L’Araignée

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1521. Le jeune Charles Quint a pris les rênes du Saint Empire romain germanique dont l’unité se trouve soudain menacée par la révolte du moine Martin Luther. Il faudra, entre eux deux, une discussion d’homme à homme, à l’abri des regards.
Prudent et mesuré, Charles Quint s’opposera alors à un Luther combatif et déterminé, prêt à tout pour faire triompher son sens de la Vérité et de la Justice.
Alors que le monde semble sur le point de s’écrouler, ils devront, avec acharnement, confronter leurs certitudes et leurs angoisses.




L’Araignée

Charles Quint est déjà assis. Martin Luther entre et s’incline.

Charles Quint

Frère Martin.

Martin Luther

Docteur.

Charles Quint

Je vous demande pardon ?

Martin Luther

C’est le titre qui me revient. Je suis docteur en théologie.

Charles Quint

On ne m’avait pas dit que vous étiez si attaché aux titres.

Martin Luther

Celui-là m’est nécessaire, Sire.

Charles Quint

Majesté.

Martin Luther

Celui-là m’est nécessaire, Majesté.

Charles Quint

Je vous en prie, asseyez-vous.

Martin Luther

Je préfère rester debout.

Charles Quint

Vous ne semblez pas à votre aise.

Martin Luther

Croyez-vous que je puisse l’être ?

Charles Quint

Mes gardes vous auraient-ils fait peur ?

Martin Luther

Ils sont un peu agressifs.

Charles Quint

Veuillez les excuser. Ils mettent parfois du zèle dans le service de leur souverain.

Martin Luther

Ils pourraient tout de même se montrer un peu moins virulents.

Charles Quint

Le docteur Martin Luther peut comprendre l’importance de ma sécurité.

Martin Luther

Et Sa Majesté l’empereur Charles Quint peut admettre que les circonstances sont déjà bien éprouvantes pour moi.

Charles Quint

Vous n’êtes pas heureux de me revoir ?

Martin Luther

Bien sûr que si, Majesté.

Charles Quint

Alors je rends grâce à la lettre qui nous a réunis.

Martin Luther

Quelle lettre ?

Charles Quint

Je vous en prie, asseyez-vous. (Luther s’assied. Un temps.) J’ai été bien déçu, cet après-midi. On m’avait brossé un portrait extraordinaire de votre éloquence et de votre charisme. Vous avez fait pâle figure.

Martin Luther

Les princes, l’empereur… Quand on n’a pas l’habitude, il y a de quoi être impressionné.

Charles Quint

Allons, personne ne vous voulait de mal.

Martin Luther

Vous plaisantez ?

Charles Quint, imperturbable.

Oui.

Silence gêné.

Martin Luther

J’avais quelques ennemis.

Charles Quint

Je vous le confirme. Si le nonce du pape avait pu vous égorger sur place, il l’aurait fait volontiers.

Martin Luther

Vous comprenez donc mon embarras.

Charles Quint

On m’avait décrit quelqu’un de combatif.

Martin Luther

Et qu’aurait-il fallu que je fasse ? Que je gifle l’archevêque, que j’assomme le nonce, que je me batte contre les gardes impériaux et que je vous crache au visage ?

Charles Quint

Je vous aurais immédiatement fait mettre à mort.

Martin Luther

Je le devine, oui…

Charles Quint

C’est donc ce que vous auriez dû faire, puisque vous cherchez le martyre.

Martin Luther

Je ne cherche pas le martyre.

Charles Quint

Vraiment ?

Martin Luther

Oui, Majesté.

Charles Quint

Ce n’est pas si évident lorsqu’on examine votre attitude. (Un temps. Luther montre de plus en plus de signes de nervosité.) Quand l’archevêque vous a demandé si les livres qu’on vous présentait étaient bien de vous, vous avez marmonné dans votre barbe.

Martin Luther

Ma réponse a été claire.

Charles Quint

Je vous assure que non.

Martin Luther

J’ai dit que j’étais l’auteur de ces livres.

Charles Quint

Cela était en effet à peu près audible. Mais la suite était confuse… et sans gloire.

Martin Luther

J’ai fait ce qu’il fallait faire.

Charles Quint

Vous vous êtes tout de même défilé quand on vous a demandé de vous rétracter…

Martin Luther

Je ne me suis pas défilé, je vous ai demandé un délai de réflexion.

