Textes de théâtre en ligne

Larguez les amarres !

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Maurice, dominé et malmené par sa femme Gisèle, ne peut se résoudre à larguer les amarres. Ses amis, Claude et Gilbert, qu’il retrouve chaque matin à l’auberge de Pauline, veulent le sauver de la déprime et le grandir aux yeux de sa femme. Pour cela, ils vont imaginer un scénario qu’ils croient bien rôdé et auquel Maurice doit faire participer, à son insu, sa redoutable épouse. C’était sans compter sur Anaïs, la nièce un peu naïve de Pauline ; sans compter aussi sur Arsène Pichon, un pauvre parisien timide et introverti, venu chercher le calme dans cette auberge ; sans compter encore sur sa mère possessive qui débarque sans prévenir ; sans compter également sur Mlle Crampon, fidèle cliente de la pension, ainsi que sur Félix, petit truand en planque ; et sans compter enfin sur la réaction inattendue de Gisèle.
Dès lors, tout ce petit monde va se trouver confronté à une histoire stupéfiante et ce qui ne devait être qu’une plaisanterie vire rapidement à la plus joyeuse pagaille.
Pendant près de deux heures, ces dix personnages, aux rôles très équilibrés, vont occuper l’espace de façon omniprésente et amener cette comédie à une chute pour le moins inattendue…

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ACTE 1

 

A l’ouverture du rideau, Gilbert, Claude et Maurice sont assis à une table, près du bar, et jouent à la belote en compagnie de Pauline. Visiblement, Maurice ne suit pas le jeu et se fait rappeler à l’ordre sans arrêt par ses copains.

Gilbert - Eh ben, joue, Maurice, c’est à toi !

Maurice (étourdi) - Hein ? Ah ! c’est à moi !

Claude (comme une évidence) - Forcément que c’est à toi, puisque tu viens de faire le pli avec ton as de trèfle. (S’énervant.) Mais sois au jeu, bon sang !

Pauline - Holà ! Holà ! Doucement ! N’essaie pas de déstabiliser mon partenaire, toi.

Claude - Je ne déstabilise rien du tout d’abord… Mais il met une plombe pour poser une malheureuse carte ! A ce train-là, il va falloir une demi-journée pour finir la partie !

Pauline - C’est qu’il réfléchit, mon Mau-Mau ! Il ne se sert pas de ses annonces, comme vous, pour marquer des points. Il réfléchit… Il étudie… Il analyse… Il compte les cartes qui sont tombées. C’est un scientifique de la belote, Mau-Mau ! Allez, te laisse pas impressionner et joue, mon gars.

Maurice (toujours dans la lune) - Ah bon ? Parce que c’est à moi de jouer là ?

Gilbert - Attendez… Il le fait exprès ou quoi ? Puisqu’on te dit que c’est toi qui as fait le dernier pli avec ton as de…

Pauline - Il le sait qu’il a fait le dernier pli ! Il le sait ! Hein, Maurice, que tu le sais ? (Maurice fait de grands signes de tête.) Alors, vous voyez bien qu’il le sait ! (Regardant sur la fiche de pointage.) Ah ! ah ! Ces messieurs s’affolent… C’est le dernier tour et ils sont menés de deux cents points. Mauvais joueurs, va ! (Ironique.) Qui c’est qui va payer la tournée de cafés ce matin ? (Maurice ne joue toujours pas, les yeux fixés sur ses cartes. Les autres attendent en le regardant.) Il est beau quand il réfléchit Mau-Mau.

Gilbert - Ah ! c’est sûr que si la beauté est proportionnelle au temps de réflexion, il va finir avec une gueule de jeune premier et un corps d’Apollon, le Maurice !

Claude (moqueur, à Maurice) - T’énerve surtout pas, Maurice. Tu ne veux pas t’allonger un quart d’heure avant de prendre ta décision ? (A Pauline.) Hé, Pauline, il ne reste pas une chambre libre dans ta pension de famille pour qu’il aille y faire une petite sieste ?

Pauline - Nan ! Tout est complet ! Et foutez-lui la paix, bon sang ! Vous ne faites que l’énerver !

Claude - Eh ben, dis donc, quand il est calme, qu’est-ce que ça doit être…

Gilbert - Moi je suis à la retraite, je m’en fous, j’ai le temps… Mais on ne va quand même pas y passer le réveillon pour balancer trente-deux cartes sur un tapis !

