Le Ministre et la Danseuse
ACTE : I
Charles affublé d'une grosse moustache, entre comme une furie, suivi de Fulbert
Charles. – Tout de même, Fulbert, vous auriez pu faire attention !
Fulbert. – Mais, Monsieur le Ministre, j'avais pris toutes mes précautions.
Charles. – La preuve ! Elle va être furieuse !
Fulbert. – Tout était réglé au millimètre, je ne comprends pas.
Charles. – Ce que je comprends, moi, c'est que vous nous avez mis dans de beaux draps !
Fulbert. – C'est peut-être Mademoiselle qui aura eu un moment d'inattention…
Charles. – Allez-y Fulbert, mettez-lui ça sur le dos !
Fulbert. – Ce n'est pas ce que je voulais dire.
Charles. – Elle doit être dans un état !
Fulbert. – Je suis vraiment désolé, Monsieur le Ministre.
Charles. – Pas autant que moi.
Fulbert. – Que pense faire Monsieur le Ministre ?
Charles. – Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Elle est partie avec ma valise, elle est partie avec ma valise !
Fulbert. – Il y a dû avoir une inversion à un moment ou à un autre… Peut-être que Mademoiselle aura voulu prendre quelque chose dans la sienne et que….
Charles. – Bon, c'est fait, c'est fait, n'en parlons plus. Enfin, tout de même, quand elle va se retrouver dans sa chambre d'hôtel avec mon peignoir, mon rasoir électrique et mon after-shave à la place de ses crèmes, de son maquillage et de son N°5, ça ne va pas la faire rire.
Fulbert. (Souriant malgré lui) – Ça, non !
Charles. – On voit bien que vous ne risquez pas d'être à côté d'elle quand elle ouvrira sa valise.
Fulbert. – Pardon, Monsieur le Ministre.
Charles. – Bon, à part ça, j'espère que tout est en ordre ?
Fulbert. – Oui, oui, Monsieur le Ministre, tout
Charles. – Vous êtes sûr que personne ne se doute ?
Fulbert. – Tout à fait Monsieur le Ministre : Les journalistes qui vous avaient suivis jusqu'à l'aéroport n'y ont vu que du feu. Si je puis m'exprimer ainsi… Que Monsieur le Ministre se rassure, pour tout le monde, Monsieur le Ministre est parti en vacances avec Mademoiselle Marie-Charlotte, destination inconnue, durée indéterminée.
Charles. – Vous êtes certain qu'ils ne m'ont pas vu ressortir de l'aéroport et prendre un taxi ?
Fulbert. – Absolument! Ils étaient bien trop occupés à me questionner sur les relations entre Monsieur le Ministre et Mademoiselle Marie-Charlotte.
Charles. – À ce point-là?
Fulbert. – Il faut dire qu'ils commencent à avoir du mal à se contenter de votre version de "l'amie d'enfance".
Charles. – Ils exagèrent, c'est ma vie privée!
Fulbert. – Dame! Monsieur le Ministre sait bien qu'une certaine presse s'intéresse beaucoup au fait que Monsieur le père de Mademoiselle Marie-Charlotte soit le Président du... Hum, hum...
Charles. – Quoi, "Hum, hum"...
Fulbert. – Je dis "hum, hum", parce que Monsieur le Ministre m'a défendu de nommer devant lui le parti du père de Mademoiselle. Je n'aurai pas le front de désobéir à Monsieur le Ministre.
Charles. – Et ici, pas de problème ?
Fulbert. – Aucun, Monsieur le Ministre, tout est arrangé. D'ailleurs, à ce propos, ce que je me demande…
Charles. – La gardienne de l'immeuble ?
Fulbert. – Pas de souci ! Pour elle, Monsieur le Ministre est un homme d'affaires à Paris pour un mois, au moins. Justement, je n'ai toujours pas compris…
Charles. – Vous lui avez bien dit que...
