L’appeau du désir

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La peau, la bouche, les yeux, les cheveux, les jambes, les hanches, etc… En une suite de 24 tableaux, qui ont en commun le désir sous toutes ses formes, l’auteur confectionne un charmant puzzle, une jolie mosaïque du corps humain. Avec humour et dynamisme, il semble nous démontrer que nos gestes, nos démarches, nos élans, même les plus anodins, sont beaux et participent au plaisir de la vie. 24 tableaux, 24 petites histoires distillées au goutte à goutte comme un élixir de jouvence. Un cocktail fort, drôle et dynamique qui peut donner le rose aux joues. Le tableau intitulé ” La bouche ” a remporté le Premier Prix au concours international ” Une scène pour la démocratie ” organisé par le Ministère de l’Éducation Belge.

 

 

La pièce commence dans le noir. Sans introduction musicale.

La voix qui dit le premier texte peut être enregistrée, elle peut être aussi donnée en direct du plateau mais on ne doit pas distinguer le ou la comédienne.

Ce n'est qu'une voix et rien ne doit détourner l'attention du spectateur de son écoute.

La voix off (douce et calme) - Actuellement... (un bref temps)... quel est votre désir ? D'où vient-il ? Dans quel état est-il ? Vers quel objet tend-il ?

La plupart du temps, le désir naît d'une image, chemine par l'un des cinq sens dont l'homme dispose, arrive au cerveau et là, par le seul pouvoir de l'imagination se trouve brutalement promu désir, l'imagination qui - selon Rousseau - prête à nos objets de désir bien plus d'attrait que ne leur en prête la nature.

En soi, le désir semble ne pouvoir s'exercer que dans un état heureux, si l'on met à part le désir de mort qui a fait les beaux jours de Freud et de Lacan. Le désir de vie, lui, renaît en nous chaque fois que nous prenons conscience de la beauté et du bonheur, c'est du moins ce que pense Marcel Proust.

Alors, en ce moment, plongés dans le noir, uniquement occupés par ma parole, enveloppés par elle, par sa chaleur, par ses inflexions, vous êtes amenés - selon moi - à lui trouver plus d'attrait que ne lui en a donné la nature. Me désirez-vous pour autant ?

 

 

 

 

 

 

 

Ouverture d’esprit

 

Une nuée de personnages en blouses blanches envahit le plateau. Ils vont en tous sens en tenant à bout de bras des radiographies. Soudain un personnage en costume - le grand patron ? - les rejoint. Aussitôt tous se rangent derrière lui et le suivent. Ils vont jusqu'à un humain ? un mannequin ? un spectateur ? le vide ?

- ça c'est vous.

- ça c'est vous.

- ça aussi c'est vous.

- Et ça ! Et ça ! Et ça !

- Vous avez la vésicule drôlement courbe, dites-donc.

- Et la rate bien plate.

- C'est normal.

- Si plate ?

- Moi j'ai votre rachis lombaire. Comme qui dirait qu'il existe une obliquité de la plate-forme sacrée vers la droite, mmm ? Alors que les membres inférieurs n'ont qu'un demi-centimètre de différence de hauteur, mmm ? Néanmoins la statistique rachidienne reste normale.

- Ouf ! Vous l'avez échappé belle.

- Ah oui mais j'ai les sinus, moi, front, nez, Blondeau et Hirtz. Transparence normale mais...

- Mais ?

- Discrète déviation de la cloison nasale.

- Ah oui tout de même.

- Et le cœur ? Quelqu'un a le cœur ?

- Moi j'ai les bronches. Vous fumez, vous.

- Moi j'ai le foie. Vous buvez, vous.

- Moi j'ai le larynx. Vous toussez, vous.

- Moi j'ai la... non, rien.

- Moi j'ai le colon.

- Moi aussi.

- Ah bon ?

- Le grêle.

- Ah d'accord !

- Il est bien.

- Le mien aussi.

- Très très bien.

- Le mien aussi.

- Nickel.

- Et le cœur ? Quelqu'un a le cœur ?

- Moi j'ai une hématologie, une biochimie et un examen cyto-bactériologique.

- Qu'est-ce que ça fait là ?

- C'est complémentaire.

- Dans ce cas.

- Moi j'ai un panoramique dentaire.

- C'est grand, ça.

- C'est panoramique.

- Moi j'ai les genoux.

- On s'en fout !

- Moi j'en ai une toute noire, ce serait pas le...

- Aaaah !!! Tu nous l'as déjà faite, celle-là !

- C'est vous, ça.

- C'est tout vous, ça.

