre ne l’écoute même pas.

 

ALEXANDRE - Des trois prochaines questions que vous me poserez,

voici les trois réponses que je vous répondrai.

 

Il ferme les yeux, se concentre puis poursuit.

 

Pour la première d’entr’elles, je réponds aussi sec,

c’est : le vingt et un mai mille neuf cent vingt-sept.

La seconde est facile et même un idiot

l'aurai sûrement trouvé, car c’est «Victor Hugo ».

La troisième question est bien plus difficile,

mais la bonne réponse sera « un crocodile ».

RICHTER - Ce bonnet électrique vous fait perdre le nord !

ALEXANDRE - Posez vos trois questions, vous verrez si j’ai tort !

 

Le colonel saisit le jeu de cartes dans le tiroir et sort une carte au hasard.

 

RICHTER - J’en prends une au milieu. La première question est :

À quelle dat' Lindberg atterrit-il au Bourget ? (Il retourne la carte.)

Vingt et un mai mille neuf cent vingt-sept. (Il est étonné.) C’est bien ça !

ALEXANDRE – Ne vous l’avais-je pas dit !

RICHTER -                                                           C’est de la chance, voilà !

J’en prends une deuxième. (Alexandre sourit.) Vous jubilez déjà !

Et bien, tiens, je la change. (Il prend une autre carte et se moque.) On n’a pas prévu ça ?

ALEXANDRE - Je le savais aussi.

RICHTER -                                      Et bien, je change encore ! (Il reprend une nouvelle carte.)

ALEXANDRE -        Mais j’ai toute confiance en l’Anticipator !

Changez dix fois de carte, et faites votre annonce,

ce s’ra Victor Hugo, la seule et bonne réponse !

RICHTER - Je change encore une fois ! (Il change encore de carte.) Vous faites moins le malin !

ALEXANDRE - Mais ma réponse pourtant ne changera en rien !

RICHTER - La question est : qui a écrit les misérables !

 

Il ne retourne même pas la carte, car la réponse est évidente.

 

C’est Hugo forcément, mais c’est à peine croyable !

Ça m’énerve, vous trichez, et vous allez me dire

comment vous faites cela, ou ça va mal finir.

ALEXANDRE - Et la troisième question, voulez-vous bien la lire ?

 

 

RICHTER prend une autre carte, content, car il est certain que la réponse n’est pas celle donnée par Alexandre.-

Ah ! Ça n’a pas marché et vous allez moins rire.

Car la réponse trois était « un crocodile ».

Et la question est loin de ce vilain reptile.

Comment s’appelle la scie qui coupe la pierre tendre ?

 

Il jubile et nargue Alexandre.

 

Cela ne marche pas, mon petit Alexandre !

ALEXANDRE, avec assurance. - Je l’avais pourtant dit qu’elle n’était pas facile.

RICHTER fronce les sourcils, retourne la carte et lit. -

Scie égoïne qu’on nomm’ aussi « un crocodile ».

J’ai compris votr’ astuce : on a appris par cœur

les réponses des cartes de ce jeu de malheur.

C’est pas mal joué, j’avoue, ça produit son effet,

et j’ai failli penser que c’était le bonnet.

ALEXANDRE - Mais dites-moi, colonel, comment pouvais-je savoir,

lesquelles de ces cartes seraient prises au hasard ?

RICHTER dubitatif. - Oui, oui, oui. C’est certain et vraiment, j’en conviens,

mais il y a un truc, ou vous êtes magicien.

ALEXANDRE - Il n’y a pas de magie, cela est scientifique !

Reprenons l’expérience, puisque vous êtes sceptique,

mais c’est vous, cett’ fois-ci, qui mettrez mon bonnet.

RICHTER -  Votre but maintenant : c’est m’électrocuter  ?

ALEXANDRE - N’ayez crainte, colonel, ne faites pas cette figure !

Ma

 

machine est loin d’être un engin de torture !

Pour l’instant, l’appareil peut nous anticiper,

les cinq prochaines minutes, et sur une portée

d’environ trente mètres. Vous êtes prêt ? Essayons !

Vous verrez défiler des images et des sons.

RICHTER - Tout comme au cinéma ?

ALEXANDRE -                                   Mais pas devant vos yeux.

Juste dans votre tête.

RICHTER -                                              Vous n’êtes pas sérieux ?

ALEXANDRE - Cela permet ainsi de voir tous azimuts,

Ce qui va se passer dans les prochaines minutes.

RICHTER - J’espère qu’il n’y a là, pas de supercherie !

Ceux qui se moquent de moi ont tous très mal fini !

ALEXANDRE - Je mets sur trois minutes. Restez bien concentré,

et, comme un grand médium, vous allez énoncer

ce que fera Helmut quand on l’appellera.

J’appuie sur ce bouton, vous êtes prêt, on y va !

 

Le colonel se concentre en fermant les yeux quelques secondes.

                                                                                 

RICHTER - Il va d’abord rire lorsqu’il me verra là !

Puis il demandera : Pourquoi je suis comme ça !

Et comm’ vous lui direz que c’est une expérience,

il va se demander s’il doit faire silence !

Puis il va trébucher sur ce morceau de câble.

Ensuite, discrètement, il ira vers la table,

et naturellement, se servira à boire.

Il va éternuer, sortira son mouchoir,

prendra un second verre, de ce petit vin blanc.

Il vous regardera, sourira bêtement.

Puis maladroitement, il posera le verre,

qui va se renverser et se casser par terre.

ALEXANDRE - Alors mon colonel, vous voilà convaincu ?

RICHTER - C’est étrange, je dois dire. Mais tout ce que j’ai vu

va vraiment arriver ? Franchement, j’ai des doutes !

ALEXANDRE - Et bien, le mieux, je crois, c’est faire entrer Helmut !

RICHTER - App’lez-le, professeur !

 

Alexandre ouvre la porte, regarde à droite et à gauche.

 

ALEXANDRE -                                 Mais il n’est plus dehors !

RICHTER - Si j’en crois les images de l’anticipator,

il est au coin du mur et s’est assis par terre.

Il boit de la vodka en regardant la mer.

ALEXANDRE appelle – Eh ! Helmut ! Venez voir, on a besoin de vous !

 

Helmut entre.

 

HELMUT - Je suis là, colonel ! Et que puis-je pour vous ?

 

Il aperçoit le colonel avec son bonnet ridicule sur la tête. Il rigole. Le colonel fait la tête.

 

C’est un bonnet de bain. Vous allez à la plage  ?

Le colonel reste muet.

 

Vous ne me dites rien !

 

Helmut regarde Alexandre.

 

Il est dans le cirage   !

ALEXANDRE - Nous sommes en train de faire une petite expérience !

HELMUT - Ah ! Il faut sûrement que je garde le silence !

 

Helmut fait quelques pas et manque de tomber en trébuchan t sur un câble qui était au sol.

Il fait une grimace pour s’excuser d’avoir fait du bruit, puis met son index  devant sa bouche pour montrer qu’il va faire silence. Il s’avance jusqu’à la table, puis, dos au colonel, se sert un verre. Il le siffle d’un trait. Puis il éternue, sort un gros mouchoir et se mouche bruyamment. Il se ressert ensuite un second verre de vin, se retourne vers Alexandre et le colonel, sourit bêtement  et boit son verre. Entretemps, Alexandre s’est approché de lui. Au moment de reposer le verre, Helmut ne regarde pas ce qu’il fait, car il fixe le colonel. Il repose le verre qui va être rattrapé au vol par Alexandre. Il évite ainsi au verre de se briser.

 

RICHTER –C’est excellent ! Votre machine est formidable !

ALEXANDRE - Vous disiez, il y a peu que c’était infaisable !

HELMUT - J’ai compris ce que c’est : un séchoir à cheveux  !

RICHTER - Mais non, soldat Helmut, ceci est beaucoup mieux.

C’est une machine qui peut simplement tout prédire.

ALEXANDRE - Grâce à elle, on connaît maintenant l’avenir !

HELMUT - Vous êtes saouls tous les deux !

RICHTER -                                  Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Tu n’es qu’un pauvre ignare, tu devrais avoir honte !

HELMUT - Quand on tient pas l’alcool, il faut pas picoler  !

RICHTER - Tu deviens insolent, tu vas le regretter ! (Il retire le bonnet.)

Pas besoin de bonnet pour voir ton avenir :

Un coup de pied au cul te fera déguerpi r !

 

Il attrape Helmut par l’épaule et lui flanque un grand coup de pied au derrière, le faisant s’approcher de la porte d’entrée. Helmut en profite pour filer.

 

RICHTER criant par la porte encore ouverte - Va m’attendre dans l’auto, et arrête la vodka !

ALEXANDRE - Un chauffeur alcoolique, ça ne vous effraye pas ?

RICHTER - C’est le fils de Ludwig, un copain officier.

Je lui ai dit : Ludwig, je vais m’en occuper.

Mais il boit comme un trou, et j’aime autant vous dire,

quand on est en voiture, je préfère conduire.

ALEXANDRE – C’est vous qui conduisez votre propre chauffeur  !

RICHTER - Je préfère largement plutôt qu’une grosse frayeur !

ALEXANDRE - Alors pour ma machine, êtes-vous satisfait ?

RICHTER - C’est plutôt étonnant pour un premier essai !

ALEXANDRE – Et bien,

portons un toast à cette grande avancée !

 

Il remplit deux verres de vin blanc, en donne un au colonel, et ils boivent une partie de leur verre.

 

RICHTER - Oui, mais le verre d’Helmut aurait dû se casser !

Cela veut dire qu’on peut modifier l’avenir !

ALEXANDRE - Oui, vous avez raison, je dois en convenir !

RICHTER - Mais je suis bien déçu : trente mètres c’est peu !

ALEXANDRE – Oh ! Colonel Richter, c’est déjà merveilleux !

RICHTER – Et quel est l’intérêt de savoir l’avenir,

des cinq prochaines minutes ? Oui, cela va s’en dire

qu’il vous faut obtenir de meilleures performances :

Prévoir plusieurs journées, sur de plus grand’s distances.

ALEXANDRE - Je suis de votre avis, trente mètr’s c’est trop court.

Je vais l’améliorer, revenez dans huit jours.

RICHTER - C’est un peu long, mon vieux, demain, je reviendrais.

ALEXANDRE - Vous voulez dire demain, pour un deuxième essai ?

RICHTER - À huit heures du matin !

ALEXANDRE -                            Mais je n’ai qu’une journée !

RICHTER - Et aussi toute la nuit ! On va vous acclamer !

Vous deviendrez demain le plus grand des chercheurs

que la France ait porté ! À vous tous les honneurs !

ALEXANDRE - J’ai déjà commencé à mon initiative.

Avec des batteries une version portative.

 

Il montre sa machine portative qui se trouve sous le plan de travail.

 

RICHTER - Quelle excellente idée que celle-ci, professeur !

Nous avons tous les deux un av’nir prometteur !

 

Ils trinquent de nouveau et vident le restant de leurs verres.

 

 

 

Acte 1. Scène 6 : Alexandre, Richter, Paulette, Victoire.

 

Paulette et Victoire ressortent du deuxième labo. Paulette avec son panier rempli de cocktails Molotov et de bâtons de dynamite. Elles sortent en refermant très doucement la porte, elles sont dos aux deux hommes qu’elles n’ont manifestement pas encore vus.

 

VICTOIRE - Tu fais bien attention aux bouteilles, c’est fragile !

PAULETTE - Je les ai bien calées, tu peux être tranquille !

RICHTER - Qui vois-je donc ici ? Bonjour mesdemoiselles !

 

Les deux femmes sursautent.

 

PAULETTE - Ah !

VICTOIRE -          Vous m’avez fait peur ! Bonjour mon colonel !

 

Paulette regarde le colonel sans rien dire. Ils se regardent en chiens de faïence.

 

RICHTER - Vous ne me saluez pas, mademoiselle Paulette !

PAULETTE agressive. - Vous avez beau crâner avec vos épaulettes,

ne comptez pas sur moi pour le salut Nazi !

RICHTER, à Alexandre. - Votre sœur a du cran, et de la répartie !

ALEXANDRE, à sa sœur. - Fais un effort Paulette ! Je n’aime pas, tu le sais,

que tu manques de respect…

PAULETTE lui coupant la parole. -                     Aux ennemis des Français !

ALEXANDRE - Au colonel Richter qui m’a toujours aidé !

RICHTER - Laissez donc Alexandre !

ALEXANDRE, à Richter. Essayant de la justifier - Paulette à sa fierté !

PAULETTE agressive - C’est pas comme toi, Alex ! Si ton intelligence

était mieux dirigée, elle servirait la France !

 

Le colonel se dirige vers Victoire, qu’il essaie de courtiser.

 

RICHTER - Vous êtes bien élégante, mademoiselle Victoire !

Dans cette petite robe, vous faites plaisir à voir !

Vos jambes sont si jolies, vous êtes si gracieuse…

VICTOIRE timide. - Arrêtez, colonel ! Vous me rendez nerveuse !

RICHTER - La grâce de votre cou, la blancheur de vos bras…

VICTOIRE - Vous me gênez vraiment, et je ne voudrais pas

laisser penser des choses sur moi, mon colonel !

RICHTER - Mais rien que de me dire comm’ ça « mon » colonel,

ça me remplit de joie, je tremble des genoux ,

d’être votre petit colonel rien qu’à vous !

VICTOIRE – Oh ! Colonel Richter, seriez-vous un fripon ?

PAULETTE - Je vous préviens tout d’suite : elle aime pas les cochons  !

RICHTER, à Paulette. - Nous ne sommes pas tous, comment dites-vous déjà :

de vrais pourceaux malsains ou de fieffés goujats !

PAULETTE - J’n’irai pas jusque là, colonel Richter,

mais un jour, les ricains, vous f’ront mordr’ la poussière.

RICHTER, soupçonneux, se rapprochant de Paulette. - Qu’avez-vous là-dedans, mademoiselle Paulette ?

PAULETTE lui tenant tête - Des saucisses et du cidre. C’est interdit peut-être ?

RICHTER - Et oui, c’est interdit, ça s’appelle : marché noir !

VICTOIRE venant à son secours. Implorante. - Je viens de lui donner, pour son repas du soir !

RICHTER - Vous êtes de connivence, cela est très fâcheux !

(Tendrement, à Victoire.) Mais si c’est vous, Victoire, je vais fermer les yeux !

ALEXANDRE mettant les pieds dans le plat. - C’est pour ça que j’vous vois, trafiquer toutes les deux.

Il attrape dans le panier les bâtons de dynamite emballés dans du papier journal. Il les brandit sous le nez de Paulette.

 

De la charcuterie, c’est pas un peu dang’reux  ?

PAULETTE - Rends-moi ça, s’il te plait ! Au moins, c’est nutritif ! (Elle s’empresse de lui reprendre le paquet et le repose au fond du panier.)

RICHTER, à Alexandre - Eh ! Votre sœur a un caractère explosif  !

PAULETTE, face public. - Ce n’est pas de ma faute si les chleuhs nous affament !

RICHTER, à Alexandre - Laissez tomber monsieur, ce ne sont que des femmes !

PAULETTE au colonel - Et parce qu’on est des femmes, il faut que l’on subisse !

VICTOIRE essayant d’attendrir le colonel. - Vous nous arrêteriez pour deux ou trois saucisses  ?

RICHTER, avec un sourire amoureux. - Rassurez-vous Victoire, je ne suis pas comme ça !

VICTOIRE - Je m’en doute, colonel, c’est gentil en tout cas.

RICHTER - Et sinon, votre cidre, pourrais-je le goûter ?

C’est vous autres, les Normands qui l’avez inventé !

Il attrape le goulot d’une bouteille de cocktail Molotov.

VICTOIRE - Je vous le déconseille. Il est un peu aride !

 

Elle s’empresse de remettre la bouteille délicatement au fond du panier.

 

Vous auriez toute la nuit, des remontées acides !

RICHTER, à Victoire, amoureux. - Quand vous dites « toute la nuit », je frissonne en dedans .

Nous sommes très sensibles, nous autres les Allemands !

Accepteriez-vous un déjeuner à l’auberge ?

VICTOIRE - Oui, mais, pas aujourd’hui !

RICHTER -                                                Ils servent des asperges

avec du calvados ! Et du sauté de veau !

Et leur spécialité, c’est la tarte aux noyaux  !

 

Victoire le regarde, étonnée.

 

Les prunes sont si petites et pas dénoyautées,

que vous en crachez trent’ en une seule bouchée  !

PAULETTE - Te laisse pas faire, Victoire ! Tu sais bien ce qu’il veut !

RICHTER, à Paulette. - J’offre un bon déjeuner, rien de bien dangereux !

PAULETTE, agressive. - Vous êtes bien tous les mêmes, vous autres les Allemands,

vous pensez qu’à la bouffe, et au divertissement.

RICHTER, à Paulette. - Ne vous fâchez donc pas dès que l’on vous aborde !

PAULETTE - Je n’aime pas les frisés !

RICHTER -                                            Je ne vais pas vous mordre !

PAULETTE - Ça fait déjà deux ans qu’vous vous croyez chez vous,

vous voudriez en plus que je me mett’ à g’noux !

RICHTER - J’aime bien les Normandes, des femmes de caractère !

 

Il veut poser ses mains sur les hanches de Paulette.

 

PAULETTE - Ah, oui ! Mais bas les pattes, j’suis pas un camembert !

 

                         Elle lui fait une petite tape sur les mains pour qu’il s’éloigne.

 

RICHTER -  Vous êtes bien farouche, rien ne vous fera taire !

PAULETTE - Moi j’aime pas les Allemands, surtout les militaires !

RICHTER – Et vous avez du cran, mademoiselle Paulette !

PAULETTE -  Je suis franche, voilà tout.

RICHTER -                                              Patriote et honnête !

Il faut avouer que ce sentiment vous honore !

Cette franchise, un jour, vous causera du tort.

ALEXANDRE – Excusez-la encore, colonel Richter,

mais pour en revenir aux choses plus terre à terre,

je vous promets, demain, mon anticipator

aura une portée beaucoup plus grande encore.

RICHTER - Demain matin à l’aube, j’y compte bien, professeur.

Pour un nouvel essai, rendez-vous à huit heures !

ALEXANDRE - Au revoir colonel !

RICHTER - (Au garde-à-vous, il claque des talons.)       Monsieur Delamouillette !

Mes hommages Victoire, Auf Wiedersehen, Paulette !

VICTOIRE - Bonne journée, colonel !

 

Le colonel sort.

 

Acte 1. Scène 7 : Alexandre, Paulette, Victoire.

 

ALEXANDRE -                              Paulette, fais attention !

Avec ton attitude, tu risques gros !

PAULETTE -                                                            Mais non !

Le colon n’est qu’une grosse baderne !

ALEXANDRE -                                                                   Ne dis pas ça !

VICTOIRE essayant de stopper la dispute. - Arrêtez, s’il vous plaît !

PAULETTE à Alexandre. -                                Non, mais je n’le crois pas,

non content de l’aider, en plus, tu le défends !

Richter se sert de toi, et ce n’est qu’un serpent.

ALEXANDRE - Mais l’argent des Allemands, depuis deux ans tu sais,

m’a permis de pouvoir terminer mon projet !

Depuis hier au soir, l’essai a abouti,

et à l’instant vois-tu, je m’en suis resservi.

VICTOIRE - Je suis content pour vous, professeur Alexandre.

Alors, comment ça marche ? On aimerait comprendre.

ALEXANDRE - On place ce bonnet fixement sur la tête !

 

Il replace son bonnet.

 

PAULETTE moqueuse - Elle n’os’ra pas te l’dire, mais t’as vraiment l’air bête  !

ALEXANDRE - Là, on règle le temps et ici la distance,

pour l’instant, l’appareil n’a que peu de puissance.

Et en quelques instants, vous voyiez défiler

dans votre subconscient, ce qui va se passer.

VICTOIRE - Je ne sais pas quoi dire : c’est révolutionnaire !

PAULETTE - Toi, tu serais conquise, quoi que fasse mon frère !

VICTOIRE - Moi aussi, cette nuit, j’ai enfin terminé,

mes dernières potions, je vais vous les chercher !

 

Victoire sort vers son labo.

 

ALEXANDRE - Je me mets au travail, il faut que j’améliore

la puissance magnétique de l’anticipator.

Richter revient demain, pour un deuxième essai.

PAULETTE sceptique. - Eh ! Mais ça march’ vraiment ton truc, c’est pour de vrai ?

ALEXANDRE - Mais bien sûr que ça marche !

PAULETTE -                                                       Et tu vas leur filer ?

ALEXANDRE - De quoi ?

PAULETTE -                      Ton invention !

ALEXANDRE -                                           À qui ?

PAULETTE -                                                            Ben, aux frisés !

ALEXANDRE - Écoute, le colonel attend depuis deux ans

que ma machine fonctionne. Et là, c’est concluant.

PAULETTE - Mais Alex ! Ouh ouh ! T’es complèt’ment inconscient !

Ton invention, si tu leur files, c’est évident,

les boches vont s’en servir, pour contrer les ricains !

ALEXANDRE - Mais non, le colonel m’a promis ce matin

qu’il ne servira pas à des fins militaires !

PAULETTE - Et bien sûr, tu l’as cru ! Alex, on est en guerre !

 

Victoire entre et se dirige vers la table. Elle prend deux bouteilles sur l’étagère. Une de vin blanc, une de rosé. Elle sort deux fioles de la poche de sa blouse. Elle verse le contenu d’une fiole dans la bouteille de vin blanc. Puis une autre fiole dans la bouteille de vin rosé. Alex et Paulette en pleine discussion n’ont rien vu.

 

ALEXANDRE - Et c’est pour ça que toi, tu fais du marché noir.

PAULETTE - Moi, je ne trahis pas, et puis je garde espoir !

ALEXANDRE - Espoir de t’ faire piquer, pour de la charcut’rie !

PAULETTE - Au moins, je fais des choses pour aider mon pays !

 

Pendant la discussion précédente, Victoire a rempli 3 verres, un de vin rosé, deux de vin blanc.

 

VICTOIRE - Arrêtez tous les deux ! Fêtons la réussite,

du plus grand professeur, qui a bien du mérite !

 

Victoire tend un verre de vin blanc à Paulette, et un de rosé à Alexandre.

 

PAULETTE - Je préfère le rosé ! (Victoire lui donne l’autre verre.)

ALEXANDRE -                                 Moi, je prendrai du blanc !

VICTOIRE prend le troisième verre - Celui-ci est pour moi !

PAULETTE en riant -                       Et pas pour les all’mands ?

 

Paulette vide son verre de rosé, d’un trait, puis se tétanise quelques secondes les yeux fermés.

 

ALEXANDRE - Qu’est-ce qu’il a mon rosé ? T’en fais une ces têtes !

Je l’ai payé deux francs, ce n’est pas d’la piquette  !

 

Paulette retrouve ses esprits.

 

PAULETTE - Oh ! Mais qu’est-ce que j’fais là ? Pourquoi mon verre est vide ?

ALEXANDRE - Tu viens de l’avaler. T’es devenue stupide !

 

Alexandre vide également son verre de vin blanc.

Victoire sort un petit calepin sur lequel elle prend des notes.

 

VICTOIRE à elle-même, en écrivant. - Potion numéro un, effets instantanés !

PAULETTE - Je ne me rappelle plus, que suis-je venue chercher ?

 

À partir de là, Alexandre parle comme un enfant de 7 ans jusqu’à la fin de la scène.

 

ALEXANDRE - T’es v’nue prendre des saucisses ! (Au public.) Mais qu’est-ce qu’elle peut êtr’ bête !

(À Paulette.) Et j’dirai à papa que tu bois en cachette  !

PAULETTE - Mais qu’est-ce qui t’prend Alex ? Tu parles comme un gamin !

VICTOIRE à elle-même, en écrivant. - Potion numéro deux, l’objectif est atteint  !

ALEXANDRE - J’dirai rien à papa, mais c’est trois boul’s de gomme !

 

Il tend la main en attendant qu’elle lui donne des boules de gomme.

 

PAULETTE - Et tu te crois malin, t’es en plein délirium.

VICTOIRE - Paulette te souviens-tu, avec qui, tout à l’heure,

tu viens de te fâcher sans jamais avoir peur ?

PAULETTE - Je n’me suis pas fâchée, vous dev’nez ennuyeux !

Et depuis ce matin, je n’ai vu que vous deux !

ALEXANDRE - Oh ! La gross’ menteuse… eu  ! Elle est complètement saoule !

C’était l’colon Richter ! (Au public.) Ma sœur elle perd la boule !
PAULETTE - Mais qu’est-ce que tu racontes, moi, je viens d’arriver !

ALEXANDRE - C’est mêm’ pas vrai, Paulette ! Tu étais à côté ! (Il montre du doigt le deuxième labo.)

PAULETTE - Je ne comprends plus rien. Que se passe-t-il, Victoire ?

VICTOIRE en souriant. - On dirait que tu as des problèmes de mémoire !

Un petit verre de blanc, et puis ça ira mieux !

 

Tout en souriant, elle lui remplit son verre cette fois-ci avec du vin blanc.

 

PAULETTE - Ça n’peut pas faire de mal, mais trinquons toutes les deux !

 

Victoire prend le troisième verre resté plein de vin blanc sur la table. Elles entrechoquent leur verre et Paulette le boit d’un trait. Victoire la regarde avec un petit sourire, mais ne boit pas.

 

ALEXANDRE dégouté. - Bahhh ! Tu rebois du vin ! Tu veux jouer les grandes !

Tu finiras soûlarde, comme la mère à Fernande  !

 

Paulette, jusqu’à la fin de la scène, va parler comme une enfant de 7ans.

 

PAULETTE - J’te f’rai dire Alex, que c’est moi la grande sœur !

Alors t’arrêtes un peu, tu me fais mêm’ pas peur !
ALEXANDRE - Oui, mais toi, t’es qu’une fille (comme une ritournelle.), les filles c’est des mauviette s !

PAULETTE - Avec ton invention, t’as vraiment l’air trop bête !

ALEXANDRE - Victoire, elle, au moins, elle ne se moque pas de moi !

VICTOIRE - Ça, c’est vrai, Alexandre !

PAULETTE à Victoire. -                          Ah non ! Tu n’as pas l’droit,

de te mettre avec lui, j’vais l’dire à ma maman  !

VICTOIRE en souriant. - J’ai surtout l’impression d’être au jardin d’enfants !

Et, distraitement, elle boit le verre qu’elle tenait encore en main. Se rendant compte de son erreur, elle ouvre de grands yeux en regardant le public.

Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait  ?

PAULETTE -                                                       Tu bois aussi du vin ?

ALEXANDRE - Les filles on va dehors ! Si on jouait aux Indiens ?

 

Victoire, jusqu’à la fin de la scène, va parler comme une enfant de 7ans.

 

VICTOIRE - Non ! Venez sur la plage, on va faire des pâtés  !

PAULETTE - Oh ! Bah non ! Parc’que l’sable, ça salit les doigts d’pieds  !

ALEXANDRE - Moi j’y vais ! Viens, Victoire !

VICTOIRE -                                                           On y va tous les deux !

ALEXANDRE - Ouais !

PAULETTE -                  Moi je sais pourquoi vous êtes aussi joyeux !

VICTOIRE - Et pourquoi ?

PAULETTE sur un ton de moquerie enfantine. - Vous êtes amoureux… eux  !

ALEXANDRE -                                                            Même pas vrai !

PAULETTE – Si, et depuis longtemps ! J’te connais, mon cadet !

VICTOIRE - Ne dit pas ça, Paulette, ou t’es plus ma copine !

PAULETTE - Y sont amoureux… eux ! (Elle se dirige vers la porte.)

VICTOIRE -                                           Arrête ! Tu m’enquiquines !

PAULETTE - Attrape-moi si tu peux ! (Et elle sort en courant.)

VICTOIRE -                                          Paulette, reviens ici ! (Elle sort également en courant.)

ALEXANDRE - Attendez-moi les filles ! Attendez-moi, j'vous dis !

 

Alexandre sort en courant. Noir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte 2 :

 

Le matin du dimanche 4 juin 1944

On aura pris soin de retirer le panier de la scène.

 

Acte 2, scène 1 : Ursula, Alexandre.

 

Alexandre travaille sur son anticipator portable. Ursula l’observe.

 

URSULA - Alors ça, was is das ?

ALEXANDRE -                     C’est la même machine.

Elle est bien plus petite, j’ai réduit les bobines.

Je cherchai cette nuit un nom reconnaissable,

J’ai trouvé ce matin. Je l’appelle : le portable !

Deux batteries d’auto, que j’ai placées par là,

permett’nt d’être autonome, et d’emporter chez soi

son anticipator. C’est plutôt agréable

de pouvoir déplacer cette version… portable. (Il soulève avec peine la poignée, car le portable fait dans les trente kilos.)

URSULA ironique. – Effectiv’ment, cela m’a l’air vraiment pratique !

Expliquez à quoi sert cette invention mystique !

ALEXANDRE - Que ce soit le portable ou la machine murale,

je crois que j’ai fait là quelque chose de génial !

Elles peuvent prédire l’av’nir, j’ai enfin terminé.

URSULA - C’est mon père, je suppose, qui vous l’a demandé.

ALEXANDRE - Il revient à huit heures vérifier les progrès

que j’ai fait cette nuit !

URSULA -                                              Êtes-vous satisfait ?

ALEXANDRE - Oui. Je peux désormais savoir sur cinq cent mètres,

ce qui va se passer dans tout le périmètre.

URSULA - Mais sur combien de temps ?

ALEXANDRE -                                       Sur quarante-huit heures !

URSULA - Ceci est simplement impossibl’, professeur !

ALEXANDRE - Et moi je dis : impossible n’est pas français !

URSULA flatteuse. - C’est joli, c’est de vous ?

ALEXANDRE modeste. -                    J’aim’rais bien en effet.

C’est d’un p’tit caporal que bien des gens admirent,

qui gravit les échelons pour fonder un empire.

URSULA - Je n’ai pas lu ceci dans mein kampf, professeur.

ALEXANDRE - C’est pas l’bon caporal et vous faites une erreur.

URSULA - Was ?

ALEXANDRE -    Ce n’est pas le moustachu, c’est le cornu !

URSULA - Vous parlez par énigme et moi je suis perdue !

ALEXANDRE - C’est un autr’ caporal, sous un autre drapeau !

URSULA - Ich verstehe nicht !

ALEXANDRE -                        C’est pas Adolf, c’est Napo !

URSULA - Wer is Napo ?

ALEXANDRE -                Mais, Napoléon Bonaparte !

Ça pour vous faire comprendre, ce n’est pas de la tarte  !

URSULA - Ah oui, Napoléon, ce Français prétentieux !

Un être sanguinaire, un vrai fou dangereux.

ALEXANDRE - Si l’on compare les fous, le vôtre n’est pas mal  !

URSULA - Adolf Hitler est un héros monumental.

ALEXANDRE - C’est sûr, si l’on regarde ce qu’a fait le führer,

notre Napoléon passe pour un enfant d’cœur .

URSULA - Il imagine un monde avec d’autres valeurs,

une autre société, des êtres supérieurs.

ALEXANDRE - Des grands blonds baraqués !

URSULA -                                                        Oui, c’est la race aryenne !

ALEXANDRE - Je n’aime pas du tout cett’ vision hitlérienne !

Je vais vous dire pourquoi tous ces principes me gênent.

La valeur d’un humain ne vient pas de ses gènes,

mais plutôt de ses actes et surtout… de son cœur.

URSULA - Seriez-vous romantique, monsieur le professeur ?

ALEXANDRE - Mais votre chancelier, il n’a pas les critères !

Il n’est ni grand ni blond !

URSULA -                                  C’est un homme exemplaire !

ALEXANDRE - Adolf n’est pas aryen, il est petit et brun !

URSULA - Détrompez-vous monsieur, Hitler est bon Aryen  !

ALEXANDRE, moqueur. - C’est pas moi qui l’ai dit  !

URSULA -                                                     Non, c’est moi qui l’affirme.

ALEXANDRE - Mais sachez, Ursula, que je vous le confirme . (Il fait une révérence en disant ces derniers mots.)

