Le Moral des ménages

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Frédéric Sabrou, scénariste et auteur pour le théâtre, a aussi écrit de nombreux sketches pour la télévision ou le café-théâtre. Deux best of de ses Sketches en kit ont déjà été publiés. Il nous livre aujourd’hui “Le Moral des ménages”, un recueil entièrement conçu sur la thématique du couple. On y retrouve son style exigeant, décalé ou absurde, et sa façon très caustique de décrire les petits et gros travers de notre société. Pour en rire, bien sûr, mais pas seulement.

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Le Moral des ménages

Dating coach

Paul, Camille, le coach, la coach

Dans un café, Camille est assise devant un thé. Paul arrive avec une bière. Ils se retrouvent pour un rendez-vous qu’ils ont organisé sur un site de rencontres.

Paul. — Camille ?

Camille. — Oui. Paul ?

Paul, souriant. C’est ça. Bonjour.

Il s’assied. Tous deux se regardent un instant, un peu gênés. Un élégant technocrate arrive derrière Paul.

Le coach. — Bonjour.

Paul. — Je suis venu avec mon dating coach, ça ne te gêne pas ?

Camille. — Non…

Camille propose au coach de s’asseoir.

Le coach, refusant poliment J’ai déjà briefé Paul. Je ne dois surtout pas interférer. C’est un moment intime, qui peut-être comptera pour vous. Vous vous souviendrez des premiers regards troublés, des premiers émois. Faites comme si je n’étais pas là.

Paul, à Camille. — Ça va ? Tu as… trouvé facilement ?

Camille. — Oui. C’est moi qui t’ai donné l’adresse.

Paul. — Ah. Oui. C’est drôle.

Camille. — C’est drôle.

Paul regarde son coach, qui lui fait signe d’enchaîner.

Paul, regardant autour de lui. C’est sympa ici… (S’empêtrant un peu.) J’aime bien ce genre d’endroit pas trop… pas trop… Mais quand même… Non, c’est sympa.

Camille. — Hm…

Le coach fait des petits bruits avec la bouche ; c’est mal engagé.

Paul. — Tu… Tu es comme les photos sur le site.

Camille. — Moche ?

Le coach, discrètement, à Paul. — Houlà ! Pardon. Attention, humour. « Non, tu es très jolie », tu oublies ! Réponds dans l’humour !

Paul. — Oui. J’ai rarement vu aussi moche.

Camille, en riant. — Merci.

Le coach. — Bien.

Camille a enroulé ses cheveux avec son doigt.

Le coach. — Comportement de séduction non verbal. (S’expliquant.) Les cheveux… Elle a touché ses cheveux.

Camille lâche ses cheveux.

Paul. — Euh… on a de la chance avec le temps, aujourd’hui.

Le coach, la tête dans les mains. — Poh wow wow wow !

Camille. — Oui.

Le coach, à Paul. — Récupère, vite !

Paul. — J’ai l’impression de parler avec ma poissonnière sur le marché. (Le coach se plaque la main sur les yeux.) Je veux dire, quand on ne sait pas quoi dire, on… on… Ce n’est pas que je ne sais pas quoi dire…

Camille. — Mais tu ne sais pas quoi dire.

Le coach, à Paul. — Ne panique pas, respire… Attitude numéro 3.

Paul prend une attitude amusée parfaitement artificielle.

Paul. Hm, hm !

Camille. — Moi c’est pareil. Dans ce genre de situation, je suis un peu…

Elle enroule ses cheveux, mais les relâche immédiatement.

Paul. — Ah… euh… et… ah bon… Ça t’arrive souvent ? Je veux dire, ce genre de… de… comme ça… situation ?

Cette fois, c’est Camille qui est déstabilisée. La coach de Camille surgit très opportunément. Camille l’attendait.

La coach, à Camille. — Tu n’as pas à répondre à cette question.

Camille, soulagée. — C’est ma coach.

La coach. — Excusez-moi, je suis un peu en retard.

Paul. — Euh… bonjour. (Se présentant.) Paul…

La coach, pincée. — Je sais.

Paul, montrant son coach. — Mon… Mon coach.

La coach, regardant l’autre froidement. — Ah…

Le coach, froidement aussi. — Très heureux.

La coach, l’ignorant. — Je n’ai rien loupé ?

Camille. — Non, il me disait qu’il ne savait pas quoi dire.

Paul, attitude numéro 3. — Hm-hm.