Charles Quint

Que je vous ai accordé.

Martin Luther

Soyez-en remercié.

Charles Quint

Avez-vous besoin de tant de réflexion pour dire « je me suis trompé » ?

Martin Luther

C’est difficile quand on porte la Vérité en soi.

Charles Quint

Alors vous êtes certain d’avoir raison.

Martin Luther

Oui.

Charles Quint

Contre Rome et contre l’Empire.

Martin Luther

Je défendrai la Parole de Dieu contre toutes les puissances terrestres si elles y contreviennent.

Charles Quint

Léger péché d’orgueil, me semble-t-il.

Martin Luther

Je ne prétends que servir le Christ.

Charles Quint

Rien de plus, vraiment ?

Martin Luther

C’est mon seul dessein.

Charles Quint

Fort bien, docteur. Je vais vous dire à présent quel est mon dessein. Je règne sur l’Empire et je veux le conserver. Cet empire est vaste et turbulent. Tous les jours le chaos le menace. Ce n’est pas une nouveauté. Comme tous mes prédécesseurs, d’Othon à Maximilien en passant par Sigismond, je m’efforce de maintenir la stabilité du Saint Empire romain germanique. J’y parviens avec plus ou moins de bonheur, mais je suis confronté à un problème qui dépasse les imaginations. Ce problème s’appelle Martin Luther. Il prêche la discorde et mes sujets l’écoutent. Ils sont nombreux à le soutenir. Si leurs rangs grossissent encore, je ne pourrai bientôt plus rien maîtriser. Mon empire s’écroulera et l’anarchie nous dévorera tous.

Martin Luther

Je ne prêche pas l’anarchie.

Charles Quint

Alors renoncez à votre combat.

Martin Luther

Ce n’est pas l’Empire que j’attaque, Majesté.

Charles Quint

Vous l’atteignez en visant l’Église.

Martin Luther

Je conteste l’autorité du pape, pas celle de l’empereur.

Charles Quint

Ne faites pas l’innocent. Tout est lié.

Martin Luther

Certains liens doivent justement être défaits.

Charles Quint

Ces liens maintiennent un ordre et un équilibre nécessaires.

Martin Luther

C’est cela que je conteste.

Charles Quint

Je veux que vous vous rétractiez, docteur Martin. Que vous reniiez vos thèses et que vous cessiez d’attaquer l’Église. Vous semez la discorde dans mon empire. Des provinces entières prennent l’habitude de la désobéissance en scandant votre nom. Vous renoncerez à votre combat pour le bien de la chrétienté, pour mon bien à moi et surtout pour le vôtre.

Un temps.

Martin Luther

Vous avez raison, des provinces entières scandent mon nom. Je l’ignorais jusqu’ici. J’ai parcouru une bonne partie de l’Allemagne pour venir jusqu’à vous. Partout où je suis passé, les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants me faisaient un triomphe. On me couvrait d’éloges et on me suppliait de prêcher. Le peuple est sensible à la Vérité. Vous aussi, j’en suis certain.

Charles Quint

Oui, je suis très sensible à la Vérité. Maintenant, rétractez-vous.

Martin Luther

Nous nous comprenons mal, Majesté. Quand j’ai accepté de comparaître ici, devant la Diète, il n’était pas question que je renie mes écrits.

Charles Quint

À quoi vous attendiez-vous ?

Martin Luther

À m’expliquer devant les autorités de l’Empire et de l’Église.

Charles Quint

Vous avez déjà eu l’occasion d’un débat théologique avec un émissaire du pape il y a un an ou deux, me semble-t-il.

Martin Luther

C’est juste.

Charles Quint

Et comment cela s’est-il passé ?

Martin Luther

Mal.

Charles Quint

Il n’y a pas de raison que cela se passe mieux aujourd’hui.

Martin Luther

Cet émissaire n’entendait rien aux Saintes Écritures.

Charles Quint

Ce n’est pas la question. Vous avez voulu cette confrontation, vous l’avez eue. Rome a conclu que vous étiez son ennemi, ne vous en prenez qu’à vous-même.

Martin Luther

La discussion n’était pas équilibrée.

Charles Quint

Elle a eu lieu, c’est ce qui compte. Depuis, vous avez encore aggravé votre cas. Vous vous êtes...

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