 

Victoire entrouvre la porte de son labo, elle n’entre pas, mais écoute la conversation.

 

URSULA - Vous savez, professeur, je tenais à vous dire,

vous faites aussi partie des hommes que j’admire.

ALEXANDRE - Pitié, ne me dites pas que vous me comparez…

(il fait un petit salut Hitlérien avec une main et une moustache avec deux doigts de l’autre main .)

URSULA - Ne faites pas l’idiot. Je crois que vous savez

où je veux en venir.

ALEXANDRE gêné -                                           Arrêtez Ursula !

Vous me troublez un peu quand vous dites cela.

URSULA - Vous êtes séduisant monsieur Delamouillette !

ALEXANDRE - Vous ne…

URSULA -               Pardon !

ALEXANDRE perturbé - Moi je… Vous voyez j’ai l’air bête !

URSULA - Je vous déstabilise ! Est-ce possible, professeur ?

ALEXANDRE - Je ne sais plus quoi dire !

URSULA -                                Vous faites battre mon cœur !

ALEXANDRE -     Quand je suis près de vous, et bien, je balbutie.

Vous voyez, je n’suis plus bon à rien … moi aussi !

URSULA - Personne n’est parfait !

ALEXANDRE -               Si ! Vous, vous êtes parfaite !

URSULA -   Si nous allions dehors finir ce tête-à-tête !

La plage est déserte et il fait un temps splendide !

ALEXANDRE - Ce n’est pas très correct !

URSULA -                                         Ne faites pas le timide !

ALEXANDRE - Si l’colonel arrive et que je n’suis pas là !

 

URSULA -    Nous ne serons pas longs, et puis il attendra !

Allons-nous promener, les pieds nus dans les vagues !

ALEXANDRE -     Si votre père nous voit, j’vais finir au stalag !

URSULA - Allez, suivez-moi donc, mon très cher Alexandre !

ALEXANDRE - Avec un tel regard, je ne peux me défendre.

Vous avez des atouts et vous vous en servez,

je suis un pacifiste et vous me désarmez  !

 

Elle le tire par la main, ils sortent.

 

Acte 2, scène 2 : Victoire.

 

Sitôt la porte refermée, Victoire entre sur scène.

 

VICTOIRE - Non, mais je n’y crois pas, c’est pas vrai, c’est une blague !

« Allons nous promener, les pieds nus dans les vagues ».

La fille du colonel se prend pour une madone !

J’vais pas laisser tomber, qu’est-ce qu’elle croit, la teutonne  !

Il faut que j’intervienne, et ceci coûte que coûte !

Hier encore j’l’ai vue qui embrassait Helmut.

 

Elle regarde par la fenêtre, interpelle Ursula derrière la vitre sachant qu’elle n’entendra pas, car elle est trop loin.

 

Eh ! Tu lui lâches la main  ! Non, mais à quoi elle joue ?

C’est un jeu, Alexandre, elle se moque de vous !

 

Elle fait les cent pas dans la pièce.

 

Les soldats all’mands ne font pas dans le détail,

ils nous ont pris nos hommes sur les champs de bataille.

On ne va pas laisser les Allemandes maintenant,

nous prendre aussi nos hommes, mais par les sentiments.

Elle veut la guerre, cette fille, et bien elle va l’avoir.

Je vais la renvoyer au fond d’la forêt noire .

 

Elle regarde de nouveau par la fenêtre.

 

Elle me l’a envouté. Mais qu’est-ce qu’elle peut lui dire ?

Oh ! Pour savoir tout ça, je donn’rai un empire.

 

Elle se retourne vers la pièce, cherche quoi faire. Puis, elle voit l’anticipator et commence à régler des boutons.

Voilà ! Ça y est, j’y suis. La machine d’Alexandre !

Il nous a expliqué comment il faut s’y prendre.

                        Alors ça, c’est le temps : je mets sur deux minutes.

Et puis pour la distance, je ne sais plus. Oh ! Flûte !

Ah si ! C’est celui-ci. Réglons sur cinq cents mètres.

Elle enfile le bonnet et ferme la jugulaire.

Le bonnet maintenant, qui, je dois bien l’admettre

est vraiment ridicule.  Et pour la mise en route,

je crois que c’est par là ! Ah ! J’ai encore un doute.

Oui, c’est ce bouton-ci.

 

Elle reste assise avec le bonnet sur la tête et fronce les sourcils, elle ne comprend manifestement pas ce qu’elle voit ni ce qu’elle entend.

Oh ! J’ai dû me tromper !

Mon Dieu tous ces bateaux, des tirs, de la fumée !

Et je ne les vois pas. Mon Dieu quel cafouillage !

Mais qui sont ces soldats qui tirent sur notre plage ?

 

Acte 2, Scène 3 : Victoire, Paulette.

 

Paulette entre timidement, vérifie que Victoire est seule. Son visage et ses vêtements sont sales. Elle est un peu essoufflée. 

 

PAULETTE - Victoire c’est toi, tant mieux !

VICTOIRE sursaute. Elle retire vite le bonnet. - Bonjour ! Paulette, ça va ?

Mais tu es toute sale, et d’où viens-tu comm’ ça ?

PAULETTE - On vient de faire sauter le poste d’armurerie,

de la Kommandantur.

VICTOIRE -                                    Avec ceux du maquis ?

PAULETTE - Oui !

VICTOIRE -           Mais alors, dis-moi, comment ça s’est passé ?

PAULETTE -  À peu près comme prévu, mais on s’est fait r’péré.

Les uns ont pris l’ bocage pour semer les Allemands.

Moi j’ai pris par le bois et puis par le grand champ.

VICTOIRE - Tu es dans un état, va falloir te changer !

PAULETTE - Je veux bien de ton aide.

VICTOIRE -                                           Richter va pas tarder !

Il faut rentrer chez toi !

PAULETTE -                                      Traverser le village,

mais je suis plein’ de boue ! Aurais-tu un corsage ?

VICTOIRE - Ici non, mais chez moi ! J’ai une blouse à côté !

PAULETTE - Parfait !

VICTOIRE -                Et puis de l’eau, tu pourras te laver !

PAULETTE – Mais qu’est-ce que tu faisais lorsque je suis entrée ?

VICTOIRE, elle montre le casque qu’elle tient toujours en main. - J’essayais ce bidule, voire si ça fonctionnait.

PAULETTE - Tu lui as demandé, j’espère bien, à Alex ?

VICTOIRE - Pas du tout !

PAULETTE -                   Ouh là là !

VICTOIRE -                                  Attends, c’est plus complexe !

PAULETTE - Ne me dis pas qu’tu vas aider le colonel !

VICTOIRE hésitante. - Je faisais un essai à des fins personnelles !

PAULETTE - Oh, toi, t’es contrariée !

VICTOIRE -                                         C’est cette fille, Ursula,

elle tourne autour d’Alex et moi je n’aime pas ça !

PAULETTE - Alex est un rêveur, il ne l’a même pas vu !

VICTOIRE - Ils sont sortis ensemble, sur la plage, les pieds nus.

PAULETTE - Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu me fais une farce !

VICTOIRE - Regarde par la fenêtre !

PAULETTE regarde à l’extérieur. -     C’est pas vrai ! Oh ! La garce  !

Helmut lui suffit plus, elle veut séduire mon frère !

VICTOIRE -  Je te préviens, je ne vais pas me laisser faire !

Alors moi, je voulais, pour pouvoir les épier,

essayer ce bonnet. Mais ça n’a pas marché.

PAULETTE - Tu lui as cassé sa machine !

VICTOIRE -                                                  Non, ça fonctionne,

j’entends des coups de feu, des voix anglo-saxonnes.

PAULETTE rigole - T’as mis la BBC !

VICTOIRE -                                         Ce bouton, j’ai dû mettre

les minutes sur deux, l’autre sur cinq cents mètres.

PAULETTE regarde de plus près. - Cinq cents mètres c’est ça ! Et c’est là que tu t’goures !

Ce bouton ce n’sont pas des minut’s, mais des jours !

VICTOIRE - N’empêche que ça n’marche pas ! Je n’suis pas une menteuse :

j’ai vu des tirs d’obus, des coups de mitrailleuse !

PAULETTE - Ça doit êtr’ sur le front !

VICTOIRE -                                           J’ai reconnu la plage.

PAULETTE - Mais ce n’est pas possible !

VICTOIRE -                                                 Je revois les images !

PAULETTE - Passe-moi ce bonnet et laisse-moi essayer !

 

Victoire lui passe le bonnet et Paulette l’enfile à son tour.

 

VICTOIRE - Je le remets en route !

PAULETTE -                                  Mon dieu ce n’est pas vrai !

VICTOIRE - Alors, tu les vois ?

PAULETTE -                                  Oui !

VICTOIRE -                                             Alex et Ursula ?

PAULETTE - Et c’est bien notre plage, mais je ne le crois pas !

VICTOIRE reste sur son idée. - Qu’est-ce qu’il lui dit !

PAULETTE -                                      Oh ! Merd’ ! Ça va être compliqué !

VICTOIRE - Tu m’inquiètes Paulette ! Ils se font des baisers ?

PAULETTE - Non, Victoire, ils arrivent !

VICTOIRE -                                             Ils reviennent par ici  ?

PAULETTE - Mais pas du tout Victoire, je crois qu’t’as pas compris !

Ils débarquent !

VICTOIRE -                            Rangeons tout ! Car ce serait dommage,

t !

PAULETTE -                                        Ça va être un carnage !

Victoire, écoute-moi bien, ça va s’passer ici !

VICTOIRE – Ah ! Tu crois qu’ils vont faire… ce que je crois, ici  ?

PAULETTE - Oh, la vache ! Ils arrivent !

VICTOIRE -                                                   Alors, replaçons ça.

Je n’veux pas qu’Alexandre n’ait plus confiance en moi.

PAULETTE - Mais il ne s’agit pas d’Alexandre, Victoire !

Ils viennent pour nous sauver ! Personne ne doit savoir !

VICTOIRE - Mais qu’est-ce que tu racontes, Paulette, tu m’interloques.

PAULETTE - Par milliers, dans deux jours, dehors, les amerloques.

VICTOIRE -  Quoi, les Américains ?

PAULETTE -                                         C’est le débarquement !

Dans deux jours, les alliés cass’la gueule aux Allemands !

VICTOIRE ne saisissant toujours pas. - Quoi, le débarquement ? Mais où ça, les alliés ?

PAULETTE - Sur notre plage, Victoire, Américains, Anglais

Canadiens, français, les alliés prennent le contrôle !

Il a tenu parole, le général de Gaulle !

VICTOIRE - Les tirs et les mortiers, C’est donc ça que j’ai vu !

PAULETTE - Exactement ma grande. T’as pas eu la berlue !

VICTOIRE - Il n’y a qu’une chose à faire, prév’nir la résistance !

PAULETTE - Et s’il y a des fuites, tu vois les conséquences !

Personne ne doit savoir, mets-toi ça dans la tête,

à cause de nous, Victoire, ce serait la défaite !

VICTOIRE - Richter vient ce matin, là, dans quelques instants !

PAULETTE - S’il essaie la machine, plus de débarquement !

VICTOIRE - Il nous faut trouver un plan pour le retarder !

PAULETTE - Peu importe la façon, il faut l’en empêcher !

 

HELMUT, voix off. - Eh ! Colonel Richter !

VICTOIRE -                                                Oh flûte, voilà Helmut !

Et s’il voit ta tenue, j’ai peur qu’il ait des doutes !

PAULETTE - Oh ! Ça, ça m’étonnerait, il n’est pas très futé !

Et à huit heures du mat, il est déjà beurré  !

VICTOIRE - Même quand il est à jeun, il a vraiment l’air cloche !

PAULETTE - Oui, mais Helmut, à jeun, on n’parle pas du même boche  !

VICTOIRE -  Passons dans mon labo si on veut l’éviter.

                       Tu vas mettre ma blouse et te débarbouiller.

 

Elle entraîne Victoire dans le second labo.

 

Acte 2, scène 4 : Helmut.

 

Helmut entre. Manifestement, il est ivre.

 

HELMUT - Vous êtes là, colonel ? Tiens, il n’y a personne !

Il m’avait dit huit heures, en retard, ça m’étonne !

C’était bien la peine de me faire lever si tôt.

Et quand on dit une heure, on s’y tient, mon coco  !

Noyons notre chagrin ! (Il boit une rasade de sa flasque.

Il aperçoit le bonnet de l’anticipator.)     Le séchoir à cheveux !

(Il s’assied, enfile le bonnet et imite le colonel.)

« Mais non, mon pauvr’ Helmut, ceci est beaucoup mieux  »

« Voilà une machine qui prédit l’avenir ».

Vous n’êtes pas sérieux, et vous me faites bien rire.

Rien qu’avec un bonnet, mais c’est n’importe quoi.

C’est à se demander lequel de nous deux boit.

Je me rase la tête si ça veut bien mar cher

La mise en route c’est là ! (Il appuie sur un bouton. Il fait des grimaces)

Was is das ! Qu’est-ce que c’est ?

Des soldats sur la plage  ! Aber ! Oh, oh mein gott !

Des bateaux par milliers, il y en a toute une flotte !

Colonel ! Colonel !

 

Acte 2, scène 5 : Helmut, Paulette, Victoire puis Richter.

 

Victoire et Paulette entrent. Paulette est bien coiffée et revêtue d’une blouse blanche.

 

VICTOIRE -                          Ah ! Helmut vous êtes là.

HELMUT - Bonjour mesdemoiselles !

PAULETTE -                                      Dites donc, vous gênez pas !

VICTOIRE - Alexandre n’aime pas qu’on touche à ses affaires.

PAULETTE - Alors, on sabote le matériel de mon frère !

HELMUT - Pas du tout ! Cette machine, là, elle fonctionne ?

VICTOIRE -                                                         Bien sûr !

HELMUT -      Ce qu’on voit dans sa tête, ce sera le futur ?

PAULETTE - Ne me dites surtout pas que vous l’avez testée !

HELMUT - Juste un petit moment ! Et je suis stupéfait !

J’ai appris une chose d’une grande importance !

VICTOIRE ironique. - L’alcool est rationné  !

PAULETTE -                                   Ou les boches quittent la France  !

HELMUT - Non ! Les Américains vont débarquer chez nous !

PAULETTE faisant mine de ne pas comprendre - En Allemagn e ?

HELMUT -                              Non, ici ! Sur la plage, derrière vous !

VICTOIRE - Vous n’vous sentez pas bien ?

PAULETTE -                                         C’est un cauchemar, mon vieux !

Vous avez le teint pâle et l’œil globuleux  !

VICTOIRE - Tu vois Paulette, je crois qu’Helmut perd la boussole !

PAULETTE - On ne parle pas assez des ravages de l’alcool  !

HELMUT - Je n’ai pas beaucoup bu (elles vont toutes les deux, tirer leur paupière inférieure droite d’un air de dire « mon œil  »),                         Pas plus que d’habitude !

Mais j’ai vu une armée, ça, c’est une certitude !

VICTOIRE - Laisse tomber Paulette, il est complètement schlass  !

PAULETTE - Avec son œil vitreux, l’a pas sucé d’la glace  !

HELMUT - Il faut que j’en parle au colonel, maintenant !

PAULETTE - En parler à Richter, ce n’est pas très prudent !

 

Paulette dégrafe la jugulaire du bonnet.

 

VICTOIRE - Surtout qu’il a des doutes, sur vous et Ursula !

 

Victoire retire le bonnet de la tête d’Helmut.

 

HELMUT - Mais vous nous espionnez ! Comment vous savez ça ?

PAULETTE - Vous n’êtes pas très discrets, tous les deux, ceci dit.

VICTOIRE – Vous vous embrassiez, hier matin, ici !

HELMUT inquiet - Richter ne doit pas l’apprendre, s’il vous plaît.

Sinon, à tous les coups, il va m’émasculer !

PAULETTE - Oui, alors ce n’est pas le moment, croyez-moi,

de parler de vos rêves aussi bizarres qu’ils soient.

VICTOIRE - Si vous lui dites qu’il va affronter les ricains,

il va, une fois de plus, vous botter l’arrière-train.

HELMUT - Mais c’est de mon devoir aussi de le prév’nir.

PAULETTE - Pensez à Ursula, il faut vous abstenir.

 

Richter entre. Helmut se met au garde à vous.

 

RICHTER - Ah ! Helmut, tu es là ! Bonjour mesdemoiselles !

VICTOIRE - Bonjour !

PAULETTE hypocrite - Déjà levé !

HELMUT fait un salut militaire - Bonjour, mon colonel !

RICHTER - Je suis très contrarié !

VICTOIRE hypocrite -                        Vous avez mal dormi ?

RICHTER - Non. Une explosion m’a fait sauter de mon lit !

C’est la résistance qui a encore fait des siennes.

Je vais prendr’ cette fois des mesures draconiennes.

PAULETTE - Des sanctions pour des gens qui aiment leur pays !

RICHTER - Se sont des terroristes.

PAULETTE faussement étonnée -            C’était donc ça ce bruit !

VICTOIRE – Cett’ grosse déflagration était-ce dans le bourg ?

RICHTER - Oui, juste à l’armurerie de la Kommandantur.

Les coupables cette fois seront tous arrêtés !

VICTOIRE inquiète. - Vous voulez dire, monsieur, que vous les connaissez ?

RICHTER - Pas encore, mais on cherche. Je me fis à mon flair !

En regardant quelqu’un, il y a des critères

qui ne me trompent pas.

PAULETTE se plantant devant lui. - Quand vous me regardez,

colonel, votre idée est-elle déjà fondée ?

RICHTER - Oui, tout à fait, Paulette ! Vous êtes bien trop directe.

PAULETTE - Et alors grâce à ça, je ne suis pas suspecte !

RICHTER - On se fait remarquer quand on dit ce qu’on pense.

Vous ne pourrez jamais êtr’ dans la résistance .

PAULETTE avec un léger sourire - Je reconnais bien là votre flair infaillible.

RICHTER - Sachez que jamais je ne me trompe de cible !

Vous portez une blouse, dans ce laboratoire,

je déduis simplement, c’est pour aider victoire.

VICTOIRE - Tout à fait, colonel, j’ai vraiment besoin d’elle.

Ma dernière potion concerne les demoiselles.

Elle est faite pour réduire les règles douloureuses.

RICHTER gêné. - Arrêtez, c’est gênant . Mais vous êtes ambitieuse.

Vous allez assister à la démonstration ?

VICTOIRE - Ah ! De quoi s’agit-il ?

RICHTER -                                           La nouvelle création

de notre professeur qui vient de réussir

cette formidabl’ machine à prédire l’avenir !

PAULETTE - Je l’ai vu tout à l’heure, il était très déçu !

VICTOIRE - Cela ne fonctionne pas comme il aurait voulu !

HELMUT - Et pourtant je crois bien…

RICHTER lui coupant la parole. -                                  De quoi j’me mêl’, Helmut ?

(Aux deux femmes, il parle d’Alexandre.) Je crois beaucoup en lui, et vous avez des doutes !

PAULETTE toute gentille. - C’est vrai, je dois l’admettre, que vous aimez mon frère.

RICHTER - Pour une fois, je constate, vous n’êtes pas en colère !

PAULETTE - J’ai décidé de n’plus envoyer des missiles !

RICHTER - Et moi je suis ravi de vous voir moins hostile !

PAULETTE - J’arrête de faire la guerre, un moment il est vrai,

mais à la condition que vous m’foutiez la paix  !

RICHTER - Vous êtes sans concession ! Heureus’ment que l’All’magne

ne sera, non, jamais dirigée par une femme  !

Votre frère n’est pas là ! Pourtant j’ai dit huit heures !

VICTOIRE - Je l’ai vu sur la plage, il avait l’air ailleurs !

RICHTER - Comment ! Je le convoque, il va se promener !

HELMUT - Mon colonel s’il vous plaît, je voudrais vous parler !

RICHTER énervé. - C’est pas l’moment, Helmut !

VICTOIRE change de sujet -                             Il fait doux ce matin !

Hein ! Vous ne trouvez pas ?

RICHTER -                                                Comme la peau de vos mains !

VICTOIRE - Encore une flatterie !

HELMUT -                                       Colonel, c’est urgent !

RICHTER - Tu n’vois pas que je parle, crétin, c’est affligeant !
HELMUT - La machine, elle fonctionne, je viens de l’essayer !

 

Un temps. Richter est stupéfait. Les deux femmes sont inquiètes.

 

RICHTER - Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu es encore bourré  !

PAULETTE – Mais, Helmut, taisez-vous ! (À Richter) Il est blagueur, je crois !

RICHTER - Moi, ça n’me fait pas rire !

HELMUT -                                              Mais, je ne plaisante pas !

(Il montre du doigt la fenêtre.)

J’ai vu sur cette plage, de nombreux Allemands

mourir dans des combats ! C’est le débarquement !

RICHTER - Un débarquement là, les chances sont très minces !

Tu souffres, mon pauvre Helmut, de délirium trémens  !

 

Paulette, discrètement, débranche quelques fils de la machine.

 

HELMUT - Essayez ce bonnet si vous n’me croyez pas !

RICHTER - Je le fais ! Gare à toi si tu t’es moqué d’moi !

Tiens ! Paulette, sauriez-vous faire marcher cette machine ?

PAULETTE - Oh ! Si je touche à ça, mon frère m’assassine.

RICHTER - Victoire, vous savez faire ? Vous êtes aussi chercheuse !

VICTOIRE - Je crains fort que mon aide ne vous soit pas précieuse.

HELMUT - Je l’ai fait tout à l’heure, je peux recommencer.

RICHTER - Mais fais bien attention de ne pas tout casser.

HELMUT - C’est facile, il suffit d’enclencher ce bouton.

Alors mon colonel ?

RICHTER -                                   Rien du tout, avorton  !

VICTOIRE à part à Paulette. – Oh ! C’est la catastrophe !

PAULETTE à part,à Victoire. -                          Non, j’ai tout débranché !

(Plus fort à Helmut.) Je vous l’avais bien dit, Helmut, de rien toucher.

RICHTER retire le bonnet, à Helmut - Alors de deux choses l’une : ou bien tu hallucines,

ou tu viens vraiment de casser cette machine.

HELMUT - Mais enfin, colonel…

RICHTER -                                   Tais-toi donc, tripl’andouille .

Et va donc me chercher le professeur ! Dégrouille !

HELMUT - Où est-il ?

PAULETTE -                Sur la plage !

VICTOIRE -                                        Le voici qui s’approche !

HELMUT - Pas la peine que j’y aille !

RICHTER énervé. -                         Sors d’ici, sombre cloche   !

 

 

Helmut sort, laissant la place à Alexandre qui rentre les pieds nus, le pantalon relevé, ses chaussures à la main à l’intérieur desquelles se trouvent ses chaussettes.

 

Acte 2, scène 6 : Paulette, Victoire, Richter, Alexandre.

 

 

ALEXANDRE - Déjà là, colonel !

RICHTER, sur un ton de reproche -  Oui, j’avais dit huit heures !

Vous êtes en retard, je ne suis pas d’humeur.

 

Pendant qu’il parle, Alexandre s’assied à la table pour enfiler ses chaussettes puis ses chaussures.

 

ALEXANDRE - Excusez mon retard, mais j’ai passé la nuit

Sur l’anticipator et je n’ai pas dormi.

Alors je suis parti marcher dans l’eau de mer.

VICTOIRE acide. - En charmant’ compagnie !

ALEXANDRE -                                              Respirer le grand air !

PAULETTE avec reproche. - Tu fais le joli cœur quand on t’attend ici !

RICHTER levant les yeux au ciel - Les Français et l’amour ! Mais enfin vous voici !

ALEXANDRE - Après plusieurs essais où je n’ai pas avancé.

Vers cinq heures, ce matin j’ai enfin progressé.

Alors on peut maintenant prévoir sur deux jours,

Et pour la distance : cinq cents mètres aux alentours.

VICTOIRE essayant de lui faire comprendre. - Ne parlez pas trop vite, il y a un problème !

PAULETTE - Helmut en l’essayant a cassé ton système !

ALEXANDRE fâché. - Qui l’a autorisé à toucher l’matériel !

Ah, non ! Ce n’est pas vrai ! Qu’est-ce que j’ai fait au ciel ?

RICHTER - S’il est le responsable, il sera fusillé !

ALEXANDRE - Quand même pas colonel, faut pas exagérer  !

Alors, laissez-moi voir où est la défaillance.

 

Les deux femmes essaient à tout prix de gagner du temps.

 

VICTOIRE, au colonel - Rev’nez plutôt demain. Ça n’a pas d’importance.

PAULETTE le raccompagne vers la porte d’entrée - Oui, colonel Richter, deux ans qu’vous attendez,

vous n’êtes plus maintenant à un ou deux jours près.

ALEXANDRE - Attendez, attendez ! Ce n’est pas compliqué !

Il y avait simplement deux fils de débranchés.

 

Le colonel revient vers la machine. Paulette entraîne Victoire vers le devant de la scène.

 

PAULETTE bas, à Victoire. - Victoire, fais quelque chose ! Faut faire sortir Richter !

RICHTER, à Alexandre - On le fait cet essai !

VICTOIRE bas, à Paulette. -        D’accord, mais comment faire ?

ALEXANDRE, au colonel - Je recalibre ça et ce s’ra prêt, je pense !

PAULETTE, bas, solennelle, à Victoire. - Dégrafe un peu ta blouse, et va sauver la France  !

VICTOIRE haut, aguicheuse - Colonel !

RICHTER -                                         Oui !

VICTOIRE aguicheuse -                              Vous êtes un petit cachotier !

RICHTER revient vers Victoire - Ah bon ! Voyez-vous ça ! Que vous ai-je donc caché ?

VICTOIRE aguicheuse - Votre prénom, vous ne me l’avez jamais dit !

RICHTER - Moi, je connais le vôtre, que je suis étourdi !

Mon père est allemand et maman vient d’Autriche.

Alors tous deux m’ont prénommé Sigmund-Friedrich !

Et depuis des années, ils m’appellent Sigmund-Fred  !

VICTOIRE riant - Comme le psychanalyste (Passant à autre chose, aguicheuse)! J’ai besoin de votre aide !

Venez dans mon labo !

ALEXANDRE -                               C’est prêt, mon colonel !

RICHTER, à Alexandre - Un instant, professeur ! (À Victoire) J’arrive, mademoiselle !

ALEXANDRE - Mais vous étiez pressé !

VICTOIRE le prenant par la main, tendrement. - Vous venez, Sigmund-Fred !

RICHTER, à Victoire - J’arrive ! Elle lui lâche la main et sort. Le colonel se retourne vers Alexandre.

Permettez-moi ce petit intermède .

Ça fait deux ans « aussi » que j’attends ce moment.

J’ai mes priorités, laissez-nous un moment.

 

Richter sort à son tour.

 

Acte 2, scène 7 : Paulette, Alexandre.

 

ALEXANDRE - Tu as vu comme moi, je suis estomaqué !

PAULETTE - J’avoue que là, Alex, elle a mis le paquet  !

ALEXANDRE - Quand Richter l’approche, elle se ferme d’habitude.

Mais cette fois-ci, elle a une drôle d’attitude !

PAULETTE -   Ne t’inquiète pas Alex, c’est pour la bonne cause.

Nous voilà tous les deux, il faut que je te cause !

Il ne faut surtout pas que Richter s’asseye là !

ALEXANDRE regardant le siège - Pourquoi ? Le siège est tout mouillé  ?

PAULETTE -                                                                 Non ! C’est pas ça !

Il ne doit surtout pas enfiler ton bonnet.

Si tu le laisses faire, tu vas le regretter !

ALEXANDRE - Mais de quoi te mêles-tu ? Il me paye pour ça !

J’y ai passé la nuit, alors j’vois pas pourquoi

tu voudrais qu’j’abandonne.

PAULETTE -                                                     Il faut gagner deux jours.

ALEXANDRE - Mais dis-moi, à quoi bon, pourquoi tous ces détours ?

PAULETTE - Fais-moi confiance, Alex, il ne faut pas qu’tu saches !

ALEXANDRE - T’es bizarre en c’moment, mais qu’est-ce que tu me caches ?

PAULETTE résolue à lui dire, elle soupire - le matin du 6 juin…

 

Acte 2, scène 8 : Paulette, Alexandre, Victoire, Richter.

 

Victoire entre d’un pas pressé, dépeignée, la blouse dégrafée, poursuivie par le colonel.

 

VICTOIRE outrée -                                                      Mais enfin, colonel !

RICHTER - Je vous trouve à mon gout, petite demoiselle !

Oh ! Victoire !

VICTOIRE referme sa blouse. - Mais il y a des limites tout de même !

En voilà des manières !

RICHTER -                                               Je crois que je vous aime !

VICTOIRE -   Oh ! Je les vois venir vos intentions douteuses,

vos petits yeux pervers et vos mains baladeuses  !

PAULETTE l’arrêtant au passage. - Holà ! Mon colonel, je vous sens enflammé.

RICHTER déterminé - Je brûle de mill’feux !

VICTOIRE -                                      Appelez les pompiers !

PAULETTE - Je sais ce qu’il vous faut pour éteindr’l’incendie  ! (Elle remplit un verre de vin blanc.)

Un petit verre de blanc ! (Elle lui tend le verre.)

RICHTER, bois le verre d’un trait. -         Ah ! Je vous remercie !

Et savez-vous, Victoire, ce qui m’ferai plaisir ?

VICTOIRE - Oh oui ! Je crois savoir ! Et je m’attends au pire !

RICHTER - J’aim’rais pouvoir sucer …

ALEXANDRE outré. -            Colonel ! Calmez-vous !

 

À partir de là, Richter parle comme un petit enfant jusqu’à la fin de la scène.

 

RICHTER - Sucer de la réglisse et des caramels mous  !

VICTOIRE étonnée - Des…

ALEXANDRE étonné -   Caramels…

PAULETTE étonnée -                    Mous !

RICHTER -                                             Oui !

ALEXANDRE -                                           En voilà une idée !

RICHTER - J’ai vu qu’ils en vendaient, en bas, chez l’épicier !

ALEXANDRE - Vous ne préférez pas essayer ma machine ?

RICHTER - Je m’en fous de ton truc  ! Je préfère une tartine,

avec du chocolat et puis des berlingots !

J’ai envie d’m’amuser et puis faire du vélo !

VICTOIRE bas, à Paulette - Dit : ce qu’il vient de boire, c’est le vin blanc d’hier ?

PAULETTE, bas, à Victoire - Vu comment il délire, oui, ça m’en a tout l’air  !

ALEXANDRE - Je vous assure que mon système est réparé !

VICTOIRE bas, à Paulette - Il ne va pas se taire !

PAULETTE, bas, à Victoire -                                  Il va tout faire foirer !

RICHTER - Non, non ! J’veux des bonbons, et des caramels mous !

VICTOIRE lui parle comme à un gamin - Tu sais quoi, Sigmund- Fred ?

RICHTER -                                                Tu veux m’faire un bisou  !

VICTOIRE - Non ! Ma copine, Paulette, elle veut bien t’emmener,

ach’ter des caramels, en bas, chez l’épicier !

PAULETTE étonnée que ça tombe sur elle. - Ah ! Alors c’est moi qui…?

VICTOIRE -                                        Oui, ma grande, c’est toi qui…
RICHTER - Merci, madame Paulette ! Ça, c’est vraiment gentil !

ALEXANDRE - Bon ! Et bien, bonne prom’nade, moi je vous attends là !

RICHTER, à Alexandre en chantonnant - Et ben moi j  !

PAULETTE - Allez, viens, mon petit !

RICHTER -                                         On joue à la marelle ?

PAULETTE - Après ! Allons d’abord ach’ter tes caramels !

 

Elle pousse le colonel dehors et sort également.

 

Acte 2, scène 9 : Alexandre, Victoire.

 

ALEXANDRE - Je n’comprends pas pourquoi, Paulette est si gentille.

D’habitude elle l’attaque, elle envoie des torpilles.

Et là, j’ai pas rêvé, avec le colonel,

ils vont chez l’épicier et jouer à la marelle  !

VICTOIRE - Il a bu ma potion, celle qui infantilise !

ALEXANDRE, réalisant - D’accord !