Fulbert. – Que Monsieur le Ministre ne voulait voir personne, que j'étais la seule personne autorisée à rendre visite à Monsieur le Ministre, et que je devais toujours m'annoncer au téléphone à Monsieur le Ministre avant de monter.
Charles. – Et tout ça sans lui dire que j'étais ministre ?
Fulbert. – Bien sûr, Monsieur le Ministre ! Ce que j'aurais aimé savoir…
Charles. – Dites-moi, la chambre de bonne, en face, c'est réglé ?
Fulbert. – Oui, oui, c'est fait : Monsieur le Ministre n'aura pas de vis-à-vis.
Charles. – Il n'y a pas eu de problème ?
Fulbert. – Non, bien sûr…Je l'aurais su. Monsieur le Ministre pourra rester à visage découvert, si je puis m'exprimer ainsi… Tout cela ne m'explique pas…
Charles. – Ah ! Les voisins ?
Fulbert. – En vacances. Enfin, ceux d'à côté, ceux du dessous finissent de déménager demain.
Charles. – Parfait, parfait. Pas de nouveaux locataires ?
Fulbert. – Non, non, le propriétaire veut faire des travaux, mais ce ne sera pas avant le mois prochain.
Charles. – Vous êtes sûr ?
Fulbert. – C'est le mois d'août, Monsieur le Ministre, tout le monde est en vacances.
Charles. – Ah, bon ?
Fulbert. – Oui, Monsieur le Ministre, les congés payés...
Charles. – Ça marche encore ça ?
Fulbert. – Heureusement, Monsieur le Ministre. D'ailleurs puisqu'on en parle…
Charles. – Je sais, Fulbert, je sais, mais plus tard, plus tard. Vous partirez cet hiver, c'est promis... Si tout va bien.
Fulbert. – Mais...
Charles. – Pour l'instant, je ne peux pas me passer de vous. Votre aide m'est trop précieuse.
Fulbert. – Oh ! C'est vrai, Monsieur le Ministre ?
Charles. – Je le dis comme je le pense.
Fulbert. – Merci Monsieur le Ministre... Cela me fait penser … Monsieur le Ministre n'a pas fait son training aujourd'hui.
Charles. – C'est vrai, avec tout ça, j'avais complètement oublié. Vous avez raison, je vais me faire un petit coup de "C'est une excellente question", ça va me détendre.
Allons-y, vous êtes prêt ?
Fulbert. – Oui, Monsieur le Ministre. Une question sur quoi ?
Charles. – N'importe quoi, trouvez quelque chose dans l'actualité.
Fulbert. – Bien… Je chronomètre ?
Charles. – Si vous voulez, mais je ne me sens pas en record, aujourd'hui. Faites surtout attention à ce que je dis.
Fulbert. – ???
Charles. – Oui, enfin, faites bien attention à ce que je ne dise rien.
Fulbert. – Cela va sans dire… Bien, alors, voyons…
(Ad Libitum et par exemple : Monsieur le Ministre, je ne vous apprendrais pas que le réchauffement de la planète, considéré par la communauté scientifique mondiale comme un postulat, voire comme un axiome, tende, sous la pression de quelques savants dissidents, à ne plus être qu'une simple hypothèse. … Pensez-vous, Monsieur le Ministre, que cela puisse remettre en cause certaines décisions de protection de l'environnement prises par les gouvernements de plusieurs pays, dont la France ?)
– Attention ! Top Chrono !
Charles. – Écoutez ... C'est une très bonne question... J'irais jusqu'à dire que c'est une excellente question, et je vous remercie de me l'avoir posée. Je vais donc m'empresser d'y répondre, sans détour et avec la précision que vous me connaissez.
J'y répondrai avec d'autant plus de plaisir que, vous le savez sans aucun doute, il s'agit là d'un problème qui me tient tout particulièrement à cœur.
Je vous livrerai donc, sans ambages, le fond de ma pensée et je peux d’ores et déjà vous dire que vous reconnaîtrez dans ma réponse cette volonté farouche que j'ai de ne jamais travestir la vérité, ce qui, j'aime à le croire, ne vous aura pas échappé. Je n'irai donc pas par quatre chemins, et mon propos sera clair.