Pendant cette dernière réplique, Mlle Crampon est sortie de sa chambre et descend les escaliers. Elle arrive dans la salle du café en tenue estivale, avec son matériel de pêche à la palourde à la main.

Gilbert (l’apercevant) - Mais qui je vois arriver là ? Mais c’est Mlle Crampon ! Regardez-moi cette beauté… Ah ! vous n’avez pas changé depuis l’an dernier, dites donc ! Toujours aussi jeune et belle !

Mlle Crampon (gloussant) - Oh ! monsieur Gilbert, vous allez me faire rougir ! La galanterie des marins-pêcheurs ne s’est pas émoussée depuis l’an dernier à ce que je vois !

Gilbert - On peut faire dans le maquereau et rester classe, non ?

Mlle Crampon - Bonjour monsieur Claude, bonjour monsieur Maurice. Alors c’est l’habituelle petite belote matinale ?

Claude (à l’attention de Maurice) - Ouais ! Et qui pourrait bien se terminer à la veillée, au train où on avance… (Jovial.) Alors, vous voilà en vacances à nouveau dans nos murs ? Dites, ça fait combien d’années maintenant que vous venez ici ?

Mlle Crampon (enthousiaste) - C’est la dix-huitième année ! (Nostalgique.) J’ai découvert cette petite station balnéaire avec papa et maman quand j’avais quinze ans.

Claude (faussement admiratif) - Ah oui ! Quand même ! Et depuis, tous les ans… hop ! c’est reparti ! C’est comme un pèlerinage, en somme ?

Mlle Crampon - Oui, mais maintenant je viens sans mes parents.

Gilbert - Ça c’est bien ! C’est téméraire ! On sent que vous avez un tempérament d’aventurière vous, hein ?

Pauline (venant au secours de sa cliente) - Ça veut dire que Mlle Crampon se plaît bien chez moi, pas vrai ? (Mlle Crampon acquiesce de la tête.) Premier jour de vacances et vous allez déjà à la pêche à la palourde ?

Mlle Crampon - Il fait tellement beau !

Gilbert (sérieux à l’excès) - Eh oui ! C’est bien ce qui m’inquiète justement.

Claude (entrant dans son jeu) - Tes douleurs sont encore revenues ! (Gilbert hoche la tête affirmativement tout en se frottant le dos.) Oh là là là là ! Mon pauvre vieux ! (Gilbert lui montre son pied.) Ton cor au pied aussi ! (S’adressant à Mlle Crampon.) Son cor au pied aussi ! Il ne manquait plus que ça ! (Faussement dramatique.) Alors là, on n’est pas sorti de l’auberge !

Mlle Crampon (dont le regard va de l’un à l’autre) - Ses douleurs ? Son cor au pied ? Mais ça veut dire quoi, au juste ?

Gilbert (grave) - Ça veut dire que vous êtes complètement inconsciente de sortir dans cette tenue avec le grain qui se prépare.

Mlle Crampon (regardant vers la porte de sortie) - Le grain ? Mais il y a un soleil superbe et le temps est d’un calme…

Gilbert (lui coupant la parole, d’une voix grave) - Le calme qui précède les tempêtes, mademoiselle Crampon ! On connaît ça, nous les pêcheurs. « Ô combien de marins, combien de capitaines, qui sont partis joyeux pour des courses lointaines… »

Claude (continuant le poème, sur le même ton que Gilbert) - « … Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Et combien ont disparu, dure et triste fortune ! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune… »

Mlle Crampon (un peu désorientée) - Oui, mais là, il fait grand jour quand même !

Pauline (à Mlle Crampon, voulant désamorcer la blague) - Ne les écoutez pas ! Depuis qu’il ne navigue plus, Gilbert n’est absolument pas performant en matière de météo.

Claude - Pas performant ? Tu rigoles ! Il ne se passe pas un jour, mademoiselle Crampon, pas un jour vous m’entendez, sans que les patrons des chalutiers ne lui téléphonent pour connaître son avis. Tenez, pas plus tard que ce matin, ce n’était qu’un bruit sur le port : « Gilbert a sa crise d’arthrose et des élancements dans son cor au pied. » (A Mlle Crampon.) Vous pourrez regarder, tous les bateaux sont restés à quai ce matin.