VICTOIRE -                                         Avant que les effets ne s’amenuisent,

il faut gagner du temps, professeur Alexandre.

ALEXANDRE - Mais du temps pour quoi faire, ça, j’aim’rai bien comprendre.

VICTOIRE - Je n’ peux pas vous le dire !

ALEXANDRE -                                     Vous êtes bien mystique !

VICTOIRE - J’ai promis à Paulette !

ALEXANDRE -                                  L’excuse est très pratique !

VICTOIRE - On vient d’apprendre un’ chose vraiment très importante.

ALEXANDRE, avec reproche - Votre attitude aussi, Victoire, est révoltante !

VICTOIRE - Et pourquoi ? Qu’ai-je donc fait ?

ALEXANDRE -                      Rien qui vous paraisse louche :

Avec le colonel, vous n’étiez pas farouche,

vous l’avez, tout à l’heure, franchement attiré

dans votr’ laboratoire. Vous ne pouvez pas nier !

VICTOIRE - C’est pour la même raison, celle de gagner du temps !

ALEXANDRE - Ce n’serai pas plutôt pour « passer » du bon temps  !

VICTOIRE outrée - Oh ! Mon Dieu ! Alexandre, je ne vous permets pas !

ALEXANDRE - Vous savez qu’on en a rasées pour moins que ça  !

VICTOIRE - Oh ! Non, me dire ça ! Mais vraiment, c’est une blague !

Qui est parti marcher, les pieds nus, dans les vagues,

pour un p’tit tête-à-tête avec cette sainte-nitouche ?

Vous auriez préféré plutôt un bouche-à-bouche  ?

ALEXANDRE - Vous n’y êt’s pas du tout, seriez-vous jalouse ?

Je vous rappelle, Victoire, vous n’êtes pas mon épouse.

VICTOIRE - Vous aussi, tout à l’heure, c’était d’la jalousie.

J’vous rappell’ Alexandr’, vous n’êtes pas mon mari .

ALEXANDRE - Et bien, soyez contente, comm’ cela on est quitte !

VICTOIRE - Non, je ne suis pas contente, et c’est moi qui vous quitte !

ALEXANDRE - Comment ça, vous partez ? Comm’ça, sur un coup d’tête !

VICTOIRE - Vous vous moquez de moi !

ALEXANDRE -                                         Ne soyez pas si bête !

La fille du colonel voulait se promener,

je me suis proposé d’aller l’accompagner.

Je ne vois vraiment pas, Victoire, où est le mal !

VICTOIRE -  Mais Ursula, elle, a bien vu où est le « mâle  » ! (Elle insiste sur le â de mâle.)

Elle cherche à vous séduire !

ALEXANDRE -                                          Il se peut qu’elle me drague.

VICTOIRE - Je crois qu’elle veut vous nuire !

ALEXANDRE -                                             Non, votre esprit divague !

VICTOIRE - Elle vous attire n’est-ce pas ?

ALEXANDRE -                                           C’est vrai qu’elle est charmante !

VICTOIRE - Moi je ne l’aime pas ! J’ai bien peur qu’elle vous mente.

ALEXANDRE prétentieux - Elle me trouve séduisant !

VICTOIRE -                                                Excusez-moi, j’en doute !

Dans ce labo, hier, elle embrassait Helmut !

ALEXANDRE - Qu’est-ce que vous racontez ? Pourquoi ferait-elle ça ?

VICTOIRE - Embrasser le chauffeur puis tomber dans vos bras !

La raison je l’ignore, mais j’aim’rais la connaître.

ALEXANDRE - C’est troublant, en effet, il faut le reconnaître !

VICTOIRE - Ursula je le crois, n’est pas blanche comme neige,

et moi, j’ai l’impression qu’elle veut vous tendr’ un piège !

ALEXANDRE - Mais arrêtez de voir le mal en toute chose !

VICTOIRE - Ursula est sournoise et j’en saurai la cause !

ALEXANDRE regardant par la fenêtre. - La voici qui arrive !

VICTOIRE -                                            Cachez-vous, Alexandre !

Derrière, dans mon labo, que vous puissiez entendre !

ALEXANDRE - Mais qu’allez-vous donc faire ? Vous m’inquiétez, Victoire !

VICTOIRE - Je vais la faire parler, et vous, vous allez voir

si je n’ai pas raison !

ALEXANDRE -                               Comment allez-vous faire ?

VICTOIRE, sors une fiole de sa poche - J’ai une autre potion ! Laissez bien entrouvert !

 

Alexandre sort dans le second labo. Il laisse la porte entrouverte.

 

 

Acte 2, scène 10 : Victoire, Ursula.

 

Victoire verse dans un verre le contenu de sa fiole. Elle y rajoute du sirop d’orange qui était sur l’étagère.

 

VICTOIRE, à elle-même - Avec ça, ma cocotte, crois-moi, tu vas parler  !

Et dire la vérité, toute la vérité

Ursula entre.

 

VICTOIRE faussement aimable - Oh ! Bonjour Ursula !

URSULA -                                        Bonjour à vous, Victoire !

VICTOIRE - Vous êtes bien matinale. Puis-je vous offrir à boire ?

URSULA - C’est gentil, volontiers !

VICTOIRE -                                        Une petite orangeade ?

URSULA - Très bien ! (Victoire rajoute de l’eau dans le verre et le tend à Ursula.)

VICTOIRE -                Je vous ai vu partir en promenade ?

URSULA - Oui, j’aim’ beaucoup marcher en regardant la mer ! (Elle boit d’un trait son orangeade.)

Ça me fait oublier un peu qu’on est en guerre !

VICTOIRE - Oui, mais toutes ces défenses qui défigurent nos plages

ont tout de même net’ment détruit le paysage !

URSULA - Depuis janvier, Rommel a suivi sa logique,

De vraiment renforcer le mur de l’atlantique.

VICTOIRE -  Fille de militaire, c’ n’est pas toujours facile !

Il faut suivre papa, même quand on est civile !

URSULA - J’étais pas obligée, c’est moi qui ai voulu !

VICTOIRE - En voilà une idée, pour le moins saugrenue !

 

Sous l’effet de la potion, Ursula parle mollement comme si elle allait s’endormir.

 

URSULA - Je me sens toute molle, mais que m’arrive-t-il ?

VICTOIRE - Asseyez-vous ici, vous avez l’air fébrile.

Je voulais, Ursula, vous poser une question.

URSULA - Oui !

VICTOIRE -           Vous avez avec Helmut un’ relation,

mais je vous vois tourner autour du professeur !

Alors j’aim’rais savoir pour qui bat votre cœur ?

URSULA -  Ni pour l’un, ni pour l’autre !

VICTOIRE -                                              Vraiment ! Vous m’intriguez !

URSULA - Ceci est pourtant vrai !

VICTOIRE -                                   Allez-y, dév’loppez !

URSULA - Mon aventure avec le chauffeur de mon père

n’a qu’un seul objectif : c’est m’envoyer en l’air  !

VICTOIRE - Au moins ça, c’est direct ! Vous êtes une nymphomane !

URSULA - Je n’ visai pas son cœur, mais un tout autr’organe  !

VICTOIRE - Arrêtez ! S’il vous plaît ! Mais laissez-moi comprendre,

Helmut ne suffit plus qu’il vous faut Alexandre ?

URSULA - Non, pour le professeur c’est une tout’autre chose.

J’ai besoin de lui pour une plus grande cause.

VICTOIRE - Cela est étonnant ! Je n’imaginais pas…

Et quelle est cette cause ?

URSULA -                                             Vous ne devinez pas !

Il s’agit de cela : (Elle montre la machine portative.) c’est l’anticipator !

VICTOIRE - Là, je tombe des nues ! J’imaginais à tort

que vous cherchiez à le séduire.

URSULA -                                                       Mais pas du tout !

VICTOIRE -  Ces recherches, Ursula, quel intérêt pour vous ?

URSULA - Cette invention pourrait nous faire gagner la guerre !

VICTOIRE -        C’est donc ça que vous a demandé votre père !

URSULA - Papa n’y est pour rien ! Ce petit colonel

ne pens’ qu’à servir son intérêt personnel !

VICTOIRE fausse - Il faut vous requinquer. Encore un autre verre ?

URSULA - Ya ! Je ne vous voyais pas comme cela, ma chère !

 

Victoire prépare une autre orangeade ou elle verse une autre potion qu’elle a discrètement sortie de son autre poche.

 

VICTOIRE - Comment me voyiez-vous ?

URSULA -                                                  Plutôt antipathique !

VICTOIRE lui tendant le verre - Et alors maintenant !

URSULA -                                    Nett’ment plus sympathique !

 

Ursula boit son verre d’un trait. Elle se fige en fermant les yeux quelques secondes. Victoire lui prend le verre des mains. Puis Ursula retrouve ses esprits et parle normalement.

 

VICTOIRE faussement gentille - Ça va mieux, Ursula !

URSULA -                                                     Comment ? Très bien, merci !

Heu ! Où en étions-nous ? Je suis tout’ étourdie !

VICTOIRE - Nous parlions du beau temps, en ce début de juin !

Je vous disais aussi : cette robe vous va très bien .

URSULA – Je l’ai eu à Cherbourg, aux folies parisiennes !

VICTOIRE - Moi je la trouve beaucoup plus jolie que la mienne !

URSULA - Mon père ne devait pas essayer une machine ?

VICTOIRE mentant - Oui, mais elle est cassée (Elle invente.) une histoire de bobines.

URSULA - Bon et bien, je m’en vais. Merci pour l’orangeade !

VICTOIRE - À bientôt Ursula ! (Ursula sort et referme la porte, Alexandre entre aussitôt.)

ALEXANDRE -                                 Tu parles d’une pintade !

Elle cache bien son jeu, et elle n’aime pas son père !

VICTOIRE - Elle vise votre machine pour un but militaire !

 

Acte 2, scène 11 : Victoire, Richter, Alexandre.

 

Le colonel entre, furieux. Les effets de la potion infantilisante ont disparu.

 

RICHTER - Mais qu’est-ce qui m’a pris ? je me suis retrouvé

à jouer à la marelle sur la place du marché  !

VICTOIRE ironique - C’est bien de se détendre, comme ça de temps en temps !

RICHTER - Je me suis humilié, tout seul, devant les gens  !

J’ai les doigts tout collants de ces caramels mous ! (il sort un mouchoir et s’essuie les doigts.)

ALEXANDRE ironique – Vous nous aviez caché l’enfant qui est en vous !

Alexandre et Victoire rient.

 

RICHTER - Bon maint’nant, assez ri, essayons l’invention !

ALEXANDRE - Mais elle ne fonctionne plus.

RICHTER -                                                       Vous avez l’intention

de vous moquer de moi encore longtemps, monsieur !

VICTOIRE - Pourquoi dites-vous cela !

ALEXANDRE -                                       Un contretemps fâcheux !

RICHTER - Ne m’obligez pas à en venir à l’extrême ! (Il sort son pistolet.)

ALEXANDRE se protégeant les deux bras en avant - Calmez-vous !

VICTOIRE -                     Laissez-le trouver d’où ça venait !

RICHTER - Vous disiez tout à l’heure que cela fonctionnait !

J’ai l’impression très nette, monsieur que vous mentez ! (Et il lui met le pistolet sur la tempe).

VICTOIRE - Non, non, ne tirez pas !

ALEXANDRE apeuré -                           Je vais réessayer !

RICHTER - Voilà qui est plus raisonnable, Alexandre ! (Il range son arme dans son étui.)

ALEXANDRE - Avec un pistolet, vous vous faites mieux comprendre !

Asseyez-vous ici ! Je vais remettre en route !

 

Le colonel s’assied sur le fauteuil à roulette.

 

VICTOIRE - Cela va fonctionner, je n’ai plus aucun doute !

RICHTER - Quelle distance maximum avez-vous obtenue ?

ALEXANDRE - Pour l’instant, 500 mètres.

RICHTER -                                                  Vous ne pouvez pas plus ?

ALEXANDRE - Non !

RICHTER -                   Et pour la durée, vous m’avez dit deux jours !

ALEXANDRE essayant de tricher - Ah ! J’ai dit ça, vraiment  !

RICHTER -                                                  Oui, je ne suis pas sourd !

Alors, n’essayez pas de vouloir me rouler,

Sinon c’est ça ou je ressors mon pistolet ! (Il regarde Alexandre manipuler les boutons)

ALEXANDRE craintif - Non, non, non ! Tout va bien ! Je règle tout cela !

Enfilez le bonnet, c’est parti, on y va !

 

Le colonel enfile le bonnet. Puis écarquille de plus en plus les yeux.

Victoire entraîne Alexandre à l’avant-scène, loin du colonel.

 

RICHTER à lui-même - Mais ce n’est pas possible ! Helmut me l’avait dit !

Des milliers de soldats vont débarquer ici !

VICTOIRE bas - Ce qu’on voulait cacher, professeur, aux All’mands,

c’était que dans deux jours…

RICHTER s’exclamant -                                  C’est le débarquement !

ALEXANDRE se retournant vers le colonel - Vous disiez, colonel !

RICHTER haut -                                                         Ici, à Saint-Laurent !

Il devrait y avoir plein de bombardements

Des milliers de bateaux, une armada immense !

Les alliés dans deux jours veulent envahir la France !

ALEXANDRE ne le croyant pas. - Si un jour ils débarquent, ce sera plus au nord !

VICTOIRE hypocrite, car elle connaît la vérité. - Vers Boulogne ou Calais, forcément dans un port !

RICHTER heureux - Je vais devenir un héros ! Oui, c’est mon heure !

ALEXANDRE - Mais pourquoi, un héros ?

RICHTER -                                          Bien joué, professeur !

ALEXANDRE, étonné - Comment ça, bien joué ?

RICHTER -                               Grâce à votre invention

l’Allemagne nazie sera une grande nation !

Nous allons contrer cet immense débarquement

en bombardant sur mer les enn’mis des All’mands.

ALEXANDRE - Mais vous m’aviez promis…

RICHTER -                                                       Monsieur Delamouillette,

vous, si intelligent, comment être aussi bête .

C’est grâce à vous et à votre dispositif

qu’on gagnera la guerre ! Vous êtes si naïf.

ALEXANDRE - Vous vous êtes servi de moi !

RICHTER tout content -                                   Oui ! Exactement  !

ALEXANDRE - Alors j’ai fait tout ça… pour aider les All’mands !

VICTOIRE changeant brusquement d’attitude. - Bravo mon colonel ! Mon Dieu quelle ambition !

J’aime les hommes qui sont dévoués à leur nation !

Elle s’approche du colonel avec détermination.

 

ALEXANDRE très étonné - Mais… mais enfin, Victoire, vous n’allez quand même pas…

RICHTER - Et naïf jusqu’au bout, cette Victoire est pour moi  ! (Il l’enlace.)

Pour le débarquement, j’appelle mes supérieurs !

Ensuite, j’irai montrer la machine au führer !

ALEXANDRE content de sa revanche - Elle est fixée au mur, elle n’est pas démontable !

RICHTER -  Et bien, j’emporterai votre machine portable !

ALEXANDRE - Mais je vais prévenir les Anglais, croyez-moi !

Et pour mon invention, ne comptez plus sur moi !

RICHTER - Pour être sûr que vous n’allez rien divulguer,

je vais devoir, hélas, vous tenir enfermé ! (Il sort de nouveau son arme.)

ALEXANDRE - Je n’vous dirais plus rien !

RICHTER -                                         Vous chang’rez de posture !

À moins que vous vouliez passer par la torture !

ALEXANDRE - La prison, la torture !

VICTOIRE fataliste. -          C’est la guerre, Alexandre ! (Elle vient se blottir dans les bras du colonel.)

ALEXANDRE - Et vous changez de camp, si j’ai bien cru comprendre !

 

Victoire s’éloigne du colonel pour aller à la table, elle remplit deux verres de vin rosé.

 

RICHTER - L’empire Nazi pourra, grâce à votre machine,

envahir la Russie, l’Amérique et la chine.

VICTOIRE, aguicheuse - Sigmund-Fred, aujourd’hui vous avez deux victoire s !

Et votre stratégie va bouleverser l’histoire ! (Elle lui tend un verre de rosé.)

RICHTER - Prosit ! Et ça s’arrose comme on dit chez vous !

VICTOIRE - À nos amours, et cul sec comme on dit chez nous  !

 

Ils trinquent. Richter boit son verre d’un trait. Évidemment, Victoire ne boit pas et repose son verre.

Le colonel se fige quelques secondes. Pendant qu’il est figé, Victoire change totalement d’attitude et fait la réplique suivante.

 

VICTOIRE – Alexandr’ tout va bien, il va tout oublier !

Et il va revenir dix minutes dans l’ passé !

ALEXANDRE très étonné. - C’était votre potion ! Mais alors, vous et lui…

VICTOIRE - Jamais je n’ai trahi ni vous ni mon pays !

RICHTER retrouve ses esprits - Il est très bon ce vin !

ALEXANDRE, avec un grand sourire -                      C’est une cuvée spéciale  !

RICHTER - Alors votre machine…

ALEXANDRE -                               Là, j’ai vraiment du mal !

Je croyais seulement, deux fils de débranchés,

Il y a quelques soudures que je dois vérifier.

RICHTER - Ça commence à bien faire, vous vous foutez de moi !

ALEXANDRE - Pas du tout, colonel !

RICHTER -                                             Et ne m’obligez pas

à employer les grands moyens. (Il sort son pistolet de son étui)

VICTOIRE -                                                Oh ! Quelles manières !

Je n’aime pas les hommes aux façons si grossières !

RICHTER cherchant à se justifier. - C’était surtout, pour moi, un moyen de sévir !

VICTOIRE comme à un enfant. - Faut-il sortir une arme pour se faire obéir ?

RICHTER - C’est souvent efficace !

VICTOIRE -                                      Oui, mais quelle cruauté,

quand de bons arguments pourraient mieux vous aider.

Sachez qu’hier, monsieur, je fus vraiment séduite !

RICHTER étonné - Est-ce possible, Victoire ? Mais qu’est-ce que vous me dites ?

VICTOIRE - Si votre invitation tient toujours, monsieur,

pourquoi n’irions-nous pas déjeuner tous les deux ?

RICHTER - Vous acceptez cette fois de venir à l’auberge ?

VICTOIRE - Oui, j’ai une petite faim, et j’adore les asperges !

RICHTER - C’est que le professeur va bientôt me montrer

cette machine formidable !

VICTOIRE -                                            Laissons-le travailler.

RICHTER parlant de la machine. - Cette invention, j’attends qu’elle march’ depuis des mois,

et j’ai bien l’impression qu’on y est, cette fois !

VICTOIRE - Préférer cette machine à notre tête-à-tête !

RICHTER s’excusant. - Mais je n’ai pas dit ça !

VICTOIRE tourne les talons et joue la femme vexée. - Bon ! Vraiment, c’est trop bête !

 

Elle s’en va pour sortir.

 

ALEXANDRE, bas, à Richter. - Quand une femme dit oui : ne pas la faire attendre !

RICHTER - Sur ce point, vous avez bien raison, Alexandre !

(À Victoire.) Attendez mademoiselle !

VICTOIRE sourit, face public, puis se retourne. - Vous voilà raisonnable !

RICHTER - À l’auberge, nous allons déjeuner à ma table !

VICTOIRE - Rangez ce pistolet et donnez-moi le bras !

Il range son pistolet dans son étui.

 

RICHTER - Vous me donnez des ordres et je crois que j’aime ça !

 

Il lui offre son bras, se dirige vers la porte et se retourne vers Alexandre.

 

RICHTER -  Je vous laisse réparer la machine, professeur.

Ne me décevez pas, je reviens dans deux heures.

 

Richter et Victoire sortent bras dessus bras dessous.

 

Acte 2, scène 12 : Alexandre, Paulette.

 

Alexandre seul un moment est prêt à essayer son bonnet quand Paulette entre.

 

PAULETTE - Richter n’est pas rev’nu ?

ALEXANDRE -                                         Si ! Paulette, écoute-moi !

Assieds-toi s’il te plaît et ne m’interromps pas.

J’ai une grande nouvelle à t’apprendre, tu sais.

Tout le monde croyait que les alliés allaient

débarquer vers Calais ou Boulogne plus au nord !

On vient d’apprendre grâce à l’anticipator…

PAULETTE lui coupant la parole. - Que ce sera ici, mardi six, au matin !

ALEXANDRE - Ah, bon ! Tu sais aussi !

PAULETTE -                                              Et bien oui, gros malin  !

Il faut que je t’apprenne une chose importante :

ça fait maint’nant quatre ans que je suis résistante !

ALEXANDRE étonné. - Tu fais d’la résistance en plus du marché noir ?

PAULETTE - Eh oui ! Sans que Richter puisse s’en apercevoir !

ALEXANDRE - Tu nous caches bien ton jeu depuis toutes ces années.

PAULETTE - Victoire est au courant, et elle m’aide en secret !

Dans mon panier, hier, les denrées interdites,

c’était des explosifs ! Oui, de la dynamite !

ALEXANDRE - L’explosion, ce matin, juste au lever du jour…

PAULETTE - C’était les gars et moi, à la Kommandantur !

ALEXANDRE - Ma sœur et ma collègue complotent dans mon dos !

PAULETTE - Moi je me demandais si t’étais collabo !

ALEXANDRE - Non, mais, jamais d’la vie ! Qu’est-ce que tu crois, Paulette !

Par contre, j’étais naïf, ça, je veux bien l’admettre.

PAULETTE - Pour le débarquement, c’est une nouvelle inouïe.

On va enfin virer ces salauds de nazis.

Je me demande pourquoi Victoire t’en a parlé !

ALEXANDRE - Mais ce n’est pas Victoire, j’ignorais qu’elle savait !

PAULETTE - Maintenant que tu sais, Alex, il faut te taire !

ALEXANDRE - Je l’ai su de la bouche du colonel Richter !

PAULETTE - Quoi ? Il est au courant, cette fois-ci c’est foutu !

Si l’ennemi a d’l’avance, le conflit est perdu !

Ils vont les pilonner sur la mer, les salauds.

C’est un débarquement qui va tomber à l’eau  !

ALEXANDRE - Mais non, écoute-moi, Victoire est formidable !

Elle lui a fait gober, un truc à peine croyable.

Le colonel Richter, voyant qu’il a gagné,

me rabaisse comme un chien, et veut me torturer.

Il est content de lui, fier comme un matador,

Et Victoire lui fait croire qu’elle a changé de bord.

C’est là que, pour fêter ce moment inouï,

Victoire lui fait boire la potion d’amnésie.

PAULETTE -  Ça s’ voit qu’elle est chercheuse, elle trouve de bonnes idées  !

ALEXANDRE - Et tu ne sais pas tout, car une fois réveillé,

le colon aim'rait bien ré'ssayer ma machine,

et Victoire de nouveau, a une idée divine.

Avec un grand sourire, pour lui être agréable,

elle lui propose d’aller déjeuner à sa table.

PAULETTE -  Et le colon accepte, pour lui c’est important,

et grâce à ce moyen, elle gagne un peu de temps !

Cette femme est géniale, et moi je me demande

pourquoi tu tournes autour de cette fille allemande !

ALEXANDRE - Pour ça aussi, Victoire m’a fait y voir plus clair.

Ursula est sournoise avec ses bonnes manières.

Elle s’intéresse aussi à l’anticipator.

Sur son compte, Paulette, j’avoue que j’ai eu tort !

PAULETTE -    C’est une vraie garce, elle bouffe à tous les râteliers.

Pour le débarquement et l’attaque alliée,

il faut à tout prix que personne ne le sache !

ALEXANDRE - J’ai deux heures devant moi, je me mets à la tâche !

 

Alexandre enfile son bonnet.      Noir.

 

 

 

 

Acte 3 :

 

L’après-midi du dimanche 4 juin 1944

 

Acte 3, scène 1 : Alexandre puis Ursula

 

Alexandre, seul en scène, débranche 2 fils de sa machine au mur. Ensuite, il trie des papiers qu’il va mettre dans le labo de Victoire. Il revient aussitôt, mets d’autres papiers dans un tiroir. Il travaille ensuite sur son portable. Tournevis à la main.

Ursula entre.

 

 

URSULA - Vous êtes là, professeur ! Mon père n’est pas ici ?

ALEXANDRE - Non, ils sont à l’auberge depuis une heure et d’mie !

URSULA - Avec votre collègue, cell’ qui fait des potions !

ALEXANDRE - Victoire a dû céder à sa proposition !

URSULA - C’est vrai qu’il voulait tant l’inviter à sa table !

 

Un temps, Alexandre reste absorbé par sa machine.

 

URSULA - Alors, depuis hier, toujours sur ce portable  !

Méfiez-vous, à la longue, ça devient addictif  ?

ALEXANDRE - Oui, mais je pense avoir atteint mon objectif !

Après quelques problèmes, c’est prêt à fonctionner !

Dernier coup d’tournevis !

URSULA, comme une enfant, suppliante - Oh ! Je peux l’essayer ?

ALEXANDRE -                                      J’ai peur de vous dire non !

Car pour le recharger, c’est extrêmement long !

URSULA suppliante - Un tout petit essai ! S’il vous plaît, Alexandre !

ALEXANDRE - C’est vraiment impossible et vous pouvez comprendre

qu’un tout petit essai prend beaucoup d’énergie,

et il me faut huit heures pour charger les batt’ries.

URSULA - Quel dommage, je comprends.

(Un temps. Elle cherche à le séduire.)            Vous êtes un passionné !

Vous avez, professeur, toutes les qualités !

ALEXANDRE - Non, pas toutes, Ursula, je manque de mémoire !

Pour ne rien oublier, je note chaque soir,

les progrès que je fais dans ce laboratoire.

Tout ceci est classé au fond de ce tiroir.

 

 Il montre le tiroir dans lequel il a mis des papiers au début de l’acte 3.

 

URSULA - Alors, expliquez-moi, comment cela march’-t-il !

ALEXANDRE - J’ai tout simplifié, sur cette version mobile.

Ce curseur : la durée, maximum deux jours.

Çui-là pour la distance : cinq cents mètres alentours.

Cet interrupteur-là, permet de démarrer.

Et cette prise-ci, pour brancher le bonnet.

 

Ursula se tourne vers la machine murale.

 

URSULA suit son idée - Mais cette machine là, ne se décharge pas !

ALEXANDRE souriant - Vous gardez votre idée, mais c’est vrai, Ursula.

URSULA cherchant à l’amadouer - Alors permettez-moi de voir un peu l’av’nir.

ALEXANDRE - Attendons votre père, il va bientôt rev’nir.

URSULA boudeuse - Mais il ne voudra pas !

ALEXANDRE -                                            Il n’est pas si féroce !

URSULA - Oui, mais, depuis toujours, il me prend pour une gosse.

ALEXANDRE - J’irais bien déjeuner, je n’ai pas eu le temps.

URSULA - Moi, j’ai déjà mangé !

ALEXANDRE décroche sa veste - J’n’en ai pas pour longtemps !

Si votre père arrive, dites-lui que je reviens !

URSULA - Entendu, professeur !

ALEXANDRE -                            Vous ne touchez à rien !

URSULA - Promis, je serai sage !

ALEXANDRE -                                   J’ai dix minutes de route,

je reviens aussitôt que j’ai pris mon casse-croûte !

 

Il sort.

 

Acte 3, scène 2 : Ursula.

 

Ursula, seule en scène, regarde par la fenêtre s’éloigner Alexandre.

Elle s’assoit devant la machine murale, enfile le bonnet. Touche les boutons, les curseurs. Essai de mettre en route.

URSULA - Zut ! Ça ne marche pas ! Il a dû débrancher !

Monsieur Delamouillette est un petit futé !

 

 Elle attrape ensuite le combiné téléphonique et appelle l’opératrice.

 

Allo ! Mademoiselle ! Oui, passez-moi Berlin,

s’il vous plaît… Pas Verdun ! Je vous ai dit Berlin  !

Oui, le quatre-vingts-huit, c’est un appel urgent.

Comment ça : y a pas l’feu  ! (Au public) Ils m’énerv’nt ces Normands  !

 

Un temps.

 

Allo, oui, chancelier ! Ici fraulein Richter !

Oui, la machine est prête ! Mein führer, que dois-je faire ?

… Pour Calais… entendu !… Un essai sur le port,

pour pouvoir déjouer une attaque vers le nord !

Je pars immédiatement, à vos ordres, mein führer !

Je serai à Calais environ dans six heures !

… Non, il n’a rien compris. Mon père est un idiot !

Il est trop occupé à jouer les vieux beaux !

Grâce à cet appareil, on va gagner la guerre !

Votre empire s’étendra sur la planète entière !

À bientôt chancelier ! (Adolf a raccroché.) Allo ! Allo ! Allo !

 

Ursula sort un appareil photo, prend des clichés de la machine murale. Puis elle essaie de porter le portable, mais cela s’avère compliqué, car la machine est très lourde. Elle progresse péniblement vers la sortie en avançant par petits bonds successifs, lorsque Helmut entre. Elle est surprise comme quelqu’un qui vient de se faire pincer. Puis elle se reprend et saisit l’occasion.

 

Acte 3, scène 3 : Ursula, Helmut.

 

HELMUT - Ah ! Tu es seule, ma belle ! Viens me faire un bécot !

URSULA - Helmut, c’est pas l’moment !

HELMUT -                                          Pourquoi ? Qu’est-ce que tu fais ?

URSULA - Je dois dire, tu tombes bien parce que tu vas m’aider !

La voiture de mon père est garée, là, dehors.

Il faut emm’ner ceci jusqu’à l’état-major ! (Elle montre le portable.)

HELMUT -  Qui t’a dit de faire ça ?

URSULA -                                        Heu… Mon père tout à l’heure !

HELMUT – Il t’a dit de faire ça, mais c’est moi son chauffeur ?

URSULA - Ben, il vient de me dire que tu avais trop bu !

HELMUT - Ah ça, certainement pas !

URSULA -                                  Je crois bien qu’il t’a vu !

Il faut transporter ça à la kommandantur !

Je veux bien de ton aide, car c’est vraiment trop lourd !

HELMUT - Et ton père, où est-il ?

URSULA -                                       En train de déjeuner !

Avec la fill’française, qui travaille à côté ! (Elle lève le menton vers le second labo.)

HELMUT - J’ai envie de ton corps, Ursula, mon amour !

URSULA, aguicheuse - Mets ça dans la voiture, peut-être qu’à ton retour

nous aurons un moment pour un petit câlin !

HELMUT - Alors je me dépêche ! Attends-moi, je reviens !

 

Helmut soulève avec peine la machine portable. Puis sort.

Ursula en profite pour ouvrir le tiroir d’Alexandre et saisir tous les papiers qui s’y trouvent.

Elle les plie et les cache dans son chemisier. Helmut rentre, essoufflé.

 

URSULA - Tu as fait vite, dis-moi !

HELMUT -                                       Tu m’avais l’air brûlante !

Et ta proposition était bien alléchante !

URSULA – Oh ! J’ai envie de toi !

HELMUT -                                     Viens, déshabillons-nous !

URSULA - Je suis tout excitée !

HELMUT -                                         Montre-moi tes atouts !

URSULA - D’accord, mais pas ici ! Viens, on va à côté !

HELMUT - J’aime quand tu ordonnes ! Je suis tes volontés !

 

Elle le pousse dans le second labo. Elle joue à l’officier qui donne des ordres.

 

Allez, soldat, mets-toi en tenue de combat !

Et moi je vérifie si mon père ne vient pas !

 

Elle se dirige vers la fenêtre.

 

HELMUT off - Allez ! dépêche-toi !

URSULA regarde par la fenêtre -               Tu es prêt, mon lapin  ?

J’aime quand tu me fais rire, comme avant-hier matin !

 

Ursula se sauve par la porte d’entrée.

 

HELMUT off - Alors, attend un peu, tu vas bien rigoler !

 

On entend une voiture qui démarre en trombe et qui s’éloigne.

 

HELMUT - Encore une minute et tu pourras entrer !

 

 

Acte 3, scène 4 : Richter, Victoire.

 

Victoire entre, suivie par le colonel. Ils sont tous deux de bonne humeur.

