Sois toi-même, tous les autres sont déjà pris...
Oscar Wilde
Acte I
Un samedi matin, vers 9 heures. Un salon-salle à manger où règne une grande agitation. C’est le jour du mariage de Margot, la fille de la maison. Martine, la mère, hyperactive, se démène et court de pièce en pièce, accompagnée en cela par sa mère, mamie Hortense. Elles sont déjà en tenue de mariage. Paul, le mari de Martine, très cool, surnommé « l’escargot » par la famille, se traîne lamentablement, à la recherche de ses vêtements.
Hortense, sortant précipitamment de la cuisine. — Martine ! Le plan de table… Où as-tu mis le plan de table ?
Martine, sortant de sa chambre, un papier à la main. — Ne t’affole pas, maman, le voilà.
Hortense, prenant le plan de table. — Faut que je vérifie quelque chose. J’espère que tu ne m’as pas placée à côté de la tante de Flavien… Il paraît qu’elle est complètement cintrée…
Martine, lui reprenant le plan des mains. — Ah non ! Tu ne vas pas chambouler mon plan de table à deux heures de la noce ! Tu composeras avec tes voisins. Dis-moi plutôt ce que tu as fait du bouquet de mariée de Margot.
Hortense. — Je crois bien l’avoir vu sur la table de la cuisine. Bouge pas, je vais le chercher. (Elle sort rapidement.)
Martine, montant rapidement l’escalier qui mène aux chambres. — Margot, ma chérie, veux-tu un coup de main pour passer ta robe ?
Margot, voix off. — Non ! Et n’entre pas dans ma chambre, s’il te plaît !
Martine. — Ah ! ah ! On veut faire une surprise à sa maman ? (Regardant sa montre tout en redescendant.) Presse-toi, tout de même. Ouh là là ! Déjà 9 heures ! On ne va jamais y arriver ! Et Paul, où est-il encore passé celui-là ?
Hortense, revenant avec le bouquet de mariée à la main. — Il est dans la cuisine, apparemment très occupé…
Martine. — Paul, très occupé ? Eh ben, c’est nouveau ! Et qu’est-ce qu’il fait exactement ?
Hortense. — Il chasse les mouches avec sa serviette de toilette ! Et pour un peu il se servait du bouquet de Margot… Il était temps que j’arrive !
Paul, arrivant par la cuisine, en caleçon, torse nu et serviette à la main, un peu paumé. — Ah ! tu es là, ma chérie ! À ton avis, comment je m’habille aujourd’hui ?
Martine, faussement sérieuse. — Tu prends un jean délavé et ton tee-shirt du FC Nantes… (Ou une autre équipe de football pro de votre région.) Ça devrait être super.
Paul, s’apprêtant à partir vers la chambre, sans se presser. — Jean et tee-shirt… C’est parti !
Martine, le rappelant avec force. — Paul !
Paul. — Oui ?
Martine. — Je ne voudrais pas te perturber outre mesure, mais tu te souviens quand même que tu maries ta fille aujourd’hui ?
Paul, avec évidence, sans s’affoler. — Évidemment que je m’en souviens !
Hortense. — Et vous vous voyez, à la mairie, devant le maire, les invités et la belle-famille de Margot, avec votre tee-shirt jaune et vert des canaris nantais ?!
Paul. — Quel idiot ! Je ne sais vraiment pas ce que j’ai dans la tête en ce moment.
Martine. — S’il n’y avait qu’en ce moment… Le problème, avec toi, c’est que ça devient chronique ! (À Paul qui attend, penaud.) Eh bien, mais qu’est-ce que tu attends ? Que tes fringues arrivent ici toutes seules ? (Consultant de nouveau sa montre.) Neuf heures et quart ! Dans trois quarts d’heure on doit être à la mairie.
Paul, bougeant mollement. — J’y vais, j’y cours, j’y vole…
Hortense. — Restez simple, Paul. Vous mettez juste un pied devant l’autre et vous essayez d’avancer… C’est très efficace et ça devrait suffire.