La coach, à Camille. — Tu n’as pas trop parlé ?

Camille. — Non, comme on avait dit au training. Pour le déstabiliser.

La coach, petit sourire en direction du coach. — Ça permet de voir s’ils ne vont pas sortir des banalités.

Le coach, à Paul. — Neutre. Masque.

Camille, à sa coach. — Je fais quoi ?

La coach, à Camille. — Tu prends l’initiative, tu es une femme de caractère.

Camille. — Ah oui.

Le coach, à Paul. — Ne t’inquiète pas, ça va aller. Keep focus.

La coach, à Camille. — Charme, évanescence, inaccessibilité.

Le coach, à Paul. — Tu es un mâle alpha, avec juste ce qu’il faut de recul narquois sur le monde qui t’entoure.

La coach, à Camille Tu n’es pas en demande, tu es un trophée qu’il doit gagner.

Le coach, à Paul. — Garde le smile quoi qu’il arrive. Laisse s’exprimer le Brad Pitt qui est en toi.

La coach, à Camille. — Et n’oublie pas : du mystère ! Beaucoup de mystère. Ne montre jamais tes cartes.

Le coach, à Paul. — Tranquille, rassurant. Ne cherche pas à prouver. Sois.

Camille et Paul reprennent leur conversation, sans aucun naturel.

Camille, un peu suffisante Alors oui, Paul, mon cher Paul, donc voilà, comme ça, je me demandais, oui, tout à fait, et la question que je me posais c’est… qu’est-ce que tu as vu au cinéma dernièrement ?

Le coach. — Fssss ! Question culture, c’est un piège ! Fais très attention à ce que tu réponds. Oublie les super-héros, les films d’action…

Paul, déçu. — Ah bon ?

Le coach. — Le gore, les comédies régressives…

Paul. — Ah bon… Dernièrement… Alors dernièrement, quoi… J’ai vu le Peter Woodcake.

Camille et Paul se lâchent en oubliant leurs coachs.

Camille, enthousiaste. — Road trip to Crazyland, génial !

Paul, en même temps. — C’était dément ! Les images, tout ça !

Camille, en même temps. — Mais trop ! Quand ils sont dans cette espèce de forêt complètement dingue…

Paul, en même temps. — Comment j’ai trop kiffé ! Et la fin, putain !

Camille, en même temps. — J’adore !

La coach, réfrénant Camille. — Doucement, doucement.

Le coach, calmant Paul. — Woh woh !

Camille, à nouveau détachée. — J’ai beaucoup aimé.

Le coach, calmant Paul Fais preuve de sens critique.

Paul, snob. — Oui, il y a ce côté visionnaire, je veux dire complètement halluciné…

Camille, suffisante. — Oui, oui, AlloCiné, tout à fait.

Paul. — … qui n’est pas sans évoquer la noircitude de la cinégraphie hongroise des années 82, somewhere quelque part.

Camille, suffisante. — Absolument, tout à fait.

Paul. — Et il y a un message, en même temps, sur l’universel de l’exégèse intemporelle quantifiable de… euh… l’humain.

La coach, à Camille. — Il gagne du terrain, le laisse pas faire ! Impose-toi !

Camille se lève sans trop savoir pourquoi.

Paul. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Camille, improvisant. — Je voulais voir quelque chose.

Paul. — Ah… Et tu l’as vu ?

Camille. — Je ne peux pas te le dire, je suis mystérieuse.

Le coach, à Paul Ne la laisse pas dominer.

Paul se met debout sur la chaise.

Paul. — Alors, tu travailles dans une boutique de chaussures ?

La coach, à Camille. — Ne rentre pas dans son jeu !

Camille. — Bien essayé. Mais contrairement à ce que tu penses, je travaille dans une boutique de chaussures.

Paul. — C’est possible mais, moi, j’ai fait du canoë sur la Drôme.

La coach, à Camille. — Déplace-toi, mets-toi en valeur.

Camille se déplace comme dans un défilé de mode, de façon peu convaincante.

Le coach, à Paul. — Montre que tu sais chanter !

Paul, ténor du dimanche. — « J’ai fait du canoë sur la Drôme, j’ai fait du canoë sur la Drôme ! »

Camille. — Moi, une fois, j’ai discuté avec un astrophysicien qui avait une jambe dans le plâtre.

La coach, à Camille. — Danse !

Camille essaie de danser, mais elle est un peu empruntée.