 

RICHTER - Ah ! Ce déjeuner m’a ravi, mademoiselle !

En votre compagnie, il me pousse des ailes !

VICTOIRE – Enfin, mon colonel.

RICHTER -                                         Mais ce n’est pas une blague !

VICTOIRE - Vous avez un peu bu et votre esprit divague !

RICHTER - Je vous croyais, Victoire, un appétit d’oiseau.

Vous m’avez estourbi de reprendre trois morceaux

de ce sauté de veau.

VICTOIRE en riant. -                       Plus la tarte aux noyaux !

C’était un vrai festin, j’ai bien pris deux kilos !

RICHTER -  Ne dites pas de sottises, vous êtes belle à ravir !

VICTOIRE - Merci pour le repas, cela m’a fait plaisir !

RICHTER - Le professeur n’est pas là ! A-t-il réparé

sa merveilleuse machine ? (il se rapproche de la machine murale)

 

Victoire essaie de gagner du temps par tous les moyens.

 

VICTOIRE le prenant par le bras pour l’entraîner vers la sortie - Ceci n’est pas pressé.

Nous avons bien le temps, allons faire quelques pas !

Pour digérer ensemble ce succulent repas !

RICHTER - D’habitude, vous n’êtes pas si charmante avec moi !

J’aimerais vous dire…

 

 

Acte 3, scène 5 : Richter, Victoire puis Helmut.

avec ses chaussettes bien hautes, ses chaussures militaires. Son calot sur les yeux lui cache la vue. Évidemment, il ne voit pas son colonel ni Victoire. Il entre en faisant le pitre pour faire rire Ursula.

 

HELMUT -                                                Chérie, me voilà !

  Il marche les deux pieds en canard, les genoux à demi fléchis, les mains de chaque côté avec les cinq doigts bien écartés. Il chantonne comme s’il entrait en piste.

Et oui, c’est moi le clown, de tout’ l’armée all’mande,

 

Vous qui aimez bien rire, voici mon numéro !

Ne ratez pas Helmut, le petit rigol…

RICHTER hurle -                                                 Oooh !

(Outré.) Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Helmut, tu t'moques de moi ?

HELMUT sursaute et remet son calot droit - Oh ! Mein got ! Je n’savais pas que vous étiez là !

RICHTER, fâché - Je m’en doute, sombre idiot ! Garde à vous, soldat Schmitt !

 

Helmut se met au garde à vous.

 

Où sont tes vêtements, pourquoi es-tu en slip ?

VICTOIRE ironique - Je pense que la tenue n’est pas règlementaire !

Enl’vez donc vos chaussettes, si c’est pour un bain d’ mer  !

RICHTER - Il ne manqu’rai plus que ça ! Qu’est-ce que c’est qu’ce foutoir !

Tu es à demi nu, et tu choques Victoire !

 

Helmut retire son calot et avec ses deux mains, s’en sert de cache-sexe.

 

VICTOIRE ironique - Il faut se découvrir devant une demoiselle,

mais à ce point, Helmut, vous faites vraiment du zèle  !

RICHTER - Alors, j’attends toujours quelques explications !

HELMUT - Nous avons, colonel, suivi vos instructions.

J’ai chargé la machine dans la Kübelwagen,

Mais elle est rud’ment lourde,  ce ne fut pas sans peine !

Je suis revenu en sueur, j’étais tout trempé.

Je me suis mis à l’aise dans la pièce à côté !

RICHTER - Mais qu’est-ce que tu racontes, tu parles de quelle machine  ?

HELMUT - Et bien du gros boitier, avec toutes les bobines !

RICHTER - Qui t’a dit d’y toucher ?

HELMUT -                                         Ursula, votre fille !

RICHTER - Et toi, tu suis ses ordres, tu n’es qu’un imbécile !

HELMUT - Vous lui aviez dit de l’emmener au plus vite

à la kommandantur. Je n’l’ai pas contredite !

RICHTER fronçant les sourcils - Je ne comprends plus rien, je n’ai jamais dit ça !

Elle va me l’expliquer ! Mais, où est Ursula ?

HELMUT - Elle devait revenir, et j'ignore où elle est.

RICHTER étonné - Et c’est dans cette tenue que toi, tu l’attendais !

HELMUT - Pas du tout colonel !

VICTOIRE -                                         Mais : chérie, me voilà !

Je n’ose pas croire, Helmut, que cette phrase fut pour moi !

HELMUT cherchant à se disculper. - Oh ! Non, il y a méprise ! Pas du tout, mad’moiselle !

RICHTER - Donc, si je comprends bien, cette phrase était pour elle !

Tu cherches à séduire ma fille, toi, infâme crapule !

Approch’-toi un peu que j’écras’ tes testicules  !

VICTOIRE -  Mais enfin, colonel, un peu de retenue !

RICHTER - On n’ touche pas à ma fille, je l’avais prévenu !

VICTOIRE - Mais peut-être viv’nt-ils une grande histoire d’amour !

RICHTER -  Ma fille ne peut s’éprendr’ de cet ivrogn' balourd !

 

                      À Helmut.

 

Et puis va t’habiller, parce que là, tu m’énerves !

Je vais réfléchir au sort que je te réserve !

 

Helmut sort vers le deuxième labo.

 

VICTOIRE - N’êtes-vous pas trop sévère avec votre chauffeur ?

RICHTER - J’ai déjà éloigné tous ses prédécesseurs.

Ma fille ne sera pas avec un pauvr’ ivrogne !

Il n’a pas d’avenir, vous avez vu sa trogne !
 

Acte 3, scène 6 : Richter, Victoire, Alexandre puis Helmut.

 

Alexandre, entre.

 

ALEXANDRE - Vous êtes là, colonel, veuillez bien m’excuser.

Je suis passé chez moi, je n’avais pas mangé.

 

Alexandre accroche sa veste à la patère.

 

RICHTER - Alors votre appareil, est-il au point, cette fois ?

ALEXANDRE, sans hésiter - Tout à fait, colonel !

VICTOIRE étonnée, elle ouvre de grands yeux vers Alexandre - Mais il ne marchait pas !

ALEXANDRE - Mais pendant qu’à l’auberge vous faisiez un festin,

j’ai trouvé où était le problème.

 

Il rebranche les 2 fils qu’il avait débranchés au début de l’acte 3.

 

VICTOIRE cherche encore à gagner du temps -              C’est certain ?

N’y aurait-il pas encore quelques petits réglages ?

RICHTER - Elle veut gagner du temps… (Un temps. Alexandre et Victoire le regardent, stupéfaits.)

pour aller à la plage  !

VICTOIRE - Oui, c’est vrai, Alexandre, je viens de proposer

une petit’ promenade pour aller digérer !

ALEXANDRE - Maintenant ça fonctionne. Ce serait vraiment bête,

d’aller se promener quand la machine est prête !

RICHTER - Excusez-moi, Victoire, mais j’ai tellement envie,

de savoir l’avenir. (Il se tourne vers Alexandre) Vous, vous êtes un génie !

ALEXANDRE - Installez-vous ici, enfilez le bonnet !

Je mets au maximum : voilà, deux jours complets ! (il règle le curseur)

Et bien, vous allez voir, une partie du village

et ce qui se pass’ra mardi 6, sur la plage !

VICTOIRE affolée. - Mais enfin, professeur, c’est vraiment d’ la folie !

ALEXANDRE - Oh ! Pas du tout, Victoire ! C’est plutôt du génie !

 

Juste avant de mettre en route l’appareil, Alexandre, dans le dos du colonel, modifie le curseur.

 

RICHTER - Ça y est, je vois la plage, jusqu’au bord de la mer !

Et aussi Saint-Laurent, jusque chez la crémière !

VICTOIRE, inquiète, fait une grimace, face au public. - Et rien à l’horizon ?

RICHTER -                                                  Vraiment rien, en effet !

Il ne se passe rien dans ce village Français ! (Il enlève le bonnet et se lève.)

Monsieur Delamouillette, vous êtes remarquable !

 

Alexandre fait mine de chercher à droite et à gauche.

 

ALEXANDRE - Oui, mais une chose m’inquiète, où est donc mon portable ?

RICHTER - Et bien, il semblerait que ma fille l’ait porté

à mon état major, sans me le demander !

ALEXANDRE - C’est pour ça, tout à l’heure, j’ai trouvé ça bizarre,

elle posait des questions et elle voulait savoir

comment cela marchait !

RICHTER -                                                  Mais de quoi se mêl’-t-elle ?

Ce n’est qu’une petite fille.

ALEXANDRE -                                      Vous êtes trop paternel !

RICHTER - J’en aurai le cœur net ! Il faut que je sois sûr

qu’elle ait porté l’engin à la kommandantur !

 

Il décroche le téléphone.

 

Allo ! Mademoiselle, passez-moi le dix-huit,

à Saint-Laurent sur mer… on se dépêche, plus vite ! (Un temps.)

Allo ! allo ! Oui, Karl, ici le colonel.

Comment, « quel colonel ? », et bien Richter, bordel !

Ma fille est-elle passée ? (Il s’énerve.) Aujourd’hui, sombr’ idiot  !

Pas la semaine dernière ! Tu n’as pas de cerveau !

(Aux deux autres.) Quel crétin, celui-là !

VICTOIRE -                                                            Vous n’êtes pas aidé  !

RICHTER, au téléphone - Non ! Personne ne l’a vu ! (Il raccroche.) Mais où est-elle passée ?

VICTOIRE - Partie faire des emplettes !

 

Helmut sort du second labo.

 

ALEXANDRE étonné -                            Vous étiez là, Helmut !

J’ai cru voir la voiture partir vite sur la route !

RICHTER - Sûrement Ursula ! Dans quelle direction ?

ALEXANDRE - Vers Bayeux, il me semble ! Et elle roulait à fond !

RICHTER - Helmut, va me chercher un autre véhicule !

HELMUT - Maintenant ?

RICHTER très calme -     Non, demain  ! (Il s’énerve.)Mais tu es ridicule !

Évidemment maint’nant ! Pourquoi pas à Noël  !

HELMUT – Bon, j’y vais !

RICHTER, lui criant dessus - En courant !

HELMUT -                                                    Très bien, mon colonel !

 

Helmut sort en courant.

 

ALEXANDRE - Heureus’ment, il me reste les plans de ma machine !

Il ouvre le tiroir où étaient les papiers.

(Faussement étonné.)Tiens, ils ne sont plus là !

VICTOIRE -                                                             Ursula, j’imagine !

RICHTER - Elle joue un drôle de jeu, berner son propre père !

VICTOIRE - Elle m’a avoué hier qu’elle connaissait Hitler !

RICHTER - Mais comment est-ce possible ? Et moi, j’étais trop bête !

ALEXANDRE - Faites donc des enfants, voyez comme ils vous traitent !

RICHTER - Cette fois-ci c’en est trop ! Il me faut l’arrêter !

J’appelle immédiatement pour la neutraliser.

 

Il décroche de nouveau le téléphone. Victoire en profite pour s’éclipser discrètement dans le second labo.

 

Allo ! Mademoiselle, passez-moi le dix-huit,

à Saint-Laurent sur mer… comment des parasites ?

(Il s’énerve.) C’est vous le parasite !… Mais allez-vous vous taire  ?

Comment ça, y a pas l’feu ! Mais c’est pire, c’est la guerre !

 

Victoire revient tout aussi discrètement avec une paire de pinces coupantes à la main.

 

Mais moi aussi je fais mon travail, mademoiselle ! (Un temps.)

Allo ! Karl ! Alerte ! Appelez les sentinelles…

 

Victoire coupe, dans le dos du colonel, le fil du téléphone.

 

Il faut stopper une Kübelwagen, vers Bayeux !

Ma fille est à bord, une blonde aux yeux bleus.

Allo… scheisse… C’est coupé.

VICTOIRE cachant la pince dans son dos. - C’est vraiment pas de chance  !

RICHTER - Encore un sabotage de cette résistance !

ALEXANDRE - Et vous croyez qu’elle va porter mon invention

à votre chancelier ?

RICHTER -                                          Ce serait le pompon !

Après deux ans d’attente, la machine est au point,

et là, ma propre fille l’emporte jusqu’à Berlin !

C’est à moi que devaient revenir les honneurs.

Je me suis fait berner comme un vrai amateur !

 

Helmut entre.

 

HELMUT - Voilà, mon colonel, j’ai trouvé une voiture !

RICHTER - Nous partons sur le champ, suivr’ma progéniture !

Il faut absolument rattraper Ursula !

HELMUT - Pourquoi est-elle partie ?

RICHTER -                                         Pour trahir son papa !

ALEXANDRE - Ursula a volé mon portable.

HELMUT -                                                      Pour quoi faire ?

VICTOIRE - Je crois que c’est pour faire un cadeau à Hitler !

RICHTER - Mais en roulant bien vite sans jamais s’arrêter,

je crois que nous pourrons sûr’ment l’intercepter !

HELMUT affolé - On va partir maint’nant, pour aller à Berlin !

Mais je n’ai rien à boire !

RICHTER -                                           Ça tombe bien, crétin !

Car avant de partir, il vaut mieux être à jeun !

HELMUT - Traverser toute l’Europe, sans une goutte de vin !

ALEXANDRE - Merci bien, colonel, de réagir viv’ment,

Au vol de mon portable et de mes documents !

RICHTER - C’est une affaire d’honneur ! Viens, on y va, Helmut !

VICTOIRE - Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne route !

RICHTER amoureux - Au revoir, mad’moiselle ! Je reviens au plus vite !

En pensant au retour, déjà mon cœur palpite !

 

Helmut discrètement va finir une bouteille de vin qui était sur la table.

Le colonel le voit.

 

RICHTER - Que fais-tu imbécile !

ALEXANDRE -                              Il prend du carburant !

RICHTER - Avant de prendre la route, mais tu es effarant !

 

Helmut qui vient de boire, à son insu, de la potion infantilisante parle comme un enfant de 7 ans.

 

HELMUT, au colonel - Eh ! Dit, monsieur ! C’est toi le papa d’Ursula ?

Elle est gentille ta fille, c’est ma copine à moi  !

RICHTER lui crie dessus - Qu’est-ce qui te prend, crapul’, tu es déjà bourré !

HELMUT pleurnichant - Faut pas crier, monsieur, sinon je vais pleurer  !

VICTOIRE - S’il conduit, colonel, attendez-vous au pire !

ALEXANDRE, au colonel - Je crois qu’une fois de plus, vous allez le conduire !

RICHTER - Mais qu’est-ce qui m’a foutu une andouille pareille ?

HELMUT - Oh ! S’il te plaît, monsieur, ne tire pas mes oreilles !

RICHTER - Tu retournes en enfance. Ah ! Tu l’auras voulu !

Fais demi-tour, que je puisse te botter le cul  ! (Ce quil fait aussitôt.)

HELMUT - Eh ! Mais tu me fais mal !

RICHTER -                                             Tu me tutoies, canaille !

 

Et tout en sortant, le colonel continue de lui botter l’arrière-train.

 

HELMUT - J’vais l’dire à mon papa ! Mais arrête ! Aïe ! Aïe ! Aïe  !

 

Ils sortent tous les deux.

 

Acte 3, scène 7 : Victoire, Alexandre.

 

ALEXANDRE - Un p’tit coup de potion, le voilà en enfance.

Je n’suis pas mécontent qu’ils quittent tous deux la France !

VICTOIRE - Alexandre vous êtes fou ! Pourquoi avoir laissé

le colonel Richter essayer le bonnet ?

ALEXANDRE - C’était indispensable, il fallait qu’il le fasse !

Il est content de moi, et j’obtiens ses bonnes grâces !

VICTOIRE - Mais alors, vous l’aidez ?

ALEXANDRE -                                   C’est ce qu’il veut bien croire !

VICTOIRE - Mais comment se fait-il, que lui n’ai pas pu voir

les combats du 6 juin, et le débarquement ?

ALEXANDRE - Parc'que je viens de faire voir à ce bedonnant

 

la plage, mais le 5 juin, et lui, bon militaire,

m’a cru évidemment ! C’était élémentaire !

VICTOIRE - Ah ! Vous m’avez fait peur ! C’était très astucieux !

Et le voilà parti, maintenant sous d’autres cieux !

ALEXANDRE - Mais pour le téléphone, on a eu de la chance

qu’il y ait eu une coupure ! Merci, la résistance !

VICTOIRE - Mais elle n’y est pour rien, et vous seriez bon prince,

de dire : merci, Victoire, avec sa paire de pince s ! (elle sort sa paire de pinces de sa blouse)

ALEXANDRE - Vous êtes vraiment géniale, et je sais apprécier

chez vous, ma chère Victoire, vos nombreuses qualités !

 

Ils se rapprochent l’un de l’autre.

 

Vous êtes compétente, gentille, la bonté même,

et puis jolie aussi. Je crois que… je vous aime !

VICTOIRE - Et moi ça fait cinq ans que je le garde en moi,

l’amour que j’ai pour vous ! Serrez-moi dans vos bras !

 

Ils s’enlacent tendrement.

 

ALEXANDRE - Victoire, je suis heureux, mon cœur joue du tam-tam !

 

Il pose un genou au sol.

 

Voulez-vous accepter de devenir ma femme ?

VICTOIRE lui tenant les deux mains - Alexandre, je dis oui, trois fois oui, voyez-vous !

J’accepte sans condition : devenez mon époux !

 

Alexandre se met debout. Ils s’embrassent.

 

ALEXANDRE - Je n’ai rien vu du tout, le nez dans mes projets,

le bonheur était là, dans la pièce à côté !

VICTOIRE - Oui, nous serons heureux, nous allons nous unir,

pas besoin d’une machine pour prédire notr’avenir !

 

Ils s’embrassent de nouveau.

 

Acte 3, scène 8 : Victoire, Alexandre, Paulette.

 

Paulette entre d’un coup. Elle les voit s’embrasser, pose les mains sur ses hanches.

 

PAULETTE - Ah ! Ben, c’est pas trop tôt !

 

Alexandre et Victoire se séparent.

 

ALEXANDRE un peu gêné -         Qu’est-ce qui n’est pas trop tôt ?

PAULETTE - D’avoir vu qu’elle t’aimait, espèce de gros nigaud  !

VICTOIRE - Oui, Paulette, ton frère m’aime !

ALEXANDRE -                                             Nous voulons nous marier !

PAULETTE - Mais il y a plus urgent, sans vouloir vous presser !

D’abord, où sont passés Helmut et l’colonel ?

VICTOIRE - Il court après sa fille, car elle s’est fait la belle !

ALEXANDRE - Ursula est partie en volant mon portable !

PAULETTE paniquée - Quoi, elle te l’a piqué ? Mais c’est épouvantable !

VICTOIRE - C’est une petite peste ! Elle va trahir son père !

PAULETTE - Mais où va-t-elle l’emm’ner ?

ALEXANDRE -                                          Au chancelier Hitler !

PAULETTE - Mais c’est la catastrophe ! Il faut l’en empêcher !

ALEXANDRE, calmement - Surtout pas, voyez-vous ! Laissons-la s’éloigner !

VICTOIRE - Mais pourquoi, Alexandre ? Là, je ne comprends pas !

PAULETTE - Moi non plus ! Y a urgence ! Allez vite, explique-toi !

ALEXANDRE - Ursula est partie vers Calais tout à l’heure,

essayer la machine sur ordre du Führer.

Le colon, d’son côté, croit qu’elle va à Berlin,

apporter à Adolf son précieux butin !

VICTOIRE - Le colonel Richter est parti vers l’Allemagne…

ALEXANDRE - Avec ce bon Helmut, bien sûr, qui l’accompagne !

PAULETTE - Mais Ursula, elle, s’en va bien à Calais ?

ALEXANDRE - Sur le port ! Elle pense voir débarquer les alliés !

PAULETTE - C’est quand même très risqué de laisser à des boches,

ton anticipator ! T’as rien dans la caboche  !

VICTOIRE – C’est risqué, en effet, si les Allemands s’en servent !

ALEXANDRE - Mais sur cette hypothèse, j’émets quelques réserves.

Parce que dès qu’Ursula enfil’ra mon bonnet,

ce n’est pas l’avenir qu’elle verra, il est vrai,

j’ai bien peur, en effet, qu’au fond elle ne récolte

qu’une bonne châtaigne d’environ vingt-quatre volts.

PAULETTE - Tu veux dire qu’au moment de brancher l’appareil…

ALEXANDRE en riant - Elle va prendre un coup d’jus entre les deux oreilles  !

VICTOIRE - Ça c’est bien fait pour elle, qu’elle se le tienne pour dit :

On ne tourne pas autour de mon futur mari !

ALEXANDRE - Je n’allais pas laisser Ursula s’en aller,

seule avec mon portable sans l’avoir saboté !

VICTOIRE - Oui, mais n’oublions pas, elle a volé les plans,

pourrait-elle se servir de tous ces documents ?

ALEXANDRE - Ceux qu’elle a emportés ! Oh! Ça, ça m’étonnerait !

Ce sont de vieilles factures et des notes de frais  !

Les vrais plans sont cachés, derrière, dans ton labo !

PAULETTE - Hier encore, Alex, j’te croyais collabo !

Mais je me suis trompée, t’avais dans la caboche

un plan bien établi, fait pour piéger les boches !

ALEXANDRE - Par contre, ce bâtiment, à l’aube, mardi matin,

va, sous un tir d’obus, exploser, c’est certain !

PAULETTE - Il faut aller vous mettre, tous les deux, à l’abri !

VICTOIRE - Et pourquoi juste nous ?

PAULETTE -                                         Je retourne au maquis !

Ça fait quatre ans, Victoire, que j’attends ce moment.

Je n’vais pas me planquer en plein débarquement !

Et depuis tout ce temps que j’aide la résistance,

je vais contribuer à libérer la France !

VICTOIRE - Mais si le labo saute, où va-t-on se cacher ?

ALEXANDRE - Dans un endroit qui lui, ne sera pas touché !

Mon anticipator sera détruit mardi,

mais il va nous servir à trouver un abri !

PAULETTE - Pas seulement à vous, mais à tout Saint-Laurent !

VICTOIRE - Elle a raison, chéri, aidons les habitants !

ALEXANDRE - Je vais répertorier toutes les maisons des gens

qui seront épargnées par les bombardements !

Et dans la nuit du 5 au 6 juin, en silence,

nous irons dans leurs caves sauver nos existences.

PAULETTE - Mais si Richter revient, il va nous massacrer !

VICTOIRE - Peut-être qu’Ursula va vouloir se venger !

ALEXANDRE - Oh ! Non, je ne pense pas qu’ils reviennent nous chercher

parce que, d’ici là, nous serons libérés !

PAULETTE - La guerre n’est pas finie, et il faudra combattre.

(Face public.) On parlera longtemps du six juin quarante-quatre.

 

Noir et musique (fleur de Paris de Maurice Chevalier)

 

FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Victoire d’Alexandre

(3 juin 1944)

 

Pièce en vers de François Scharre

 

 

 

 

 

Nous sommes le 3 juin 1944, à Saint-Laurent sur mer, petite ville sur la côte Normande.

 

Le décor : le laboratoire d’Alexandre Delamouillette. Une grande paillasse qui prend pratiquement tout le fond de la scène, avec quelques tiroirs. Au-dessus de la paillasse, sur le mur, un grand panneau de bois d’où sortent fils, voyants et autres manettes. Côté jardin, au premier plan, une porte donnant sur l’extérieur, au second plan, une fenêtre donnant sur la plage de Saint-Laurent-sur-mer. Côté cour, au second plan, une porte donnant sur un second laboratoire, celui de Victoire. Un fauteuil à roulettes devant la paillasse. Au premier plan côté cour, une simple table avec deux chaises en paille. Sur la table, 3 bouteilles de vin, une cruche d’eau. Au-dessus de la table, une étagère avec des verres, des bouteilles de vin, une bouteille de sirop d’orange. Sur la paillasse, quelques outils, un bonnet de cuir relié à des fils électriques, une radio TSF, un téléphone. Sous la paillasse, un gros boitier en bois (30x30x80 cm) muni d’une poignée avec un autre bonnet de cuir avec fils électriques. À côté de la porte d’entrée, une patère avec une veste.

 

 

Acte 1 :

 

Le matin du samedi 3 juin 1944

 

Acte 1, Scène 1 : Paulette, Victoire.

 

Paulette, assise sur le siège à roulettes, écoute Radio Londres, au poste TSF. Elle est dos à la porte d’entrée. Un panier est posé à ses pieds. Quand elle parle, Paulette est franche et sans détours.

 

Voix nasillarde de la radio - Ici Londres, les Français parlent aux Français.

Ce matin à Greenwich, le fond de l’air est frais.

Nous sommes le trois juin mille neuf cent quarant’ quatre,

La guerre n’est pas finie et il faudra combattre.

Et voici tout d’abord des messages personnels :

Si tu perds ton falsar, achète-toi des bretelle s.

Le petit brun, Adolf, porte une fausse mousta che,

la mère Éva Braun lui file des coups de crava che.

Les clés du char d’assaut sont sur le pare-soleil .

Monseigneur l’archevêque a mal au gros ortei l.

Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone.

Si tu vas à Rio, n’oublie pas ton chapeau. (Victoire entre discrètement par la porte d’entrée, puis referme doucement la porte derrière elle.)

Le chien du général n’est qu’un vilain cabot.

PAULETTE sursaute en voyant Victoire - C’est toi ! Tu m’as fait peur !

Voix de la radio -                                                  La grande tour est détruite.

VICTOIRE - Le son est bien trop fort ! (Paulette baisse un peu le volume de la radio. Elles continuent d’écouter toutes les deux la radio.)

Voix de la radio -                                                       Les carottes sont cuites.

N’oublie pas ton caleçon pour traverser la manche .

Ma grand-mère en cachette a sifflé trois boutanches .

Les messages sont finis aujourd’hui, messieurs-dames,

mais nous continuons la suite de nos programmes.

 

 Musique de Glenn Miller à la radio puis, Paulette éteint le poste.

 

VICTOIRE - On entend de dehors, fais un peu gaffe, Paulette !

PAULETTE la rassurant - Le colon est parti, avec mon frère.

 

VICTOIRE -                                                                Arrête !

Moi je veux bien t’aider, je te l’ai déjà dit…

PAULETTE lui coupant la parole - Mais tu n’veux pas plonger, ça, je l’ai bien compris !

VICTOIRE se tournant vers la machine qui est fixée au mur - Alexandre a fini son anticipator !

PAULETTE montre la machine. - Faire ça pour les Allemands, je ne suis pas d’accord !

Mon frère est collabo !

VICTOIRE -                                   Ne dis pas ça, Paulette !

PAULETTE - Aider les boches, Victoire ! (Elle soupire), Mais qu’est-ce qu’il a en tête ?

VICTOIRE défendant Alexandre - Ton frère est comme il est, il ne pense pas à mal.

PAULETTE - Il ne pense pas du tout. Il fait un arsenal,

payé par les Allemands, pour l’Allemagne d’Hitler !

Il travaille pour l’ennemi ! Et dire qu’il est mon frère !

VICTOIRE - Tu exagères toujours, c’est un grand inventeur !

Tu ne crois pas en lui, pourtant tu es sa sœur !

(Rêveuse, amoureuse)

C’est un idéaliste, moi je l’aime comme il est !

PAULETTE - Oui tu l’idéalises, car tu l’aimes, je le sais !

VICTOIRE, gênée - Non, qu’est-ce que tu racontes !

PAULETTE -                                                                Tu crois qu’je t’ai pas vu !

Depuis la première fois que tu l’as aperçu.

Quand tu es près de lui, tes yeux brillent, tes mains tremblent.

VICTOIRE - Ce n’est pas c’que tu crois ! Si on travaille ensemble,

depuis cinq ans déjà, il est vraiment normal…

PAULETTE lui coupant la parole - Que tu l’aimes comm’ une folle, c’est clair comme du cristal !

VICTOIRE - Écout’, tu es gênante ! (Un temps. Passant à autre chose) Ça y est, j’ai préparé

tous les explosifs que tu m’avais demandés.

PAULETTE - J’ai ici un panier, au fond j’ai mis d’la paille.

(Elle attrape le panier qui était à ses pieds. On voit deux poireaux dépasser.)

Cachons-les comme si c’était des victuailles.

VICTOIRE - Les bâtons d’dynamite, dans du papier journal,

comme de la charcut’rie !

PAULETTE -                                           Ton idée n’est pas mal !

VICTOIRE - Et pour les trois bouteilles de cocktails Molotov ?

Paulette - Je vais les enrouler dans ce vieux bout d’étoffe ! (Elle sort un morceau de tissu.)

VICTOIRE - J’ai camouflé le tout dans des bouteilles de cidre !

Les mèches sont à part.

PAULETTE -                                        C’est loin d’être stupide !

VICTOIRE - J’ai fait comme convenu, douz' bâtons d’dynamite !

PAULETTE  - Super, et grâce à toi, avec mes acolytes

du réseau résistant, juste au lever du jour

On f’ra péter le poste de la Kommandantur.

VICTOIRE - Tu feras attention !

PAULETTE  -                                     T’en fais pas, n’ai pas peur !

VICTOIRE - Et s’ils t’arrêtent, tu dis…

PAULETTE  plaisantant. -

qui a tout préparé ! Championne du sabotage,

elle est dans le labo, juste au bord de la plage !

VICTOIRE souriant - Tu es bête !

PAULETTE  -                       C’est pratique d’avoir pour connaissance

une chimiste en temps d’ guerre, qui aide la résistance.

VICTOIRE - Viens avec moi, Paulette, tout est dans mon labo.

PAULETTE - Et tes nouvelles mixtures seront finies bientôt ?

VICTOIRE – J’ai terminé hier deux nouvelles potions.

J’ai besoin de cobayes pour voir leurs réactions !

 

Elles sortent vers le second labo.

 

Acte 1, Scène 2 : Helmut, Ursula.

 

Ursula entre. C’est une jolie jeune femme Allemande, habillée d’une petite robe (nous sommes en juin), suivie d’Helmut, soldat Allemand en uniforme. Ils ont l’accent Allemand. Il lui court après et ils rigolent tous les deux. Il la chatouille, ils finissent contre le plan de travail où se trouve l’invention d’Alexandre.

 

URSULA - Tu me chatouilles, Helmut !

HELMUT -                                            Et alors, tu n’aimes pas ?

 

Il sort une flasque d’alcool de sa tenue militaire et en boit une rasade.

 

 

URSULA, l’œil coquin – Oh ! Tu n’es pas sérieux ! On n’va pas faire ça là ?

HELMUT - Pourquoi pas, Ursula ?

URSULA - Et si quelqu’un entrait ! (Elle s’éloigne de lui.)

HELMUT - Qui donc ? Le colonel ? Ou le petit Français ?

URSULA - Ou bien n’importe qui ! Dans ce laboratoire,

rien n’est fermé à clé !

HELMUT impatient -              Viens plutôt me faire voir !

Ces jolis sous-vêtements que tu as mis pour moi !

URSULA - Toi, tu n’es qu’un fripon ! Tu ne penses qu’à ça !

HELMUT - Tu m’excites, que veux-tu ! Viens ici, Ursula !

Je t’aime autant, je crois, qu’ma bouteille de vodka  !

 

Il se ressert une rasade avec sa flasque. Ursula se retourne vers la machine.

 

URSULA - C’est donc ça, cette machine dont m’a parlée mon père !

HELMUT - Oui, oui ! Mais viens par là, j’aimerais me distraire !

URSULA - Tu sais comment ça marche. À quoi ça peut servir ?

HELMUT - Non, je n’y comprends rien, mais ils ont l’air de dire

que ça peut tout changer !

URSULA -                                       Comment ça, tout changer ?

HELMUT - Pour la fin de la guerre. Allez ! Viens m’embrasser !

URSULA - Si mon père nous voyait : sa fille et son chauffeur !

HELMUT - Ça barderait pour moi, il me tuerait sur l’heure !

URSULA - Ne parle pas de ça, je tiens à toi, Helmut !

HELMUT - Sur cette belle parole, je bois encore une goutte !

(Il reprend une rasade de vodka.)

Pourtant Dieu sait combien j’aime mon colonel !

(Provocateur) S’il nous surprend un jour, je le provoque en duel !