Mlle Crampon (étonnée) - Ah bon ?

Pauline - Forcément, c’est marée basse.

Mlle Crampon (en écho) - Ah ! ben oui ! Si c’est marée basse…

Gilbert - Peut-être que c’est marée basse, mais n’empêche que la semaine dernière, j’ai été consulté deux fois par Patrice Drevet, trois fois par Evelyne Dhéliat, et j’ai même refusé de répondre à Sébastien Folin. Faut quand même le savoir, ça !

Mlle Crampon (admirative) - Evelyne Dhéliat ? De la télé ?

Gilbert - De la télé, parfaitement ! Et ce n’est pas la première fois. C’en est même agaçant à la fin. C’est vrai, quoi, c’est une sacrée responsabilité ! Vous n’allez pas me faire croire qu’avec tous leurs engins, leurs sondes et leurs satellites, ils ne pourraient pas se débrouiller tout seuls, non ?

Mlle Crampon (fascinée) - C’est incroyable, monsieur Gilbert ! Et elles sont fiables à tous les coups, vos prévisions ?

Gilbert (l’air désolé) - Oh là là ! Bien trop souvent à mon goût.

Mlle Crampon - Bon, ben je vais remettre ma pêche à plus tard alors.

Claude - Mais surtout pas ! C’est le temps idéal pour la palourde, tiens, pardi ! Elle aime ça, la palourde, ce soleil puissant et cet orage qui monte. Elle est très réceptive la petite palourde et même si nous on ne le voit pas encore, elle le sent venir, l’orage, elle. Alors qu’est-ce qu’elle fait la mère palourde avec ses petits « palourdineaux », hein ? Qu’est-ce qu’elle fait ? (Mimant avec ses doigts.) Elle remonte lentement du fond de la vase et ne demande qu’à se jeter dans votre petit seau. Elle est aussi un peu con, des fois, la palourde !

Gilbert - Il a raison, faut pas rater la pêche. Couvrez-vous davantage pour ne pas fondre sous les trombes d’eau qui vont arriver, voilà tout.

Mlle Crampon (toute excitée) - D’accord, je vais me changer et j’y vais.

Mlle Crampon remonte dans sa chambre. Ils la regardent partir.

Claude (moqueur) - Elle est mignonne, hein ? Et pas farouche pour deux sous !

Gilbert (parlant à la façon de Jean Gabin) - Oh ! et puis elle est pas contrariante, la gamine !

Claude et Gilbert éclatent de rire.

Pauline - Un orage qui monte, un grain… Non mais j’vous jure ! C’est plutôt vous qui avez un sacré grain, les gars ! Vous exagérez ! Un jour, elle va se fâcher et moi je perdrai une bonne cliente.

Claude - Non, non, elle gobe tout ce qu’on lui raconte, mais elle a un caractère en or, cette fille.

Pauline - C’est plus fort que vous ! Tous les ans, il faut que vous lui fassiez des blagues, et tellement énormes que je me demande comment elle peut encore marcher dans vos combines.

Gilbert - Oh ! l’an dernier… Tu te souviens, Maurice ? Hé, Maurice… Oh ! oh !

Maurice a toujours les yeux rivés sur ses cartes.

Claude - Laisse tomber, tu vois bien qu’il réfléchit ! (Il rit.) Oh ! l’an dernier, quand tu lui as conseillé la nouvelle plage des Mines pour faire sa bronzette tranquille : « Vous verrez, c’est une petite plage très familiale, on y vit à la bonne franquette, personne ne fait de chichis et personne ne met son nez dans les affaires des autres. »

Pauline (entre colère et rire) - Et quand elle a compris, mais trop tard, qu’elle était sur une plage de nudistes, elle n’a pas osé rebrousser chemin et a été contrainte de se mettre à poil comme tout le monde. Elle a juste conservé à la main son magazine…

Gilbert - Qu’elle n’a pas pu lire de tout l’après-midi, vu qu’elle s’en servait pour cacher l’essentiel de son anatomie !

Claude - Et sur ce magazine qu’elle tenait pudiquement devant elle, tous les nudistes ont pu lire, à la une et en gros caractères : (Lisant comme un journal.) « Découverte d’une grotte préhistorique aux richesses insoupçonnables ». L’an dernier on l’a dévêtue, cette année on se rattrape !