Paul, faisant deux pas puis se retournant vers sa femme. — Finalement, si je ne prends pas le jean, qu’est-ce que je mets alors ?
Martine, se contenant avec peine. — Ta chemise et ton costume sont sortis de l’armoire, posés sur le lit et ils attendent sagement que tu veuilles bien entrer dedans… Dès que tu seras arrivé dans la chambre, bien évidemment, et de préférence dans les cinq minutes qui suivent…
Paul. — Tu es trop gentille, ma chérie, je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
Martine. — Tu resterais à poil à longueur de journée ! Et maintenant magne-toi, Paul, parce que là, tu commences vraiment à m’énerver grave !
Paul. — Ne te mets pas dans des états pareils. Reste zen. Elle n’est pas belle la vie ?
Martine et Hortense, ensemble, bras tendu vers la chambre. — Costume… Chambre… Au trot !
Paul, arrivé près de la porte, se retournant. — Et comme cravate, je mets laquelle, à ton avis ?
Martine, attrapant un livre posé sur un meuble et le lui lançant. — Prends celle que tu veux, j’en ai marre à la fin !
Paul, évitant le livre en se cachant derrière la porte. — On ne peut vraiment rien te demander, tu montes tout de suite sur tes grands chevaux… (Il sort.)
Hortense. — Eh ben, si toi tu montes sur tes grands chevaux, lui, il n’a rien d’un pur-sang, ton Paul !
Martine, ramassant le livre et le remettant en place. — Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour avoir un bonhomme pareil ?
Paul, réapparaissant à la porte, prudemment. — Je ne voudrais pas t’embêter davantage, mais je ne trouve pas mes chaussettes…
Martine, faussement sérieuse et faussement calme. — C’est normal, Paul. Je les ai rangées dans le bas du frigo…
Hortense, complétant. — Dans le bac à légumes…
Paul, passant devant elles, se dirigeant vers la cuisine. — Vous dérangez pas, je vais les chercher.
Martine. — Mais c’est pas vrai ! Il va y aller… Dis-moi que je rêve ! Mais qu’il est con !
Paul, voix off. — Dans le bac de droite ou dans celui de gauche ?
Martine. — Ferme ce frigo tout de suite, Paul, et sors de cette cuisine immédiatement, tu m’entends ?
Paul, sortant, tout penaud. — Pourquoi tu me cries dessus tout le temps ?
Martine. — Il me demande pourquoi je lui crie dessus ! Est-ce que tu te rends compte que tu allais chercher des chaussettes dans un réfrigérateur ?
Paul. — Mais c’est toi qui m’as dit les avoir rangées là-bas !
Hortense. — Et il n’y a rien qui vous choque ? Des chaussettes dans un frigo, ça vous paraît logique ?
Paul. — Ça m’a effectivement paru bizarre sur le moment, mais…
Martine, le coupant. — Mais tu es quand même parti, tête baissée, enfin si on peut parler de tête baissée en ce qui concerne tes déplacements, droit vers la cuisine chercher ta paire de chaussettes dans le frigo, entre les tomates et le roquefort !
Paul. — C’est parce que je crois tout ce que tu me dis…
Martine. — Non, Paul ! La vérité c’est que tu vis dans ta bulle de romancier et que tu as toujours l’esprit ailleurs. Dans tes histoires. Avec tes personnages. Quand on te parle, tu n’écoutes jamais.
Paul, montrant la cuisine. — Ah ! ben si ! La preuve…
Martine. — Taratata ! Tu as juste entendu « chaussettes » et « frigo », et pas un instant tu as essayé de comprendre le sens réel de ma phrase. Tu as vraiment un gros problème, Paul !
Paul, inquiet. — Tu crois que je suis malade ?
Martine, faussement sérieuse. — Je crains que tu ne sois atteint de gastéropodose…
Paul, inquiet, se touchant le corps. — Oh ! pétard ! C’est grave ? La tête ? L’estomac ?