URSULA amoureusement. -  Tu ferais ça pour moi !

HELMUT -                                     Viens donc sur mes genoux !

 

Elle s’assoit sur ses genoux.

 

Acte 1, Scène 3 : Helmut, Ursula, Richter, Alexandre.

 

Entre le colonel Richter, en trombe (en tenue d’officier allemand, il a l’accent allemand.) Ursula et Helmut se lèvent d’un bon. Ursula rajuste sa tenue, Helmut se met au garde-à-vous. Alexandre, en blouse blanche, suit le colonel et referme la porte derrière lui.

 

RICHTER - Ah ! Helmut, tu es là ! Je te cherche partout !

HELMUT - Bonjour, mon colonel ! (Il fait le salut militaire.)

RICHTER -                                      Je ne suis pas content !

Ça fait plus d’une heure trente que dans tout Saint-Laurent

je te cherche, fripouille. Où étais-tu passé ?

Je me suis dit : quand même, il n’a pas déserté !

HELMUT - Je vous cherchais aussi, mein colonel Richter !

J’ai sillonné les rues de Saint-Laurent sur mer !

RICHTER - Tu as vu ta tenue ! Tu te moques de moi ! (Helmut rajuste sa tenue.)

Et que fais-tu ici, toi aussi, Ursula ?

URSULA - Ne grondez pas Helmut, c’est de ma faute, papa !

Je lui ai demandé de me montrer tout ça ! (Elle fait un geste vers la machine d’Alexandre.)

ALEXANDRE - Bonjour mademoiselle !

URSULA -                                                 Bonjour à vous, monsieur !

Ces machines m’émerveillent et j’en ai plein les yeux !

Je suis fort intriguée ! À quoi cela sert-il ?

ALEXANDRE - C’est là mon invention, elle sera fort utile !

RICHTER - Mais ma petite fille, tu n’y comprendras rien !

Ceci est scientifique !

ALEXANDRE -                            Et complexe, je le crains !

URSULA - Je ne suis pas trop bête, j’aim’ la science, vous savez !

HELMUT - Je crois bien qu’Ursula…

RICHTER, énervé, lui coupant la parole -                   On ne t’a pas sonné

pour te demander le moindr’ avis, soldat Schmitt !

Et reste dans ton coin parce que là tu m’irrites !

 

Helmut va se placer à côté de la table où sont placées plusieurs bouteilles de vin.

 

ALEXANDRE - J’ai fini les réglages cette nuit, colonel !

La machine est cette fois tout à fait fonctionnelle !

URSULA - Oh très bien ! Dites, papa, laissez-moi regarder !

RICHTER - Ce n’est pas fait pour toi, il te faut retourner

dans nos appartements.

ALEXANDRE -                               Mais elle ne dérange pas !

HELMUT, à part - Tiens, voilà de l’alcool !

URSULA -                                                   Allez, dites oui, papa !

RICHTER autoritaire. - Quand je dis non, c’est non ! Sors d’ici maintenant !

HELMUT au public - Un petit verre de vin, ce n’est pas bien méchant  ! (Il se sert un verre de vin.)

URSULA - Au revoir, professeur, je reviendrai vous voir !

ALEXANDRE - Entendu Ursula ! (Ursula sort.)

 

Acte 1, Scène 4 : Helmut, Richter, Alexandre.

 

RICHTER -                                  Pouvons-nous nous asseoir ? (Il s’assoit sur le fauteuil à roulettes.)

ALEXANDRE - Tout à fait, colonel. Mon système est au point,

et, vous m’avez promis que vous prendriez soin

qu’il ne servirait pas à des fins militaires !

RICHTER - Mais j’adore la science ! On a beau être en guerre,

monsieur Delamouillette, je suis un honnête homme.

Vous êtes un grand chercheur, qui fait son maximum

pour faire évoluer la connaissance humaine !

ALEXANDRE - Arrêtez, voulez-vous, car tout ceci me gêne !

RICHTER - Alors, cette machine est vraiment terminée ?

ALEXANDRE – Mon tout dernier essai à très bien fonctionné !

RICHTER - Parce que ça fait deux ans que nous vous finançons,

il ne faudrait pas trop…

HELMUT -                                       Nous prendre pour des cons  !

 

Le colonel, se retourne vers Helmut et le fusille du regard.

 

ALEXANDRE - C’est vrai, grâce à l’argent de votre état-major,

j’ai pu enfin finir mon « Anticipator ».

RICHTER - Rappelez-vous, monsieur, quand je suis arrivé,

les hauts gradés Allemands voulaient tous vous virer…

ALEXANDRE - Vous avez insisté pour que je reste ici !

Vous avez cru en moi et je vous dis : merci !

RICHTER - Tous les autres chercheurs sont partis en Allemagne

sauf vous et Victoire. (Amoureusement, il se lève.) J’aime beaucoup cette femme.

Si je la garde ici, ce n’est pas qu’elle est douée.

Ces malheureuses potions qu’elle nous a fabriquées

ont très peu d’intérêt et tout cela m’amuse.

Mais, je crois qu’elle m’inspire, elle deviendra ma muse :

(Il sent l’inspiration arriver et commence un poème. Il se rapproche de l’avant-scène.)

Elle a toute la beauté d’un Panzer au solei l,

Elle a toutes les rondeurs d’une jolie...

HELMUT qui tient encore la bouteille de vin à la main. - Bouteille  ?

RICHTER se tourne vers Helmut - Tais-toi donc, imbécile ! Je compose un poème,

pour une jolie Française, dont le nom de baptême

est Victoire, c’est un signe. (Il reprend avec emphase.) Je veux crier : Victoire !

Ell’ même peut-être, un jour, me prendra…

HELMUT en riant -                                               Pour une poire  !

RICHTER changeant brusquement de ton. - Tu vas prendre mon poing, crétin buse à la noix !

HELMUT - C’était pour faire la rime !

RICHTER, le menaçant de sa main -       Et celle-là, tu la vois  !

                        (Il reprend son poème.)

Je lui ferais la cour pour pouvoir l’amadouer,

alors, peut-être, un jour, je pourrais... (Il cherche la rime.)

HELMUT faisant un geste obscène -                     La sauter  !

RICHTER – Mais vas-tu arrêter tes grosses blagues à deux balles !

 

Il sort son revolver de son étui et le pointe vers Helmut.

 

Et puis sors d’ici, ou tu vas prendre douz’ balles  !

HELMUT craintif, il recule vers la porte. - Bien sûr, mon colonel, j’attends, là, dans la cour !

 

Toujours l’arme dirigée vers Helmut.

 

RICHTER acide. - Pourquoi ne nous fais-tu plus aucun trait d’humour  !

 

Helmut sort à reculons et referme la porte d’entrée.

 

Acte 1. Scène 5 : Alexandre, Richter.

 

ALEXANDRE - Votre chauffeur Helmut est plutôt rigolo !

RICHTER rengaine son arme. - Moi je dirais plutôt : c’est un sacré poivrot  !

ALEXANDRE - Il a effectivement attaqué mon vin blanc !

RICHTER - Et attaqué mon calme et mes nerfs  en même temps !

ALEXANDRE - Alors mon colonel, prêt pour le grand essai ?

RICHTER - J’attends depuis longtemps !

ALEXANDRE -                                         Vous serez satisfait !

 

Alexandre, s’assoit sur son fauteuil, dos au public, il enfile un bonnet de cuir relié à des fils électriques, règle quelques boutons, branches des fiches électriques au panneau qui est au mur.

 

Il faut déjà poser ce bonnet sur ma tête,

fermer la jugulaire pour une liaison parfaite !

RICHTER - Mais qu’est-ce que tout cela ?

ALEXANDRE -                                                      De la technologie !

RICHTER - Vous vous moquez de moi ? J’ai payé tout ceci ?

ALEXANDRE toujours de dos - Oui ! Mais vous allez voir, dans un petit instant

que je saurais l’av’nir bien mieux que le présent !

RICHTER - J’ai bien du mal à croire qu’avec votre bidule…

ALEXANDRE - Vous avez peur de quoi : que je sois ridicule ? (Il se retourne d’un coup et sourit bêtement.  Coiffé du bonnet, il a effectivement l’air ridicule.)

RICHTER - Pour cela, professeur, il est déjà trop tard  !

ALEXANDRE - Mais l’anticipator, sans être trop vantard

est la machine qui va tout révolutionner.

RICHTER, sceptique - Essayez tout d’abord de ne pas vous blesser !

ALEXANDRE - Je branche maintenant mon bonnet magnétique

aux bornes plus et moins de ces piles électriques.

RICHTER - Oh là là ! Professeur, je crois, vous allez faire

sauter toute la ville de Saint-Laurent sur mer.

ALEXANDRE - Pas du tout ! Et voilà, je règle l’appareil

sur deux minutes, pas plus. Ouvrez grand vos oreilles !

 

(Il règle un curseur qui se trouve sur le tableau)

 

 

Maintenant, prenez donc au fond de ce tiroir,

dans ce jeu de questions, trois cartes au hasard.

RICHTER - Mais croyez-vous vraiment, monsieur Delamouillette,

que j’ai envie de jouer au jeu de la crapette  !

ALEXANDRE - Non, c’est un jeu plus fin, de culture générale

où je vais deviner les réponses sans mal.

RICHTER - Je vous faisais confiance, tout ça pour investir

dans trois fils électriques et un bonnet de cuir !

Ah ! Si mes supérieurs l’apprennent, ils vont me faire

curer les cabinets jusqu’à la fin d’la guerre !

 

Alexandre ne l’écoute même pas.

 

ALEXANDRE - Des trois prochaines questions que vous me poserez,

voici les trois réponses que je vous répondrai.

 

Il ferme les yeux, se concentre puis poursuit.

 

Pour la première d’entr’elles, je réponds aussi sec,

c’est : le vingt et un mai mille neuf cent vingt-sept.

La seconde est facile et même un idiot

l'aurai sûrement trouvé, car c’est «Victor Hugo ».

La troisième question est bien plus difficile,

mais la bonne réponse sera « un crocodile ».

RICHTER - Ce bonnet électrique vous fait perdre le nord !

ALEXANDRE - Posez vos trois questions, vous verrez si j’ai tort !

 

Le colonel saisit le jeu de cartes dans le tiroir et sort une carte au hasard.

 

RICHTER - J’en prends une au milieu. La première question est :

À quelle dat' Lindberg atterrit-il au Bourget ? (Il retourne la carte.)

Vingt et un mai mille neuf cent vingt-sept. (Il est étonné.) C’est bien ça !

ALEXANDRE – Ne vous l’avais-je pas dit !

RICHTER -                                                           C’est de la chance, voilà !

J’en prends une deuxième. (Alexandre sourit.) Vous jubilez déjà !

Et bien, tiens, je la change. (Il prend une autre carte et se moque.) On n’a pas prévu ça ?

ALEXANDRE - Je le savais aussi.

RICHTER -                                      Et bien, je change encore ! (Il reprend une nouvelle carte.)

ALEXANDRE -        Mais j’ai toute confiance en l’Anticipator !

Changez dix fois de carte, et faites votre annonce,

ce s’ra Victor Hugo, la seule et bonne réponse !

RICHTER - Je change encore une fois ! (Il change encore de carte.) Vous faites moins le malin !

ALEXANDRE - Mais ma réponse pourtant ne changera en rien !

RICHTER - La question est : qui a écrit les misérables !

 

Il ne retourne même pas la carte, car la réponse est évidente.

 

C’est Hugo forcément, mais c’est à peine croyable !

Ça m’énerve, vous trichez, et vous allez me dire

comment vous faites cela, ou ça va mal finir.

ALEXANDRE - Et la troisième question, voulez-vous bien la lire ?

 

 

RICHTER prend une autre carte, content, car il est certain que la réponse n’est pas celle donnée par Alexandre.-

Ah ! Ça n’a pas marché et vous allez moins rire.

Car la réponse trois était « un crocodile ».

Et la question est loin de ce vilain reptile.

Comment s’appelle la scie qui coupe la pierre tendre ?

 

Il jubile et nargue Alexandre.

 

Cela ne marche pas, mon petit Alexandre !

ALEXANDRE, avec assurance. - Je l’avais pourtant dit qu’elle n’était pas facile.

RICHTER fronce les sourcils, retourne la carte et lit. -

Scie égoïne qu’on nomm’ aussi « un crocodile ».

J’ai compris votr’ astuce : on a appris par cœur

les réponses des cartes de ce jeu de malheur.

C’est pas mal joué, j’avoue, ça produit son effet,

et j’ai failli penser que c’était le bonnet.

ALEXANDRE - Mais dites-moi, colonel, comment pouvais-je savoir,

lesquelles de ces cartes seraient prises au hasard ?

RICHTER dubitatif. - Oui, oui, oui. C’est certain et vraiment, j’en conviens,

mais il y a un truc, ou vous êtes magicien.

ALEXANDRE - Il n’y a pas de magie, cela est scientifique !

Reprenons l’expérience, puisque vous êtes sceptique,

mais c’est vous, cett’ fois-ci, qui mettrez mon bonnet.

RICHTER -  Votre but maintenant : c’est m’électrocuter  ?

ALEXANDRE - N’ayez crainte, colonel, ne faites pas cette figure !

Ma

 

machine est loin d’être un engin de torture !

Pour l’instant, l’appareil peut nous anticiper,

les cinq prochaines minutes, et sur une portée

d’environ trente mètres. Vous êtes prêt ? Essayons !

Vous verrez défiler des images et des sons.

RICHTER - Tout comme au cinéma ?

ALEXANDRE -                                   Mais pas devant vos yeux.

Juste dans votre tête.

RICHTER -                                              Vous n’êtes pas sérieux ?

ALEXANDRE - Cela permet ainsi de voir tous azimuts,

Ce qui va se passer dans les prochaines minutes.

RICHTER - J’espère qu’il n’y a là, pas de supercherie !

Ceux qui se moquent de moi ont tous très mal fini !

ALEXANDRE - Je mets sur trois minutes. Restez bien concentré,

et, comme un grand médium, vous allez énoncer

ce que fera Helmut quand on l’appellera.

J’appuie sur ce bouton, vous êtes prêt, on y va !

 

Le colonel se concentre en fermant les yeux quelques secondes.

                                                                                 

RICHTER - Il va d’abord rire lorsqu’il me verra là !

Puis il demandera : Pourquoi je suis comme ça !

Et comm’ vous lui direz que c’est une expérience,

il va se demander s’il doit faire silence !

Puis il va trébucher sur ce morceau de câble.

Ensuite, discrètement, il ira vers la table,

et naturellement, se servira à boire.

Il va éternuer, sortira son mouchoir,

prendra un second verre, de ce petit vin blanc.

Il vous regardera, sourira bêtement.

Puis maladroitement, il posera le verre,

qui va se renverser et se casser par terre.

ALEXANDRE - Alors mon colonel, vous voilà convaincu ?

RICHTER - C’est étrange, je dois dire. Mais tout ce que j’ai vu

va vraiment arriver ? Franchement, j’ai des doutes !

ALEXANDRE - Et bien, le mieux, je crois, c’est faire entrer Helmut !

RICHTER - App’lez-le, professeur !

 

Alexandre ouvre la porte, regarde à droite et à gauche.

 

ALEXANDRE -                                 Mais il n’est plus dehors !

RICHTER - Si j’en crois les images de l’anticipator,

il est au coin du mur et s’est assis par terre.

Il boit de la vodka en regardant la mer.

ALEXANDRE appelle – Eh ! Helmut ! Venez voir, on a besoin de vous !

 

Helmut entre.

 

HELMUT - Je suis là, colonel ! Et que puis-je pour vous ?

 

Il aperçoit le colonel avec son bonnet ridicule sur la tête. Il rigole. Le colonel fait la tête.

 

C’est un bonnet de bain. Vous allez à la plage  ?

Le colonel reste muet.

 

Vous ne me dites rien !

 

Helmut regarde Alexandre.

 

Il est dans le cirage   !

ALEXANDRE - Nous sommes en train de faire une petite expérience !

HELMUT - Ah ! Il faut sûrement que je garde le silence !

 

Helmut fait quelques pas et manque de tomber en trébuchan t sur un câble qui était au sol.

Il fait une grimace pour s’excuser d’avoir fait du bruit, puis met son index  devant sa bouche pour montrer qu’il va faire silence. Il s’avance jusqu’à la table, puis, dos au colonel, se sert un verre. Il le siffle d’un trait. Puis il éternue, sort un gros mouchoir et se mouche bruyamment. Il se ressert ensuite un second verre de vin, se retourne vers Alexandre et le colonel, sourit bêtement  et boit son verre. Entretemps, Alexandre s’est approché de lui. Au moment de reposer le verre, Helmut ne regarde pas ce qu’il fait, car il fixe le colonel. Il repose le verre qui va être rattrapé au vol par Alexandre. Il évite ainsi au verre de se briser.

 

RICHTER –C’est excellent ! Votre machine est formidable !

ALEXANDRE - Vous disiez, il y a peu que c’était infaisable !

HELMUT - J’ai compris ce que c’est : un séchoir à cheveux  !

RICHTER - Mais non, soldat Helmut, ceci est beaucoup mieux.

C’est une machine qui peut simplement tout prédire.

ALEXANDRE - Grâce à elle, on connaît maintenant l’avenir !

HELMUT - Vous êtes saouls tous les deux !

RICHTER -                                  Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Tu n’es qu’un pauvre ignare, tu devrais avoir honte !

HELMUT - Quand on tient pas l’alcool, il faut pas picoler  !

RICHTER - Tu deviens insolent, tu vas le regretter ! (Il retire le bonnet.)

Pas besoin de bonnet pour voir ton avenir :

Un coup de pied au cul te fera déguerpi r !

 

Il attrape Helmut par l’épaule et lui flanque un grand coup de pied au derrière, le faisant s’approcher de la porte d’entrée. Helmut en profite pour filer.

 

RICHTER criant par la porte encore ouverte - Va m’attendre dans l’auto, et arrête la vodka !

ALEXANDRE - Un chauffeur alcoolique, ça ne vous effraye pas ?

RICHTER - C’est le fils de Ludwig, un copain officier.

Je lui ai dit : Ludwig, je vais m’en occuper.

Mais il boit comme un trou, et j’aime autant vous dire,

quand on est en voiture, je préfère conduire.

ALEXANDRE – C’est vous qui conduisez votre propre chauffeur  !

RICHTER - Je préfère largement plutôt qu’une grosse frayeur !

ALEXANDRE - Alors pour ma machine, êtes-vous satisfait ?

RICHTER - C’est plutôt étonnant pour un premier essai !

ALEXANDRE – Et bien,

portons un toast à cette grande avancée !

 

Il remplit deux verres de vin blanc, en donne un au colonel, et ils boivent une partie de leur verre.

 

RICHTER - Oui, mais le verre d’Helmut aurait dû se casser !

Cela veut dire qu’on peut modifier l’avenir !

ALEXANDRE - Oui, vous avez raison, je dois en convenir !

RICHTER - Mais je suis bien déçu : trente mètres c’est peu !

ALEXANDRE – Oh ! Colonel Richter, c’est déjà merveilleux !

RICHTER – Et quel est l’intérêt de savoir l’avenir,

des cinq prochaines minutes ? Oui, cela va s’en dire

qu’il vous faut obtenir de meilleures performances :

Prévoir plusieurs journées, sur de plus grand’s distances.

ALEXANDRE - Je suis de votre avis, trente mètr’s c’est trop court.

Je vais l’améliorer, revenez dans huit jours.

RICHTER - C’est un peu long, mon vieux, demain, je reviendrais.

ALEXANDRE - Vous voulez dire demain, pour un deuxième essai ?

RICHTER - À huit heures du matin !

ALEXANDRE -                            Mais je n’ai qu’une journée !

RICHTER - Et aussi toute la nuit ! On va vous acclamer !

Vous deviendrez demain le plus grand des chercheurs

que la France ait porté ! À vous tous les honneurs !

ALEXANDRE - J’ai déjà commencé à mon initiative.

Avec des batteries une version portative.

 

Il montre sa machine portative qui se trouve sous le plan de travail.

 

RICHTER - Quelle excellente idée que celle-ci, professeur !

Nous avons tous les deux un av’nir prometteur !

 

Ils trinquent de nouveau et vident le restant de leurs verres.

 

 

 

Acte 1. Scène 6 : Alexandre, Richter, Paulette, Victoire.

 

Paulette et Victoire ressortent du deuxième labo. Paulette avec son panier rempli de cocktails Molotov et de bâtons de dynamite. Elles sortent en refermant très doucement la porte, elles sont dos aux deux hommes qu’elles n’ont manifestement pas encore vus.

 

VICTOIRE - Tu fais bien attention aux bouteilles, c’est fragile !

PAULETTE - Je les ai bien calées, tu peux être tranquille !

RICHTER - Qui vois-je donc ici ? Bonjour mesdemoiselles !

 

Les deux femmes sursautent.

 

PAULETTE - Ah !

VICTOIRE -          Vous m’avez fait peur ! Bonjour mon colonel !

 

Paulette regarde le colonel sans rien dire. Ils se regardent en chiens de faïence.

 

RICHTER - Vous ne me saluez pas, mademoiselle Paulette !

PAULETTE agressive. - Vous avez beau crâner avec vos épaulettes,

ne comptez pas sur moi pour le salut Nazi !

RICHTER, à Alexandre. - Votre sœur a du cran, et de la répartie !

ALEXANDRE, à sa sœur. - Fais un effort Paulette ! Je n’aime pas, tu le sais,

que tu manques de respect…

PAULETTE lui coupant la parole. -                     Aux ennemis des Français !

ALEXANDRE - Au colonel Richter qui m’a toujours aidé !

RICHTER - Laissez donc Alexandre !

ALEXANDRE, à Richter. Essayant de la justifier - Paulette à sa fierté !

PAULETTE agressive - C’est pas comme toi, Alex ! Si ton intelligence

était mieux dirigée, elle servirait la France !

 

Le colonel se dirige vers Victoire, qu’il essaie de courtiser.

 

RICHTER - Vous êtes bien élégante, mademoiselle Victoire !

Dans cette petite robe, vous faites plaisir à voir !

Vos jambes sont si jolies, vous êtes si gracieuse…

VICTOIRE timide. - Arrêtez, colonel ! Vous me rendez nerveuse !

RICHTER - La grâce de votre cou, la blancheur de vos bras…

VICTOIRE - Vous me gênez vraiment, et je ne voudrais pas

laisser penser des choses sur moi, mon colonel !

RICHTER - Mais rien que de me dire comm’ ça « mon » colonel,

ça me remplit de joie, je tremble des genoux ,

d’être votre petit colonel rien qu’à vous !

VICTOIRE – Oh ! Colonel Richter, seriez-vous un fripon ?

PAULETTE - Je vous préviens tout d’suite : elle aime pas les cochons  !

RICHTER, à Paulette. - Nous ne sommes pas tous, comment dites-vous déjà :

de vrais pourceaux malsains ou de fieffés goujats !

PAULETTE - J’n’irai pas jusque là, colonel Richter,

mais un jour, les ricains, vous f’ront mordr’ la poussière.

RICHTER, soupçonneux, se rapprochant de Paulette. - Qu’avez-vous là-dedans, mademoiselle Paulette ?

PAULETTE lui tenant tête - Des saucisses et du cidre. C’est interdit peut-être ?

RICHTER - Et oui, c’est interdit, ça s’appelle : marché noir !

VICTOIRE venant à son secours. Implorante. - Je viens de lui donner, pour son repas du soir !

RICHTER - Vous êtes de connivence, cela est très fâcheux !

(Tendrement, à Victoire.) Mais si c’est vous, Victoire, je vais fermer les yeux !

ALEXANDRE mettant les pieds dans le plat. - C’est pour ça que j’vous vois, trafiquer toutes les deux.

Il attrape dans le panier les bâtons de dynamite emballés dans du papier journal. Il les brandit sous le nez de Paulette.

 

De la charcuterie, c’est pas un peu dang’reux  ?

PAULETTE - Rends-moi ça, s’il te plait ! Au moins, c’est nutritif ! (Elle s’empresse de lui reprendre le paquet et le repose au fond du panier.)

RICHTER, à Alexandre - Eh ! Votre sœur a un caractère explosif  !

PAULETTE, face public. - Ce n’est pas de ma faute si les chleuhs nous affament !

RICHTER, à Alexandre - Laissez tomber monsieur, ce ne sont que des femmes !

PAULETTE au colonel - Et parce qu’on est des femmes, il faut que l’on subisse !

VICTOIRE essayant d’attendrir le colonel. - Vous nous arrêteriez pour deux ou trois saucisses  ?

RICHTER, avec un sourire amoureux. - Rassurez-vous Victoire, je ne suis pas comme ça !

VICTOIRE - Je m’en doute, colonel, c’est gentil en tout cas.

RICHTER - Et sinon, votre cidre, pourrais-je le goûter ?

C’est vous autres, les Normands qui l’avez inventé !

Il attrape le goulot d’une bouteille de cocktail Molotov.

VICTOIRE - Je vous le déconseille. Il est un peu aride !

 

Elle s’empresse de remettre la bouteille délicatement au fond du panier.

 

Vous auriez toute la nuit, des remontées acides !

RICHTER, à Victoire, amoureux. - Quand vous dites « toute la nuit », je frissonne en dedans .

Nous sommes très sensibles, nous autres les Allemands !

Accepteriez-vous un déjeuner à l’auberge ?

VICTOIRE - Oui, mais, pas aujourd’hui !

RICHTER -                                                Ils servent des asperges

avec du calvados ! Et du sauté de veau !

Et leur spécialité, c’est la tarte aux noyaux  !

 

Victoire le regarde, étonnée.

 

Les prunes sont si petites et pas dénoyautées,

que vous en crachez trent’ en une seule bouchée  !

PAULETTE - Te laisse pas faire, Victoire ! Tu sais bien ce qu’il veut !

RICHTER, à Paulette. - J’offre un bon déjeuner, rien de bien dangereux !

PAULETTE, agressive. - Vous êtes bien tous les mêmes, vous autres les Allemands,

vous pensez qu’à la bouffe, et au divertissement.

RICHTER, à Paulette. - Ne vous fâchez donc pas dès que l’on vous aborde !

PAULETTE - Je n’aime pas les frisés !

RICHTER -                                            Je ne vais pas vous mordre !

PAULETTE - Ça fait déjà deux ans qu’vous vous croyez chez vous,

vous voudriez en plus que je me mett’ à g’noux !

RICHTER - J’aime bien les Normandes, des femmes de caractère !

 

Il veut poser ses mains sur les hanches de Paulette.

 

PAULETTE - Ah, oui ! Mais bas les pattes, j’suis pas un camembert !

 

                         Elle lui fait une petite tape sur les mains pour qu’il s’éloigne.

 

RICHTER -  Vous êtes bien farouche, rien ne vous fera taire !

PAULETTE - Moi j’aime pas les Allemands, surtout les militaires !

RICHTER – Et vous avez du cran, mademoiselle Paulette !

PAULETTE -  Je suis franche, voilà tout.

RICHTER -                                              Patriote et honnête !

Il faut avouer que ce sentiment vous honore !

Cette franchise, un jour, vous causera du tort.

ALEXANDRE – Excusez-la encore, colonel Richter,

mais pour en revenir aux choses plus terre à terre,

je vous promets, demain, mon anticipator

aura une portée beaucoup plus grande encore.

RICHTER - Demain matin à l’aube, j’y compte bien, professeur.

Pour un nouvel essai, rendez-vous à huit heures !

ALEXANDRE - Au revoir colonel !

RICHTER - (Au garde-à-vous, il claque des talons.)       Monsieur Delamouillette !

Mes hommages Victoire, Auf Wiedersehen, Paulette !

VICTOIRE - Bonne journée, colonel !

 

Le colonel sort.

 

Acte 1. Scène 7 : Alexandre, Paulette, Victoire.

 

ALEXANDRE -                              Paulette, fais attention !

Avec ton attitude, tu risques gros !

PAULETTE -                                                            Mais non !

Le colon n’est qu’une grosse baderne !

ALEXANDRE -                                                                   Ne dis pas ça !

VICTOIRE essayant de stopper la dispute. - Arrêtez, s’il vous plaît !

PAULETTE à Alexandre. -                                Non, mais je n’le crois pas,

non content de l’aider, en plus, tu le défends !

Richter se sert de toi, et ce n’est qu’un serpent.

ALEXANDRE - Mais l’argent des Allemands, depuis deux ans tu sais,

m’a permis de pouvoir terminer mon projet !

Depuis hier au soir, l’essai a abouti,

et à l’instant vois-tu, je m’en suis resservi.

VICTOIRE - Je suis content pour vous, professeur Alexandre.

Alors, comment ça marche ? On aimerait comprendre.

ALEXANDRE - On place ce bonnet fixement sur la tête !

 

Il replace son bonnet.

 

PAULETTE moqueuse - Elle n’os’ra pas te l’dire, mais t’as vraiment l’air bête  !

ALEXANDRE - Là, on règle le temps et ici la distance,

pour l’instant, l’appareil n’a que peu de puissance.

Et en quelques instants, vous voyiez défiler

dans votre subconscient, ce qui va se passer.

VICTOIRE - Je ne sais pas quoi dire : c’est révolutionnaire !

PAULETTE - Toi, tu serais conquise, quoi que fasse mon frère !

VICTOIRE - Moi aussi, cette nuit, j’ai enfin terminé,

mes dernières potions, je vais vous les chercher !

 

Victoire sort vers son labo.

 

ALEXANDRE - Je me mets au travail, il faut que j’améliore

la puissance magnétique de l’anticipator.

Richter revient demain, pour un deuxième essai.

PAULETTE sceptique. - Eh ! Mais ça march’ vraiment ton truc, c’est pour de vrai ?

ALEXANDRE - Mais bien sûr que ça marche !

PAULETTE -                                                       Et tu vas leur filer ?

ALEXANDRE - De quoi ?

PAULETTE -                      Ton invention !

ALEXANDRE -                                           À qui ?

PAULETTE -                                                            Ben, aux frisés !

ALEXANDRE - Écoute, le colonel attend depuis deux ans

que ma machine fonctionne. Et là, c’est concluant.

PAULETTE - Mais Alex ! Ouh ouh ! T’es complèt’ment inconscient !

Ton invention, si tu leur files, c’est évident,

les boches vont s’en servir, pour contrer les ricains !

ALEXANDRE - Mais non, le colonel m’a promis ce matin

qu’il ne servira pas à des fins militaires !

PAULETTE - Et bien sûr, tu l’as cru ! Alex, on est en guerre !

 

Victoire entre et se dirige vers la table. Elle prend deux bouteilles sur l’étagère. Une de vin blanc, une de rosé. Elle sort deux fioles de la poche de sa blouse. Elle verse le contenu d’une fiole dans la bouteille de vin blanc. Puis une autre fiole dans la bouteille de vin rosé. Alex et Paulette en pleine discussion n’ont rien vu.

 

ALEXANDRE - Et c’est pour ça que toi, tu fais du marché noir.

PAULETTE - Moi, je ne trahis pas, et puis je garde espoir !

ALEXANDRE - Espoir de t’ faire piquer, pour de la charcut’rie !

PAULETTE - Au moins, je fais des choses pour aider mon pays !

 

Pendant la discussion précédente, Victoire a rempli 3 verres, un de vin rosé, deux de vin blanc.

 

VICTOIRE - Arrêtez tous les deux ! Fêtons la réussite,

du plus grand professeur, qui a bien du mérite !

 

Victoire tend un verre de vin blanc à Paulette, et un de rosé à Alexandre.

 

PAULETTE - Je préfère le rosé ! (Victoire lui donne l’autre verre.)

ALEXANDRE -                                 Moi, je prendrai du blanc !

VICTOIRE prend le troisième verre - Celui-ci est pour moi !

PAULETTE en riant -                       Et pas pour les all’mands ?

 

Paulette vide son verre de rosé, d’un trait, puis se tétanise quelques secondes les yeux fermés.

 

ALEXANDRE - Qu’est-ce qu’il a mon rosé ? T’en fais une ces têtes !

Je l’ai payé deux francs, ce n’est pas d’la piquette  !