Paul. — Et moi, j’ai vu une vieille dame se faire renverser par une trottinette. Elle est morte sur le coup.

La coach, soufflant à Camille, sur un ton méprisant. — Ha ! ha ! ha ! ha !

Camille, répétant. — Ha ! ha ! ha ! ha !

La coach, à Camille. — Laisse-moi rire.

Camille, répétant Laisse-moi rire.

Paul. — Mais pourquoi ? C’est pas drôle…

La coach, à Camille. — Tu ne peux pas comprendre.

Camille, répétant. — Tu ne peux pas comprendre.

Paul, se plaint à son coach. — Mais euh ! Elle lui souffle tout, là !

Le coach fait un signe en « T » : temps mort. Les coachs se consultent.

Le coach, à la coach. — Je suis désolé, mais on ne peut pas faire ça !

La coach. — Oui, je sais, mais elle n’est pas proactive.

Le coach. — Le mien n’est pas non plus force de proposition.

La coach. — Effectivement.

Le coach. — Mais on est là pour stimuler leurs propres ressources.

La coach. — Oui, je connais mon métier.

Le coach. — Bien sûr, bien sûr. Mais respectons la déontologie, justement.

La coach. — Oui, oui. D’accord…

Le coach rejoint son champion pour le briefer tout en lui massant les épaules.

La coach repoudre le nez de Camille.

Le coach, à Paul. — Bon, ça ne se passe pas mal.

La coach, à Camille. — C’est bien, il faut continuer le process. Dans cinq minutes, il te mange dans la main.

Camille. — C’est le mystère, j’arrive pas bien.

Le coach, à Paul. — Tu vas pouvoir passer à la phase 2 et là tu nous mets une belle couche de sincérité. Confidences, émotion, tu vois.

Paul, trouvant ça difficile. — C’est… pfiou !

Le coach, à Paul. — Ça marche, tu vas voir. Tu peux le faire, il y a de la profondeur en toi.

Paul, se motivant. — Oui, oui.

La coach, à Camille. — Attaque, lâche rien ! Provocation, dédain, ça les rend fous ! La fierté du mâle en rut. Fatigue-le et, quand il ne s’y attend pas, bam ! Comment tu vas lui péter sa race ! Allez, en piste !

Le coach, à Paul. — Go !

Camille et Paul se tiennent face à face. Les coachs les regardent avec attention.

Camille, méprisante. — Tu fais partie de ces mecs qui ont des yeux ?

Paul. — Oui.

Camille. — Pourquoi pas, j’ai envie de dire.

Paul. — Tu sais, je n’ai pas eu une vie facile. J’ai été harcelé scolairement à l’école. On m’enlevait tout le temps ma cagoule.

Camille, lasse. — Ah ! formidable.

Paul. — Il y avait un garçon qui me traitait d’enculé de ma mère, mais je ne comprenais pas, moi, parce que ma mère ne pouvait pas me… enfin… avec sa morphologie. (Camille fait semblant de bâiller.) Et une fois, à cause de la poudre à gratter, j’ai fait une allergie…

Camille, regardant sa montre. — Ce n’est pas que ta conversation soit chiante, mais en fait si, elle est chiante.

La coach, triomphante. — Bam !

Camille et sa coach se font un check. Le coach fonce à la rescousse de son poulain.

Le coach, à Paul. — Arrête le mode loser ! T’es fou !

Paul. — Ah oui, merde, je suis un mâle alpha.

Le coach, à Paul. — C’est tout ce que tu as en magasin ?

Paul. — Je sais, mais j’ai pas trouvé de…

Le coach. — Reste pas dans l’anecdote ! L’émotion, c’est une façon de créer un lien invisible pour mieux l’attirer vers toi. Vous avez une chose en commun, c’est le célibat. Tu peux jouer là-dessus.

Paul. — Mais, concrètement, je fais comment ?

Le coach. — Concrètement ? Bon, regarde, je te montre. (Le coach se met en face de Camille, très séducteur.) Camille… Je ne sais pas pourquoi, mais… je suis très troublé… par ta présence. (À Paul.) Tu vois, comme ça. Proche d’elle…

La coach. — Je suis désolée, mais ce n’est pas très déontologique.

Le coach, à Camille. — Tu sais, je ne vais pas souvent vers les autres, je suis un peu comme un animal blessé qui se terre dans sa tanière par peur de souffrir…

Paul. — Ah ouais, d’accord.

Le coach, à Camille. — On m’a fait tellement de mal…

Camille, touchée, dans un murmure. — Ah bon ?