Martine. — C’est une maladie rarissime qui touche essentiellement les hommes, mais rassure-toi, ils n’en meurent pas.
Paul. — Et c’est quoi exactement ? J’ai jamais entendu parler de ce truc !
Martine. — « Gastéropodose » vient du mot « gastéropode »… famille regroupant toutes les variétés d’escargots, et du suffixe « -ose » qui signifie une « dégénérescence ». Est-ce que cela t’inspire ?
Paul. — Pas vraiment. Ça devrait ?
Martine. — Eh bien, dans ce cas, on va t’en rajouter une louche. Sais-tu comment te surnomment tes amis, ta famille, ton éditeur ?
Paul. — Euh… non…
Martine et Hortense, ensemble, sèchement. — L’escargot !
Paul. — L’escargot ? Mais pourquoi ? J’en mange jamais de ces bestioles, moi…
Hortense. — Heureusement ! Ce ne serait pas très sympa de votre part d’aller bouffer la moitié de vos congénères !
Martine. — La gastéropodose, maladie que je viens d’inventer à ton contact, est la propension et la dégénérescence d’un être humain à ressembler à un escargot. Voilà !
Paul. — Je savais bien que c’était pas dans le dictionnaire, cette maladie.
Martine. — Non, mais ça devrait, crois-moi ! Et si j’étais académicienne, je m’y emploierais de toutes mes forces.
Paul. — En tout cas, c’est dégueulasse de me surnommer « l’escargot ». Tiens, ça m’en coupe les jambes…
Martine. — Ah non ! Surtout pas les jambes, c’est pas le moment ! Tu marches déjà à la vitesse d’un pou rhumatisant… (Regardant sa montre.) Il nous reste une demi-heure avant la mairie. (Haussant le ton et l’emmenant de force vers la chambre.) Paul, tu as exactement cinq minutes pour t’habiller… Pas une de plus !
Paul. — La chambre, c’est par là… Je sais.
Martine le pousse de force dans la chambre.
Martine. — Quand je pense que notre futur gendre est du même acabit que celui-là… Eh ben, ça promet de belles réunions de famille !
On sonne à la porte d’entrée.
Hortense, subtilisant le plan de table des mains de sa fille. — Je vais peut-être jeter un coup d’œil sur le plan de table vite fait pour voir où est placée la givrée. Je n’ai pas envie de me la coltiner pendant tout le repas. (Elle se sauve côté cuisine avant que Martine n’ait eu le temps de réagir.)
Martine. — Allons bon ! Manquait plus qu’un emmerdeur, maintenant, pour nous faire gagner du temps ! (Elle va ouvrir la porte et Flavien, le fiancé de Margot, entre. Il est en tenue de marié et semble un peu emprunté dans ses vêtements. C’est un garçon un peu lent et très gaffeur. Ce pourrait être le fils de Paul…) Ah ! le marié est déjà prêt ! C’est toujours ça… Bonjour, mon petit Flavien.
Flavien, embrassant sa future belle-mère et la regardant avec admiration. — Bonjour, Martine. Wouah ! Vous êtes magnifique aujourd’hui…
Martine. — Ah bon ! Seulement aujourd’hui ? Parce qu’habituellement je suis moche à déformer les miroirs ?
Flavien, voulant se rattraper. — Non, non, c’est pas ce que je voulais dire mais… là… vous êtes presque aussi jolie que Margot.
Martine. — C’est très gentil de me comparer à Margot, mais c’est dommage que tu aies employé l’adverbe « presque »… que je trouve un peu dévalorisant à mon égard.
Flavien, conscient de sa bourde et voulant se rattraper. — Je suis désolé… Je ne voulais pas vous blesser… D’autant que c’est normal que vous soyez moins jolie que Margot vu que vous êtes beaucoup plus vieille qu’elle… (Main sur le front.) Oh ! putain, qu’est-ce que je raconte, moi ?
