Scène 1

30 juillet 2008, une horloge numérique affiche 5h53.

Lumière tamisée. Sur scène, un lit à une seule place. Aux mouvements de la couette, on devine qu’il y a quelqu’un qui dort. Nuit fait son entrée.

NUIT (baillant et à elle-même). Je vais me coucher, j'ai suffisamment bossé pour aujourd'hui... euh, pour cette nuit !

La couette « s’agite ».

NUIT. Allez, debout fainéant, il faut te lever.

JOUR (grommelant et s'entortillant dans la couette). Fiche-moi la paix !

NUIT. N’y compte pas, c'est chacun son tour, tu le sais bien ! C'est la loi de la nature !

JOUR (toujours sous la couette). Et depuis quand s'il vous plaît ?

NUIT. Depuis la nuit des temps !

JOUR. Bla, bla, bla, ça ne m'étonne pas ! Tu t'arranges les choses à ta façon !

NUIT. Peu importe, dépêche-toi ! C'est à ton tour d'y aller te dis-je.

JOUR. Et si, pour une fois, je n'y allais pas ! Hein ! Que dirais-tu ?

NUIT. Mais que c'est pure folie ! Le début de la fin ! La genèse du chaos !

JOUR. Comme tu y vas... le CHAOS !

Jour s'enfonce un peu plus dans la couette et cherche à gagner du temps.

JOUR. Peux-tu m'expliquer cela, le « chaos » ?

NUIT. Les êtres humains, les opossums, les bégonias, les cristaux de quartz... non, pas les cristaux de quartz ! Tout ce qui est irrigué de sève, où il y a circulation de sang, qui vit en somme, nécessite cette alternance nocturne diurne, c'est une question de biorythmes !

JOUR. Permets-moi de te corriger : il est nécessaire, pour éviter toute ambiguïté, éluder tout malentendu préjudiciable à notre belle et indéfectible amitié, sans cependant tenir de longs propos alambiqués, de s'exprimer avec clarté ! La précision ma chère, l'extrême exactitude de l'ordre des mots est d'une importance capitale. Non point « nocturne diurne » mais à l'évidence « diurne nocturne » ! Sans Soleil, c'est un aller sans retour pour le néant car, adieu photosynthèse, vitamine D, peaux halées et... pâquerettes dans les prés.

NUIT. Soit, comme tu voudras. Cessons ces querelles puériles. Où en étais-je ? Ah oui, si tu n'apparais pas, imagine justement la détresse des vacanciers tartinés d'huile bronzante sous les rayons ardents de... la Lune ! Et que dire de ces pauvres noctambules désorientés, sortant de boîtes (malicieusement) de « nuit » et guettant le signal des premières lueurs de l'aube pour rentrer chez eux !

JOUR (encore plus recroquevillé sous la couette, ironique). Quels bouleversements ! Je ne saurais voir cela !

NUIT. Et Vénus, y as-tu seulement pensé un instant, déesse de la beauté, étoile du matin, bloquée, empêchée de paraître. Ô monde hideux ! Je ne plaisante pas, assez joué, il est grand temps de se mettre sur pied !

JOUR (gémissant). J'ai mal au ventre ! Suis malade !

NUIT (ton maternel). Ce n'est rien, ça va passer, je suis là.

Nuit s'est rapprochée du lit et en un mouvement, renverse le matelas, son occupant et prend sa place sous la couette.

JOUR (étendu à même le sol). Ça va pas non ! En voilà des façons de procéder ! On vous met en confiance, on vous cajole et crac, le coup de poignard en plein dos ! (Cherchant autour de lui.) Mais où est-elle passée ? Non d'une flibusterie, elle est au pieu la pieuvre ! (S'adressant à Nuit.) Au moins, j'ose espérer que Madame va faire de beaux rêves ?

NUIT (grosse voix). Tais-toi, il y a quelqu’un qui dort ici !

JOUR. Pas question ! On ne peut pas passer de l'obscurité la plus sinistre à la lumière la plus éclatante de but en blanc. Une transition s'avère indispensable.

NUIT. Et pourquoi cela je vous prie ?

JOUR. Parce que !

NUIT. Parce que quoi ?

JOUR. Parce que ! Tout simplement !

NUIT. Ce n'est pas une raison !

JOUR. Eh bien parce que si ce n'est pas le cas, c'est un coup à faire verdir d'effroi tous les fantômes de la Terre !

NUIT (redressant son buste, dédaigneuse). Décidément, ce n'est pas gagné. Non content de m'empêcher de trouver le sommeil tu parles à tort et à travers. Ce n'est pas en tenant des propos farfelus, pour le moins fantaisistes et totalement dénués de sens que tu vas te rendre intéressant !

JOUR (dépité). Ah bon ?

NUIT. Les fantômes tu disais...

JOUR. Parfaitement, les fantômes, ils…

NUIT (coupant la parole). En as-tu déjà vu ?

JOUR (réfléchissant). Ma foi non ! (Avec assurance). Mais chacun sait à quoi ils ressemblent !

NUIT. Je t'écoute.

JOUR. Ils ne vivent que la nuit. Ils sont drapés de blanc et traînent, mais c'est en option, un boulet attaché à la cheville droite. Ils laissent échapper de temps à autre des cris, parfois brefs « Ouuh ! Ouuh ! », lorsqu'ils communiquent entre eux, parfois plus longs et lugubres « Ouuuuuuuuuh ! Ouuuuuuuuh ! » quand il est question d'effrayer un humain.

NUIT (amusée et moqueuse). Peux-tu me refaire les cris ?

JOUR (avec application). « Ouuh ! Ouuh ! »

NUIT. Et pourquoi pas « Hiiii ! Hiiii ! » tant que tu y es ! Ou encore Ha ha ha ha ha !

Nuit attrape un fou rire.

JOUR. Vas-y...

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