Maurice, après ce long moment d’immobilité, commence à lever son bras pour sortir une carte du jeu qu’il a en main.

Pauline - Chut ! Taisez-vous ! Ça y est, il a bougé… Il est mûr… Je le sens bien, là.

Maurice (interrogatif) - C’est bien à moi de jouer, hein ?

Claude (se tapant la tête sur la table) - Oh ! mais c’est pas vrai ! C’est pas vrai ! Alors là, tu pousses un peu loin le bouchon, Maurice.

Gilbert - Tu m’énerves Maurice… Tu m’énerves… Tu m’énerves, c’est rien de le dire. Alors tu la poses tout de suite sur la table la carte que tu tiens dans ta main ou sinon c’est moi qui vais la chercher.

Pauline - Allez, vas-y Maurice, qu’on en finisse avec ces excités. Montre-leur de quel bois on se chauffe.

Maurice (posant sa carte délicatement sur le tapis) - Pique…

Pauline (abasourdie) - Mais qu’est-ce qu’il me fait ? Mais qu’est-ce qu’il me fait ? Pique… Il a joué pique ! Mais t’es complètement piqué mon pauvre Mau-Mau ! T’as peut-être pas vu son cent à pique tout à l’heure ? Il l’a annoncé en début de partie et il l’a étalé à la fin du premier tour. Dix, valet, dame, roi, as ! Et toi, après dix minutes de profonde méditation, qu’est-ce que tu joues ? Le neuf de pique ! (Voulant regarder dans son jeu.) T’as pas autre chose à jouer ? T’as pas du carreau ? Ça m’arrangerait bien !

Claude (intervenant rapidement en mettant une carte sur celle de Maurice) - Hé ! ho ! Et puis quoi encore ? C’est joué et recouvert ! (Il continue d’abattre ses cartes les unes après les autres.) Bon, tous les atouts sont tombés… alors… as de pique… dix… roi… dame… et dix de der avec le valet maître ! (Ironiquement.) C’est vous qui avez pris ? Je crois que c’est pas la peine de compter, avec le cent à pique, vous êtes dedans ! (Ironique, comme Pauline.) Alors, qui c’est qui va payer les cafés ?

Claude et Gilbert éclatent de rire et se tapent dans la main tandis que les joueurs jettent sur le tapis les cartes qu’ils ont en main et se lèvent de table. Pauline va derrière son bar et Gilbert apporte les tasses vides sur le bar, Claude attrape un journal dans le présentoir et commence à le feuilleter tandis que Maurice sort son porte-monnaie pour payer les consommations.

Maurice (désolé, s’approchant du bar et les regardant tous, les uns après les autres) - J’suis désolé Pauline, j’ai pas fait gaffe à son annonce… Je vais payer les cafés.

Pauline - Tu sais que tu m’inquiètes, toi ? Hier matin tu avais quatre as dans ton jeu et tu as trouvé le moyen de les jouer les uns à la suite des autres sans te rendre compte que ça faisait un carré ! Cent cinquante points qui nous ont coûté la partie ! Aujourd’hui, Claude t’étale sous le nez un cent à pique, et tout ce que tu trouves à me dire c’est : « J’ai pas fait gaffe à son annonce. » Attends, mais t’es bigleux ou quoi ? Faut arrêter la belote, Maurice, et te mettre aux dominos.

Maurice (embarrassé) - Je suis un peu étourdi en ce moment.

Pauline (moqueuse) - Non ! Tu crois ? T’as carrément l’esprit ailleurs, oui !

Claude (riant) - On ne va pas s’en plaindre, nous. Pas vrai Gilbert ?

Gilbert - Allez, détends-toi, Maurice. Elle est pas belle la vie ? C’est quoi ton problème, au juste ? Tu as des ennuis au travail ? Tu veux que j’aille parler à ton patron ? Tu sais que je le connais bien, moi, le père Drengeon. Je lui en ai pêché des tonnes de sardines et de maquereaux pour sa conserverie.

Maurice - Non, non, de ce côté-là ça va.

Claude - C’est de quel côté que ça ne va pas, alors ?

Gilbert (allant vers Maurice) - T’es pas...

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