La Villa des Enclos

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La pièce raconte l’histoire d’amour de deux septuagénaires qui se retrouvent après un demi-siècle de séparation. Elle évoque la façon dont ils renouent leurs liens, ce qu’ils ont perdu, ce qu’ils peuvent rattraper ou pas.
Les deux personnages principaux sont contrastés : Josiane de Mareuil, au côté grossier et je-m’en-foutiste appuyé malgré son statut social, s’adonne volontiers à un humour cinglant et acide ; Gérard Bronstein, plus tendre et généreux, incarne une bonhomie bienveillante. Les rôles secondaires apportent leurs contributions à l’histoire : le directeur de l’établissement voit ses arguties et sa flagornerie démontées avec gourmandise par Josiane ; les enfants de nos deux protagonistes réagissent de manière presque diamétralement opposée.
Lorsqu’ils avaient vingt ans, Josiane a vu son idylle avec Gérard brisée par l’antisémitisme de son père. Cinquante ans plus tard, conduits à vendre leur appartement, ils décident d’aller vivre dans une résidence réservée aux seniors. L’un et l’autre choisissent, par hasard « La Villa des Enclos », un concept haut de gamme qui tient plus de la maison de famille que d’une institution médicalisée. Très vite, ils se reconnaissent et renouent leurs liens en idéalisant leur amour de jeunesse.
Confrontés au cancer en phase terminale de Josiane, ils désirent de mourir ensemble, à la façon de ce couple d’octogénaires qui se sont suicidés à l’hôtel Lutétia à l’automne 2013.

Acte 1

Scène 1, côté cour, chez Josiane

Jardin : noirCour : un canapé trois places, deux fauteuils, une table basse

Josiane, Marie Pierre Saint Lambert, Philippe de Mareuil,

Le canapé est occupé par Josiane ; Marie-Pierre et Philippe sont sur les fauteuils.

Josiane

Bon, les enfants, j’ai un truc à vous dire : je vais vendre l’appartement.

Philippe Marie Pierre (ensemble)

Hein !

Quoi ?

Josiane

Bah, oui ! je m’y ennuie et puis c’est trop grand pour moi seule.

Philippe

Mais mère, nous venons vous voir !

Josiane

Ouais… C’était quand la dernière fois ? Ah oui, Noël…

Philippe

Vous êtes injuste !

Josiane

C’est vrai, il y a aussi la fête des Mères et mon anniversaire… Un peu convenu, non ?

Un temps

Bon, bref : j’ai décidé de changer de vie.

Marie-Pierre

Presque joyeuse

Vous allez vous installer sur la Côte d’Azur ?

Josiane

Pas une mauvaise idée. Et puis là, je vous verrai au moins trois semaines par an ! Eh bien non, je reste à Paris, j’aime trop cette ville.

Marie-Pierre

Surprise

Vous comptez acheter quelque chose dans un autre quartier ?

Josiane

Non.

Philippe

Inquiet

Mais, alors, où comptez-vous vivre ?

Josiane

Justement, laissez-moi le temps de vous expliquer mes intentions.

Philippe

Vous auriez pu nous en parler avant, quand même !

Marie-Pierre

Oui, cet appartement n’est pas qu’à vous. Ne fait-il pas partie de l’héritage de père ?

Josiane

Merci de montrer tant de délicatesse et une si vive approbation. Quoi qu’il en soit, je ne vous demande pas votre avis, je vous informe… Et, question héritage, que je sache, vous avez déjà palpé pas mal de blé, non ?

Philippe

Donc ?

Josiane

Rassurez-vous mon fils, même si nous vous avons largement aidé à payer votre appart, je ne compte pas m’installer chez vous.

S’adressant à Marie-Pierre

Ni chez vous… ma chérie.

Marie-Pierre

Mais alors ?

Josiane

Pas de panique ! Je vais me trouver un chouette endroit, genre pension de famille de luxe.