- C'est tout à fait vous.

- On sait tout de vous.

- Et le cœur ? Personne n'a le cœur ?

- Pouls ?

- Normal.

- Tension ?

- Normale.

- Température ?

- Normale.

- Parlons peu mais parlons bien. Je vous dirai tout net que la mise en commun des résultats aux différents examens pratiqués nous amène au diagnostic final suivant : vous êtes vivant.

- Bien vivant.

- En ce qui concerne l'intérieur.

- Mais le cœur ?

- Chuuut !

- On sait tout.

- Tout.

- Tout.

- Tout.

(....etc... jusqu'au dernier.)

- Absolument tout.

- Mais en ce qui concerne l'extérieur...

- Alors là...

(Ils se retirent doucement sur ce doute.

Reste un jeune homme.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Seins

 

Mon père a épousé ma mère pour ses gros seins. C'est ce qu'il lui chuchote dans la salle de bains lorsqu'il passe pour l'inspection. J'aime tes gros seins, qu'il dit en la retournant face à la glace. Prends-en soin. J'aime leur forme, leur poids, leur odeur, la texture de la chair, le grain des aréoles, la couleur des tétines. J'aime cet air insolent qu'ils ont quand ils pointent leurs bouts de pif en l'air. Regarde-moi ça comme ils sont insolents ! Ne les laisse jamais replonger du nez dans le potage. Compris ? Allez, hop ! Lève les bras. Et ma mère lève ses longs bras blancs au ciel pour redresser les petits jumeaux insolents... Un peu de gymnastique ne leur fera pas de mal !... Et ma mère lève ses longs bras blancs au ciel pour redresser les petits jumeaux insolents... Dans ces moments de pure intimité, il arrive que la consommation d'eau chaude augmente. Les robinets étant abandonnés à leur fonction sans la moindre utilité. L'eau coule, coule dans la tuyauterie comme les soupirs de mon père à travers les grilles d'aération. La maison résonne imperceptiblement de la symphonie mammaire. Les fffffffffffff succèdent aux chchchchchchchchch... puis les ssssssssssssssss aux vvvvvvvvvvvvv... L'eau coule, le néon clignote, les mains caressent, le chauffage d'appoint enclenche sa ventilation. Et voilà l'aria de la chair de poule qui ajoute sa pincée d'épice au désir déjà très relevé. Ma mère est double entre les bras de mon père qui caresse autant les seins de ma mère que son reflet dans la glace. Demain, je poserai un miroir à plusieurs facettes, songe-t-il, gourmand. Aussi élégants que des danseurs de tango, ses doigts parcourent la piste glandulaire, à droite, à gauche, dessinant de sensuelles arabesques à l'efficacité prodigieuse. Pizzicati, pizzicato, ils picorent sans faire mal. Les parties les plus sensibles des globes sont effleurées du creux de la paume. Puis une bouche se penche. Les framboises mûrissent dans l'air parfumé de son haleine tiède. J'aime tes ssssssseins, Marie, zézaye mon père. Marie c'est le nom de ma mère, un nom qui s'assortit bien à ses seins blancs. Mes GROS seins, Manu, rectifie ma mère. Manu c'est le nom de mon père, un nom qui s'assortit bien au tatouage de ma mère. Car ma mère a une jolie fleur bleue épanouie sous son sein gauche, une fleur à quatre pétales : M.A.N.U. L'eau coule, le temps retient son souffle, les seins de ma mère renaissent entre les mains de mon père. C'est beau la famille, me dis-je ému, accroupi derrière la porte. C'est beau un père qui caresse une mère en écoutant la chanson douce des canalisations. C'est beau les seins d'une femme, pétris comme deux meringues rehaussées d'un fruit confit, entre les mains d'un apprenti pâtissier. Oh oui c’est beau ! Autrement plus beau que les nichons qu'on dessine sur les portes des cabinets du lycée, en attendant la fin de l'adolescence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Les Pieds

 

Elle et Lui, assis, tendrement.

Ils sont sur un banc ou sur de l'herbe, dans la nuit.

Pas loin d'eux il y a une glacière avec un sac posé dessus.

 

ELLE - Comment trouves-tu mes pieds ?

LUI - Très beaux.

ELLE - C'est vrai ?

LUI - Je t'assure. Ils sont encore très convenables.

ELLE - A ton avis, combien cela va-t-il durer ?

LUI - Je ne sais pas. Plusieurs mois. Si tu ne les tripotes pas tout le temps, plusieurs années peut-être.

ELLE - J'aime les toucher.