 

Paulette retrouve ses esprits.

 

PAULETTE - Oh ! Mais qu’est-ce que j’fais là ? Pourquoi mon verre est vide ?

ALEXANDRE - Tu viens de l’avaler. T’es devenue stupide !

 

Alexandre vide également son verre de vin blanc.

Victoire sort un petit calepin sur lequel elle prend des notes.

 

VICTOIRE à elle-même, en écrivant. - Potion numéro un, effets instantanés !

PAULETTE - Je ne me rappelle plus, que suis-je venue chercher ?

 

À partir de là, Alexandre parle comme un enfant de 7 ans jusqu’à la fin de la scène.

 

ALEXANDRE - T’es v’nue prendre des saucisses ! (Au public.) Mais qu’est-ce qu’elle peut êtr’ bête !

(À Paulette.) Et j’dirai à papa que tu bois en cachette  !

PAULETTE - Mais qu’est-ce qui t’prend Alex ? Tu parles comme un gamin !

VICTOIRE à elle-même, en écrivant. - Potion numéro deux, l’objectif est atteint  !

ALEXANDRE - J’dirai rien à papa, mais c’est trois boul’s de gomme !

 

Il tend la main en attendant qu’elle lui donne des boules de gomme.

 

PAULETTE - Et tu te crois malin, t’es en plein délirium.

VICTOIRE - Paulette te souviens-tu, avec qui, tout à l’heure,

tu viens de te fâcher sans jamais avoir peur ?

PAULETTE - Je n’me suis pas fâchée, vous dev’nez ennuyeux !

Et depuis ce matin, je n’ai vu que vous deux !

ALEXANDRE - Oh ! La gross’ menteuse… eu  ! Elle est complètement saoule !

C’était l’colon Richter ! (Au public.) Ma sœur elle perd la boule !
PAULETTE - Mais qu’est-ce que tu racontes, moi, je viens d’arriver !

ALEXANDRE - C’est mêm’ pas vrai, Paulette ! Tu étais à côté ! (Il montre du doigt le deuxième labo.)

PAULETTE - Je ne comprends plus rien. Que se passe-t-il, Victoire ?

VICTOIRE en souriant. - On dirait que tu as des problèmes de mémoire !

Un petit verre de blanc, et puis ça ira mieux !

 

Tout en souriant, elle lui remplit son verre cette fois-ci avec du vin blanc.

 

PAULETTE - Ça n’peut pas faire de mal, mais trinquons toutes les deux !

 

Victoire prend le troisième verre resté plein de vin blanc sur la table. Elles entrechoquent leur verre et Paulette le boit d’un trait. Victoire la regarde avec un petit sourire, mais ne boit pas.

 

ALEXANDRE dégouté. - Bahhh ! Tu rebois du vin ! Tu veux jouer les grandes !

Tu finiras soûlarde, comme la mère à Fernande  !

 

Paulette, jusqu’à la fin de la scène, va parler comme une enfant de 7ans.

 

PAULETTE - J’te f’rai dire Alex, que c’est moi la grande sœur !

Alors t’arrêtes un peu, tu me fais mêm’ pas peur !
ALEXANDRE - Oui, mais toi, t’es qu’une fille (comme une ritournelle.), les filles c’est des mauviette s !

PAULETTE - Avec ton invention, t’as vraiment l’air trop bête !

ALEXANDRE - Victoire, elle, au moins, elle ne se moque pas de moi !

VICTOIRE - Ça, c’est vrai, Alexandre !

PAULETTE à Victoire. -                          Ah non ! Tu n’as pas l’droit,

de te mettre avec lui, j’vais l’dire à ma maman  !

VICTOIRE en souriant. - J’ai surtout l’impression d’être au jardin d’enfants !

Et, distraitement, elle boit le verre qu’elle tenait encore en main. Se rendant compte de son erreur, elle ouvre de grands yeux en regardant le public.

Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait  ?

PAULETTE -                                                       Tu bois aussi du vin ?

ALEXANDRE - Les filles on va dehors ! Si on jouait aux Indiens ?

 

Victoire, jusqu’à la fin de la scène, va parler comme une enfant de 7ans.

 

VICTOIRE - Non ! Venez sur la plage, on va faire des pâtés  !

PAULETTE - Oh ! Bah non ! Parc’que l’sable, ça salit les doigts d’pieds  !

ALEXANDRE - Moi j’y vais ! Viens, Victoire !

VICTOIRE -                                                           On y va tous les deux !

ALEXANDRE - Ouais !

PAULETTE -                  Moi je sais pourquoi vous êtes aussi joyeux !

VICTOIRE - Et pourquoi ?

PAULETTE sur un ton de moquerie enfantine. - Vous êtes amoureux… eux  !

ALEXANDRE -                                                            Même pas vrai !

PAULETTE – Si, et depuis longtemps ! J’te connais, mon cadet !

VICTOIRE - Ne dit pas ça, Paulette, ou t’es plus ma copine !

PAULETTE - Y sont amoureux… eux ! (Elle se dirige vers la porte.)

VICTOIRE -                                           Arrête ! Tu m’enquiquines !

PAULETTE - Attrape-moi si tu peux ! (Et elle sort en courant.)

VICTOIRE -                                          Paulette, reviens ici ! (Elle sort également en courant.)

ALEXANDRE - Attendez-moi les filles ! Attendez-moi, j'vous dis !

 

Alexandre sort en courant. Noir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte 2 :

 

Le matin du dimanche 4 juin 1944

On aura pris soin de retirer le panier de la scène.

 

Acte 2, scène 1 : Ursula, Alexandre.

 

Alexandre travaille sur son anticipator portable. Ursula l’observe.

 

URSULA - Alors ça, was is das ?

ALEXANDRE -                     C’est la même machine.

Elle est bien plus petite, j’ai réduit les bobines.

Je cherchai cette nuit un nom reconnaissable,

J’ai trouvé ce matin. Je l’appelle : le portable !

Deux batteries d’auto, que j’ai placées par là,

permett’nt d’être autonome, et d’emporter chez soi

son anticipator. C’est plutôt agréable

de pouvoir déplacer cette version… portable. (Il soulève avec peine la poignée, car le portable fait dans les trente kilos.)

URSULA ironique. – Effectiv’ment, cela m’a l’air vraiment pratique !

Expliquez à quoi sert cette invention mystique !

ALEXANDRE - Que ce soit le portable ou la machine murale,

je crois que j’ai fait là quelque chose de génial !

Elles peuvent prédire l’av’nir, j’ai enfin terminé.

URSULA - C’est mon père, je suppose, qui vous l’a demandé.

ALEXANDRE - Il revient à huit heures vérifier les progrès

que j’ai fait cette nuit !

URSULA -                                              Êtes-vous satisfait ?

ALEXANDRE - Oui. Je peux désormais savoir sur cinq cent mètres,

ce qui va se passer dans tout le périmètre.

URSULA - Mais sur combien de temps ?

ALEXANDRE -                                       Sur quarante-huit heures !

URSULA - Ceci est simplement impossibl’, professeur !

ALEXANDRE - Et moi je dis : impossible n’est pas français !

URSULA flatteuse. - C’est joli, c’est de vous ?

ALEXANDRE modeste. -                    J’aim’rais bien en effet.

C’est d’un p’tit caporal que bien des gens admirent,

qui gravit les échelons pour fonder un empire.

URSULA - Je n’ai pas lu ceci dans mein kampf, professeur.

ALEXANDRE - C’est pas l’bon caporal et vous faites une erreur.

URSULA - Was ?

ALEXANDRE -    Ce n’est pas le moustachu, c’est le cornu !

URSULA - Vous parlez par énigme et moi je suis perdue !

ALEXANDRE - C’est un autr’ caporal, sous un autre drapeau !

URSULA - Ich verstehe nicht !

ALEXANDRE -                        C’est pas Adolf, c’est Napo !

URSULA - Wer is Napo ?

ALEXANDRE -                Mais, Napoléon Bonaparte !

Ça pour vous faire comprendre, ce n’est pas de la tarte  !

URSULA - Ah oui, Napoléon, ce Français prétentieux !

Un être sanguinaire, un vrai fou dangereux.

ALEXANDRE - Si l’on compare les fous, le vôtre n’est pas mal  !

URSULA - Adolf Hitler est un héros monumental.

ALEXANDRE - C’est sûr, si l’on regarde ce qu’a fait le führer,

notre Napoléon passe pour un enfant d’cœur .

URSULA - Il imagine un monde avec d’autres valeurs,

une autre société, des êtres supérieurs.

ALEXANDRE - Des grands blonds baraqués !

URSULA -                                                        Oui, c’est la race aryenne !

ALEXANDRE - Je n’aime pas du tout cett’ vision hitlérienne !

Je vais vous dire pourquoi tous ces principes me gênent.

La valeur d’un humain ne vient pas de ses gènes,

mais plutôt de ses actes et surtout… de son cœur.

URSULA - Seriez-vous romantique, monsieur le professeur ?

ALEXANDRE - Mais votre chancelier, il n’a pas les critères !

Il n’est ni grand ni blond !

URSULA -                                  C’est un homme exemplaire !

ALEXANDRE - Adolf n’est pas aryen, il est petit et brun !

URSULA - Détrompez-vous monsieur, Hitler est bon Aryen  !

ALEXANDRE, moqueur. - C’est pas moi qui l’ai dit  !

URSULA -                                                     Non, c’est moi qui l’affirme.

ALEXANDRE - Mais sachez, Ursula, que je vous le confirme . (Il fait une révérence en disant ces derniers mots.)

 

Victoire entrouvre la porte de son labo, elle n’entre pas, mais écoute la conversation.

 

URSULA - Vous savez, professeur, je tenais à vous dire,

vous faites aussi partie des hommes que j’admire.

ALEXANDRE - Pitié, ne me dites pas que vous me comparez…

(il fait un petit salut Hitlérien avec une main et une moustache avec deux doigts de l’autre main .)

URSULA - Ne faites pas l’idiot. Je crois que vous savez

où je veux en venir.

ALEXANDRE gêné -                                           Arrêtez Ursula !

Vous me troublez un peu quand vous dites cela.

URSULA - Vous êtes séduisant monsieur Delamouillette !

ALEXANDRE - Vous ne…

URSULA -               Pardon !

ALEXANDRE perturbé - Moi je… Vous voyez j’ai l’air bête !

URSULA - Je vous déstabilise ! Est-ce possible, professeur ?

ALEXANDRE - Je ne sais plus quoi dire !

URSULA -                                Vous faites battre mon cœur !

ALEXANDRE -     Quand je suis près de vous, et bien, je balbutie.

Vous voyez, je n’suis plus bon à rien … moi aussi !

URSULA - Personne n’est parfait !

ALEXANDRE -               Si ! Vous, vous êtes parfaite !

URSULA -   Si nous allions dehors finir ce tête-à-tête !

La plage est déserte et il fait un temps splendide !

ALEXANDRE - Ce n’est pas très correct !

URSULA -                                         Ne faites pas le timide !

ALEXANDRE - Si l’colonel arrive et que je n’suis pas là !

 

URSULA -    Nous ne serons pas longs, et puis il attendra !

Allons-nous promener, les pieds nus dans les vagues !

ALEXANDRE -     Si votre père nous voit, j’vais finir au stalag !

URSULA - Allez, suivez-moi donc, mon très cher Alexandre !

ALEXANDRE - Avec un tel regard, je ne peux me défendre.

Vous avez des atouts et vous vous en servez,

je suis un pacifiste et vous me désarmez  !

 

Elle le tire par la main, ils sortent.

 

Acte 2, scène 2 : Victoire.

 

Sitôt la porte refermée, Victoire entre sur scène.

 

VICTOIRE - Non, mais je n’y crois pas, c’est pas vrai, c’est une blague !

« Allons nous promener, les pieds nus dans les vagues ».

La fille du colonel se prend pour une madone !

J’vais pas laisser tomber, qu’est-ce qu’elle croit, la teutonne  !

Il faut que j’intervienne, et ceci coûte que coûte !

Hier encore j’l’ai vue qui embrassait Helmut.

 

Elle regarde par la fenêtre, interpelle Ursula derrière la vitre sachant qu’elle n’entendra pas, car elle est trop loin.

 

Eh ! Tu lui lâches la main  ! Non, mais à quoi elle joue ?

C’est un jeu, Alexandre, elle se moque de vous !

 

Elle fait les cent pas dans la pièce.

 

Les soldats all’mands ne font pas dans le détail,

ils nous ont pris nos hommes sur les champs de bataille.

On ne va pas laisser les Allemandes maintenant,

nous prendre aussi nos hommes, mais par les sentiments.

Elle veut la guerre, cette fille, et bien elle va l’avoir.

Je vais la renvoyer au fond d’la forêt noire .

 

Elle regarde de nouveau par la fenêtre.

 

Elle me l’a envouté. Mais qu’est-ce qu’elle peut lui dire ?

Oh ! Pour savoir tout ça, je donn’rai un empire.

 

Elle se retourne vers la pièce, cherche quoi faire. Puis, elle voit l’anticipator et commence à régler des boutons.

Voilà ! Ça y est, j’y suis. La machine d’Alexandre !

Il nous a expliqué comment il faut s’y prendre.

                        Alors ça, c’est le temps : je mets sur deux minutes.

Et puis pour la distance, je ne sais plus. Oh ! Flûte !

Ah si ! C’est celui-ci. Réglons sur cinq cents mètres.

Elle enfile le bonnet et ferme la jugulaire.

Le bonnet maintenant, qui, je dois bien l’admettre

est vraiment ridicule.  Et pour la mise en route,

je crois que c’est par là ! Ah ! J’ai encore un doute.

Oui, c’est ce bouton-ci.

 

Elle reste assise avec le bonnet sur la tête et fronce les sourcils, elle ne comprend manifestement pas ce qu’elle voit ni ce qu’elle entend.

Oh ! J’ai dû me tromper !

Mon Dieu tous ces bateaux, des tirs, de la fumée !

Et je ne les vois pas. Mon Dieu quel cafouillage !

Mais qui sont ces soldats qui tirent sur notre plage ?

 

Acte 2, Scène 3 : Victoire, Paulette.

 

Paulette entre timidement, vérifie que Victoire est seule. Son visage et ses vêtements sont sales. Elle est un peu essoufflée. 

 

PAULETTE - Victoire c’est toi, tant mieux !

VICTOIRE sursaute. Elle retire vite le bonnet. - Bonjour ! Paulette, ça va ?

Mais tu es toute sale, et d’où viens-tu comm’ ça ?

PAULETTE - On vient de faire sauter le poste d’armurerie,

de la Kommandantur.

VICTOIRE -                                    Avec ceux du maquis ?

PAULETTE - Oui !

VICTOIRE -           Mais alors, dis-moi, comment ça s’est passé ?

PAULETTE -  À peu près comme prévu, mais on s’est fait r’péré.

Les uns ont pris l’ bocage pour semer les Allemands.

Moi j’ai pris par le bois et puis par le grand champ.

VICTOIRE - Tu es dans un état, va falloir te changer !

PAULETTE - Je veux bien de ton aide.

VICTOIRE -                                           Richter va pas tarder !

Il faut rentrer chez toi !

PAULETTE -                                      Traverser le village,

mais je suis plein’ de boue ! Aurais-tu un corsage ?

VICTOIRE - Ici non, mais chez moi ! J’ai une blouse à côté !

PAULETTE - Parfait !

VICTOIRE -                Et puis de l’eau, tu pourras te laver !

PAULETTE – Mais qu’est-ce que tu faisais lorsque je suis entrée ?

VICTOIRE, elle montre le casque qu’elle tient toujours en main. - J’essayais ce bidule, voire si ça fonctionnait.

PAULETTE - Tu lui as demandé, j’espère bien, à Alex ?

VICTOIRE - Pas du tout !

PAULETTE -                   Ouh là là !

VICTOIRE -                                  Attends, c’est plus complexe !

PAULETTE - Ne me dis pas qu’tu vas aider le colonel !

VICTOIRE hésitante. - Je faisais un essai à des fins personnelles !

PAULETTE - Oh, toi, t’es contrariée !

VICTOIRE -                                         C’est cette fille, Ursula,

elle tourne autour d’Alex et moi je n’aime pas ça !

PAULETTE - Alex est un rêveur, il ne l’a même pas vu !

VICTOIRE - Ils sont sortis ensemble, sur la plage, les pieds nus.

PAULETTE - Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu me fais une farce !

VICTOIRE - Regarde par la fenêtre !

PAULETTE regarde à l’extérieur. -     C’est pas vrai ! Oh ! La garce  !

Helmut lui suffit plus, elle veut séduire mon frère !

VICTOIRE -  Je te préviens, je ne vais pas me laisser faire !

Alors moi, je voulais, pour pouvoir les épier,

essayer ce bonnet. Mais ça n’a pas marché.

PAULETTE - Tu lui as cassé sa machine !

VICTOIRE -                                                  Non, ça fonctionne,

j’entends des coups de feu, des voix anglo-saxonnes.

PAULETTE rigole - T’as mis la BBC !

VICTOIRE -                                         Ce bouton, j’ai dû mettre

les minutes sur deux, l’autre sur cinq cents mètres.

PAULETTE regarde de plus près. - Cinq cents mètres c’est ça ! Et c’est là que tu t’goures !

Ce bouton ce n’sont pas des minut’s, mais des jours !

VICTOIRE - N’empêche que ça n’marche pas ! Je n’suis pas une menteuse :

j’ai vu des tirs d’obus, des coups de mitrailleuse !

PAULETTE - Ça doit êtr’ sur le front !

VICTOIRE -                                           J’ai reconnu la plage.

PAULETTE - Mais ce n’est pas possible !

VICTOIRE -                                                 Je revois les images !

PAULETTE - Passe-moi ce bonnet et laisse-moi essayer !

 

Victoire lui passe le bonnet et Paulette l’enfile à son tour.

 

VICTOIRE - Je le remets en route !

PAULETTE -                                  Mon dieu ce n’est pas vrai !

VICTOIRE - Alors, tu les vois ?

PAULETTE -                                  Oui !

VICTOIRE -                                             Alex et Ursula ?

PAULETTE - Et c’est bien notre plage, mais je ne le crois pas !

VICTOIRE reste sur son idée. - Qu’est-ce qu’il lui dit !

PAULETTE -                                      Oh ! Merd’ ! Ça va être compliqué !

VICTOIRE - Tu m’inquiètes Paulette ! Ils se font des baisers ?

PAULETTE - Non, Victoire, ils arrivent !

VICTOIRE -                                             Ils reviennent par ici  ?

PAULETTE - Mais pas du tout Victoire, je crois qu’t’as pas compris !

Ils débarquent !

VICTOIRE -                            Rangeons tout ! Car ce serait dommage,

t !

PAULETTE -                                        Ça va être un carnage !

Victoire, écoute-moi bien, ça va s’passer ici !

VICTOIRE – Ah ! Tu crois qu’ils vont faire… ce que je crois, ici  ?

PAULETTE - Oh, la vache ! Ils arrivent !

VICTOIRE -                                                   Alors, replaçons ça.

Je n’veux pas qu’Alexandre n’ait plus confiance en moi.

PAULETTE - Mais il ne s’agit pas d’Alexandre, Victoire !

Ils viennent pour nous sauver ! Personne ne doit savoir !

VICTOIRE - Mais qu’est-ce que tu racontes, Paulette, tu m’interloques.

PAULETTE - Par milliers, dans deux jours, dehors, les amerloques.

VICTOIRE -  Quoi, les Américains ?

PAULETTE -                                         C’est le débarquement !

Dans deux jours, les alliés cass’la gueule aux Allemands !

VICTOIRE ne saisissant toujours pas. - Quoi, le débarquement ? Mais où ça, les alliés ?

PAULETTE - Sur notre plage, Victoire, Américains, Anglais

Canadiens, français, les alliés prennent le contrôle !

Il a tenu parole, le général de Gaulle !

VICTOIRE - Les tirs et les mortiers, C’est donc ça que j’ai vu !

PAULETTE - Exactement ma grande. T’as pas eu la berlue !

VICTOIRE - Il n’y a qu’une chose à faire, prév’nir la résistance !

PAULETTE - Et s’il y a des fuites, tu vois les conséquences !

Personne ne doit savoir, mets-toi ça dans la tête,

à cause de nous, Victoire, ce serait la défaite !

VICTOIRE - Richter vient ce matin, là, dans quelques instants !

PAULETTE - S’il essaie la machine, plus de débarquement !

VICTOIRE - Il nous faut trouver un plan pour le retarder !

PAULETTE - Peu importe la façon, il faut l’en empêcher !

 

HELMUT, voix off. - Eh ! Colonel Richter !

VICTOIRE -                                                Oh flûte, voilà Helmut !

Et s’il voit ta tenue, j’ai peur qu’il ait des doutes !

PAULETTE - Oh ! Ça, ça m’étonnerait, il n’est pas très futé !

Et à huit heures du mat, il est déjà beurré  !

VICTOIRE - Même quand il est à jeun, il a vraiment l’air cloche !

PAULETTE - Oui, mais Helmut, à jeun, on n’parle pas du même boche  !

VICTOIRE -  Passons dans mon labo si on veut l’éviter.

                       Tu vas mettre ma blouse et te débarbouiller.

 

Elle entraîne Victoire dans le second labo.

 

Acte 2, scène 4 : Helmut.

 

Helmut entre. Manifestement, il est ivre.

 

HELMUT - Vous êtes là, colonel ? Tiens, il n’y a personne !

Il m’avait dit huit heures, en retard, ça m’étonne !

C’était bien la peine de me faire lever si tôt.

Et quand on dit une heure, on s’y tient, mon coco  !

Noyons notre chagrin ! (Il boit une rasade de sa flasque.

Il aperçoit le bonnet de l’anticipator.)     Le séchoir à cheveux !

(Il s’assied, enfile le bonnet et imite le colonel.)

« Mais non, mon pauvr’ Helmut, ceci est beaucoup mieux  »

« Voilà une machine qui prédit l’avenir ».

Vous n’êtes pas sérieux, et vous me faites bien rire.

Rien qu’avec un bonnet, mais c’est n’importe quoi.

C’est à se demander lequel de nous deux boit.

Je me rase la tête si ça veut bien mar cher

La mise en route c’est là ! (Il appuie sur un bouton. Il fait des grimaces)

Was is das ! Qu’est-ce que c’est ?

Des soldats sur la plage  ! Aber ! Oh, oh mein gott !

Des bateaux par milliers, il y en a toute une flotte !

Colonel ! Colonel !

 

Acte 2, scène 5 : Helmut, Paulette, Victoire puis Richter.

 

Victoire et Paulette entrent. Paulette est bien coiffée et revêtue d’une blouse blanche.

 

VICTOIRE -                          Ah ! Helmut vous êtes là.

HELMUT - Bonjour mesdemoiselles !

PAULETTE -                                      Dites donc, vous gênez pas !

VICTOIRE - Alexandre n’aime pas qu’on touche à ses affaires.

PAULETTE - Alors, on sabote le matériel de mon frère !

HELMUT - Pas du tout ! Cette machine, là, elle fonctionne ?

VICTOIRE -                                                         Bien sûr !

HELMUT -      Ce qu’on voit dans sa tête, ce sera le futur ?

PAULETTE - Ne me dites surtout pas que vous l’avez testée !

HELMUT - Juste un petit moment ! Et je suis stupéfait !

J’ai appris une chose d’une grande importance !

VICTOIRE ironique. - L’alcool est rationné  !

PAULETTE -                                   Ou les boches quittent la France  !

HELMUT - Non ! Les Américains vont débarquer chez nous !

PAULETTE faisant mine de ne pas comprendre - En Allemagn e ?

HELMUT -                              Non, ici ! Sur la plage, derrière vous !

VICTOIRE - Vous n’vous sentez pas bien ?

PAULETTE -                                         C’est un cauchemar, mon vieux !

Vous avez le teint pâle et l’œil globuleux  !

VICTOIRE - Tu vois Paulette, je crois qu’Helmut perd la boussole !

PAULETTE - On ne parle pas assez des ravages de l’alcool  !

HELMUT - Je n’ai pas beaucoup bu (elles vont toutes les deux, tirer leur paupière inférieure droite d’un air de dire « mon œil  »),                         Pas plus que d’habitude !

Mais j’ai vu une armée, ça, c’est une certitude !

VICTOIRE - Laisse tomber Paulette, il est complètement schlass  !

PAULETTE - Avec son œil vitreux, l’a pas sucé d’la glace  !

HELMUT - Il faut que j’en parle au colonel, maintenant !

PAULETTE - En parler à Richter, ce n’est pas très prudent !

 

Paulette dégrafe la jugulaire du bonnet.

 

VICTOIRE - Surtout qu’il a des doutes, sur vous et Ursula !

 

Victoire retire le bonnet de la tête d’Helmut.

 

HELMUT - Mais vous nous espionnez ! Comment vous savez ça ?

PAULETTE - Vous n’êtes pas très discrets, tous les deux, ceci dit.

VICTOIRE – Vous vous embrassiez, hier matin, ici !

HELMUT inquiet - Richter ne doit pas l’apprendre, s’il vous plaît.

Sinon, à tous les coups, il va m’émasculer !

PAULETTE - Oui, alors ce n’est pas le moment, croyez-moi,

de parler de vos rêves aussi bizarres qu’ils soient.

VICTOIRE - Si vous lui dites qu’il va affronter les ricains,

il va, une fois de plus, vous botter l’arrière-train.

HELMUT - Mais c’est de mon devoir aussi de le prév’nir.

PAULETTE - Pensez à Ursula, il faut vous abstenir.

 

Richter entre. Helmut se met au garde à vous.

 

RICHTER - Ah ! Helmut, tu es là ! Bonjour mesdemoiselles !

VICTOIRE - Bonjour !

PAULETTE hypocrite - Déjà levé !

HELMUT fait un salut militaire - Bonjour, mon colonel !

RICHTER - Je suis très contrarié !

VICTOIRE hypocrite -                        Vous avez mal dormi ?

RICHTER - Non. Une explosion m’a fait sauter de mon lit !

C’est la résistance qui a encore fait des siennes.

Je vais prendr’ cette fois des mesures draconiennes.

PAULETTE - Des sanctions pour des gens qui aiment leur pays !

RICHTER - Se sont des terroristes.

PAULETTE faussement étonnée -            C’était donc ça ce bruit !

VICTOIRE – Cett’ grosse déflagration était-ce dans le bourg ?

RICHTER - Oui, juste à l’armurerie de la Kommandantur.

Les coupables cette fois seront tous arrêtés !

VICTOIRE inquiète. - Vous voulez dire, monsieur, que vous les connaissez ?

RICHTER - Pas encore, mais on cherche. Je me fis à mon flair !

En regardant quelqu’un, il y a des critères

qui ne me trompent pas.

PAULETTE se plantant devant lui. - Quand vous me regardez,

colonel, votre idée est-elle déjà fondée ?

RICHTER - Oui, tout à fait, Paulette ! Vous êtes bien trop directe.

PAULETTE - Et alors grâce à ça, je ne suis pas suspecte !

RICHTER - On se fait remarquer quand on dit ce qu’on pense.

Vous ne pourrez jamais êtr’ dans la résistance .

PAULETTE avec un léger sourire - Je reconnais bien là votre flair infaillible.

RICHTER - Sachez que jamais je ne me trompe de cible !

Vous portez une blouse, dans ce laboratoire,

je déduis simplement, c’est pour aider victoire.

VICTOIRE - Tout à fait, colonel, j’ai vraiment besoin d’elle.

Ma dernière potion concerne les demoiselles.

Elle est faite pour réduire les règles douloureuses.

RICHTER gêné. - Arrêtez, c’est gênant . Mais vous êtes ambitieuse.

Vous allez assister à la démonstration ?

VICTOIRE - Ah ! De quoi s’agit-il ?

RICHTER -                                           La nouvelle création

de notre professeur qui vient de réussir

cette formidabl’ machine à prédire l’avenir !

PAULETTE - Je l’ai vu tout à l’heure, il était très déçu !

VICTOIRE - Cela ne fonctionne pas comme il aurait voulu !

HELMUT - Et pourtant je crois bien…

RICHTER lui coupant la parole. -                                  De quoi j’me mêl’, Helmut ?

(Aux deux femmes, il parle d’Alexandre.) Je crois beaucoup en lui, et vous avez des doutes !

PAULETTE toute gentille. - C’est vrai, je dois l’admettre, que vous aimez mon frère.

RICHTER - Pour une fois, je constate, vous n’êtes pas en colère !

PAULETTE - J’ai décidé de n’plus envoyer des missiles !

RICHTER - Et moi je suis ravi de vous voir moins hostile !

PAULETTE - J’arrête de faire la guerre, un moment il est vrai,

mais à la condition que vous m’foutiez la paix  !

RICHTER - Vous êtes sans concession ! Heureus’ment que l’All’magne

ne sera, non, jamais dirigée par une femme  !

Votre frère n’est pas là ! Pourtant j’ai dit huit heures !

VICTOIRE - Je l’ai vu sur la plage, il avait l’air ailleurs !

RICHTER - Comment ! Je le convoque, il va se promener !

HELMUT - Mon colonel s’il vous plaît, je voudrais vous parler !

RICHTER énervé. - C’est pas l’moment, Helmut !

VICTOIRE change de sujet -                             Il fait doux ce matin !

Hein ! Vous ne trouvez pas ?

RICHTER -                                                Comme la peau de vos mains !

VICTOIRE - Encore une flatterie !

HELMUT -                                       Colonel, c’est urgent !

RICHTER - Tu n’vois pas que je parle, crétin, c’est affligeant !
HELMUT - La machine, elle fonctionne, je viens de l’essayer !

 

Un temps. Richter est stupéfait. Les deux femmes sont inquiètes.

 

RICHTER - Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu es encore bourré  !

PAULETTE – Mais, Helmut, taisez-vous ! (À Richter) Il est blagueur, je crois !

RICHTER - Moi, ça n’me fait pas rire !

HELMUT -                                              Mais, je ne plaisante pas !

(Il montre du doigt la fenêtre.)

J’ai vu sur cette plage, de nombreux Allemands

mourir dans des combats ! C’est le débarquement !

RICHTER - Un débarquement là, les chances sont très minces !

Tu souffres, mon pauvre Helmut, de délirium trémens  !

 

Paulette, discrètement, débranche quelques fils de la machine.

 

HELMUT - Essayez ce bonnet si vous n’me croyez pas !

RICHTER - Je le fais ! Gare à toi si tu t’es moqué d’moi !

Tiens ! Paulette, sauriez-vous faire marcher cette machine ?

PAULETTE - Oh ! Si je touche à ça, mon frère m’assassine.

RICHTER - Victoire, vous savez faire ? Vous êtes aussi chercheuse !

VICTOIRE - Je crains fort que mon aide ne vous soit pas précieuse.

HELMUT - Je l’ai fait tout à l’heure, je peux recommencer.

RICHTER - Mais fais bien attention de ne pas tout casser.

HELMUT - C’est facile, il suffit d’enclencher ce bouton.

Alors mon colonel ?

RICHTER -                                   Rien du tout, avorton  !

VICTOIRE à part à Paulette. – Oh ! C’est la catastrophe !

PAULETTE à part,à Victoire. -                          Non, j’ai tout débranché !

(Plus fort à Helmut.) Je vous l’avais bien dit, Helmut, de rien toucher.

RICHTER retire le bonnet, à Helmut - Alors de deux choses l’une : ou bien tu hallucines,

ou tu viens vraiment de casser cette machine.

HELMUT - Mais enfin, colonel…

RICHTER -                                   Tais-toi donc, tripl’andouille .

Et va donc me chercher le professeur ! Dégrouille !

HELMUT - Où est-il ?

PAULETTE -                Sur la plage !

VICTOIRE -                                        Le voici qui s’approche !

HELMUT - Pas la peine que j’y aille !

RICHTER énervé. -                         Sors d’ici, sombre cloche   !

 

 

Helmut sort, laissant la place à Alexandre qui rentre les pieds nus, le pantalon relevé, ses chaussures à la main à l’intérieur desquelles se trouvent ses chaussettes.

 

Acte 2, scène 6 : Paulette, Victoire, Richter, Alexandre.