Marie-Pierre

Mais cela coûte…

Josiane

La peau des fesses ! Oui, je sais. Mais comme j’ai vendu l’appart en viager, je vais avoir une belle rente… Alors !

Philippe

Outré

Quoi ! Vous avez vendu en… viager ?

Josiane

Fallait pas ?

Marie-Pierre

Et au comptant, combien avez-vous perçu ?

Josiane

Une somme rondelette… qui ne vous regarde pas ! Et même suffisamment rondelette pour vous donner 100 000 euros… et c’est nets d’impôts !

Marie-Pierre

100 000 euros… chacun ?

Josiane

Bah oui ! Ça met du baume au cœur, hein ?

Philippe

Mère ! On ne vous demandait rien…

Josiane

Ah ? Ce n’est pas ce que j’ai cru comprendre dans l’une de vos allusions à Noël !

Marie-Pierre

Eh bien, pour une surprise, c’est une surprise. Nous ne nous attendions pas à cela…

Josiane

Comprenez-moi, pour une fois. Faire les courses, me préparer à manger, m’occuper de ma maison, etc., ras le bol. Et puis, même si mes examens sont bons, vous savez bien que je suis en sursis. Que se passerait-il si je devais être réopérée ? Pire : recommencer une chimio ? Si tant est que j’en aie la force, d’ailleurs. Être dans une institution, avec des infirmières et tout le tintouin, ça me rassure.

Philippe

Mais, avec tout l’argent que vous a laissé père, vous étiez vraiment obligé de vendre l’appartement ?

Josiane

Oui. Sauf à choisir un EHPAD classique, comme celui où votre père s’est débarrassé de sa mère ! Moi, j’ai besoin de luxe… Que voulez-vous ? Je m’y suis habitué.

Philippe

Bien, c’est votre décision, votre choix. Je… nous la respectons.

Josiane

Ironiquement

Nous sommes donc… d’accord ?

Marie-Pierre

Et savez-vous où aller ?

Josiane

Presque. J’ai vu une publicité pour un concept d’appartement partagé à Levallois. Je vais aller voir, et puis de toute façon, j’ai trois mois pour trouver.

Elle ouvre une boîte devant elle en sort deux enveloppes qu’elle tend à Philippe et Marie-Pierre

Voilà vos sous. Là, maintenant, merci de me laisser seule, je suis fatiguée. Ah ! Une dernière chose, vous trouverez, avec vos chèques, la liste de tout ce dont je vais devoir me séparer. Arrangez-vous entre vous pour vous les répartir et ce que vous ne voudrez pas, je les filerai à un brocanteur.

Elle se lève et ironiquement

Merci d’être venus… mes petits choux.

 

Scène 2, côté jardin, dans la rue

Jardin : éclairé ; ils sont deboutCour : noir

Philippe de Mareuil, Marie-Pierre Saint Lambert,

Philippe

Eh bien, je ne sais pas ce que tu en penses, mais là, la vieille salope m’a scotchée…

Marie-Pierre

Philippe !

Philippe

Quoi ? Ça te choque que je l’appelle la vielle salope ? C’est bien ce qu’elle est, non ? Tu n’es pas d’accord ?

Marie-Pierre

Un peu, si. Mais père n’a pas toujours été facile avec elle et son geste est généreux. Ça va être utile avec les études des grands.

Philippe

En viager, tu te rends compte ? Elle fait une connerie. Son appartement aurait valu bien plus cher à sa mort… L’acheteur va se faire des couilles en or.

Marie-Pierre

Mais… elle est en rémission, non ?

Philippe

Ouais, pour l’instant. Mais c’est jamais définitif avant une dizaine d’années ces affaires-là, et son opération remonte à moins de trois ans.

Marie-Pierre

Bah… Ça a l’air d’aller.

Philippe

N’empêche… Elle aurait pu attendre encore un peu, être sûre d’être guérie.

Marie-Pierre

Tu n’es pas déjà en train de l’enterrer, là ? C’est notre mère, bien qu’elle n’ait pas été toujours très tendre.