LUI - Je sais mais ce n'est pas raisonnable. Tu les uses. Regarde, tu as fripé le petit doigt.

ELLE - Lequel ?

LUI - Le gauche. Le gauche est tout fripé.

ELLE - Il a toujours été fripé. Toute petite, maman me le disait : “A qui elle est la petite fille au petit doigt gauche fripé ?”

LUI - Qu'est-ce que tu répondais ?

ELLE - Rien, je pleurais. Tu aurais aimé avoir un petit doigt fripé, toi ? Je pleurais, je pleurais. Une nuit je me suis levée, je l'ai giflée dans son sommeil et je lui ai crié : “Tu es conne ! Je n'ai pas le petit doigt gauche fripé”.

LUI - Et alors ?

ELLE - Je me suis enfermée dans ma chambre et j'ai pleuré.

LUI - Encore ? Ce serait pas plutôt à partir de là qu'il se serait fripé ? Toute cette humidité.

ELLE - Max, tu cherches quoi ?

LUI - Rien. J'avais jamais remarqué, c'est tout.

ELLE - Ton manque d'intérêt pour mon côté gauche m'a toujours sidéré.

LUI - Faux. J'aime tes yeux, les deux, gauche, droit.

ELLE - Les yeux mais pas les pieds.

LUI - Pas les pieds, je te l'accorde.

ELLE - Va les ranger dans le frigo, Max, je les ai suffisamment regardés.

LUI - Plus tard. J'irai plus tard. Profitons de la nuit.

(Un temps.)

ELLE - On ne voit rien.

LUI - Non, c'est la nuit.

ELLE - Je voudrais le voir.

LUI - Non.

ELLE - Si, va l'éclairer avec ta lampe de poche.

LUI - Il ne faut pas Judibou, je t'en supplie.

ELLE - Je veux, j'en ai envie.

LUI - Au nom de notre amour.

ELLE - Je veux le voir, je veux regarder ses dents ! Max !!

LUI - Qu'est-ce que tu as ? Qu'est-ce que tu cherches ? Tu veux repasser par ton cauchemar pour trouver quoi ?

ELLE - Une réponse à cette question : Max, pourquoi avoir mis ce piège à loups ?

LUI - Pour les loups.

ELLE - Mais il n'y a pas de loup ici, il n'y en a jamais eu.

LUI - Les hommes sont des loups entre eux, et c'est plein d'hommes dans le coin.

ELLE - Qu'est-ce que c'est que ces idées à la noix ? Tu deviens frontiste ou quoi ?

LUI - Je me méfie, c'est tout.

ELLE - Mais de quoi te méfies-tu ? Nous n'avons pas d'ennemi.

LUI - Non mais j'ai une femme. Donc tous les hommes sont des ennemis en puissance.

ELLE - Max !! Tu es jaloux ? C'est par jalousie ?

LUI - Ils pissent sur les troènes, je les ai vus, s'ils pissent c'est qu'il y a une femelle en rut.

ELLE - Ce que tu es con mon pauvre Max ! C'est positivement incroyable.

LUI - Judith, fais attention à ce que tu dis. Positivement incroyable, c'est une expression d'homme, ça.

ELLE - Il est jaloux ! Il reste des mois sans me faire l'amour et il est jaloux !

LUI - Je t'aime Judibou. Je baise ton image, chaque jour, au pied du lit.

ELLE - Et si tu me baisais, moi, pour changer un peu.

LUI - C'est pas bien ce que tu dis, ce n'est pas chrétien.

ELLE - Mais ce n'est pas le secours du christ que je réclame, Minimax, c'est ton ardeur à toi, une ardeur, n'importe laquelle, quelque chose de dur, de fort, de profond, qui me rende un peu femme, merde !

LUI - Je t'aime, Judibou, je t'aime.

ELLE - J'en ai marre de ton amour, Maxou ! Je ne supporte plus tes brassées de jonquilles au petit déjeuner. A bas le romantisme ! Vive le labourage !

LUI - Calme-toi. Ce piège à loup est une bénédiction en fait.

ELLE - Tu peux répéter.

LUI - Je sais, ça va te paraître monstrueux mais il m'est venu une pensée...

ELLE - C'est monstrueux, en effet.

LUI - Je me suis dit que ce piège, en te bouffant les pattes, quelque part, au fond, il rééquilibrait notre couple.

ELLE - Tu parles sérieusement ?

LUI - Une fonction en moins chacun, match nul.

ELLE - Oui, nul, tu l'as dit. Range mes pieds au frigo, Max.

LUI -...

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