Martine. — Voilà le genre de réflexion qui vous met en forme pour la journée…
Flavien, s’enfonçant de plus en plus. — Ce que je voulais dire, c’est que les mères étant plus âgées que les filles, il est logique qu’elles soient…
Martine, le coupant. — S’il te plaît, n’en rajoute pas, tu ne vas pas t’en dépêtrer et je sens que tu vas, encore, me sortir quelques gentillesses dont tu as le secret.
Flavien. — Comme vous voulez. Et sinon, comment me trouvez-vous ?
Martine. — Magnifique ! Tu as vraiment le physique de l’emploi. (Se vengeant.) Tu es « presque » aussi joli qu’un marié normal.
Flavien, comprenant l’allusion. — Presque aussi joli… Vous êtes fâchée, je le vois bien.
Martine. — Mais non, mais non ! Depuis six ans que tu sors avec ma fille, je commence à bien te connaître maintenant. Je ne vais pas m’offusquer de tes écarts de langage.
Flavien. — C’est vrai ? Vous êtes une belle-mère vachement sympa. (Tête modeste de Martine.) Si, si, je le pense vraiment. Bien souvent, les belles-mères sont des êtres envahissants et acariâtres qui vous… qui sont… qui font… enfin qui… tandis que vous… vous êtes… vous êtes… (Il cherche ses mots.)
Martine, le coupant. — On va peut-être arrêter les comparaisons pour ce matin, parce que je sens qu’un dérapage est encore possible. (Elle renifle l’air en regardant autour d’elle.) Qu’est-ce que c’est que cette odeur ?
Flavien, reniflant à son tour. — Quelle odeur ? Je ne sens rien d’extraordinaire…
Martine, le sentant de près. — Par mégarde, en venant ici, tu n’aurais pas marché sur une…
Flavien, vérifiant ses semelles de chaussures. — Non, non, mes semelles sont propres…
Martine, le sentant de plus près encore. — On dirait une odeur animale de bête crevée…
Flavien, comprenant soudain. — Ah ! d’accord ! Ce doit être mon nouveau parfum. Vous n’avez pas l’habitude, c’est pour ça qu’il vous tape dans le nez.
Martine, se reculant. — Pour taper, il tape, dis donc ! Et il s’appelle comment, ton nouveau parfum ? Brut d’équarrissage de chez Azzaro ? Ou Compost No 5 de chez Chanel ?
Flavien. — Pas du tout ! En fait, c’est du véritable musc… De la sécrétion glandulaire de chevrotin d’Asie que je fais venir directement de Pékin, par Internet.
Martine. — De Pékin ! Mais quel intérêt de se coller une puanteur pareille sur la peau ? Accroche-toi une pancarte autour du cou avec « défense de humer ». Parce que là… Wouah ! On est limite alerte à la pollution atmosphérique.
Flavien. — D’abord, ça ne pue pas, ça sent ! Bon, d’accord, ça sent peut-être un peu fort, mais c’est exprès pour stimuler les phéromones.
Martine. — Stimuler les phéromones ? Rien que ça !
Flavien. — Parfaitement ! Les phéromones sont des substances chimiques émises par la plupart des animaux et des humains, et qui agissent comme des messagers entre les individus d’une même espèce, transmettant aux autres organismes des informations qui jouent un rôle dans l’attraction sexuelle… Et le musc de chevrotin active leur sécrétion…
Martine, le coupant. — Oui, bon, ça va ! Tu ne vas pas me faire un cours sur les phéromones, je connais.
Flavien, terminant ses explications. — Extrêmement actives, elles agissent en quantités infinitésimales et elles peuvent être détectées à plusieurs kilomètres à la ronde.
Martine. — C’est redoutable, ton truc. Tu vas bientôt avoir aux fesses les trois quarts des gonzesses en chaleur du canton.
Flavien. — L’important, c’est que ça agisse sur Margot.
Martine. — Ah ! parce que Margot et...