Philippe

C’est le moins que l’on puisse dire. Remarque, père était pire qu’elle. Ah, la teigne ! Ce que l’on a été élevé à la dure ! Obligé de les vouvoyer, les punitions qui tombaient drues et il avait la main leste…

Marie-Pierre

Ne te plains pas ! Il a été indulgent avec toi ; moi jusqu’à mes 18 ans, je n’avais même pas le droit d’aller en boum !

Philippe

Sauf si c’était pour aller dans un rallye et draguer un beau parti, si possible noble et friqué.

Marie-Pierre

C’est toujours mieux que de baiser la bonne et de l’épouser parce qu’elle était enceinte.

Philippe

Je ne te permets pas. Et Catherine n’était pas la bonne, mais une jeune fille au pair parfaitement éduquée et distinguée.

Marie-Pierre

Ouais… Et c’était un joli brin de fille, avec un charme tout italien et des attraits… très visibles.

Elle mime une poitrine arrogante

 Même père y était sensible !

Philippe

Qu’est-ce que tu insinues ?

Marie-Pierre

Rien. De toute façon, mère le surveillait de près

Philippe

Brisons là, Marie-Pierre. La conversation prend un tour qui ne me convient pas. Regardons plutôt la liste, cela va nous rabibocher ! Moi, en tout cas, je veux le bureau de père.

Marie-Pierre

Et de quel droit ?

Philippe

Outré

Parce que ! Il a appartenu à grand-père, puis à père… Normal qu’il me revienne !

Marie-Pierre

Alors moi, je veux le tableau de la chambre.

Philippe

Évidemment, à lui tout seul, il vaut une petite fortune.

Marie-Pierre

Agressive

Et ?

Philippe

Cela devient insupportable, on va finir par… se taper dessus. J’ai une suggestion à te faire : tirons au sort, chacun à notre tour.

Marie-Pierre

Et qu’est-ce qui garantit que ce sera équitable ? Hein !

Philippe

Je… J’ai une idée : fixons la valeur de chaque objet et arrangeons-nous pour que chacun reçoive à peu près la même chose.

Marie-Pierre

Explique !

Philippe

Imagine que je tire le bureau et qu’il soit estimé à 1 000 euros, et bien tu piocheras jusqu’au moment où ce que tu auras tirés arrive à une somme équivalente.

Marie-Pierre

Pas bête. Ça paraît juste. Ce qui n’empêchera pas de faire des échanges à la fin, s’il y a un truc auquel l’un de nous deux tient plus particulièrement.

Philippe

Ça marche.

Marie-Pierre

Cool ! On va fêter ça au bistro ?

Philippe

J’hésite…

Marie-Pierre

Tu hésites ?

Philippe

Oui, je ne sais pas quoi prendre… du champagne ou un digestif bien amer, genre Fernet Branca !

Scène 3, côté cour, chez Gérard

Jardin : noirCour : éclairé ; un canapé trois places, une table basse et deux fauteuils

Arthur et Gérard Bronstein, Christian off

Gérard lit un livre, assis sur le canapé. Le téléphone sonne.

Gérard

Allô !

Christian

Coucou !

Gérard

Ah Christian ! Ça me fait plaisir de t’entendre.

Christian

Moi aussi, espèce de vieil ornithorynque solitaire ! Qu’est-ce que tu fais ce soir ?

Gérard

Ben, je ne sais pas… rien.

Christian

Parfait ! Je t’attends pour une partie de tarot, il y aura Stéphanie et Jacques.

Gérard

Pas trop envie.

Christian

Mais remue-toi, bon sang !

Gérard

Il soupire

Écoute, j’ai pas encore encaissé le départ de Béa.

Christian

J’ai déjà commandé des pizzas…

Gérard

Faut pas perdre, alors. Mais c’est bien pour te faire plaisir.

Christian

Allez, viens, ça va te changer les idées ! À part ça, comment vas-tu ? Et comment va ton fils ?

Gérard

Oh, mon fils… Je ne l’ai pratiquement pas vu depuis...

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