Auparavant, pourtant, je voudrai revenir sur un point essentiel. D'aucun dirait que c'est un point de détail, mais, pour moi, il est fondamental.
Si je souhaite y revenir, c'est que, vous ne l'ignorez pas, trop souvent, pour n'être pas suffisamment éclaircies, nombres de questions restent obscures !
Il est bien évident que je ne saurai, en aucun cas, me laisser taxer...
Fulbert. – Stop !
Charles. – Qu'est-ce qu'il y a ?
Fulbert. – Si je puis me permettre, Monsieur le Ministre, "taxer", c'est maladroit.
Charles. – Vous avez raison… Alors, combien ?
Fulbert. – Une minute quinze, c'est un peu juste, non ?
Charles. – Oui, c'est bête ! Pourtant, ça partait bien, je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête…
Fulbert. – Une idée, peut-être ?
Charles. – Peut-être ? C'est idiot, non ?
Fulbert. – Oh ! Ce sont des choses qui arrivent ! Monsieur le Ministre veut faire un autre essai ?
Charles. – Non, non, je suis vidé.
Fulbert. – Que Monsieur le Ministre ne se laisse pas abattre par une contreperformance bien excusable. La journée de Monsieur le Ministre n'a pas été facile, il faut bien le dire.
Charles. – C'est vrai, cela me rassure un peu.
Fulbert. – Une bonne nuit de repos et je suis sûr que demain, nous allons pulvériser notre record !
Charles. – Merci Fulbert, vous êtes gentil. Vous avez raison, le mieux, c'est que j'aille me coucher.
Fulbert. – Sans doute, Monsieur le Ministre, sans doute… Monsieur le Ministre n'aura plus besoin de moi ?
Charles. – Merci, Fulbert, ça ira.
Fulbert. – Euh… J'ai prévu un petit en-cas dans le frigo, si Monsieur le Ministre avait une petite faim. Il y a aussi une bouteille de Champagne, au cas où Monsieur le Ministre n'arriverait pas à dormir.
Charles. – C'est gentil à vous, mais cela m'étonnerait, je suis K.O.
Fulbert. – On ne sait jamais, quand on ne dort pas chez soi…
Charles. – Oui, mais là, je crois que je dormirais n'importe où, même dans le métro.
Fulbert. – Monsieur le Ministre ?
Charles. – Oui, Fulbert.
Fulbert. – J'aurais quand même bien aimé, que Monsieur le Ministre m'expliquât. Je ne comprends pas pourquoi Monsieur le Ministre a voulu louer cet appartement, et, dans ce quartier.
Charles. – Pour me cacher.
Fulbert. – Ça, je sais, mais pourquoi ? Les confrères de Monsieur le Ministre, eux, au contraire, font tout ce qu'ils peuvent pour que l'on sache ce qu'ils font, et même, ce qu'ils vont peut-être faire. Il y en a même qui font croire qu'ils ont l'idée de faire quelque chose, sans jamais dire quoi...
Charles. – Mes confrères font ce qu'ils veulent, moi, je n'ai pas vraiment l'esprit de famille. Vous m'étonnez Fulbert : Je pensais que vous aviez compris.
Fulbert. – Moi, Monsieur le Ministre ?
Charles. – Oui, si vous aviez un peu réfléchi à ce que nous avons fait ces derniers temps...
Fulbert. – C'est à dire qu'habituellement, avec Monsieur le Ministre, je n'ai pas besoin, Monsieur le Ministre me dit tout, alors...
Charles. – Allons, allons, Fulbert, vous savez bien que je n'aime pas quand vous prenez ce ton contestataire.
Fulbert. – Je voulais seulement dire que...