 

 

ALEXANDRE - Déjà là, colonel !

RICHTER, sur un ton de reproche -  Oui, j’avais dit huit heures !

Vous êtes en retard, je ne suis pas d’humeur.

 

Pendant qu’il parle, Alexandre s’assied à la table pour enfiler ses chaussettes puis ses chaussures.

 

ALEXANDRE - Excusez mon retard, mais j’ai passé la nuit

Sur l’anticipator et je n’ai pas dormi.

Alors je suis parti marcher dans l’eau de mer.

VICTOIRE acide. - En charmant’ compagnie !

ALEXANDRE -                                              Respirer le grand air !

PAULETTE avec reproche. - Tu fais le joli cœur quand on t’attend ici !

RICHTER levant les yeux au ciel - Les Français et l’amour ! Mais enfin vous voici !

ALEXANDRE - Après plusieurs essais où je n’ai pas avancé.

Vers cinq heures, ce matin j’ai enfin progressé.

Alors on peut maintenant prévoir sur deux jours,

Et pour la distance : cinq cents mètres aux alentours.

VICTOIRE essayant de lui faire comprendre. - Ne parlez pas trop vite, il y a un problème !

PAULETTE - Helmut en l’essayant a cassé ton système !

ALEXANDRE fâché. - Qui l’a autorisé à toucher l’matériel !

Ah, non ! Ce n’est pas vrai ! Qu’est-ce que j’ai fait au ciel ?

RICHTER - S’il est le responsable, il sera fusillé !

ALEXANDRE - Quand même pas colonel, faut pas exagérer  !

Alors, laissez-moi voir où est la défaillance.

 

Les deux femmes essaient à tout prix de gagner du temps.

 

VICTOIRE, au colonel - Rev’nez plutôt demain. Ça n’a pas d’importance.

PAULETTE le raccompagne vers la porte d’entrée - Oui, colonel Richter, deux ans qu’vous attendez,

vous n’êtes plus maintenant à un ou deux jours près.

ALEXANDRE - Attendez, attendez ! Ce n’est pas compliqué !

Il y avait simplement deux fils de débranchés.

 

Le colonel revient vers la machine. Paulette entraîne Victoire vers le devant de la scène.

 

PAULETTE bas, à Victoire. - Victoire, fais quelque chose ! Faut faire sortir Richter !

RICHTER, à Alexandre - On le fait cet essai !

VICTOIRE bas, à Paulette. -        D’accord, mais comment faire ?

ALEXANDRE, au colonel - Je recalibre ça et ce s’ra prêt, je pense !

PAULETTE, bas, solennelle, à Victoire. - Dégrafe un peu ta blouse, et va sauver la France  !

VICTOIRE haut, aguicheuse - Colonel !

RICHTER -                                         Oui !

VICTOIRE aguicheuse -                              Vous êtes un petit cachotier !

RICHTER revient vers Victoire - Ah bon ! Voyez-vous ça ! Que vous ai-je donc caché ?

VICTOIRE aguicheuse - Votre prénom, vous ne me l’avez jamais dit !

RICHTER - Moi, je connais le vôtre, que je suis étourdi !

Mon père est allemand et maman vient d’Autriche.

Alors tous deux m’ont prénommé Sigmund-Friedrich !

Et depuis des années, ils m’appellent Sigmund-Fred  !

VICTOIRE riant - Comme le psychanalyste (Passant à autre chose, aguicheuse)! J’ai besoin de votre aide !

Venez dans mon labo !

ALEXANDRE -                               C’est prêt, mon colonel !

RICHTER, à Alexandre - Un instant, professeur ! (À Victoire) J’arrive, mademoiselle !

ALEXANDRE - Mais vous étiez pressé !

VICTOIRE le prenant par la main, tendrement. - Vous venez, Sigmund-Fred !

RICHTER, à Victoire - J’arrive ! Elle lui lâche la main et sort. Le colonel se retourne vers Alexandre.

Permettez-moi ce petit intermède .

Ça fait deux ans « aussi » que j’attends ce moment.

J’ai mes priorités, laissez-nous un moment.

 

Richter sort à son tour.

 

Acte 2, scène 7 : Paulette, Alexandre.

 

ALEXANDRE - Tu as vu comme moi, je suis estomaqué !

PAULETTE - J’avoue que là, Alex, elle a mis le paquet  !

ALEXANDRE - Quand Richter l’approche, elle se ferme d’habitude.

Mais cette fois-ci, elle a une drôle d’attitude !

PAULETTE -   Ne t’inquiète pas Alex, c’est pour la bonne cause.

Nous voilà tous les deux, il faut que je te cause !

Il ne faut surtout pas que Richter s’asseye là !

ALEXANDRE regardant le siège - Pourquoi ? Le siège est tout mouillé  ?

PAULETTE -                                                                 Non ! C’est pas ça !

Il ne doit surtout pas enfiler ton bonnet.

Si tu le laisses faire, tu vas le regretter !

ALEXANDRE - Mais de quoi te mêles-tu ? Il me paye pour ça !

J’y ai passé la nuit, alors j’vois pas pourquoi

tu voudrais qu’j’abandonne.

PAULETTE -                                                     Il faut gagner deux jours.

ALEXANDRE - Mais dis-moi, à quoi bon, pourquoi tous ces détours ?

PAULETTE - Fais-moi confiance, Alex, il ne faut pas qu’tu saches !

ALEXANDRE - T’es bizarre en c’moment, mais qu’est-ce que tu me caches ?

PAULETTE résolue à lui dire, elle soupire - le matin du 6 juin…

 

Acte 2, scène 8 : Paulette, Alexandre, Victoire, Richter.

 

Victoire entre d’un pas pressé, dépeignée, la blouse dégrafée, poursuivie par le colonel.

 

VICTOIRE outrée -                                                      Mais enfin, colonel !

RICHTER - Je vous trouve à mon gout, petite demoiselle !

Oh ! Victoire !

VICTOIRE referme sa blouse. - Mais il y a des limites tout de même !

En voilà des manières !

RICHTER -                                               Je crois que je vous aime !

VICTOIRE -   Oh ! Je les vois venir vos intentions douteuses,

vos petits yeux pervers et vos mains baladeuses  !

PAULETTE l’arrêtant au passage. - Holà ! Mon colonel, je vous sens enflammé.

RICHTER déterminé - Je brûle de mill’feux !

VICTOIRE -                                      Appelez les pompiers !

PAULETTE - Je sais ce qu’il vous faut pour éteindr’l’incendie  ! (Elle remplit un verre de vin blanc.)

Un petit verre de blanc ! (Elle lui tend le verre.)

RICHTER, bois le verre d’un trait. -         Ah ! Je vous remercie !

Et savez-vous, Victoire, ce qui m’ferai plaisir ?

VICTOIRE - Oh oui ! Je crois savoir ! Et je m’attends au pire !

RICHTER - J’aim’rais pouvoir sucer …

ALEXANDRE outré. -            Colonel ! Calmez-vous !

 

À partir de là, Richter parle comme un petit enfant jusqu’à la fin de la scène.

 

RICHTER - Sucer de la réglisse et des caramels mous  !

VICTOIRE étonnée - Des…

ALEXANDRE étonné -   Caramels…

PAULETTE étonnée -                    Mous !

RICHTER -                                             Oui !

ALEXANDRE -                                           En voilà une idée !

RICHTER - J’ai vu qu’ils en vendaient, en bas, chez l’épicier !

ALEXANDRE - Vous ne préférez pas essayer ma machine ?

RICHTER - Je m’en fous de ton truc  ! Je préfère une tartine,

avec du chocolat et puis des berlingots !

J’ai envie d’m’amuser et puis faire du vélo !

VICTOIRE bas, à Paulette - Dit : ce qu’il vient de boire, c’est le vin blanc d’hier ?

PAULETTE, bas, à Victoire - Vu comment il délire, oui, ça m’en a tout l’air  !

ALEXANDRE - Je vous assure que mon système est réparé !

VICTOIRE bas, à Paulette - Il ne va pas se taire !

PAULETTE, bas, à Victoire -                                  Il va tout faire foirer !

RICHTER - Non, non ! J’veux des bonbons, et des caramels mous !

VICTOIRE lui parle comme à un gamin - Tu sais quoi, Sigmund- Fred ?

RICHTER -                                                Tu veux m’faire un bisou  !

VICTOIRE - Non ! Ma copine, Paulette, elle veut bien t’emmener,

ach’ter des caramels, en bas, chez l’épicier !

PAULETTE étonnée que ça tombe sur elle. - Ah ! Alors c’est moi qui…?

VICTOIRE -                                        Oui, ma grande, c’est toi qui…
RICHTER - Merci, madame Paulette ! Ça, c’est vraiment gentil !

ALEXANDRE - Bon ! Et bien, bonne prom’nade, moi je vous attends là !

RICHTER, à Alexandre en chantonnant - Et ben moi j  !

PAULETTE - Allez, viens, mon petit !

RICHTER -                                         On joue à la marelle ?

PAULETTE - Après ! Allons d’abord ach’ter tes caramels !

 

Elle pousse le colonel dehors et sort également.

 

Acte 2, scène 9 : Alexandre, Victoire.

 

ALEXANDRE - Je n’comprends pas pourquoi, Paulette est si gentille.

D’habitude elle l’attaque, elle envoie des torpilles.

Et là, j’ai pas rêvé, avec le colonel,

ils vont chez l’épicier et jouer à la marelle  !

VICTOIRE - Il a bu ma potion, celle qui infantilise !

ALEXANDRE, réalisant - D’accord !

VICTOIRE -                                         Avant que les effets ne s’amenuisent,

il faut gagner du temps, professeur Alexandre.

ALEXANDRE - Mais du temps pour quoi faire, ça, j’aim’rai bien comprendre.

VICTOIRE - Je n’ peux pas vous le dire !

ALEXANDRE -                                     Vous êtes bien mystique !

VICTOIRE - J’ai promis à Paulette !

ALEXANDRE -                                  L’excuse est très pratique !

VICTOIRE - On vient d’apprendre un’ chose vraiment très importante.

ALEXANDRE, avec reproche - Votre attitude aussi, Victoire, est révoltante !

VICTOIRE - Et pourquoi ? Qu’ai-je donc fait ?

ALEXANDRE -                      Rien qui vous paraisse louche :

Avec le colonel, vous n’étiez pas farouche,

vous l’avez, tout à l’heure, franchement attiré

dans votr’ laboratoire. Vous ne pouvez pas nier !

VICTOIRE - C’est pour la même raison, celle de gagner du temps !

ALEXANDRE - Ce n’serai pas plutôt pour « passer » du bon temps  !

VICTOIRE outrée - Oh ! Mon Dieu ! Alexandre, je ne vous permets pas !

ALEXANDRE - Vous savez qu’on en a rasées pour moins que ça  !

VICTOIRE - Oh ! Non, me dire ça ! Mais vraiment, c’est une blague !

Qui est parti marcher, les pieds nus, dans les vagues,

pour un p’tit tête-à-tête avec cette sainte-nitouche ?

Vous auriez préféré plutôt un bouche-à-bouche  ?

ALEXANDRE - Vous n’y êt’s pas du tout, seriez-vous jalouse ?

Je vous rappelle, Victoire, vous n’êtes pas mon épouse.

VICTOIRE - Vous aussi, tout à l’heure, c’était d’la jalousie.

J’vous rappell’ Alexandr’, vous n’êtes pas mon mari .

ALEXANDRE - Et bien, soyez contente, comm’ cela on est quitte !

VICTOIRE - Non, je ne suis pas contente, et c’est moi qui vous quitte !

ALEXANDRE - Comment ça, vous partez ? Comm’ça, sur un coup d’tête !

VICTOIRE - Vous vous moquez de moi !

ALEXANDRE -                                         Ne soyez pas si bête !

La fille du colonel voulait se promener,

je me suis proposé d’aller l’accompagner.

Je ne vois vraiment pas, Victoire, où est le mal !

VICTOIRE -  Mais Ursula, elle, a bien vu où est le « mâle  » ! (Elle insiste sur le â de mâle.)

Elle cherche à vous séduire !

ALEXANDRE -                                          Il se peut qu’elle me drague.

VICTOIRE - Je crois qu’elle veut vous nuire !

ALEXANDRE -                                             Non, votre esprit divague !

VICTOIRE - Elle vous attire n’est-ce pas ?

ALEXANDRE -                                           C’est vrai qu’elle est charmante !

VICTOIRE - Moi je ne l’aime pas ! J’ai bien peur qu’elle vous mente.

ALEXANDRE prétentieux - Elle me trouve séduisant !

VICTOIRE -                                                Excusez-moi, j’en doute !

Dans ce labo, hier, elle embrassait Helmut !

ALEXANDRE - Qu’est-ce que vous racontez ? Pourquoi ferait-elle ça ?

VICTOIRE - Embrasser le chauffeur puis tomber dans vos bras !

La raison je l’ignore, mais j’aim’rais la connaître.

ALEXANDRE - C’est troublant, en effet, il faut le reconnaître !

VICTOIRE - Ursula je le crois, n’est pas blanche comme neige,

et moi, j’ai l’impression qu’elle veut vous tendr’ un piège !

ALEXANDRE - Mais arrêtez de voir le mal en toute chose !

VICTOIRE - Ursula est sournoise et j’en saurai la cause !

ALEXANDRE regardant par la fenêtre. - La voici qui arrive !

VICTOIRE -                                            Cachez-vous, Alexandre !

Derrière, dans mon labo, que vous puissiez entendre !

ALEXANDRE - Mais qu’allez-vous donc faire ? Vous m’inquiétez, Victoire !

VICTOIRE - Je vais la faire parler, et vous, vous allez voir

si je n’ai pas raison !

ALEXANDRE -                               Comment allez-vous faire ?

VICTOIRE, sors une fiole de sa poche - J’ai une autre potion ! Laissez bien entrouvert !

 

Alexandre sort dans le second labo. Il laisse la porte entrouverte.

 

 

Acte 2, scène 10 : Victoire, Ursula.

 

Victoire verse dans un verre le contenu de sa fiole. Elle y rajoute du sirop d’orange qui était sur l’étagère.

 

VICTOIRE, à elle-même - Avec ça, ma cocotte, crois-moi, tu vas parler  !

Et dire la vérité, toute la vérité

Ursula entre.

 

VICTOIRE faussement aimable - Oh ! Bonjour Ursula !

URSULA -                                        Bonjour à vous, Victoire !

VICTOIRE - Vous êtes bien matinale. Puis-je vous offrir à boire ?

URSULA - C’est gentil, volontiers !

VICTOIRE -                                        Une petite orangeade ?

URSULA - Très bien ! (Victoire rajoute de l’eau dans le verre et le tend à Ursula.)

VICTOIRE -                Je vous ai vu partir en promenade ?

URSULA - Oui, j’aim’ beaucoup marcher en regardant la mer ! (Elle boit d’un trait son orangeade.)

Ça me fait oublier un peu qu’on est en guerre !

VICTOIRE - Oui, mais toutes ces défenses qui défigurent nos plages

ont tout de même net’ment détruit le paysage !

URSULA - Depuis janvier, Rommel a suivi sa logique,

De vraiment renforcer le mur de l’atlantique.

VICTOIRE -  Fille de militaire, c’ n’est pas toujours facile !

Il faut suivre papa, même quand on est civile !

URSULA - J’étais pas obligée, c’est moi qui ai voulu !

VICTOIRE - En voilà une idée, pour le moins saugrenue !

 

Sous l’effet de la potion, Ursula parle mollement comme si elle allait s’endormir.

 

URSULA - Je me sens toute molle, mais que m’arrive-t-il ?

VICTOIRE - Asseyez-vous ici, vous avez l’air fébrile.

Je voulais, Ursula, vous poser une question.

URSULA - Oui !

VICTOIRE -           Vous avez avec Helmut un’ relation,

mais je vous vois tourner autour du professeur !

Alors j’aim’rais savoir pour qui bat votre cœur ?

URSULA -  Ni pour l’un, ni pour l’autre !

VICTOIRE -                                              Vraiment ! Vous m’intriguez !

URSULA - Ceci est pourtant vrai !

VICTOIRE -                                   Allez-y, dév’loppez !

URSULA - Mon aventure avec le chauffeur de mon père

n’a qu’un seul objectif : c’est m’envoyer en l’air  !

VICTOIRE - Au moins ça, c’est direct ! Vous êtes une nymphomane !

URSULA - Je n’ visai pas son cœur, mais un tout autr’organe  !

VICTOIRE - Arrêtez ! S’il vous plaît ! Mais laissez-moi comprendre,

Helmut ne suffit plus qu’il vous faut Alexandre ?

URSULA - Non, pour le professeur c’est une tout’autre chose.

J’ai besoin de lui pour une plus grande cause.

VICTOIRE - Cela est étonnant ! Je n’imaginais pas…

Et quelle est cette cause ?

URSULA -                                             Vous ne devinez pas !

Il s’agit de cela : (Elle montre la machine portative.) c’est l’anticipator !

VICTOIRE - Là, je tombe des nues ! J’imaginais à tort

que vous cherchiez à le séduire.

URSULA -                                                       Mais pas du tout !

VICTOIRE -  Ces recherches, Ursula, quel intérêt pour vous ?

URSULA - Cette invention pourrait nous faire gagner la guerre !

VICTOIRE -        C’est donc ça que vous a demandé votre père !

URSULA - Papa n’y est pour rien ! Ce petit colonel

ne pens’ qu’à servir son intérêt personnel !

VICTOIRE fausse - Il faut vous requinquer. Encore un autre verre ?

URSULA - Ya ! Je ne vous voyais pas comme cela, ma chère !

 

Victoire prépare une autre orangeade ou elle verse une autre potion qu’elle a discrètement sortie de son autre poche.

 

VICTOIRE - Comment me voyiez-vous ?

URSULA -                                                  Plutôt antipathique !

VICTOIRE lui tendant le verre - Et alors maintenant !

URSULA -                                    Nett’ment plus sympathique !

 

Ursula boit son verre d’un trait. Elle se fige en fermant les yeux quelques secondes. Victoire lui prend le verre des mains. Puis Ursula retrouve ses esprits et parle normalement.

 

VICTOIRE faussement gentille - Ça va mieux, Ursula !

URSULA -                                                     Comment ? Très bien, merci !

Heu ! Où en étions-nous ? Je suis tout’ étourdie !

VICTOIRE - Nous parlions du beau temps, en ce début de juin !

Je vous disais aussi : cette robe vous va très bien .

URSULA – Je l’ai eu à Cherbourg, aux folies parisiennes !

VICTOIRE - Moi je la trouve beaucoup plus jolie que la mienne !

URSULA - Mon père ne devait pas essayer une machine ?

VICTOIRE mentant - Oui, mais elle est cassée (Elle invente.) une histoire de bobines.

URSULA - Bon et bien, je m’en vais. Merci pour l’orangeade !

VICTOIRE - À bientôt Ursula ! (Ursula sort et referme la porte, Alexandre entre aussitôt.)

ALEXANDRE -                                 Tu parles d’une pintade !

Elle cache bien son jeu, et elle n’aime pas son père !

VICTOIRE - Elle vise votre machine pour un but militaire !

 

Acte 2, scène 11 : Victoire, Richter, Alexandre.

 

Le colonel entre, furieux. Les effets de la potion infantilisante ont disparu.

 

RICHTER - Mais qu’est-ce qui m’a pris ? je me suis retrouvé

à jouer à la marelle sur la place du marché  !

VICTOIRE ironique - C’est bien de se détendre, comme ça de temps en temps !

RICHTER - Je me suis humilié, tout seul, devant les gens  !

J’ai les doigts tout collants de ces caramels mous ! (il sort un mouchoir et s’essuie les doigts.)

ALEXANDRE ironique – Vous nous aviez caché l’enfant qui est en vous !

Alexandre et Victoire rient.

 

RICHTER - Bon maint’nant, assez ri, essayons l’invention !

ALEXANDRE - Mais elle ne fonctionne plus.

RICHTER -                                                       Vous avez l’intention

de vous moquer de moi encore longtemps, monsieur !

VICTOIRE - Pourquoi dites-vous cela !

ALEXANDRE -                                       Un contretemps fâcheux !

RICHTER - Ne m’obligez pas à en venir à l’extrême ! (Il sort son pistolet.)

ALEXANDRE se protégeant les deux bras en avant - Calmez-vous !

VICTOIRE -                     Laissez-le trouver d’où ça venait !

RICHTER - Vous disiez tout à l’heure que cela fonctionnait !

J’ai l’impression très nette, monsieur que vous mentez ! (Et il lui met le pistolet sur la tempe).

VICTOIRE - Non, non, ne tirez pas !

ALEXANDRE apeuré -                           Je vais réessayer !

RICHTER - Voilà qui est plus raisonnable, Alexandre ! (Il range son arme dans son étui.)

ALEXANDRE - Avec un pistolet, vous vous faites mieux comprendre !

Asseyez-vous ici ! Je vais remettre en route !

 

Le colonel s’assied sur le fauteuil à roulette.

 

VICTOIRE - Cela va fonctionner, je n’ai plus aucun doute !

RICHTER - Quelle distance maximum avez-vous obtenue ?

ALEXANDRE - Pour l’instant, 500 mètres.

RICHTER -                                                  Vous ne pouvez pas plus ?

ALEXANDRE - Non !

RICHTER -                   Et pour la durée, vous m’avez dit deux jours !

ALEXANDRE essayant de tricher - Ah ! J’ai dit ça, vraiment  !

RICHTER -                                                  Oui, je ne suis pas sourd !

Alors, n’essayez pas de vouloir me rouler,

Sinon c’est ça ou je ressors mon pistolet ! (Il regarde Alexandre manipuler les boutons)

ALEXANDRE craintif - Non, non, non ! Tout va bien ! Je règle tout cela !

Enfilez le bonnet, c’est parti, on y va !

 

Le colonel enfile le bonnet. Puis écarquille de plus en plus les yeux.

Victoire entraîne Alexandre à l’avant-scène, loin du colonel.

 

RICHTER à lui-même - Mais ce n’est pas possible ! Helmut me l’avait dit !

Des milliers de soldats vont débarquer ici !

VICTOIRE bas - Ce qu’on voulait cacher, professeur, aux All’mands,

c’était que dans deux jours…

RICHTER s’exclamant -                                  C’est le débarquement !

ALEXANDRE se retournant vers le colonel - Vous disiez, colonel !

RICHTER haut -                                                         Ici, à Saint-Laurent !

Il devrait y avoir plein de bombardements

Des milliers de bateaux, une armada immense !

Les alliés dans deux jours veulent envahir la France !

ALEXANDRE ne le croyant pas. - Si un jour ils débarquent, ce sera plus au nord !

VICTOIRE hypocrite, car elle connaît la vérité. - Vers Boulogne ou Calais, forcément dans un port !

RICHTER heureux - Je vais devenir un héros ! Oui, c’est mon heure !

ALEXANDRE - Mais pourquoi, un héros ?

RICHTER -                                          Bien joué, professeur !

ALEXANDRE, étonné - Comment ça, bien joué ?

RICHTER -                               Grâce à votre invention

l’Allemagne nazie sera une grande nation !

Nous allons contrer cet immense débarquement

en bombardant sur mer les enn’mis des All’mands.

ALEXANDRE - Mais vous m’aviez promis…

RICHTER -                                                       Monsieur Delamouillette,

vous, si intelligent, comment être aussi bête .

C’est grâce à vous et à votre dispositif

qu’on gagnera la guerre ! Vous êtes si naïf.

ALEXANDRE - Vous vous êtes servi de moi !

RICHTER tout content -                                   Oui ! Exactement  !

ALEXANDRE - Alors j’ai fait tout ça… pour aider les All’mands !

VICTOIRE changeant brusquement d’attitude. - Bravo mon colonel ! Mon Dieu quelle ambition !

J’aime les hommes qui sont dévoués à leur nation !

Elle s’approche du colonel avec détermination.

 

ALEXANDRE très étonné - Mais… mais enfin, Victoire, vous n’allez quand même pas…

RICHTER - Et naïf jusqu’au bout, cette Victoire est pour moi  ! (Il l’enlace.)

Pour le débarquement, j’appelle mes supérieurs !

Ensuite, j’irai montrer la machine au führer !

ALEXANDRE content de sa revanche - Elle est fixée au mur, elle n’est pas démontable !

RICHTER -  Et bien, j’emporterai votre machine portable !

ALEXANDRE - Mais je vais prévenir les Anglais, croyez-moi !

Et pour mon invention, ne comptez plus sur moi !

RICHTER - Pour être sûr que vous n’allez rien divulguer,

je vais devoir, hélas, vous tenir enfermé ! (Il sort de nouveau son arme.)

ALEXANDRE - Je n’vous dirais plus rien !

RICHTER -                                         Vous chang’rez de posture !

À moins que vous vouliez passer par la torture !

ALEXANDRE - La prison, la torture !

VICTOIRE fataliste. -          C’est la guerre, Alexandre ! (Elle vient se blottir dans les bras du colonel.)

ALEXANDRE - Et vous changez de camp, si j’ai bien cru comprendre !

 

Victoire s’éloigne du colonel pour aller à la table, elle remplit deux verres de vin rosé.

 

RICHTER - L’empire Nazi pourra, grâce à votre machine,

envahir la Russie, l’Amérique et la chine.

VICTOIRE, aguicheuse - Sigmund-Fred, aujourd’hui vous avez deux victoire s !

Et votre stratégie va bouleverser l’histoire ! (Elle lui tend un verre de rosé.)

RICHTER - Prosit ! Et ça s’arrose comme on dit chez vous !

VICTOIRE - À nos amours, et cul sec comme on dit chez nous  !

 

Ils trinquent. Richter boit son verre d’un trait. Évidemment, Victoire ne boit pas et repose son verre.

Le colonel se fige quelques secondes. Pendant qu’il est figé, Victoire change totalement d’attitude et fait la réplique suivante.

 

VICTOIRE – Alexandr’ tout va bien, il va tout oublier !

Et il va revenir dix minutes dans l’ passé !

ALEXANDRE très étonné. - C’était votre potion ! Mais alors, vous et lui…

VICTOIRE - Jamais je n’ai trahi ni vous ni mon pays !

RICHTER retrouve ses esprits - Il est très bon ce vin !

ALEXANDRE, avec un grand sourire -                      C’est une cuvée spéciale  !

RICHTER - Alors votre machine…

ALEXANDRE -                               Là, j’ai vraiment du mal !

Je croyais seulement, deux fils de débranchés,

Il y a quelques soudures que je dois vérifier.

RICHTER - Ça commence à bien faire, vous vous foutez de moi !

ALEXANDRE - Pas du tout, colonel !

RICHTER -                                             Et ne m’obligez pas

à employer les grands moyens. (Il sort son pistolet de son étui)

VICTOIRE -                                                Oh ! Quelles manières !

Je n’aime pas les hommes aux façons si grossières !

RICHTER cherchant à se justifier. - C’était surtout, pour moi, un moyen de sévir !

VICTOIRE comme à un enfant. - Faut-il sortir une arme pour se faire obéir ?

RICHTER - C’est souvent efficace !

VICTOIRE -                                      Oui, mais quelle cruauté,

quand de bons arguments pourraient mieux vous aider.

Sachez qu’hier, monsieur, je fus vraiment séduite !

RICHTER étonné - Est-ce possible, Victoire ? Mais qu’est-ce que vous me dites ?

VICTOIRE - Si votre invitation tient toujours, monsieur,

pourquoi n’irions-nous pas déjeuner tous les deux ?

RICHTER - Vous acceptez cette fois de venir à l’auberge ?

VICTOIRE - Oui, j’ai une petite faim, et j’adore les asperges !

RICHTER - C’est que le professeur va bientôt me montrer

cette machine formidable !

VICTOIRE -                                            Laissons-le travailler.

RICHTER parlant de la machine. - Cette invention, j’attends qu’elle march’ depuis des mois,

et j’ai bien l’impression qu’on y est, cette fois !

VICTOIRE - Préférer cette machine à notre tête-à-tête !

RICHTER s’excusant. - Mais je n’ai pas dit ça !

VICTOIRE tourne les talons et joue la femme vexée. - Bon ! Vraiment, c’est trop bête !

 

Elle s’en va pour sortir.

 

ALEXANDRE, bas, à Richter. - Quand une femme dit oui : ne pas la faire attendre !

RICHTER - Sur ce point, vous avez bien raison, Alexandre !

(À Victoire.) Attendez mademoiselle !

VICTOIRE sourit, face public, puis se retourne. - Vous voilà raisonnable !

RICHTER - À l’auberge, nous allons déjeuner à ma table !

VICTOIRE - Rangez ce pistolet et donnez-moi le bras !

Il range son pistolet dans son étui.

 

RICHTER - Vous me donnez des ordres et je crois que j’aime ça !

 

Il lui offre son bras, se dirige vers la porte et se retourne vers Alexandre.

 

RICHTER -  Je vous laisse réparer la machine, professeur.

Ne me décevez pas, je reviens dans deux heures.

 

Richter et Victoire sortent bras dessus bras dessous.

 

Acte 2, scène 12 : Alexandre, Paulette.

 

Alexandre seul un moment est prêt à essayer son bonnet quand Paulette entre.

 

PAULETTE - Richter n’est pas rev’nu ?

ALEXANDRE -                                         Si ! Paulette, écoute-moi !

Assieds-toi s’il te plaît et ne m’interromps pas.

J’ai une grande nouvelle à t’apprendre, tu sais.

Tout le monde croyait que les alliés allaient

débarquer vers Calais ou Boulogne plus au nord !

On vient d’apprendre grâce à l’anticipator…

PAULETTE lui coupant la parole. - Que ce sera ici, mardi six, au matin !

ALEXANDRE - Ah, bon ! Tu sais aussi !

PAULETTE -                                              Et bien oui, gros malin  !

Il faut que je t’apprenne une chose importante :

ça fait maint’nant quatre ans que je suis résistante !

ALEXANDRE étonné. - Tu fais d’la résistance en plus du marché noir ?

PAULETTE - Eh oui ! Sans que Richter puisse s’en apercevoir !

ALEXANDRE - Tu nous caches bien ton jeu depuis toutes ces années.

PAULETTE - Victoire est au courant, et elle m’aide en secret !

Dans mon panier, hier, les denrées interdites,

c’était des explosifs ! Oui, de la dynamite !

ALEXANDRE - L’explosion, ce matin, juste au lever du jour…

PAULETTE - C’était les gars et moi, à la Kommandantur !

ALEXANDRE - Ma sœur et ma collègue complotent dans mon dos !

PAULETTE - Moi je me demandais si t’étais collabo !

ALEXANDRE - Non, mais, jamais d’la vie ! Qu’est-ce que tu crois, Paulette !

Par contre, j’étais naïf, ça, je veux bien l’admettre.

PAULETTE - Pour le débarquement, c’est une nouvelle inouïe.

On va enfin virer ces salauds de nazis.

Je me demande pourquoi Victoire t’en a parlé !

ALEXANDRE - Mais ce n’est pas Victoire, j’ignorais qu’elle savait !

PAULETTE - Maintenant que tu sais, Alex, il faut te taire !

ALEXANDRE - Je l’ai su de la bouche du colonel Richter !

PAULETTE - Quoi ? Il est au courant, cette fois-ci c’est foutu !

Si l’ennemi a d’l’avance, le conflit est perdu !

Ils vont les pilonner sur la mer, les salauds.

C’est un débarquement qui va tomber à l’eau  !

ALEXANDRE - Mais non, écoute-moi, Victoire est formidable !

Elle lui a fait gober, un truc à peine croyable.

Le colonel Richter, voyant qu’il a gagné,

me rabaisse comme un chien, et veut me torturer.

Il est content de lui, fier comme un matador,

Et Victoire lui fait croire qu’elle a changé de bord.

C’est là que, pour fêter ce moment inouï,

Victoire lui fait boire la potion d’amnésie.

PAULETTE -  Ça s’ voit qu’elle est chercheuse, elle trouve de bonnes idées  !

ALEXANDRE - Et tu ne sais pas tout, car une fois réveillé,

le colon aim'rait bien ré'ssayer ma machine,

et Victoire de nouveau, a une idée divine.

