Le Dernier Verre

A Paris, un vieux bistrot, tard la nuit. Les clients se croisent, boivent un verre et repartent… ou pas. Car il y en a qui aiment parler et qui ont besoin de compagnie. Ce client là, justement, il aimerait parler de sa fille, sa fille dont il n’a plus de nouvelle depuis des années. Mais le barman n’écoute pas, il veut fermer. Alors le client veut danser mais le pianiste ne joue pas, il a des engelures. Et de plus le piano est fermé à clef. Et puis il y a Mauricette qui a rendez-vous. Un rendez-vous d’amour. Mais l’amour parfois ça rend fou. Alors ce soir-là il y a beaucoup d’animation dans le bar et chacun veut boire un dernier verre. Mais le barman veut fermer.

Décor (1)

Décor du bar de nuitDécor : Un bar de nuit. Plus exactement un vieux bistrot décati. Il peut y avoir une porte d’entrée, un comptoir, une porte pour les toilettes. Quelques tables avec des chaises. Un piano ou un piano numérique dans un coin.

 

Décor :

Un bar de nuit.

Il peut y avoir une porte d’entrée, un comptoir, une porte pour les toilettes.

Un piano ou un piano numérique dans un coin.

 

 

SCENE 1

 

Le bar est tranquille. Un seul client au comptoir.

Dans un coin un piano avec un pianiste derrière, un pianiste qui fait des mots croisés.

Le barman essuie des verres.

 

LE CLIENT

Ça va, vous ?

LE BARMAN

Oui, monsieur.

LE CLIENT

Vous avez bien de la chance. Moi, ça va pas fort.

LE BARMAN

C’est la vie, monsieur. Il y a des hauts et des bas.

LE CLIENT

Oui, mais par moments…les bas…ils sont vachement bas… C’est calme, hein ?

LE BARMAN

Oui, monsieur. C’est toujours calme quand il n’y a personne.

LE CLIENT

Vous ne vous ennuyez pas trop ?

LE BARMAN

Non. Je m’occupe. Je relave les verres propres.

LE CLIENT

Vous avez raison, ça occupe. Tenez, donnez m’en un autre, avec le même liquide à l’intérieur.

LE BARMAN

Tout de suite, monsieur.

LE CLIENT

Comme ça, vous pourrez laver mon verre sale et le relaver quand il sera propre…ça vous occupera un petit moment.

LE BARMAN

Merci, monsieur. C’est très gentil.

 

Un temps.

Une femme entre, un peu perdue.

 

 

 

MAURICETTE

C’est un bar ?

LE BARMAN

Apparemment.

MAURICETTE

Je veux dire, on peut boire un coup ?

LE BARMAN

C’est bien possible, si vous savez lever le coude.

MAURICETTE

Non, je m’explique mal, vous fermez ?

LE BARMAN

Ça m’arrive. Au moins une fois par jour.

MAURICETTE

Vous me comprenez pas. Je demande si vous ouvrez la nuit ?

LE BARMAN

Nous sommes ouverts et il fait nuit, madame.

MAURICETTE

Non, c’est pas possible…Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Je parle pas français ? Je veux juste savoir l’heure.

LE BARMAN (regardant sa montre)

23h30, madame.

MAURICETTE

Mais…pas l’heure de maintenant…l’heure, plus tard, l’heure…

LE BARMAN

Ah, dans une demi-heure il sera pas loin de minuit.

MAURICETTE

Mais je m’en fiche de minuit ! Je veux savoir l’heure à laquelle vous fermez.

LE BARMAN

Je peux pas vous le dire.

MAURICETTE

Pourquoi ça ?

LE BARMAN

Parce que vous vous en fichez.

MAURICETTE

Mais…pas du tout, puisque je vous le demande.

LE BARMAN

Si, vous vous en fichez.

MAURICETTE

Mais non, enfin.

LE BARMAN

Vous venez de me le dire.

MAURICETTE

Quoi ?

LE BARMAN

Que vous vous en fichiez.

 

 

MAURICETTE

Hé, ho, faut vous faire soigner les oreilles. Le pavillon est méchamment encrassé. Ou alors c’est encore plus haut que ça bouchonne, dans les boyaux de la coloquinte. Faut passer le goupillon dans les interstices quand vous prenez votre douche.

LE BARMAN

Si quelqu’un a besoin d’un bon ramonage de ventricule, c’est plutôt vous.  Je vous ai dit que dans une demi-heure il serait minuit et vous m’avez dit que vous vous en foutiez.

MAURICETTE

Parfaitement. Et je double la dose. Je la triple, je la décuple. Minuit je m’en fous comme de l’an cinquante.

LE CLIENT

On dit l’an quarante.

MAURICETTE

Je vous cause, vous ? L’an quarante c’est comme l’an cinquante, je m’en fous, je m’en contrefous et de plus, je m’en tamponne le coquillard à une profondeur que même la Calypso pourrait pas l’atteindre.

LE BARMAN

Hé ben faudrait savoir ce que vous voulez. Minuit c’est l’heure à laquelle je ferme.

MAURICETTE

Ah le con !...Pouviez pas le dire tout de suite ? Ça nous aurait évité les chicaneries.

LE BARMAN

Y’a chicanerie qu’avec ceux qui savent pas causer clairement. Sujet, verbe, complément, je sors pas de là depuis tout petit.

MAURICETTE

Tu me prends la tête ! Voilà ! Tu-me prends-la tête ! T’as le sujet, t’as le verbe et t’as le complément. Je te fais cadeau de l’article.

 

Elle se dirige vers la porte. Le barman la regarde, ahuri.

 

LE BARMAN

Et alors, ça consomme pas ?

MAURICETTE

C’était juste pour vérifier l’heure de fermeture, tête de nœud. T’as pas l’adjectif mais t’as le qualificatif.

 

Elle est sortie.

Un temps.

 

LE CLIENT

…ça va, vous ?

LE BARMAN

Toujours, monsieur.

LE CLIENT

Hé ben, moi, ça va pas fort.

LE BARMAN

Je sais, monsieur, vous me l’avez dit tout à l’heure.

LE CLIENT

Oui, je vous l’ai dit, mais vous m’avez pas demandé pourquoi.

 

LE BARMAN

C’est de la discrétion, monsieur.

LE CLIENT

Vous êtes sûr que c’est pas du désintérêt ?

LE CLIENT

Pas du tout. Les garçons peuvent recueillir les confidences des clients, jamais les encourager.

LE CLIENT

C’est écrit où, ça ?

LE BARMAN

Nulle part, monsieur, c’est une règle professionnelle. La plupart des garçons l’adoptent.

LE CLIENT

N’empêche que moi, ça va pas fort…

LE BARMAN

Voilà votre verre, monsieur.

LE CLIENT

Merci, euh…euh… c’est comment, déjà ?

LE BARMAN

Pardon ?

LE CLIENT

Votre prénom ?

LE BARMAN

Lionel, monsieur.

LE CLIENT

Lionel ?...Pfuttt…Je vais vous appeler Max, ça ne vous dérange pas ?

LE BARMAN

Non, monsieur.

LE CLIENT

Je ne connais qu’une personne qui s’appelle Lionel. Mon cousin. Il a piqué de l’argent à toute la famille et à moi, en plus, il m’a piqué ma voiture…avec ma fille à l’intérieur… Je peux pas vous appeler Lionel.

LE BARMAN

Je comprends, monsieur.

LE CLIENT

Ma fille. Vous avez entendu ? Ma petite fille chérie.

LE BARMAN

J’ai entendu, monsieur.

LE CLIENT

Vous trouvez pas ça dégueulasse…euh…Max ?

LE BARMAN

…ça dépend, monsieur.

LE CLIENT

…ça dépend de quoi ?

LE BARMAN

…ça dépend de la petitesse de votre fille, monsieur.

LE CLIENT

Une gamine. Une gosse de vingt ans. A peine sortie de sa barboteuse.

LE BARMAN

Tout de même.

LE CLIENT

Quoi « tout de même » ? Vous en avez une de fille, vous ?

LE BARMAN

Non, monsieur.

LE CLIENT

Alors, vous pouvez pas savoir. Vous pouvez pas savoir ce que ça représente une fille pour un père. Ce Lionel, en enlevant ma fille, c’est comme s’il me plantait son couteau dans le cœur. C’est un meurtre, Max !

LE BARMAN

Tout de même. Elle a vingt ans.

LE CLIENT

Qu’est-ce que c’est, vingt ans, dans la vie d’une femme ?

LE BARMAN

C’est le bel âge.

LE CLIENT

Conneries. Le bel âge, ça n’existe pas. La vie est une saloperie de microbe qu’on vous inocule à la naissance et qui vous bousille un peu plus de jour en jour…

 

Marinette revient avec une amie

 

MAURICETTE

C’est lui, « sujet-verbe-complément ».

PRUDENCE (au barman)

Prudence vous souhaite le bonsoir. (explicative) Sujet-verbe-complément.

 

Elles se dirigent vers une table en riant.

 

MAURICETTE

Et vous nous apporterez deux cocktails-maison !

PRUDENCE

Sujet, verbe…

LE BARMAN

Complément ! J’ai compris. Et « s’il vous plait » ça n’écorche pas la bouche mais ça fait plaisir !

PRUDENCE

Si ton cocktail a le goût de la rose, loufiat, ma bouche te dira des mots parfumés.

 

Le garçon hausse les épaules et commence à préparer les boissons.

 

LE CLIENT

Vous voulez pas danser avec moi, Max ?

LE BARMAN

Euh…non, monsieur.

LE CLIENT

Pourquoi ça ?

LE BARMAN

D’abord y’a pas de musique.

LE CLIENT

Oui, mais il y a un...

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