PROLOGUE
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs les jurés,
Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. En fait,
Je ne sais pas...
Je ne rappelle plus...
Il ne me reste que des photos...
Du papier glacé...
PHOTO N°1
LA FERME Ier JOUR
(Il montre l’écran comme si une diapositive y était projetée)
Là, vous voyez mesdames et messieurs les jurés, papa, il est au volant de sa voiture Une Ami 6
Marcelle il l’appelait parce qu’elle chauffait trop.
Moi, les yeux mouillés
Je suis assis
À la place du mort.
J’ai neuf ans
Tout neuf
Et, “Pour que j’apprennes la vraie vie” et “Comme Dieu a laissé Jésus vivre la vie des hommes”, papa a décidé
de me laisser une semaine
chez des fermiers.
Marcelle toute fumante a débarqué dans la cour de la ferme
Papa est sorti, je l’ai suivi
Il a dit bonjour aux fermiers, je l’ai suivi
Il a grimpé dans Marcelle, je ne l’ai pas suivi
et il est repartit me laissant seul écouter
Le bruit du moteur disparaissant petit à petit
comme le soleil derrière la mer.
Et, comme je n’avais pas encore construit de barrages ni de digues, la pluie inonda mes yeux.
Je relevai la tête
Les yeux sévères des fermiers me mitraillaient sauf ceux de l’ouvrier agricole qui louchaient.
La mère, comme ils l’appelaient, avait des lunettes à triples foyers
Qui lui grossissaient les yeux aussi énormes que son ventre.
Elle n’avait pas d’âge, les rides ancrées sur le visage et sur les mains, les cheveux sales Elle portait une blouse grise dont le tissu parsemé de bleuets gris aussi s’arrêtait aux genoux laissant apparaître des varices violettes sur des mollets épais.
Le fils, Ferdinand, lui, au contraire, était comme Tolstoï: Guère épais.
Il portait, comme son père et l’ouvrier agricole, un béret bleu usé, un bleu de travail sali et des sabots aux pieds.
L’ouvrier agricole, Marcellin, n’avait de culture que son potager et le petit pois qui poussait dans sa tête transparaissait sur son regard vide et divergent, son bec de lièvre et sa diction inaudible.
(Marcellin)
“ Eh bien alors, Qu’est ce que c’est que ce garçon qui pleure comme une fille ?”
Les trois “hommes” sont partis travailler
La mère me prit violemment la main, me donna un balai brosse et me fit passer la serpillière dans toute la cuisine.
J’ai du, après, couper les carottes, les poireaux et les pommes de terre qui sentent si bon pour la soupe du soir.
Puis elle m’obligea à tricoter.
Comme je n’étais pas très dégourdi, elle me tirait l’oreille à chaque fois que je me trompais.
“Attention, si je le dis au père, tu vas recevoir le martinet”
Les trois “hommes” sont arrivés à 19 heures.
Ils ont mis les pieds sous la table.
Je leur ai servi la soupe
“ puis- je avoir une serviette ?” dis je avec un ton de petit bourgeois poli rempli d’érosion Devant la rugosité de leurs visages rougeauds qui me dévisageaient, je bus ma soupe en les imitant. Le père alla chercher la gnôle dans le placard en bois. Il en servit à tout le monde. Même à Ferdinand
Ils la burent tous d’un trait.
Même Ferdinand
(Marcellin)
“Allez bois, bois (il chante) Paulette, Paulette”
(Le père)
Alors, Paulo, Tu fais moins le malin sans ton papa, hein”.
Devant tant d’insistance
Je bus le verre.
Le volcan qui se réveilla à ce moment là fit sortir de ma gorge un beuglement tonitruant et tandis que la lave rouge se déposait sur mes joues et sur mes oreilles, ils ont ri. J’ai ri aussi.
La mère me prit violemment la main.
Elle me montra le lit où dormait Ferdinand puis ferma la porte.
J’ai enfilé mon pyjama dans le noir et je me suis couché délicatement sans m’être lavé les dents dans ce lit froid
Avant de m’endormir, je me suis dit qu’il fallait absolument
que je me souvienne de mes rêves.
DIALOGUE DE SOURDS
- Dis papa, est ce que le soleil, il meurt ?
- Non
- Alors, moi j’aimerais être le soleil.
- Dis papa, Tu me gonfles mon ballon ?
-C’est toi qui me gonfles !
- Non, papa, c’est toi qui me gonfles...
- On ne répond pas à son père.
- Déjà que je ne peux pas te parler, papa, alors si je ne peux même pas te répondre je ne vois pas comment tu vas pouvoir m’écouter.
LE PROCÈS
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs les jurés,
Je dis la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
En faît,
Je ne sais pas...
Je ne rappelle plus...
Je ne me souviens plus...
C’est des choses que je dis comme ça.
Comme des bateaux à voiles qu’on dessine les jours de pluie sur la buée de la fenêtre, qui s’effacent, qu’on oublie et qui renaissent un beau matin dans la lumière du soleil transperçant les carreaux.
Il ne me reste que des photos.
Du papier glaçé...
PHOTO N° 2 papa
Sur celle là, (il montre l’écran comme si il y voyait une diapositive) on voit bien papa. (Il se met dans la position de son père photographié devant l’écran)
On voit bien qu’il a toujours vécu et dormi que d’un oeil.
C’est normal, me direz vous, pour un borgne.
C’est à cause de Léonie, la...