Avec un grand sourire, pour lui être agréable,

elle lui propose d’aller déjeuner à sa table.

PAULETTE -  Et le colon accepte, pour lui c’est important,

et grâce à ce moyen, elle gagne un peu de temps !

Cette femme est géniale, et moi je me demande

pourquoi tu tournes autour de cette fille allemande !

ALEXANDRE - Pour ça aussi, Victoire m’a fait y voir plus clair.

Ursula est sournoise avec ses bonnes manières.

Elle s’intéresse aussi à l’anticipator.

Sur son compte, Paulette, j’avoue que j’ai eu tort !

PAULETTE -    C’est une vraie garce, elle bouffe à tous les râteliers.

Pour le débarquement et l’attaque alliée,

il faut à tout prix que personne ne le sache !

ALEXANDRE - J’ai deux heures devant moi, je me mets à la tâche !

 

Alexandre enfile son bonnet.      Noir.

 

 

 

 

Acte 3 :

 

L’après-midi du dimanche 4 juin 1944

 

Acte 3, scène 1 : Alexandre puis Ursula

 

Alexandre, seul en scène, débranche 2 fils de sa machine au mur. Ensuite, il trie des papiers qu’il va mettre dans le labo de Victoire. Il revient aussitôt, mets d’autres papiers dans un tiroir. Il travaille ensuite sur son portable. Tournevis à la main.

Ursula entre.

 

 

URSULA - Vous êtes là, professeur ! Mon père n’est pas ici ?

ALEXANDRE - Non, ils sont à l’auberge depuis une heure et d’mie !

URSULA - Avec votre collègue, cell’ qui fait des potions !

ALEXANDRE - Victoire a dû céder à sa proposition !

URSULA - C’est vrai qu’il voulait tant l’inviter à sa table !

 

Un temps, Alexandre reste absorbé par sa machine.

 

URSULA - Alors, depuis hier, toujours sur ce portable  !

Méfiez-vous, à la longue, ça devient addictif  ?

ALEXANDRE - Oui, mais je pense avoir atteint mon objectif !

Après quelques problèmes, c’est prêt à fonctionner !

Dernier coup d’tournevis !

URSULA, comme une enfant, suppliante - Oh ! Je peux l’essayer ?

ALEXANDRE -                                      J’ai peur de vous dire non !

Car pour le recharger, c’est extrêmement long !

URSULA suppliante - Un tout petit essai ! S’il vous plaît, Alexandre !

ALEXANDRE - C’est vraiment impossible et vous pouvez comprendre

qu’un tout petit essai prend beaucoup d’énergie,

et il me faut huit heures pour charger les batt’ries.

URSULA - Quel dommage, je comprends.

(Un temps. Elle cherche à le séduire.)            Vous êtes un passionné !

Vous avez, professeur, toutes les qualités !

ALEXANDRE - Non, pas toutes, Ursula, je manque de mémoire !

Pour ne rien oublier, je note chaque soir,

les progrès que je fais dans ce laboratoire.

Tout ceci est classé au fond de ce tiroir.

 

 Il montre le tiroir dans lequel il a mis des papiers au début de l’acte 3.

 

URSULA - Alors, expliquez-moi, comment cela march’-t-il !

ALEXANDRE - J’ai tout simplifié, sur cette version mobile.

Ce curseur : la durée, maximum deux jours.

Çui-là pour la distance : cinq cents mètres alentours.

Cet interrupteur-là, permet de démarrer.

Et cette prise-ci, pour brancher le bonnet.

 

Ursula se tourne vers la machine murale.

 

URSULA suit son idée - Mais cette machine là, ne se décharge pas !

ALEXANDRE souriant - Vous gardez votre idée, mais c’est vrai, Ursula.

URSULA cherchant à l’amadouer - Alors permettez-moi de voir un peu l’av’nir.

ALEXANDRE - Attendons votre père, il va bientôt rev’nir.

URSULA boudeuse - Mais il ne voudra pas !

ALEXANDRE -                                            Il n’est pas si féroce !

URSULA - Oui, mais, depuis toujours, il me prend pour une gosse.

ALEXANDRE - J’irais bien déjeuner, je n’ai pas eu le temps.

URSULA - Moi, j’ai déjà mangé !

ALEXANDRE décroche sa veste - J’n’en ai pas pour longtemps !

Si votre père arrive, dites-lui que je reviens !

URSULA - Entendu, professeur !

ALEXANDRE -                            Vous ne touchez à rien !

URSULA - Promis, je serai sage !

ALEXANDRE -                                   J’ai dix minutes de route,

je reviens aussitôt que j’ai pris mon casse-croûte !

 

Il sort.

 

Acte 3, scène 2 : Ursula.

 

Ursula, seule en scène, regarde par la fenêtre s’éloigner Alexandre.

Elle s’assoit devant la machine murale, enfile le bonnet. Touche les boutons, les curseurs. Essai de mettre en route.

URSULA - Zut ! Ça ne marche pas ! Il a dû débrancher !

Monsieur Delamouillette est un petit futé !

 

 Elle attrape ensuite le combiné téléphonique et appelle l’opératrice.

 

Allo ! Mademoiselle ! Oui, passez-moi Berlin,

s’il vous plaît… Pas Verdun ! Je vous ai dit Berlin  !

Oui, le quatre-vingts-huit, c’est un appel urgent.

Comment ça : y a pas l’feu  ! (Au public) Ils m’énerv’nt ces Normands  !

 

Un temps.

 

Allo, oui, chancelier ! Ici fraulein Richter !

Oui, la machine est prête ! Mein führer, que dois-je faire ?

… Pour Calais… entendu !… Un essai sur le port,

pour pouvoir déjouer une attaque vers le nord !

Je pars immédiatement, à vos ordres, mein führer !

Je serai à Calais environ dans six heures !

… Non, il n’a rien compris. Mon père est un idiot !

Il est trop occupé à jouer les vieux beaux !

Grâce à cet appareil, on va gagner la guerre !

Votre empire s’étendra sur la planète entière !

À bientôt chancelier ! (Adolf a raccroché.) Allo ! Allo ! Allo !

 

Ursula sort un appareil photo, prend des clichés de la machine murale. Puis elle essaie de porter le portable, mais cela s’avère compliqué, car la machine est très lourde. Elle progresse péniblement vers la sortie en avançant par petits bonds successifs, lorsque Helmut entre. Elle est surprise comme quelqu’un qui vient de se faire pincer. Puis elle se reprend et saisit l’occasion.

 

Acte 3, scène 3 : Ursula, Helmut.

 

HELMUT - Ah ! Tu es seule, ma belle ! Viens me faire un bécot !

URSULA - Helmut, c’est pas l’moment !

HELMUT -                                          Pourquoi ? Qu’est-ce que tu fais ?

URSULA - Je dois dire, tu tombes bien parce que tu vas m’aider !

La voiture de mon père est garée, là, dehors.

Il faut emm’ner ceci jusqu’à l’état-major ! (Elle montre le portable.)

HELMUT -  Qui t’a dit de faire ça ?

URSULA -                                        Heu… Mon père tout à l’heure !

HELMUT – Il t’a dit de faire ça, mais c’est moi son chauffeur ?

URSULA - Ben, il vient de me dire que tu avais trop bu !

HELMUT - Ah ça, certainement pas !

URSULA -                                  Je crois bien qu’il t’a vu !

Il faut transporter ça à la kommandantur !

Je veux bien de ton aide, car c’est vraiment trop lourd !

HELMUT - Et ton père, où est-il ?

URSULA -                                       En train de déjeuner !

Avec la fill’française, qui travaille à côté ! (Elle lève le menton vers le second labo.)

HELMUT - J’ai envie de ton corps, Ursula, mon amour !

URSULA, aguicheuse - Mets ça dans la voiture, peut-être qu’à ton retour

nous aurons un moment pour un petit câlin !

HELMUT - Alors je me dépêche ! Attends-moi, je reviens !

 

Helmut soulève avec peine la machine portable. Puis sort.

Ursula en profite pour ouvrir le tiroir d’Alexandre et saisir tous les papiers qui s’y trouvent.

Elle les plie et les cache dans son chemisier. Helmut rentre, essoufflé.

 

URSULA - Tu as fait vite, dis-moi !

HELMUT -                                       Tu m’avais l’air brûlante !

Et ta proposition était bien alléchante !

URSULA – Oh ! J’ai envie de toi !

HELMUT -                                     Viens, déshabillons-nous !

URSULA - Je suis tout excitée !

HELMUT -                                         Montre-moi tes atouts !

URSULA - D’accord, mais pas ici ! Viens, on va à côté !

HELMUT - J’aime quand tu ordonnes ! Je suis tes volontés !

 

Elle le pousse dans le second labo. Elle joue à l’officier qui donne des ordres.

 

Allez, soldat, mets-toi en tenue de combat !

Et moi je vérifie si mon père ne vient pas !

 

Elle se dirige vers la fenêtre.

 

HELMUT off - Allez ! dépêche-toi !

URSULA regarde par la fenêtre -               Tu es prêt, mon lapin  ?

J’aime quand tu me fais rire, comme avant-hier matin !

 

Ursula se sauve par la porte d’entrée.

 

HELMUT off - Alors, attend un peu, tu vas bien rigoler !

 

On entend une voiture qui démarre en trombe et qui s’éloigne.

 

HELMUT - Encore une minute et tu pourras entrer !

 

 

Acte 3, scène 4 : Richter, Victoire.

 

Victoire entre, suivie par le colonel. Ils sont tous deux de bonne humeur.

 

RICHTER - Ah ! Ce déjeuner m’a ravi, mademoiselle !

En votre compagnie, il me pousse des ailes !

VICTOIRE – Enfin, mon colonel.

RICHTER -                                         Mais ce n’est pas une blague !

VICTOIRE - Vous avez un peu bu et votre esprit divague !

RICHTER - Je vous croyais, Victoire, un appétit d’oiseau.

Vous m’avez estourbi de reprendre trois morceaux

de ce sauté de veau.

VICTOIRE en riant. -                       Plus la tarte aux noyaux !

C’était un vrai festin, j’ai bien pris deux kilos !

RICHTER -  Ne dites pas de sottises, vous êtes belle à ravir !

VICTOIRE - Merci pour le repas, cela m’a fait plaisir !

RICHTER - Le professeur n’est pas là ! A-t-il réparé

sa merveilleuse machine ? (il se rapproche de la machine murale)

 

Victoire essaie de gagner du temps par tous les moyens.

 

VICTOIRE le prenant par le bras pour l’entraîner vers la sortie - Ceci n’est pas pressé.

Nous avons bien le temps, allons faire quelques pas !

Pour digérer ensemble ce succulent repas !

RICHTER - D’habitude, vous n’êtes pas si charmante avec moi !

J’aimerais vous dire…

 

 

Acte 3, scène 5 : Richter, Victoire puis Helmut.

avec ses chaussettes bien hautes, ses chaussures militaires. Son calot sur les yeux lui cache la vue. Évidemment, il ne voit pas son colonel ni Victoire. Il entre en faisant le pitre pour faire rire Ursula.

 

HELMUT -                                                Chérie, me voilà !

  Il marche les deux pieds en canard, les genoux à demi fléchis, les mains de chaque côté avec les cinq doigts bien écartés. Il chantonne comme s’il entrait en piste.

Et oui, c’est moi le clown, de tout’ l’armée all’mande,

 

Vous qui aimez bien rire, voici mon numéro !

Ne ratez pas Helmut, le petit rigol…

RICHTER hurle -                                                 Oooh !

(Outré.) Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Helmut, tu t'moques de moi ?

HELMUT sursaute et remet son calot droit - Oh ! Mein got ! Je n’savais pas que vous étiez là !

RICHTER, fâché - Je m’en doute, sombre idiot ! Garde à vous, soldat Schmitt !

 

Helmut se met au garde à vous.

 

Où sont tes vêtements, pourquoi es-tu en slip ?

VICTOIRE ironique - Je pense que la tenue n’est pas règlementaire !

Enl’vez donc vos chaussettes, si c’est pour un bain d’ mer  !

RICHTER - Il ne manqu’rai plus que ça ! Qu’est-ce que c’est qu’ce foutoir !

Tu es à demi nu, et tu choques Victoire !

 

Helmut retire son calot et avec ses deux mains, s’en sert de cache-sexe.

 

VICTOIRE ironique - Il faut se découvrir devant une demoiselle,

mais à ce point, Helmut, vous faites vraiment du zèle  !

RICHTER - Alors, j’attends toujours quelques explications !

HELMUT - Nous avons, colonel, suivi vos instructions.

J’ai chargé la machine dans la Kübelwagen,

Mais elle est rud’ment lourde,  ce ne fut pas sans peine !

Je suis revenu en sueur, j’étais tout trempé.

Je me suis mis à l’aise dans la pièce à côté !

RICHTER - Mais qu’est-ce que tu racontes, tu parles de quelle machine  ?

HELMUT - Et bien du gros boitier, avec toutes les bobines !

RICHTER - Qui t’a dit d’y toucher ?

HELMUT -                                         Ursula, votre fille !

RICHTER - Et toi, tu suis ses ordres, tu n’es qu’un imbécile !

HELMUT - Vous lui aviez dit de l’emmener au plus vite

à la kommandantur. Je n’l’ai pas contredite !

RICHTER fronçant les sourcils - Je ne comprends plus rien, je n’ai jamais dit ça !

Elle va me l’expliquer ! Mais, où est Ursula ?

HELMUT - Elle devait revenir, et j'ignore où elle est.

RICHTER étonné - Et c’est dans cette tenue que toi, tu l’attendais !

HELMUT - Pas du tout colonel !

VICTOIRE -                                         Mais : chérie, me voilà !

Je n’ose pas croire, Helmut, que cette phrase fut pour moi !

HELMUT cherchant à se disculper. - Oh ! Non, il y a méprise ! Pas du tout, mad’moiselle !

RICHTER - Donc, si je comprends bien, cette phrase était pour elle !

Tu cherches à séduire ma fille, toi, infâme crapule !

Approch’-toi un peu que j’écras’ tes testicules  !

VICTOIRE -  Mais enfin, colonel, un peu de retenue !

RICHTER - On n’ touche pas à ma fille, je l’avais prévenu !

VICTOIRE - Mais peut-être viv’nt-ils une grande histoire d’amour !

RICHTER -  Ma fille ne peut s’éprendr’ de cet ivrogn' balourd !

 

                      À Helmut.

 

Et puis va t’habiller, parce que là, tu m’énerves !

Je vais réfléchir au sort que je te réserve !

 

Helmut sort vers le deuxième labo.

 

VICTOIRE - N’êtes-vous pas trop sévère avec votre chauffeur ?

RICHTER - J’ai déjà éloigné tous ses prédécesseurs.

Ma fille ne sera pas avec un pauvr’ ivrogne !

Il n’a pas d’avenir, vous avez vu sa trogne !
 

Acte 3, scène 6 : Richter, Victoire, Alexandre puis Helmut.

 

Alexandre, entre.

 

ALEXANDRE - Vous êtes là, colonel, veuillez bien m’excuser.

Je suis passé chez moi, je n’avais pas mangé.

 

Alexandre accroche sa veste à la patère.

 

RICHTER - Alors votre appareil, est-il au point, cette fois ?

ALEXANDRE, sans hésiter - Tout à fait, colonel !

VICTOIRE étonnée, elle ouvre de grands yeux vers Alexandre - Mais il ne marchait pas !

ALEXANDRE - Mais pendant qu’à l’auberge vous faisiez un festin,

j’ai trouvé où était le problème.

 

Il rebranche les 2 fils qu’il avait débranchés au début de l’acte 3.

 

VICTOIRE cherche encore à gagner du temps -              C’est certain ?

N’y aurait-il pas encore quelques petits réglages ?

RICHTER - Elle veut gagner du temps… (Un temps. Alexandre et Victoire le regardent, stupéfaits.)

pour aller à la plage  !

VICTOIRE - Oui, c’est vrai, Alexandre, je viens de proposer

une petit’ promenade pour aller digérer !

ALEXANDRE - Maintenant ça fonctionne. Ce serait vraiment bête,

d’aller se promener quand la machine est prête !

RICHTER - Excusez-moi, Victoire, mais j’ai tellement envie,

de savoir l’avenir. (Il se tourne vers Alexandre) Vous, vous êtes un génie !

ALEXANDRE - Installez-vous ici, enfilez le bonnet !

Je mets au maximum : voilà, deux jours complets ! (il règle le curseur)

Et bien, vous allez voir, une partie du village

et ce qui se pass’ra mardi 6, sur la plage !

VICTOIRE affolée. - Mais enfin, professeur, c’est vraiment d’ la folie !

ALEXANDRE - Oh ! Pas du tout, Victoire ! C’est plutôt du génie !

 

Juste avant de mettre en route l’appareil, Alexandre, dans le dos du colonel, modifie le curseur.

 

RICHTER - Ça y est, je vois la plage, jusqu’au bord de la mer !

Et aussi Saint-Laurent, jusque chez la crémière !

VICTOIRE, inquiète, fait une grimace, face au public. - Et rien à l’horizon ?

RICHTER -                                                  Vraiment rien, en effet !

Il ne se passe rien dans ce village Français ! (Il enlève le bonnet et se lève.)

Monsieur Delamouillette, vous êtes remarquable !

 

Alexandre fait mine de chercher à droite et à gauche.

 

ALEXANDRE - Oui, mais une chose m’inquiète, où est donc mon portable ?

RICHTER - Et bien, il semblerait que ma fille l’ait porté

à mon état major, sans me le demander !

ALEXANDRE - C’est pour ça, tout à l’heure, j’ai trouvé ça bizarre,

elle posait des questions et elle voulait savoir

comment cela marchait !

RICHTER -                                                  Mais de quoi se mêl’-t-elle ?

Ce n’est qu’une petite fille.

ALEXANDRE -                                      Vous êtes trop paternel !

RICHTER - J’en aurai le cœur net ! Il faut que je sois sûr

qu’elle ait porté l’engin à la kommandantur !

 

Il décroche le téléphone.

 

Allo ! Mademoiselle, passez-moi le dix-huit,

à Saint-Laurent sur mer… on se dépêche, plus vite ! (Un temps.)

Allo ! allo ! Oui, Karl, ici le colonel.

Comment, « quel colonel ? », et bien Richter, bordel !

Ma fille est-elle passée ? (Il s’énerve.) Aujourd’hui, sombr’ idiot  !

Pas la semaine dernière ! Tu n’as pas de cerveau !

(Aux deux autres.) Quel crétin, celui-là !

VICTOIRE -                                                            Vous n’êtes pas aidé  !

RICHTER, au téléphone - Non ! Personne ne l’a vu ! (Il raccroche.) Mais où est-elle passée ?

VICTOIRE - Partie faire des emplettes !

 

Helmut sort du second labo.

 

ALEXANDRE étonné -                            Vous étiez là, Helmut !

J’ai cru voir la voiture partir vite sur la route !

RICHTER - Sûrement Ursula ! Dans quelle direction ?

ALEXANDRE - Vers Bayeux, il me semble ! Et elle roulait à fond !

RICHTER - Helmut, va me chercher un autre véhicule !

HELMUT - Maintenant ?

RICHTER très calme -     Non, demain  ! (Il s’énerve.)Mais tu es ridicule !

Évidemment maint’nant ! Pourquoi pas à Noël  !

HELMUT – Bon, j’y vais !

RICHTER, lui criant dessus - En courant !

HELMUT -                                                    Très bien, mon colonel !

 

Helmut sort en courant.

 

ALEXANDRE - Heureus’ment, il me reste les plans de ma machine !

Il ouvre le tiroir où étaient les papiers.

(Faussement étonné.)Tiens, ils ne sont plus là !

VICTOIRE -                                                             Ursula, j’imagine !

RICHTER - Elle joue un drôle de jeu, berner son propre père !

VICTOIRE - Elle m’a avoué hier qu’elle connaissait Hitler !

RICHTER - Mais comment est-ce possible ? Et moi, j’étais trop bête !

ALEXANDRE - Faites donc des enfants, voyez comme ils vous traitent !

RICHTER - Cette fois-ci c’en est trop ! Il me faut l’arrêter !

J’appelle immédiatement pour la neutraliser.

 

Il décroche de nouveau le téléphone. Victoire en profite pour s’éclipser discrètement dans le second labo.

 

Allo ! Mademoiselle, passez-moi le dix-huit,

à Saint-Laurent sur mer… comment des parasites ?

(Il s’énerve.) C’est vous le parasite !… Mais allez-vous vous taire  ?

Comment ça, y a pas l’feu ! Mais c’est pire, c’est la guerre !

 

Victoire revient tout aussi discrètement avec une paire de pinces coupantes à la main.

 

Mais moi aussi je fais mon travail, mademoiselle ! (Un temps.)

Allo ! Karl ! Alerte ! Appelez les sentinelles…

 

Victoire coupe, dans le dos du colonel, le fil du téléphone.

 

Il faut stopper une Kübelwagen, vers Bayeux !

Ma fille est à bord, une blonde aux yeux bleus.

Allo… scheisse… C’est coupé.

VICTOIRE cachant la pince dans son dos. - C’est vraiment pas de chance  !

RICHTER - Encore un sabotage de cette résistance !

ALEXANDRE - Et vous croyez qu’elle va porter mon invention

à votre chancelier ?

RICHTER -                                          Ce serait le pompon !

Après deux ans d’attente, la machine est au point,

et là, ma propre fille l’emporte jusqu’à Berlin !

C’est à moi que devaient revenir les honneurs.

Je me suis fait berner comme un vrai amateur !

 

Helmut entre.

 

HELMUT - Voilà, mon colonel, j’ai trouvé une voiture !

RICHTER - Nous partons sur le champ, suivr’ma progéniture !

Il faut absolument rattraper Ursula !

HELMUT - Pourquoi est-elle partie ?

RICHTER -                                         Pour trahir son papa !

ALEXANDRE - Ursula a volé mon portable.

HELMUT -                                                      Pour quoi faire ?

VICTOIRE - Je crois que c’est pour faire un cadeau à Hitler !

RICHTER - Mais en roulant bien vite sans jamais s’arrêter,

je crois que nous pourrons sûr’ment l’intercepter !

HELMUT affolé - On va partir maint’nant, pour aller à Berlin !

Mais je n’ai rien à boire !

RICHTER -                                           Ça tombe bien, crétin !

Car avant de partir, il vaut mieux être à jeun !

HELMUT - Traverser toute l’Europe, sans une goutte de vin !

ALEXANDRE - Merci bien, colonel, de réagir viv’ment,

Au vol de mon portable et de mes documents !

RICHTER - C’est une affaire d’honneur ! Viens, on y va, Helmut !

VICTOIRE - Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne route !

RICHTER amoureux - Au revoir, mad’moiselle ! Je reviens au plus vite !

En pensant au retour, déjà mon cœur palpite !

 

Helmut discrètement va finir une bouteille de vin qui était sur la table.

Le colonel le voit.

 

RICHTER - Que fais-tu imbécile !

ALEXANDRE -                              Il prend du carburant !

RICHTER - Avant de prendre la route, mais tu es effarant !

 

Helmut qui vient de boire, à son insu, de la potion infantilisante parle comme un enfant de 7 ans.

 

HELMUT, au colonel - Eh ! Dit, monsieur ! C’est toi le papa d’Ursula ?

Elle est gentille ta fille, c’est ma copine à moi  !

RICHTER lui crie dessus - Qu’est-ce qui te prend, crapul’, tu es déjà bourré !

HELMUT pleurnichant - Faut pas crier, monsieur, sinon je vais pleurer  !

VICTOIRE - S’il conduit, colonel, attendez-vous au pire !

ALEXANDRE, au colonel - Je crois qu’une fois de plus, vous allez le conduire !

RICHTER - Mais qu’est-ce qui m’a foutu une andouille pareille ?

HELMUT - Oh ! S’il te plaît, monsieur, ne tire pas mes oreilles !

RICHTER - Tu retournes en enfance. Ah ! Tu l’auras voulu !

Fais demi-tour, que je puisse te botter le cul  ! (Ce quil fait aussitôt.)

HELMUT - Eh ! Mais tu me fais mal !

RICHTER -                                             Tu me tutoies, canaille !

 

Et tout en sortant, le colonel continue de lui botter l’arrière-train.

 

HELMUT - J’vais l’dire à mon papa ! Mais arrête ! Aïe ! Aïe ! Aïe  !

 

Ils sortent tous les deux.

 

Acte 3, scène 7 : Victoire, Alexandre.

 

ALEXANDRE - Un p’tit coup de potion, le voilà en enfance.

Je n’suis pas mécontent qu’ils quittent tous deux la France !

VICTOIRE - Alexandre vous êtes fou ! Pourquoi avoir laissé

le colonel Richter essayer le bonnet ?

ALEXANDRE - C’était indispensable, il fallait qu’il le fasse !

Il est content de moi, et j’obtiens ses bonnes grâces !

VICTOIRE - Mais alors, vous l’aidez ?

ALEXANDRE -                                   C’est ce qu’il veut bien croire !

VICTOIRE - Mais comment se fait-il, que lui n’ai pas pu voir

les combats du 6 juin, et le débarquement ?

ALEXANDRE - Parc'que je viens de faire voir à ce bedonnant

 

la plage, mais le 5 juin, et lui, bon militaire,

m’a cru évidemment ! C’était élémentaire !

VICTOIRE - Ah ! Vous m’avez fait peur ! C’était très astucieux !

Et le voilà parti, maintenant sous d’autres cieux !

ALEXANDRE - Mais pour le téléphone, on a eu de la chance

qu’il y ait eu une coupure ! Merci, la résistance !

VICTOIRE - Mais elle n’y est pour rien, et vous seriez bon prince,

de dire : merci, Victoire, avec sa paire de pince s ! (elle sort sa paire de pinces de sa blouse)

ALEXANDRE - Vous êtes vraiment géniale, et je sais apprécier

chez vous, ma chère Victoire, vos nombreuses qualités !

 

Ils se rapprochent l’un de l’autre.

 

Vous êtes compétente, gentille, la bonté même,

et puis jolie aussi. Je crois que… je vous aime !

VICTOIRE - Et moi ça fait cinq ans que je le garde en moi,

l’amour que j’ai pour vous ! Serrez-moi dans vos bras !

 

Ils s’enlacent tendrement.

 

ALEXANDRE - Victoire, je suis heureux, mon cœur joue du tam-tam !

 

Il pose un genou au sol.

 

Voulez-vous accepter de devenir ma femme ?

VICTOIRE lui tenant les deux mains - Alexandre, je dis oui, trois fois oui, voyez-vous !

J’accepte sans condition : devenez mon époux !

 

Alexandre se met debout. Ils s’embrassent.

 

ALEXANDRE - Je n’ai rien vu du tout, le nez dans mes projets,

le bonheur était là, dans la pièce à côté !

VICTOIRE - Oui, nous serons heureux, nous allons nous unir,

pas besoin d’une machine pour prédire notr’avenir !

 

Ils s’embrassent de nouveau.

 

Acte 3, scène 8 : Victoire, Alexandre, Paulette.

 

Paulette entre d’un coup. Elle les voit s’embrasser, pose les mains sur ses hanches.

 

PAULETTE - Ah ! Ben, c’est pas trop tôt !

 

Alexandre et Victoire se séparent.

 

ALEXANDRE un peu gêné -         Qu’est-ce qui n’est pas trop tôt ?

PAULETTE - D’avoir vu qu’elle t’aimait, espèce de gros nigaud  !

VICTOIRE - Oui, Paulette, ton frère m’aime !

ALEXANDRE -                                             Nous voulons nous marier !

PAULETTE - Mais il y a plus urgent, sans vouloir vous presser !

D’abord, où sont passés Helmut et l’colonel ?

VICTOIRE - Il court après sa fille, car elle s’est fait la belle !

ALEXANDRE - Ursula est partie en volant mon portable !

PAULETTE paniquée - Quoi, elle te l’a piqué ? Mais c’est épouvantable !

VICTOIRE - C’est une petite peste ! Elle va trahir son père !

PAULETTE - Mais où va-t-elle l’emm’ner ?

ALEXANDRE -                                          Au chancelier Hitler !

PAULETTE - Mais c’est la catastrophe ! Il faut l’en empêcher !

ALEXANDRE, calmement - Surtout pas, voyez-vous ! Laissons-la s’éloigner !

VICTOIRE - Mais pourquoi, Alexandre ? Là, je ne comprends pas !

PAULETTE - Moi non plus ! Y a urgence ! Allez vite, explique-toi !

ALEXANDRE - Ursula est partie vers Calais tout à l’heure,

essayer la machine sur ordre du Führer.

Le colon, d’son côté, croit qu’elle va à Berlin,

apporter à Adolf son précieux butin !

VICTOIRE - Le colonel Richter est parti vers l’Allemagne…

ALEXANDRE - Avec ce bon Helmut, bien sûr, qui l’accompagne !

PAULETTE - Mais Ursula, elle, s’en va bien à Calais ?

ALEXANDRE - Sur le port ! Elle pense voir débarquer les alliés !

PAULETTE - C’est quand même très risqué de laisser à des boches,

ton anticipator ! T’as rien dans la caboche  !

VICTOIRE – C’est risqué, en effet, si les Allemands s’en servent !

ALEXANDRE - Mais sur cette hypothèse, j’émets quelques réserves.

Parce que dès qu’Ursula enfil’ra mon bonnet,

ce n’est pas l’avenir qu’elle verra, il est vrai,

j’ai bien peur, en effet, qu’au fond elle ne récolte

qu’une bonne châtaigne d’environ vingt-quatre volts.

PAULETTE - Tu veux dire qu’au moment de brancher l’appareil…

ALEXANDRE en riant - Elle va prendre un coup d’jus entre les deux oreilles  !

VICTOIRE - Ça c’est bien fait pour elle, qu’elle se le tienne pour dit :

On ne tourne pas autour de mon futur mari !

ALEXANDRE - Je n’allais pas laisser Ursula s’en aller,

seule avec mon portable sans l’avoir saboté !

VICTOIRE - Oui, mais n’oublions pas, elle a volé les plans,

pourrait-elle se servir de tous ces documents ?

ALEXANDRE - Ceux qu’elle a emportés ! Oh! Ça, ça m’étonnerait !

Ce sont de vieilles factures et des notes de frais  !

Les vrais plans sont cachés, derrière, dans ton labo !

PAULETTE - Hier encore, Alex, j’te croyais collabo !

Mais je me suis trompée, t’avais dans la caboche

un plan bien établi, fait pour piéger les boches !

ALEXANDRE - Par contre, ce bâtiment, à l’aube, mardi matin,

va, sous un tir d’obus, exploser, c’est certain !

PAULETTE - Il faut aller vous mettre, tous les deux, à l’abri !

VICTOIRE - Et pourquoi juste nous ?

PAULETTE -                                         Je retourne au maquis !

Ça fait quatre ans, Victoire, que j’attends ce moment.

Je n’vais pas me planquer en plein débarquement !

Et depuis tout ce temps que j’aide la résistance,

je vais contribuer à libérer la France !

VICTOIRE - Mais si le labo saute, où va-t-on se cacher ?

ALEXANDRE - Dans un endroit qui lui, ne sera pas touché !

Mon anticipator sera détruit mardi,

mais il va nous servir à trouver un abri !

PAULETTE - Pas seulement à vous, mais à tout Saint-Laurent !

VICTOIRE - Elle a raison, chéri, aidons les habitants !

ALEXANDRE - Je vais répertorier toutes les maisons des gens

qui seront épargnées par les bombardements !

Et dans la nuit du 5 au 6 juin, en silence,

nous irons dans leurs caves sauver nos existences.

PAULETTE - Mais si Richter revient, il va nous massacrer !

VICTOIRE - Peut-être qu’Ursula va vouloir se venger !

ALEXANDRE - Oh ! Non, je ne pense pas qu’ils reviennent nous chercher

parce que, d’ici là, nous serons libérés !

PAULETTE - La guerre n’est pas finie, et il faudra combattre.

(Face public.) On parlera longtemps du six juin quarante-quatre.

 

Noir et musique (fleur de Paris de Maurice Chevalier)

 

FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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