Charles. – Revenons plutôt au sujet qui nous préoccupe ! Donc, depuis deux mois, déjà, nous travaillons sur le livre que je dois faire paraître à la rentrée, et dans lequel je révèle aux Françaises et aux Français, les idées et les idéaux qui m'habitent et qui dirigent l'action que j'entends mener pour l'avenir de notre pays. Un livre qui, au-delà des manœuvres électorales, saura, j'en suis persuadé, rassembler les Françaises et les Français dans un même élan pour balayer...
Fulbert. – Hum, hum... Si je puis me permettre, Monsieur le Ministre n'est vraiment pas en forme ce soir… "Rassembler les Français pour balayer"…
Charles. – Oui, bon. Donc, nous travaillons sur ce livre et aussi sur... Sur ? Sur ?...
Fulbert. – Sur le programme politique de Monsieur le Ministre !
Charles. – Fulbert, faites attention! Je vous ai dit cent fois que ce n'est pas le programme du ministre que je suis, pour l'instant, mais le programme du chef de parti que je vais devenir, quand je ne serai plus ministre.
Fulbert. – J'ai bien compris, Monsieur le Ministre, c'est le programme de Monsieur le Ministre pour quand Monsieur le Ministre ne sera plus ministre et que Monsieur le Ministre aura fondé un nouveau parti...
Charles. – Ça doit être çà !
Fulbert. – ...dirigé par Monsieur le Ministre. Mais cela ne me dit pas pourquoi Monsieur le Ministre tient absolument à se cacher.
Charles. – Je ne veux pas que cela se sache. Pas tout de suite. Je ne veux pas voir défiler de prétendus alliés qui n'auraient qu'une idée en tête : me piquer les miennes.
Fulbert. – Si je puis me permettre, Monsieur le Ministre exagère peut-être un peu. Pourquoi voudrait-on s'approprier les idées de Monsieur le Ministre ? Même si elles sont bonnes, il me semble que...
Charles. – Parce que c'est devenu une denrée rare ! Plus personne n'a d'idée, tout le monde est à la chasse aux idées. Une formule nouvelle suffit à faire une campagne, quelque fois même un simple adjectif dont personne ne comprend vraiment le sens.
Fulbert. – Un adjectif ? Je ne vois pas ce que Monsieur le Ministre veut dire.
Charles. – Cela ne fait rien, Fulbert. Je voulais dire que je ne veux pas courir le risque de subir des pressions et de devoir faire des concessions avant même d'avoir exposé mon programme dans sa globalité.
Fulbert. – Certes, mais Monsieur le Ministre aurait pu tout simplement partir à l'étranger, non ? Tenez, ce matin, moi, à la place de Monsieur le Ministre, je serais parti avec Mademoiselle Marie-Charlotte, mon ordinateur portable sous le bras, elle dans l'autre, et hop! ... Euh ... Enfin, je voulais dire que Monsieur le Ministre aurait pu travailler tranquillement sur la plage, au côté de Mademoiselle...
Charles. – Justement non. "Tranquillement au côté de Marie-Charlotte", c'est impossible ! Et puis, je ne sais pas me servir de votre engin.
Fulbert. – Mademoiselle, si !
Charles. – Ah ? De toute façon, je me verrais mal en train de lui dicter certain chapitre où je fais allusion, plus que clairement, à son père.
Fulbert. – Monsieur le Ministre a sans doute raison.
Charles. – Mais bien sûr, Fulbert. Croyez-moi, c'est encore ici, en plein Paris, au milieu de la foule des touristes, que je suis le mieux caché.
Fulbert. – Peut-être, Monsieur le Ministre, peut-être... Mais pourquoi Pigalle ? C'est risqué.
Charles. – C'est justement sur ce point que mon idée est géniale ! Qui penserait que l'on puisse me trouver, moi, ici ? Que viendrait faire un journaliste ou un de mes confrères dans ce quartier?
Fulbert. – Ça !
Charles. – Je parle de ceux qui me chercheraient ! En admettant même, que quelqu'un m'aperçoive: Qui croirait que c'est moi ? D'ailleurs, je ne bougerai pas d'ici, et...