Le coach, à Camille. — J’ai du mal à en parler, mais… j’ai fini par m’enfermer sur moi-même.

Camille, pensive. — Oui…

Le coach, à Camille. — Tu connais ça… Je l’ai senti quand je t’ai vue. Nous sommes pareils, toi et moi : des gens sensibles, qui ne trouvent pas leur place dans cette société de l’apparence où il faut toujours performer, lutter… Mais lutter pour quoi, pour qui ?

Paul, à la coach. — Pff ! Il est bon.

Le coach, à Camille. — Je ne peux plus continuer à être spectateur d’une vie qui se joue sans moi, où je me sens inutile. Ça n’a pas de sens. Je veux partager quelque chose, quelque chose de beau, de fort, avec quelqu’un… (Il surjoue un peu les larmes.) Je suis tellement seul… Tellement seul…

Camille, émue. — Non, il ne faut pas dire ça. Il y a toujours de l’espoir…

Paul. — Ah oui, ça marche.

Effectivement, même la coach essuie une larme.

Le coach. — Tu crois ? Alors peut-être que… qu’on pourrait vivre cet espoir… ensemble ?

Camille, hypnotisée. — Oui.

Le coach, caressant le visage de Camille. — Tu es tellement sincère, Camille, tellement naturelle, sans hypocrisie, sans calcul, tu es comme l’eau cristalline dansant au-dessus de coraux précieux qui scintillent de mille promesses.

Camille, en rougissant. — Oh !

Paul. — Prt ! La poésie. Top.

Le coach. — C’est trop rapide de dire que… je t’aime ?

Camille. — Non… Moi aussi, je t’aime aussi.

Paul. — Ouah ! Il est très fort.

Le coach s’en va en enlaçant tendrement Camille et en l’embrassant dans le cou. Paul reste avec la coach.

La coach, édifiée. — Ah oui, très fort.

Paul. — Ils font quoi ? Ils vont revenir ?

La coach, secouant la tête. — Tu t’en remettras.

Paul, comprenant. — Mais non ! Je l’aimais bien, moi !

La coach. — Allez, faut pas rester sur un échec.

La coach lui met la main sur la fesse et l’entraîne avec elle. Paul se laisse faire, complètement déprimé.

Noir

C’est beau, une famille

Hubert, Geneviève

Hubert. — Chérie ? Je pensais à une chose…

Geneviève. — Oui, chéri ?

Hubert. — On pourrait aller dans notre maison de campagne, ce week-end.

Geneviève. — Ah oui, dans notre maison de campagne… C’est une bonne idée. Et puis, on pourrait faire venir les enfants.

Hubert, hochant la tête. — Oui, oui, oui, oui…

Geneviève. — Ce serait sympa, non, un week-end en famille ? Ça ferait de l’animation, ça changerait.

Hubert. — Oui. (Il réfléchit.) Mais… Comment dire ? Nous avons des enfants ?

Geneviève. — Bien sûr, chéri, que nous avons des enfants. Tu ne te souviens pas que nous avons des enfants ?

Hubert. — Si, si. Évidemment ! (Un temps.) Combien ?

Geneviève, cherchant. — Mais… Mais… Plusieurs… Des grands. Très… Très réussis physiquement. Très enviables pour le voisinage. Avec de belles réussites.

Hubert. — Je suis désolé de te dire ça, chérie, mais je ne vois pas… (Réfléchissant.) Des enfants ? Grands ? Avec de belles réussites ?

Geneviève. — Mais oui… Enfin… Je… Oui.

Hubert. — Note… C’est très possible que nous ayons des enfants comme ça… Nous étions en mesure de fournir une éducation de qualité, attentionnée, avec ce qu’il faut de tendresse… Nous avons lu Françoise Dolto.

Geneviève. — Et puis moi, la fibre maternelle, j’ai ça dans le sang !

Hubert. — Évidemment ! L’accouchement ! Quel moment incroyable ! Ces… Ces… Ces… Ces contractions qui font très très mal ! (Il montre son ventre.) Et cette libération, tellement… magnifique ! Le premier contact avec le nourrisson, sur la poitrine…

Geneviève. — Mais, chéri, ce n’est pas toi qui as accouché !

Hubert, ne sachant plus très bien. — Ah oui… Oui, oui. Bien sûr. Parfaitement.

Geneviève. — Parce que moi, je peux te dire que… je peux te le...

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