Le quinté du loser

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Alexis n’est pas ce qu’on peut appeler un grand courageux. Pour lui, le travail est tellement sacré qu’il n’y touche pas… A 35 ans, il vit toujours chez ses parents et ses principales occupations vont du PMU au Poker ainsi qu’aux voyages au cours desquels, il engrange les conquêtes féminines.

Son pouvoir de séduction est tel que sa mère et sa grand mère sont en admiration devant le moindre de ses actes et lui passent tous ses caprices… Au grand dam de son père Fabrice qui n’en peut plus d’héberger et de financer ce fils parasite.

Cela aurait pu durer encore longtemps si une grosse dette de jeu n’avait obligé, chez ses parents, l’envoi de deux « recouvreurs de créances » très spéciaux qui s’installent et prennent possession des lieux.

Pour tout arranger, une dame riche d’un certain âge, séduite par Alexis sur le bateau le ramenant d’un voyage, débarque à l’improviste et, découvrant la situation, accepte de rembourser la dette en échange d’ Alexis corps et âme. Hors de question pour Inès de livrer son fils à une couguar et d’avoir, pour belle fille, une femme plus âgée qu’elle.

Tandis que les deux truands se font minablement plumés au « poker déshabillé » par une redoutable mamie, voilà qu’arrivent deux sardes agressives venues venger l’honneur de leur jeune nièce séduite par Alexis lors de son dernier voyage en Sardaigne.

Un Alexis qui ne comprend pas pourquoi tout le monde s’acharne contre lui… lui un si gentil et inoffensif garçon…

Décor : salon très chic

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ACTE I

A l'ouverture du rideau, Paul est assis dans son fauteuil et lit son journal, un verre de whisky posé près de lui. On entend un air de musique classique diffusé dans la pièce. Arrivée en trombe, côté cuisine, de sa femme Inès, toute excitée..

INÈS, fort excitée. – Fabrice, mon chéri, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer.

FABRICE, ravi, baissant son journal. – Ta mère s'est chopée le typhus ? (Ou le choléra, ou est alitée avec 40 de fièvre ?)

INÈS. – Ne sois pas ridicule, maman pète le feu et sera là, demain midi, comme prévu.

FABRICE, déçu, remontant son journal. – Alors, je ne vois pas de quoi je devrais m'extasier...

INÈS, excitée. – Alexis.

FABRICE, rabaissant son journal. – Quoi Alexis ?

INÈS. – Alexis, ton fils...

FABRICE, maugréant. – Je le sais trop bien que c'est mon fils... et aussi le tien par la même occasion ! Fils à qui tu as tout cédé depuis sa tendre enfance..

INÈS. – Tu étais tellement dur avec ce petit qu'il fallait bien que je compense de mon côté.

FABRICE. – A trois mois, tu lui avais déjà acheté 8 doudous différents sous prétexte qu'aucun d'entre eux ne lui apportait le calme et la sérénité.

INÈS, triomphante. – N'empêche que le 9ème a fonctionné et même qu'il l'a toujours avec lui. Avoue quand même qu'il est extrêmement calme depuis.

FABRICE. – Pour être calme...il est calme. Ça frise la narcolepsie. Il serait peut être temps qu'il le lâche, son doudou magique, et qu'il se bouge un peu.

INÈS, ravie. – Mais il a bougé, Fabrice, il a bougé !

FABRICE, incrédule. – Bougé... bougé bougé ?

INÈS, ravie. – Il a enfin trouvé sa voie.

FABRICE, amusé. – Il veut entrer à la SNCF ? Je le vois bien tenir la pancarte pendant les manifs.

INÈS, se forçant à rire. – Ah ah, très drôle... Non, il a choisi un métier bien plus noble que ça.

FABRICE. – Attends voir, tu me fais peur. A 35 ans, après avoir testé 15 métiers différents et être toujours hébergé chez papa-maman, notre fils entrerait enfin sur le marché du travail par la grand porte ?

INÈS, fière. – Parfaitement ! Tu n'en crois pas tes oreilles, hein ? Comme quoi tout peut arriver dans la vie, suffit d'être patient...

FABRICE. – Parce que je n'en n'ai pas eu de la patience à supporter ce grand échalas dans mes pattes, à ne rien foutre à longueur de journée ?

INÈS. – Le travail n'était pas son truc, voilà tout...

FABRICE. – Je connais sa grande théorie... (Avec emphase.) L'homme n'est pas fait pour travailler.

INÈS, admirative. – Quelle belle leçon de philosophie il donne à notre monde tourmenté...

FABRICE. – Qu'il aille donc expliquer son cours de philo au boulanger du coin, il va sûrement lui refiler une baguette de pain gratuitement.

INÈS. – Enfin là, ça y est. Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse Fabrice.

FABRICE. – Et peut-on savoir dans quelle branche se dirige notre brillant et courageux fils ?

INÈS, toute excitée. – Tu ne devineras jamais... Je lui ai déjà acheté sa première tenue.

FABRICE. – Un bleu de travail  de mécanicien ?

INÈS. – Tu le vois dans le cambouis et la graisse ?.

FABRICE. – A vrai dire, je ne le vois pas dans grand chose... Une blouse blanche de laborantin, de chercheur ?

INÈS. – Il a longtemps été dans la recherche, je te l'accorde...

FABRICE, au public. – Quinze ans dans la recherche mais pas au CNRS hélas... à Pôle emploi..

INÈS. – Ne sois pas cynique. Tu riras moins quand tu vas le découvrir. Tu es prêt Alexis ?

ALEXIS, voix off. – Prêt m'man !

FABRICE, surpris. – Parce qu'il est là ? En tenue de travail ?

INÈS. – Dès que tu entends la musique, tu fais ton entrée, mon grand.

FABRICE. – Tu ne vas pas me faire un show télévisé parce que notre crétin de fils a trouvé un job ?

Inès de son téléphone, lance une musique (Corrida de toro y paso doble) et Alexis fait son entrée, majestueuse, drapé dans son costume d'or et de lumière de toréador. Fier, il avance au centre de la pièce comme un matador s'avance dans l'arène.

ALEXIS, jouant avec la musique. – Olé ! Olé ! Olé !

FABRICE, abasourdi. – C'est quoi ce cirque ?

ALEXIS, jouant avec sa cape rouge. – Je veux être toréador. Olé !

FABRICE, de + en + abasourdi. – Toréador ? … En Vendée ?

ALEXIS, jouant avec sa cape rouge. – J'ai fait une étude, p'pa, y en a pas dans le département. Olé !

INÈS. – Il a raison Fabrice, il y a un potentiel énorme !

FABRICE, moqueur. – Y a pas de bananeraie non plus... Vous n'avez pas envie d'en monter une ?

ALEXIS, très sérieux. – Non non, trop de personnel à gérer

INÈS, allant dans son sens. – Et trop de produits chimiques à épandre...

FABRICE. – Vous êtes complètement barges tous les deux.

ALEXIS, commençant la chanson de Ferrat. – Les belles étrangères, quand montent les clameurs, se lèvent les premières en se tenant le cœur... !

FABRICE, les regardant avec commisération-. – C'est pas possible !!

ALEXIS. – Je me vois... face au taureau aux naseaux écumants... les yeux dans les yeux... moi, ma cape rouge à la main... lui, ses banderilles sanguinolentes sur le dos, sentant sa fin proche...

FABRICE.– Pour trouver un job comme ça, tu as vraiment pris le taureau par les cornes.

ALEXIS, jouant avec la musique que sa mère a relancée. – Olé ! Olé ! Olé ! !

FABRICE. – Tu as quand même réalisé qu'il y a plus de vaches que de taureau dans les champs des alentours et que la terre de la corrida se situe davantage dans le sud de la France ?

INÈS, toute attendrie. – Il ne veut pas nous quitter, ce grand sentimental.

ALEXIS. – Je vais importer l'art de la tauromachie dans le département. Les foules se presseront pour me voir... Elles déserteront les parcs d'attraction pour acclamer le El Cordobès vendéen ! Olé !

FABRICE, le regardant avec commisération-. – Eh bien, le Puy du Fou n'a qu'à bien se tenir...

INÈS, toute fière. – Il est beau not' fils...

FABRICE-. – Dommage que dans son cas, la beauté et l'intelligence n'aillent pas de paire.

INÈS. – N'écoute pas ton père, mon chéri, il est jaloux.

FABRICE. – Moi jaloux ! Et de quoi grands dieux ! ?

INÈS, défendant son fils. – D'être resté toute ta vie un minable petit chef d'entreprise ...

ALEXIS, entre chaque réplique de sa mère. – Olé !

INÈS, lancée. – De passer tout ton temps à mettre au point des formules de produits diététiques dans ton petit laboratoire...

ALEXIS, même jeu. – Olé !

INÈS, portant l'estocade. – Alors que ton fils va connaître la gloire et la célébrité. Voilà !

ALEXIS, même jeu. – Olé !

FABRICE, se rebiffant-. – Petit chef d'entreprise qui emploie quand même plus de 50 salariés... mais pas ton fainéant de fils !

INÈS. – Il préfère les métiers artistiques au mercantilisme de tes basses productions diétético- alimentaires.

FABRICE-. – Mercantilisme dont vous profitez sans aucun scrupule, tous les deux.

ALEXIS. – Ne vous disputez pas pour moi... Olé ! J'ai encore plein d'autres cordes à mon arc. Olé !

FABRICE-. – Tu as plein d'autres cordes à ton arc ? Dommage que tu ne sois pas une flèche.

ALEXIS. – Tu deviens vexant, P'pa.

INÈS, venant à son secours. – Et voilà ! Tu n'as pas honte de traumatiser ton propre enfant ? Tu as envie qu'il nous fasse un burn out ?

FABRICE, complètement abasourdi-. – Alors là !.... S'il nous fait un burn out juste en enfilant sa tenue de travail... eh ben il n'est pas arrivé à la retraite, le matador !

INÈS, outrée. – Tu ne peux pas l'encourager, lui dire un mot gentil ? C'est plus fort que toi !

FABRICE-. – Je voudrais juste savoir, comment un gars végan qui ne mange pas de viande sous prétexte qu'il ne faut pas faire de mal aux animaux, puisse choisir un métier pareil ? J'ai de la peine à suivre...

ALEXIS. – C'est juste un jeu entre l'homme et l'animal P'pa. Un art magnifique dans lequel...

FABRICE, le coupant-. – Dans lequel l'animal finit à l'abattoir, découpé en morceaux avant d'arriver dans nos assiettes.

ALEXIS. – Il arrive parfois que le taureau gagne... C'est la glorieuse incertitude du sport.

FABRICE. – Avec des banderilles plein le dos... il part avec un sacré handicap, le copain de jeu. Je te conseille quand même de t'entraîner bien vite.

INÈS. – Ton père a raison, ne perds pas de temps.

ALEXIS, un peu ennuyé. –En fait, je ne sais pas trop où aller...

FABRICE.– Le père Basile Pluchon parque un petit taureau dans son champ de l'Echardière. Tu devrais rendre visite au bestiau, histoire de te faire la main.

ALEXIS, emballé. –Merci pour le tuyau P'pa, t'es chouette. J'y cours.

INÈS. – Fais attention à ton habit... ne le salit pas, il est tout neuf. Il y a sûrement des bouses dans le champ.

Il arrive près de la porte..

FABRICE, le rappelant-. – Alexis ! A ta place, je garderais cette tenue pour ton premier combat et je m'habillerais plus modestement.

ALEXIS. –Tu crois ?

FABRICE. – Le taureau du père Basile n'en a rien à cirer de ton habit d'or et de lumière. Par contre, montre lui ta cape rouge... ça devrait VACHEMENT lui plaire.

ALEXIS, emballé. –Super ! (Il chante.) Toréador prends ga-a-a-arde, toréador, toréador.

Il sort aussi majestueusement qu'il est entré.

INÈS, admirative. – Et en plus, il chante bien...

FABRICE, moqueur.Il va peut être bien déchanter très vite, le ténor matador. (Sérieux.) T'es consciente, Inés, qu'il s'en va au casse pipe là ?

INÈS, relativisant. – Ça ne me paraît pas si compliqué que ça... il suffit d'éviter le taureau.

FABRICE. – Tout est là. Éviter le taureau, c'est le sens même de la tauromachie.

INÈS. – Alors, où est le problème ?

FABRICE. – Le problème, c'est qu'Alexis est aussi vif qu'un pou rhumatisant et qu'il va se faire embrocher à la première charge de la bête.

INÈS. – Ce que tu peux être négatif avec ton fils. Comment veux tu qu'il réussisse, tu ne lui fais jamais confiance.

FABRICE. – La preuve que si, je viens de lui trouver un partenaire bovin. Cela dit, je parierai 10 contre 1 sur le taureau à Basile... Et je préparerais la trousse de premiers secours.

INÈS. – Tu vois ! Tu préfères donner raison à un vulgaire bovidé sans cervelle plutôt qu'à ton fils qui a...

FABRICE, la coupant. – Qui a un Q.I de bernique.

INÈS. – Ce que tu peux être réactionnaire, mon pauvre Fabrice ! Tu ne supportes pas la différence entre les êtres humains.

FABRICE. – Là, ce n'est pas une différence, c'est un fossé... que dis je un fossé... c'est un abîme.

INÈS. – Alexis ne ressemble pas aux autres, c'est ce qui fait sa richesse personnelle.

FABRICE, fataliste. – Sa richesse personnelle... et la ruine de mon compte en banque !

INÈS. – Et voilà ! J'étais sûre que tu allais lui reprocher son argent de poche.

FABRICE. – Deux mille euros par mois, blanchi, nourri, logé. T'appelles ça de l'argent de poche, toi ?

INÈS. – Et radin, en plus !

FABRICE. – Inès, à trente cinq ans, les parents ne donnent plus d'argent de poche, comme tu dis, à leurs enfants. Ceux ci doivent vivre, normalement, avec ce qu'on appelle... un salaire. As tu une idée de ce qu'est un salaire, Inès ?

INÈS, cynique. – Quand on fait des enfants, il faut s'en occuper ensuite.

FABRICE, même jeu. – J'aurais mieux fait de me casser une jambe en tombant du lit, le jour où on l'a fabriqué celui-là !

INÈS. – Ah bravo Fabrice, c'est très délicat.

FABRICE. – Et peut on savoir ce que ton fils chéri fait de MON argent, étant donné la gratuité totale de son hébergement dans nos murs ? A part voyager aux frais de la princesse...

INÈS. – Il essaie de le faire fructifier...

FABRICE, avec une lueur d'espoir. Il joue en bourse ? Alors là, je pourrai peut être l'aider.

INÈS. – Pas vraiment... Il dit que c'est trop risqué... la conjoncture actuelle... la fluctuation des marchés... enfin tout ça quoi...

FABRICE. – Alors il l'investit où, l'argent du père Fabrice ?

INÈS. – Dans les courses. Il joue au PMU en direct sur internet.

FABRICE, catastrophé. – Oh pétard ! J'l'ai pas vu arriver ce coup là.

INÈS, admirative. – Il a une connaissance des jockeys, c'est incroyable. Mais où il est le meilleur, c'est au poker.

FABRICE, étonné. – Au poker ?!

INÈS. – C'est un jeu de cartes, genre belote mais où on mise de l'argent. Tu connais ?

FABRICE, pragmatique. – Perdre de l'argent tu veux dire.

INÈS, admirative. – Il doit être excellent parce qu'il rêve de rencontrer Patrick Bruel et de le mettre à sec. (A actualiser.)

FABRICE, inquiet. – Il joue souvent au poker ?

INÈS. – Il est grand, je ne le surveille pas, mais, à mon avis, plusieurs fois par semaine.

FABRICE, de + en + inquiet. – Et il joue où ?

INÈS. – Dans un cercle privé à Nantes (Voir grande ville près de chez vous.)

FABRICE, accablé. – Inès, pourquoi notre fils est comme ça ?

INÈS. – Parce qu'il n'a pas envie de te ressembler, de vivre en petit bourgeois capitaliste...

FABRICE, accablé. – Alors là... j'aurais vraiment tout entendu.

INÈS. – Ce qui me chagrine, c'est qu'il n'ait pas encore rencontré la femme de sa vie.

FABRICE. – Inès, toutes les semaines ton fils tombe amoureux d'une nouvelle femme.

INÈS. – Il est tellement perfectionniste qu'il n'arrive pas à faire son choix.

FABRICE. – Ce ne serait pas plutôt les filles qui se sauveraient en courant lorsqu'elles découvrent l'individu au quotidien ?

INÈS. – Non non... il n'a pas encore trouvé la bonne épouse, voilà tout.

FABRICE. – Et c'est quoi, pour toi, une bonne épouse ?

INÈS, rêveuse. – Une jeune femme jolie, intelligente, bien élevée, qui saura aimer Alexis pour ses qualités intrinsèques.

FABRICE. – Eh bien, c'est pas gagné d'avance parce ses qualités intrinsèques, comme tu dis, elles sont plutôt très très à sec.

INÈS, sans s'occuper de lui. – Une femme qui prendra soin de nous sur nos vieux jours et qui nous donnera de beaux petits enfants.

FABRICE. – Et c'est moi qu'on traite de vieux réac...

INÈS, lyrique. – Je voudrais tant être mamie et tenir dans mes bras le fils de mon fils... la chair de sa chair.... sentir battre dans son coeur, le sang de notre sang....

FABRICE, moqueur. Et on en fera un p'tit matador, comme son papa !

INÈS. – Comment peux-tu rire d'un sujet aussi grave que la vie affective de ton fils ? !

FABRICE, pragmatique. – Je te rappelle juste qu'on a vu défiler, ici même, au petit déjeuner... Amandine, puis Julie, Manon, Natacha qu'il avait ramenée de St Petersbourg...

INÈS. – Une communiste, ça ne pouvait pas coller entre eux. Elle parlait de Poutine sans arrêt et rêvait d'emmener Alexis construire un Kolkhoze en Sibérie orientale.(A actualiser.) Lui qui se chope des bronchites au moindre changement de temps...

FABRICE, continuant. – Delphine, Aude, Pélagie...

INÈS. – Une québecoise avec un accent abominable... (Elle essaie de parler avec l'accent québécois.) Chu brulée ben raide, achâle-moi pô, j'ai bin d'la misère avec çààà (je suis fatiguée, ne m'embête pas, j'ai du mal à te supporter.)

FABRICE, continuant. – Prisca, Diane,  la petite vietnamienne Minh Nguyêt dont le nom signifie « lune qui éclaire ». Tout un programme, non ?

INÈS. – La lune qui éclaire... elle bouffait des nems à longueur de journée. Elle en trempait même dans son café le matin. Excuse du peu...

FABRICE, continuant. – Et je n'oublie pas son dernier amour... la petite bergère de Sardaigne aux yeux de braise et au cul de vénus rencontrée dans un village, près de Orgosolo. Ce devait être la bonne celle ci ... Oubliée huit jours après son retour !

INÈS. – Il est victime de son physique... ce n'est quand même pas de sa faute.

FABRICE, très sérieusement. – Inès, notre fils est un fainéant, un joueur invétéré et un coureur de jupons !

INÈS. – C'est un grand séducteur, voilà tout.

FABRICE. – Mais le pire, Inès, le pire... c'est qu'il séduit tout le monde. Vous êtes toutes sous son charme.. y compris ton imbécile de mère !

La porte s'est ouverte sur cette dernière réplique et Florentine, la belle mère, entre rapidement, une petite valise à la main.

FLORENTINE, en colère. – Qu'est ce qu'elle vous a fait l'imbécile de mère ?.

FABRICE, sans se démonter. – Allons bon, manquait plus que vous ! On ne vous attendait que demain ?

FLORENTINE, posant sa valise. – Coupure de courant dans tout le quartier, j'me gèle les miches. Vous avez bien une chambre pour me loger cette nuit... comme ça, je serai directement sur place demain matin.

FABRICE, agacé. – Vous ne pouviez pas attendre que les gars d'EDF rétablissent la ligne ?

FLORENTINE. – Sont pas prêts d'arriver, tous les ronds points sont bloqués par les gilets jaunes, les blouses blanches, les robes noires, les bonnets rouges, les cagoules noires, les chaussettes vertes, les notaires, les avocats, les chauffeurs de taxi, les gens du voyage, les agriculteurs... et toutes mes copines retraitées du club !

FABRICE. – Et vous ne pouviez pas les accompagner, vos copines ?

FLORENTINE. – Trop dangereuses les mamies. Faut les voir à l'oeuvre quand elles caillassent les CRS. Les black blocs, à côté d'elles, sont des enfants de choeur.

INÈS. – Tu as eu raison ma petite maman, tu seras plus en sécurité chez nous et Fabrice est très content de ta venue. (Tête de Fabrice.) N'est ce pas Fabrice ?

FLORENTINE. – Il cache bien sa joie, ton Fabrice !

INÈS. – Quand Alexis saura que tu es venue plus tôt que prévu, il sera agréablement surpris.

FLORENTINE. – Il est où mon grand chéri en ce moment ?

FABRICE, ironique. – Il s'entraîne...

FLORENTINE. – Il s'entraîne à quoi ?

FABRICE, ironique. – A ne rien faire ! S'agit pas de perdre la main, c'est qu'on deviendrait vite courageux si on n'y faisait pas attention.

INÈS. – Ne l'écoute pas, Alexis est parti s'entraîner avec un taureau.

FLORENTINE. – Il ne peut pas avoir un coach, comme tout le monde ?

INÈS. – Eh non, il a absolument besoin de la bête pour travailler.

FLORENTINE. – Il veut être boucher ?

FABRICE, ironique. – Non, mais ça pourrait peut être bien finir en boucherie son truc.

FLORENTINE. – Je ne comprends rien à vos explications.

INÈS, avec fierté. – Ton petit fils veut être matador !

FLORENTINE, toute excitée, comme une gamine. – C'est pas vrai, c'est pas vrai, c'est pas vrai !

INÈS, même jeu. – Si c'est vrai, si c'est vrai, si c'est vrai !

FABRICE, même jeu, accablé, les regardant. – J'le crois pas, j'le crois pas, j'le crois pas !

FLORENTINE, fière. – J'étais sûre qu'on en ferait quelque chose de ce petit.

FABRICE. – Une carpette... quand le taureau lui sera passé une dizaine de fois sur le corps.

INÈS, même jeu. – Allez continue, continue à le mettre au ras du sol !

On frappe à la porte de façon forte.

FLORENTINE, comme chez elle. – Entrez !

FABRICE, mécontent. – Vous emmerdez pas, faîtes comme chez vous !

La porte s'ouvre et deux types, portant lunettes, chapeau et vêtus tout de noir, entrent. Il sont menaçants. Si possible faire en sorte qu'il y ait un très costaud et un petit malingre bien qu'ils soient censés être frères jumeaux. Envoyer une musique adéquate à leur entrée. Ils roulent les mécaniques et regardent de tous côtés dans la pièce. Ils parlent avec gouaille.

PAULO, un doigt au chapeau. – M'sieurs dames !

Frédo, le plus petit des deux, continue son inspection des lieux.

PAULO. – Frédo! Qu'est ce qu'on dit quand on arrive chez des gens ?

FRÉDO, un doigt au chapeau. – Salut, m'sieurs dames !

PAULO lui collant une baffe derrière la tête. – J'voudrais pas avoir à te le répéter à chaque fois... C'est quand même pas compliqué d'être poli et de donner une bonne impression aux gens ! Tu crois que môman serait contente de te voir, elle qui s'est saignée aux quatre veines pour te donner une bonne éducation.

FRÉDO, remettant son chapeau. – OK Paulo, j'recommencerai plus.

INÈS. – Peut-on connaître l'objet de votre visite ? (Interrogative.) Messieurs...

PAULO, se présentant. – Paulo et Frédo, envoyés spéciaux.

FLORENTINE, étonnée. – De la télé ?

FRÉDO, roulant les mécaniques. – Pas vraiment. On n'est pas en reportage, ma p'tite dame.

INÈS. – Si vous venez pour le calendrier des postes, j'ai déjà donné.

FRÉDO, roulant les mécaniques. – On a des têtes de facteurs ?

FLORENTINE, s'en mêlant. – Si c'est pour la charpente à traiter ou les combles à isoler...

FABRICE, la coupant. – Ces messieurs n'ont pas le look de commerciaux.

FRÉDO, se trompant. – Mossieu a raison... bien qu'on ne soye pas inintéressables à l'isolation.

PAULO, le reprenant. – Qu'on ne SOIT pas INTERRESSÉ par l'isolation. Essaie de causer un peu français de temps en temps !

FRÉDO. – Ça veut dire pareil. Tu chipotes toujours.

PAULO. – S'cusez le. On est jumeaux mais apparemment, c'est moi qui ai tout pris. L'physique et l'intelligence.

FRÉDO. – Tout ça pour dire que l'isolation, nous, on connaît. Pas vrai Paulo ?

PAULO, à la façon de Blier dans les tontons flingueurs. – Il a raison le frangin. On isole … on écarte...

FRÉDO, même jeu. – On éloigne... on exile...

PAULO, même jeu. – On abstrait... on soustrait...

FRÉDO, même jeu. – On sépare... on désassemble...

FLORENTINE. – Vous voulez désassembler qui ?

PAULO, même jeu. – Alexis Dumont, ça vous dit quèque chose ?

INÈS. – C'est mon fils !

FLORENTINE. – Et mon p'tit fils !

FABRICE, se servant à boire. – Qu'est ce qu'il a encore fait, ce p'tit con !

FLORENTINE. – Et c'est lui que vous voulez isoler et désassembler ?

FRÉDO, grosse voix. – Affirmatif !

FLORENTINE et INÈS, ensemble. – Il faudra d'abord nous passer sur le corps !

FRÉDO, affolé.Oh pétard, c'était pas prévu ça ! Ma Josiane va pas être contente... (Reluquant les 2 femmes.) En plus, ça nécessite une prime de risque pour travail pénible... Tu prends laquelle Paulo ?

PAULO, une baffe derrière les oreilles.Bougre d'andouille, c'est une image... une métaphore.

FRÉDO, paumé.Une méta quoi ?

PAULO, faussement calme.Un truc pour expliquer qu'elles sont prêtes à tout pour éviter des ennuis au mec Alexis.

FRÉDO, rassuré. Dans ce cas, elles vont gentiment nous donner le fric qu'il doit au patron.

FABRICE. – Attendez messieurs, j'aimerais bien avoir quelques explications.

PAULO.Avec plaisir milord.

FRÉDO, montrant Fabrice.Milord... c'est la moitié d'un lord... il est pas complet l' bourgeois ?

PAULO, se tenant la tête.Putain Frédo, tu me fais peur par moment... (A Fabrice.) Votre fils a contracté d'importantes dettes dans un cercle de jeu privé...

FRÉDO, fier. – Et nous avons été embauchés tout spécialement pour le recouvrement des créances. On est comme qui dirait, des huisseries.

PAULO, le reprenant vertement. – Des huissiers, Frédo, pas des huisseries. Remarque tu ferais un joli gond sur ton huisserie.

FLORENTINE, rassurée. – Si c'est que ça, ce n'est pas trop grave.

INÈS. – Et il doit combien ?

PAULO et FRÉDO, ensemble. – 50000 euros !

Tous s'étranglent et toussent. Fabrice en recrache son whisky.

FRÉDO.Plus les intérêts de retard.

INÈS. – Ce n'est pas possible, il gagne toujours au poker, même qu'il veut...

PAULO, la coupant. – Jouer contre Bruel ? (Il rit.) Votre fils est un loser qui perd tout le temps.

FRÉDO.Il tente sa chance à tous les jeux et dès qu'il gagne dix euros, il court bien vite les dépenser au poker.

PAULO. – Le patron du cercle lui a fait de nombreuses avances d'argent...

FRÉDO. – Que votre Alexis a accepté en signant une reconnaissance de dettes.

INÈS. – Eh bien alors, où est le problème ? Il est réglo le gamin...

PAULO. – Le problème, c'est que ça fait deux mois que le gamin doit rembourser sa dette et depuis cette mise en demeure, il a disparu de la circulation...

FRÉDO. – J'espère qu'il n'est pas malade au moins ?

PAULO. – Parce qu'on n'aime pas taper sur des gens affaiblis... ça fait grosses brutes abusant de leur force. C'est pas cool.

FRÉDO. – C'est pas dans notre sophrologie.

PAULO, corrigeant. – Dans notre philosophie, crétin !

INÈS. – Il doit y avoir un moyen de s'arranger, non ?

PAULO. – Je l'espère pour lui, ma p'tite dame, parce que nous, on ne repart pas sans le pognon.

FRÉDO. – Le boss verrait ça d'un sale œil... déjà qu'il est borgne... (Il éclate de rire.)

PAULO. – Frédo !

FRÉDO. – On peut bien rigoler un peu. Ça lui ramènera pas son hublot manquant au patron !

PAULO. – Bon, fini de rire... Maintenant...

PAULO et FRÉDO, ensemble, très fort. – Le pognon !

FLORENTINE. – Ne vous mettez pas dans des états pareils pour des broutilles..

FABRICE, outré. – Des broutilles... 50000 euros ?

INÈS. – Dès qu'on parle argent, le voilà qui se réveille ! Allez Fabrice, signe un chèque et qu'on n'en parle plus.

FLORENTINE. – On en a assez de voir la tronche de ces deux croque morts.

FABRICE, fermement. – Je ne signerai rien du tout !

FLORENTINE, elle sanglote faussement et sa détresse va monter crescendo. – Si... vous venez de SIGNER l'arrêt de mort de votre fils. D'Alexis, mon grand chéri, (Elle pleure entraînant Frédo avec elle.) ma seule raison de vivre dans ce monde où je suis si seule dans ma solitude isolée... moi qui ai tout perdu... l'amour, l'argent, la joie... moi qui refuse de me laisser mourir uniquement à cause de ce petit fils qui est toute ma raison d'exister... (Elle fait semblant de pleurer à chaudes larmes.)

FRÉDO, complètement chamboulé. – Putain de métier... c'est vachement triste... j'm'y ferai jamais. (Il se mouche bruyamment.)

PAULO, nouvelle baffe à l'arrière de la tête. – Si c'est trop dur, fais toi moine et va distiller de la bénédictine au monastère de Bellefontaine.

FRÉDO. – Josiane voudra jamais me laisser partir.

PAULO, nouvelle baffe à l'arrière de la tête. – Tu commences sérieusement à me gonfler la rate avec ta Josiane !

FRÉDO. – Arrête de me taper, ça fait vachement mal ! J'le dirai à môman.

PAULO. – Alors, qui paie la facture du flambeur ? (A Florentine.) La grand-mère ?

FLORENTINE, exagérant.Je vous ai déjà dit que je n'avais aucun argent. J'ai une retraite de misère alors que... alors que... (Réalisant.) C'est vrai que j'ai pas travaillé des masses dans ma vie, mais bon, c'est pas une raison...

PAULO, à Inès. – La mère ?

INÈS. – Je suis totalement dépendante financièrement de mon mari Fabrice...

PAULO, à Fabrice. – La balle est dans votre camp, m'sieur Fabrice... Alors on le signe ce chèque ?

FABRICE, fermement.Et ta sœur ?

FRÉDO, pris dans le truc.Elle bat le beurre... quand elle battra la...

PAULO, le coupant net. – Frédo! On bosse là, t'es au courant ?

FRÉDO.Ça n'empêche pas une petite déconnade de temps en temps.

PAULO. – C'est votre dernier mot, Fabrice ?

FABRICE, comme dans un jeu.C'est mon dernier mot, Paulo.

PAULO, se faisant menaçant. – Alors, ça va saigner, je vous préviens.

FRÉDO, même jeu. – On va commencer le désassemblage. Il est caché où le blaireau ?

FLORENTINE et INÈS, ensemble. – Il n'est pas là !

FABRICE.Et pourquoi vous ne l'obligeriez pas à travailler pour vous, au cercle ? Il pourrait servir les boissons, faire le ménage, nettoyer les toilettes... jusqu'à apurement de sa dette ?

INÈS. – Enfin Fabrice, tu n'y penses pas ! Transformer notre petit poussin en canard W.C !

FRÉDO. – Avant que le petit poussin nettoie pour 50000 euros de chiottes, il sera rendu à la retraite et le patron n'aura pas la patience d'attendre.

INÈS. – Et puis, c'est dégoûtant... il pourrait se blesser...

FRÉDO. – Un accident de chasse... De chasse d'eau. (Il éclate de rire en mimant la scène.)

PAULO et FRÉDO, ensemble, très fort. – Il est où ce loser ?

A ce moment précis, la porte s'ouvre et Alexis entre, ses vêtements, de couleur verte, sont en lambeaux, il est tout trempé et ses cheveux sont droit debout sur sa tête. Il titube et est secoué de tremblements convulsifs. Il n'y a que sa cape qui est intacte.

FLORENTINE et INÈS, se précipitant vers lui pour le soutenir. – Alexis !

Il titube et manque de tomber.

FLORENTINE, directive, aux 2 gars. – Soutenez le vous autres, au lieu de rester là, tout pantois, à ne rien faire. Vous voyez bien qu'il va tomber.

Instinctivement, ils obéissent et prenant Alexis sous chaque bras, ils le soulèvent de terre, tandis que les pieds d'Alexis pédalent dans le vide.

PAULO. – On vous le dépose où ?

FLORENTINE, directive. – Sur le canapé... là... doucement... avec délicatesse... doucement j'ai dit ! C'est pas un colis de la Redoute que vous trimbalez.

FRÉDO. – Dans l'état où il est, il ne redoute pas grand chose.

INÈS. – Que s'est-il passé, mon chéri ?

ALEXIS, agité de tics. – C'est doudou... c'est doudou... c'est doudou...

INÈS. – Il veut son doudou. Vite maman, donne lui son doudou qui doit être par là.

Florentine attrape une peluche qui traînait par là et le lui donne.

FLORENTINE.Voilà ton doudou, mon chéri, ça va aller mieux maintenant.

ALEXIS, agité de tics et serrant son doudou . – C'est doudou... c'est doudou... c'est douloureux.

FLORENTINE.Qui t'a mis dans des états pareils ?

ALEXIS, agité de tics. – C'est le toto... c'est le roro...

FRÉDO. – Toto... Roro... ? Il s'est fait matraquer par des concurrents ?

ALEXIS, même jeu. – Le toto... le roro... du père Baba... du père Baba...

FRÉDO. – Baba... les hommes de main d'Ali Baba ?

PAULO, baffe à l'arrière de la tête. – Tu pourrais pas réfléchir deux secondes avant de causer !

FRÉDO. – Ben quoi, qu'est ce que j'ai dit ? Ali Baba, c'est bien le chef d'une grosse bande de voleurs, non ?

PAULO, regardant son frère avec commisération. – Môman a dû se choper toutes les retombées radioactives du nuage de Tchernobyl pendant ta grossesse... c'est pas possible autrement.

FABRICE, en riant. – C'est le taureau du père Basile qui t'a mis dans cet état ?

ALEXIS, douloureux. – Ouiiiiiiiii... Complètement tarée cette bête...

PAULO, paumé. – Un taureau... quel taureau ?

FRÉDO, paumé aussi. – Tu devais aussi du fric à un taureau ?

PAULO. – Frédo !

INÈS – Mon fils veut devenir toréador et il était à l'entraînement cet après midi.

PAULO, amusé. – Apparemment le match n'était pas bien équilibré.

FLORENTINE, aux petits soins. – Dans quel état elle t'a mis, cette brute...

FABRICE. – C'est pas pour demain que tu vas nous ramener les oreilles et la queue du bestiau.

FRÉDO, même jeu que Fabrice. – Heureusement que le taureau ne réclame pas la même chose au vaincu... Il aurait bonne mine vot' matador.(Il mime les « pièces » manquantes)

PAULO. – Frédo!

INÈS – Tous tes vêtements sont en lambeaux... Quand je pense que tu as failli y aller avec ton beau costume....

FLORENTINE, prenant sa cape. – Il n'y a que ta cape qui est intacte, à croire qu'il n'a pas donné un seul coup de corne dedans...

ALEXIS, douloureux. – Il est toujours passé à côté...

FLORENTINE, perdue. – A côté de ta cape ? Mais pour aller où ?

ALEXIS, douloureux. – Pour me rentrer dans le buffet à chaque charge.

FRÉDO, lui montrant. – Tu mettais bien ta cape sur ton côté droit ? Et tu faisais bien un écart de ton corps ?

PAULO. – Frédo ! T'es pas ici pour donner des cours de tauromachie !

ALEXIS. – J'ai fait tout ça mais il ne regardait même pas ma cape... il me fonçait droit dessus, ce con de taureau !

FABRICE, en riant. – En fait, il était attiré par ton pull vert ?

ALEXIS, douloureux. – Ouiiiiii !

FABRICE, en riant. – T'as vraiment pas de pot d'être tombé sur le seul taureau daltonien de la famille des bovidés.

PAULO. – C'est la lose complète, mon pote !

ALEXIS, douloureux. – Et puis après il m'a fait rouler sur le pré et m'a jeté plusieurs fois en l'air avec ses cornes avant de m'envoyer dans l'étang...

INÈS – Comme tu as dû avoir peur, mon pauvre chéri.

FRÉDO, lui montrant. – Il en a les cheveux droit debout sur la tête.

ALEXIS, douloureux. – Ça, c'est quand je suis sorti du champ en courant, tout trempé... j'ai oublié la clôture électrique que j'ai soulevée à pleines mains.

FLORENTINE, affolée. – Malheureux, tu aurais pu t'électrocuter !

ALEXIS, encore secoué de tics nerveux. – J'ai été secoué de la tête aux pieds et j'ai vu des lumières partout.

FABRICE, cynique. – Eh bien maintenant, tu as le courant à tous les étages.

FLORENTINE et INÈS, outrées. – Fabrice !

FABRICE, suivant son idée. – Puisque te voilà reconnecté, saurais-tu reconnaître ces deux charmants gentlemen qui viennent te voir ?

ALEXIS, encore secoué de tics nerveux. – Noooon... Qui c'est ?

FRÉDO, en riant. – C'est l'plombier !

PAULO. – Frédo!

FRÉDO, se reprenant. – Nous sommes les deux gardes du corps de Borgnus.

ALEXIS, encore secoué de tics nerveux. – Quel Borgnus ?

PAULO. – Frédo! Un peu de respect pour le boss.

FRÉDO, se reprenant, avec geste autour de l'oeil. – Monsieur Borgnus ! Le type qui a toujours son oeil unique sur ses affaires et qui ne supporte pas les petits rigolos dans ton genre.

PAULO. – Ceux qui ne remboursent pas leur dette de jeu, par exemple...

ALEXIS, encore secoué de tics. – J'allais le faire... je rassemble la somme... petit à petit...

PAULO. – Et tu as rassemblé combien, pour le moment ?

ALEXIS, encore secoué de tics nerveux. – Deux cent quatre vingt neuf euros...

FRