Le Deuxième coup de feu

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Olivier et Suzanne, fraîchement mariés, vivent une idylle parfaite dans leur villa du cap d’Antibes. Enfin… c’est compter sans la profession d’Olivier, commissaire de police, qui déteint un peu trop sur son caractère : il est d’une jalousie épouvantable.
Or, il est bien résolu à s’assurer une fois pour toutes de la fidélité de sa femme. Et si la filature ne donne rien, alors il faut concevoir un plan plus ingénieux. Un plan qui pourrait tout aussi bien se retourner contre lui lorsque le trouble passé de Suzanne refait surface, et avec lui Patrice, qui tente de la faire chanter.
Dos au mur et pour sauver sa femme, le commissaire imagine un crime parfait. Il ne faudra tirer qu’un seul coup de feu. Un seul…




Le Deuxième coup de feu

Acte premier

Plein soleil général. Un temps… Puis on voit apparaître le nez de M. Édouard au coin de la maison… Il entre timidement et se risque à appeler, sur le souffle.

Édouard Monsieur le commissaire !… Zut ! Il n’est pas là… Monsieur Lenoir ! Hou ! hou !… Y a personne ? (M. Édouard est contrarié. Sous son bras, il porte un gros paquet décoré d’étiquettes S.C.F. Il dépose le paquet sur une table puis appelle encore, cette fois plus fort…) Monsieur Lenoir ! Vous êtes là ? (Il va regarder à la porte de la maison et passe la tête à l’intérieur, répétant son appel en vain.) Monsieur le commissaire, c’est moi !… Oh ! mais… où est-il donc passé ?… Peut-être est-il en train d’astiquer son bateau ? (Il fait le tour de la terrasse. Il avise le bar et rapidement il s’envoie un apéritif derrière la cravate… Cela lui remet un peu le moral en place… Il crie, cette fois.) Y a quelqu’un ? C’est moi ! M. Édouard ! (Puis il boit encore.)

Olivier surgit soudain de la maison.

OLIVIER (Sidéré, nerveux.) Vous ? Ici ?

Édouard (S'étouffe dans son verre !) Aaah ! Ça fait cinq minutes que je vous cherche et que je vous appelle !… Discrètement !

Olivier Vous savez très bien que lorsqu’on est dans le fond de la maison, on n’entend rien !

Édouard La Côte d’Azur… Jolie villa isolée…

OLIVIER (Se fâche.) Monsieur Édouard ! Mais qu’est-ce que vous faites ici ? Où est ma femme ? Vous l’avez perdue de vue ? Elle vous a semé ?

Édouard Mais non ! Elle sèche !!! Elle est chez son coiffeur… sous le casque… Alors je me suis dit : « Mon petit Édouard, elle en a pour une bonne heure, va donc chercher le colis que M. le commissaire t’a demandé de retirer pour lui à la gare d’Antibes… » (Il dit tout fier.) « M. Édouard, agence privée, filatures, discrétion, rapidité. » (Il salue avec un petit chapeau.) Livraison à domicile !… Le voilà ! Là…

Olivier Parfait ! Parfait ! (Il va au colis et semble ravi.) Merci, monsieur Édouard.

Édouard Comme je pense que Mme Lenoir va venir directement de chez son coiffeur ici… suis-je quand même obligé d’aller la reprendre de nouveau en filature ?

Olivier (Regarde sa montre.) Non… (Il fouille dans sa poche et sort un billet.) Ça, c’est pour le petit dérangement à la gare… votre taxi…

Édouard (Ravi mais mondain.) Oh !… Non… Je vous ai fait un forfait pour la semaine… Mais non… mais non… Enfin… (Mais il empoche.) Merci… Voulez-vous que je vous ouvre le paquet ?

Olivier Volontiers… (Il va nerveusement regarder si personne n’arrive à l’horizon.) Je surveille le petit chemin…

Édouard (Faisant sauter les ficelles.) Oh ! quand une femme se fait faire des frisettes… y a une grosse marge de sécurité ! Parole de détective privé ! Toc ! Ça y est ! (Il ouvre le paquet et dit.) Oh ! une pendule… Très joli objet d’art ! (Il sort une statue baroque agrémentée d’un cadran.)

Olivier Attendez ! C’est fragile… Posez ça… là ! Doucement !

Il débarrasse une petite colonne de pierre de son pot de fleurs et Édouard pose la pendule sans délicatesse !

Édouard Épatant !… Très jolie…

Olivier … Très démodée ! Mais ma femme l’avait vue dans un magasin de Nice et en mourait d’envie… Je me la suis fait expédier en secret pour lui faire une surprise.

Édouard (Rigole.) Les femmes, elles adorent les surprises… surtout quand ce sont des cadeaux… Et sur cette terrasse, une pendule, c’est imprévu… Le cap d’Antibes au mois de mai… le paradis…

Olivier Bon. Merci… Décampez vite, monsieur Édouard… Et emportez cet emballage que vous jetterez dans la mer en vous sauvant par le petit chemin du bord de l’eau… (Il lui montre la plage.)

Édouard J’ai l’habitude… Tout à votre service, monsieur le commissaire… (Comme il froisse le papier, il voit l’étiquette.) Oh ! mais ça ne vient pas de Nice… mais de Paris… (Il lit.) « Atelier de mécanique de la préfecture de police. » Ah ?

OLIVIER (Énervé.) Occupez-vous de ce qui vous regarde… (Il déchire l’étiquette, il y a un temps de gêne entre eux. Puis soudain Olivier « craque »…) Et puis… autant vous l’avouer… je vais tendre un piège à ma femme… Elle est loin de se douter que… j’organise un faux départ… un soi-disant voyage à Paris et…

Édouard Oh ! ce n’est pas bien, ça ! Ce n’est pas digne d’un homme comme vous, monsieur le commissaire… Et la jalousie… Ah ! là là ! La jalousie !!!

OLIVIER (Se fâchant.) Monsieur Édouard, je vous connais professionnellement et amicalement depuis douze ans. Je vous ai fait venir exprès de Paris où vous exercez — de votre mieux ! — le métier de détective privé, je vous loge à l’auberge de la Plage, je paye vos honoraires sans discuter, je vous charge de suivre ma femme quand elle sort… Je vous dispense de vos leçons de morale !!!

Édouard (Baissant le nez.) Ne vous fâchez pas… monsieur le commissaire.

OLIVIER (Criant.) Ne m’appelez pas tout le temps « monsieur le commissaire » ! (Édouard lui fait « chut ».) Je m’appelle Lenoir, Le-noir ! D’ailleurs, si vous prenez trop le parti de ma femme contre moi, c’est que vous êtes d’accord avec elle ! Voilà ! Voilà ! (Il le bouscule.)

Édouard Oh ! monsieur ! Je suis outré de vos suppositions. Ça fait vingt-huit ans que je travaille dans la police privée et que je fais des filatures, et jamais… Oh ! ça, alors ! (Il est tout tremblant.)

Olivier Calmez-vous ! Ça suffit. Asseyez-vous ! (Il le pousse dans un fauteuil.) Votre compte rendu de l’après-midi ! Vite ! Elle risque d’arriver… (Édouard sort son carnet et chaque fois qu’il va parler Olivier l’interrompt.) Je guette la route… Allons ! Des faits, à présent ! Votre rapport de l’après-midi ; je vous écoute ! Vite !… Et préparez-vous à disparaître dans le jardin à la première alerte… Et restez en observation… au bord de l’eau. Si j’ai besoin de vous… Je vous fais le signal convenu… avec le petit parasol… Et vous remontez… Alors ? Votre compte rendu de l’après-midi ? Vite ! J’attends !

Édouard Bon. (Édouard, philosophe, soupire.) Allons-y. (Il lit dans son petit carnet.) Onze heures : votre femme part d’ici. Onze heures vingt : elle achète un appareil photo. Onze heures trente : elle arrive aux Magasins Généraux où elle fait des achats. Treize heures : elle déjeune avec… (Il n’arrive pas à se relire.) avec…

OLIVIER (S’énerve.) Avec… ?

Édouard (Ajuste ses lunettes et déchiffre.) Avec frugalité ! (Olivier est vexé.) Mais elle déjeune seule… Seule, rapidement, dans un petit restaurant self-service. « R.A.S. » Rien à signaler. Ça veut dire : l’après-midi, elle va chez le pépiniériste.

OLIVIER (Jaloux.) Quel genre ?

Édouard (Goguenard.) Pas de danger. Inutilisable ! J’ai l’œil. Un vieux !

Olivier Ah ? Bon. Ensuite !

Édouard Diverses courses encore chez des commerçants… Toujours « R.A.S. » Rien à signaler !… Puis elle va ensuite chez le coiffeur…

OLIVIER (Abrégeant.) Parfait. Merci. Ça suffit… Très bien !

Édouard (Ravi.) Eh ben ! vous voyez ! (Olivier s’assoit et pousse un gros soupir.) Vous avez l’air déçu, ma parole !

Olivier Non. Je suis ravi, monsieur Édouard. Pardonnez-moi ma nervosité de tout à l’heure. Je suis ridicule !

Édouard Ah ! je sais ce que c’est, monsieur le commissaire… Je veux dire monsieur… monsieur… (Il ne se souvient plus du nom.) Le… Le…

OLIVIER (Furieux.) « Le-noir ! »

Édouard « Lenoir ! » Voilà ! C’est la couleur qu’il me manquait ! (Il sourit à Olivier et poursuit.) J’ai l’habitude ! La mauvaise humeur du jaloux est toujours incluse dans le prix des filatures. Je vous pardonne, allez ! (Il se sert un petit verre qu’il avale.)

OLIVIER (Amical.) Toujours pas marié, Édouard ?

Édouard Oh ! non ! Toujours en déplacement, alors… fiancé par-ci, fiancé par-là… Je suis un éternel fiancé. Et puis, je n’ai pas, comme vous, trouvé la perle rare. Vous l’aimez toujours autant ?

OLIVIER (Les larmes aux yeux.) Oui… Le paradis et l’enfer réunis. La jalousie, ce n’est pas à souhaiter à son pire ennemi.

Édouard Ça !

Olivier J’espère que ma femme ne s’est pas doutée qu’elle était suivie ?

Édouard (Atteint dans son honneur professionnel.) Oh ! monsieur ! Regardez-moi. Est-ce qu’on me remarque ? Non ! Je suis anonyme. Je suis tellement anonyme, impersonnel, que, lorsqu’il m’arrive de me voir dans une glace de magasin, je ne me reconnais pas ! C’est vous dire ! C’est une sorte d’invisibilité… Un don !

Olivier Précieux !

Édouard Pour le travail, c’est magnifique… mais, pour la vie privée, c’est un handicap ! Je me fiance et le lendemain : « Qui êtes-vous, monsieur ? »

Le téléphone sonne. Olivier décroche…

Olivier Allô ! Oui, c’est moi… Ah ? C’est toi ? Sacré Fernand ! Comment vas-tu ?… Moi, très bien aussi. Quel temps fait-il à Paris ? Il pleut ? Bien fait !… Et le boulot à la P.J. ? Routine !! Oh ! moi c’est le rêve, mon vieux… Ici, un mois de mai splendide, repos complet. Je fais du bateau dans le golfe d’Antibes. Oui, j’ai loué une villa charmante, calme, très isolée, au bord de l’eau… Ma jeune femme va très bien. Nous sommes très heureux… Elle est allée faire des courses et je lui ferai part de tes amitiés ! Oui… À propos, dis merci de ma part à Joseph Poulard du bureau 813 qui m’a envoyé… un paquet… Il sait quoi… Oh ! un petit truc… pour faire une… blague… Voilà… Oui… Dis-lui que je l’ai bien reçu… (Or, soudain, M. Édouard a entendu du bruit et va vite regarder… Il s’affole et n’a pas le temps de faire signe à Olivier qui téléphone ! Édouard attrape le paquet vide et disparaît dans les arbres de la terrasse. Olivier n’a rien vu et poursuit…) Oui, mon vieux, je t’ai demandé de m’appeler de la P.J., car je voulais te faire cadeau d’un dossier qui m’est adressé… L’affaire Gondry. Voilà : demande le secrétariat du procureur. Je lui ai téléphoné hier. Il est d’accord… Mais non, c’est tout naturel… Oh ! Oh ! moi, mon cher, je me laisse vivre… Plus de police ! Plus d’enquêtes ! J’ai demandé un congé d’un an. Sur la porte de mon bureau, j’ai écrit : « Fermé pour cause de bonheur ». Oui, tu as raison… J’ai changé ! Oui, ça te fait rire ! Toi et les collègues de la P.J., vous m’avez toujours connu si acharné au travail… Mais c’est comme ça… J’ai envie d’être heureux… (On voit paraître Suzanne, que son mari n’a pas entendue arriver. Jolie robe, chapeau chic, nombreux paquets en main, elle écoute avec un sourire la fin de la conversation.) Eh oui ! À mon âge… Bientôt quarante-deux ans… J’apprends à vivre, moi qui n’ai jamais vécu. « C’est une jolie petite poulette », comme tu dis… Le lion s’est fait ermite !… Salut, Fernand… Amitiés aux collègues… Mais non, la moindre des choses… Oui, je n’y manquerai pas. Au revoir. (Il raccroche. Alors, elle l’entoure de ses bras et l’embrasse.) Oh ! tu m’as fait peur !

Suzanne Alors, comme ça, je suis « une jolie petite poulette » pour tes collègues et toi, tu es « un lion qui s’est fait ermite » ? Charmant !

Olivier C’est très vilain d’écouter. C’est un abus de confiance, madame ma femme !

Suzanne Quel tarif au Code civil, monsieur le commissaire de police ?

Olivier De quatorze à vingt-cinq jours de prison.

Suzanne Je suis en prison ici !

Olivier Avec votre mari ?

SUZANNE (Comiquement.) Ah ! non ! Ce n’est pas la prison !… C’est le bagne !

OLIVIER (Riant.) Pas de rémission de peine : un baiser ! Exécution !

SUZANNE (L’embrassant très tendrement.) Voilà… (Elle dépose ses paquets.) Qu’est-ce qu’il te voulait, le monsieur au bout du fil ? (Un silence.) Hein ?

OLIVIER (Se raidissant, puis prenant son élan pour mentir.) Suzanne… Euh… Eh bien ! voilà : je suis obligé de partir ce soir pour Paris.

Suzanne Ce soir ? Pour Paris ?

Olivier Oui. On me… demande pour une… consultation importante à propos d’un dossier…

Suzanne Oh ! zut alors !

Olivier Voilà ce que c’est que d’avoir épousé un policier célèbre !

Suzanne Tu pars ce soir ?

Olivier Oui. Il le faut. C’est urgent. Je t’en avais déjà dit un mot ce matin… Hélas ! je ne peux pas reculer !

Suzanne Olivier, vas-y demain !

OLIVIER (Se dérobant.) Impossible… Eh ! l’avocat n’a plus qu’un jour pour déposer certains papiers. Il faut que je regarde attentivement le dossier du citoyen, cette nuit même, à la P.J., mais je rentrerai demain.

SUZANNE Tout ce que je vois, c’est que tu m’abandonnes et avec une légèreté ! Toi qui es...

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