PROLOGUE
Un salon bourgeois. Côté jardin, une porte donne sur des chambres et la salle de bains, et une autre sur la cuisine. Côté cour, une porte d’entrée blindée. Au fond, une baie vitrée donne sur une terrasse. On voit la terrasse du plateau. Le rideau s’ouvre et… c’est la panique sur scène !!!
Chantal, une main bandée et un couteau dans l’autre, poursuit autour du canapé Bernard, en costume classe et un revolver à la main. Il est affolé. Tout cela devant le regard d’Étienne et de Gabrielle.
Bernard. – Enfin, Chantal, il faut se calmer !!! Là, je le dis comme je le pense, ça commence à bien faire !
Chantal. – Salaud ! Nuisible ! Enfoiré ! (Aux autres.) Je vais me le faire à l’ancienne.
Étienne. – Mais c’est ridicule ! Il faut privilégier le dialogue… l’échange… la communication…
Gabrielle. – Mais tu nous gonfles, Étienne, avec tes théories ! Ils veulent s’entretuer, laisse-les s’entretuer.
Étienne. – D’accord, mais pas chez nous.
Gabrielle. – Ah là là ! Ce que tu peux être conformiste par moments !
Bernard. – Ça suffit, Chantal… Stop… Je suis armé.
Chantal. – Pauvre type !
Bernard. – Ça va mal finir…
Chantal. – Ça, c’est le mot juste.
Chantal va pour poignarder Bernard et soudain les personnages s’immobilisent comme sur un DVD en pause… sauf Étienne qui se tourne vers le public.
Étienne. – Non, mais vous avez vu ce bordel ? Bon, vous allez me dire : comment on en est arrivé là ? J’en sais rien ! Et pourtant il y a seulement quelques heures tout allait bien. (Il regarde sa femme.) Mais dans quel état ils l’ont mise ! Ma femme et moi avions simplement décidé d’organiser un petit repas entre voisins, juste pour mieux se connaître. Et puis rien, mais alors rien ne s’est passé comme prévu…
Noir. Musique.
ACTE I
Quelques heures plus tôt.
La lumière se rallume. Même décor.
Étienne et Gabrielle sont seuls. Gabrielle porte un tailleur de marque et un tablier de cuisine. La tension est palpable.
Étienne. – J’ai horreur de ce genre de situation. Gabrielle, si tu veux mon avis…
Gabrielle, cassante. – Non ! Franchement, j’en ai rien à foutre de ton opinion, très cher !
Étienne. – D’accord, mais je vais la donner quand même, très chère !
Gabrielle. – Comme tu veux.
Étienne. – Ton plan, c’est pas un bon plan. Il faut laisser tomber tout de suite.
Gabrielle. – Pas question. Les voisins ont accepté l’invitation, c’est un signe.
Étienne. – Un signe qu’il faut tout arrêter avant de nous mettre dans une situation qui peut finir en catastrophe.
Gabrielle. – Annuler ? Impossible… Je ne peux plus. De toute façon, c’est trop tard.
Étienne. – Pourquoi ?
Gabrielle. – Le veau est au four. (Péremptoire.) Et le veau au four c’est le début du compte à rebours.
Étienne. – Arrêtons, par pitié, mon amour !
Gabrielle. – Pardon ?
Étienne, se reprenant. – Pitié… Gabrielle.
Gabrielle. – Je préfère… J’ai horreur de ces familiarités.
Étienne. – Annulons !
Gabrielle. – Non. Ce triplex, je le veux. Ce triplex, je l’aurai.
Étienne. – Mais on n’est pas bien ici ? Tranquilles ? Tous les deux en amoureux ?
Gabrielle. – C’est vrai que ma vie avec toi est une vie en 3 D…
Étienne, content. – Tu vois !
Gabrielle. – Débile… Déprimante… Déplorable…
Étienne, déçu. – Quand même, on est heureux.
Gabrielle. – On étouffe. Mais tu verras, quand tout sera fini, tu me remercieras, comme d’habitude.
Étienne. – Mais qu’est-ce que je vais lui raconter, moi, au voisin, pendant toute la soirée ?
Gabrielle. – J’en sais rien. Vous n’aurez qu’à parler de la pluie et du beau temps !
Étienne. – Mais il travaille à la météo ! C’est sûr que je ne vais pas le passionner.
Gabrielle, étonnée. – Enfin, Étienne, tu n’as jamais passionné personne. Alors, pourquoi ce soir ?
Étienne. – En plus, c’est un grand dadais à l’air suffisant et à l’humour pourri. Chaque fois qu’on parle, il va de banalités en banalités et pousse des « oh là là » et des « ça commence à bien faire ». À mon avis, il est stupide.
Gabrielle. – Ça vous fera un point commun.
Étienne, prenant sur lui. – Oui.
Gabrielle. – C’est simple : pose-lui des questions sur sa vie et fais semblant de t’intéresser.
Étienne. – Ça y est, je sais : comme il travaille à la télé, je vais lui demander ce qu’il pense de Michel Drucker.
Gabrielle. – Tu crois ?
Étienne. – Ah oui ! Tout le monde a un avis sur Michel Drucker. Les scientifiques et les prix Nobel, tout le monde s’en fout. Alors que Michel Drucker peut alimenter la conversation pendant toute une soirée.
Gabrielle. – Et moi ? Je vais devoir parler patchwork avec la voisine du bas. Et crois-moi que j’en ai rien à battre de ses chiffons ! Moi, les chiffons, je ne les assemble pas, je les fous à la poubelle.
Étienne. – Pourtant bien cousu, c’est très beau.
Gabrielle. – C’est très con !!!
Étienne. – Oui.
Gabrielle. – Comment on peut perdre son temps à coudre des torchons ? Pourtant Chantal parle d’art couturier, et je vais l’écouter. Et tu sais pourquoi ?
Étienne. – Parce que tu es polie ?
Gabrielle. – Décidée. Son appartement, je le veux. Et son appartement, je l’aurai.
Étienne. – Mais qui te dit que Chantal « du bas » et Bernard « du haut » vont avoir un coup de foudre ?
Gabrielle. – Ce que je veux, c’est pas un coup de foudre, c’est un coup de balai. On dîne sur la terrasse, on les met en valeur, ils se plaisent…
Étienne, pessimiste. – C’est pas gagné…
Gabrielle. – On les aidera ! Après, ils couchent ensemble… (Moue d’Étienne.) On les aidera aussi. Après, ils vont vivre dans un appartement en banlieue et ils me foutent le camp de ce putain d’immeuble. Et au final, nous, tu sais ce qu’on fait ?
Étienne. – On est les témoins du mariage ?
Gabrielle. – On rachète les deux appartements et on le construit mon triplex de rêve !
Étienne. – Et si on leur faisait des propositions ?
Gabrielle, étonnée. – Sexuelles ?
Étienne. – Mais non ! Financières. Je trouve ça plus honnête.
Gabrielle. – Mais ce sont des nuls ! Ils vont réfléchir, hésiter, négocier, ça va prendre des mois. Non… Il faut qu’ils baisent. En plus, ces nases risquent même de vouloir fonder une famille et ça… ça c’est… c’est…
Étienne. – … c’est compliqué !
Gabrielle. – … c’est bon pour nous !!!
Étienne. – Ah oui ?
Gabrielle. – Un bébé, il faut que ça respire, alors bon air et bon vent : direction la banlieue pourrie.
Étienne. – Par moments, tu me fais peur. Cet appartement te met dans un état… Tu sais ce que tu devrais prendre ?
Gabrielle. – Un notaire !
Étienne. – Non : du Prozac !
Gabrielle. – Mais je vais très bien ! C’est juste que je déteste le compromis. Sauf si c’est un compromis de vente.
Étienne prend un air décidé.
Étienne. – Bon, tu me connais…
Gabrielle. – Oh ! que oui !
Étienne. – Souvent tu me fais fléchir, parce que je suis un homme ouvert et qui aime le dialogue…
Gabrielle. – Non ! Tu es un homme mou et qui aime la lâcheté.
Étienne. – C’est pas faux, mais là, je resterai sur ma position.
Gabrielle, méprisante. – Toi ? Rester sur une position ? Ce serait bien la première fois. (Un temps.) Bon, Étienne, de toute façon s’ils ne foutent pas le camp d’ici, toi et moi, pour le bébé, c’est niet !
Étienne. – Mais enfin, Gaby, tu ne peux pas me faire ça ! Pour le bébé, tu m’as promis d’en faire un… On s’aime…
Gabrielle. – Les enfants, c’est pas une question d’amour, c’est une question de place. Alors pour le moment, je refuse d’arrêter la pilule. (Perfide.) En plus, tu devrais faire un spermogramme.
Étienne. – Mais mon sexe va très bien !
Gabrielle. – Fais-le quand même. Pas besoin que je perde mon temps.
Étienne. – Quand même… je vais te dire que toi… tu es… tu es…
Gabrielle. – Je suis quoi ?
Étienne. – … castra-dominatrice… (Se reprenant.) Enfin, inconsciemment.
Étienne va à la cuisine suivi par Gabrielle, et revient avec un bol de cacahuètes.
Gabrielle. – Hep, hep, hep ! Attends, reviens ici, toi.
Étienne, penaud. – Je dois aller chercher des cacahuètes.
Gabrielle. – Étienne, s’il te plaît !
Étienne. – Oui ?
Gabrielle. – C’est quoi ce mot que tu viens de prononcer ?
Étienne. – « Cacahuètes » ?
Gabrielle. – Non, « castra machin de mes deux »…
Étienne, mal. – C’était juste pour exprimer quelques « légers » doutes sur la légitimité de notre action.
Gabrielle, suspicieuse. – Étienne, tu as repris ta thérapie !
Étienne. – Moi ? Mais pas du tout ! Pourquoi tu dis ça ?
Gabrielle. – Tu te remets à faire des phrases que tu ne comprends pas.
Étienne. – Je vais faire plus simple, promis.
Gabrielle. – Attention, que ce soit bien clair entre toi et moi : si j’apprends que tu revois le docteur Valère pour lui dire du mal de moi, je vais très mal le prendre.
Étienne. – Mais j’ai envie d’aller bien…
Gabrielle. – Pas question ! Quand tu vas bien, ça me déprime....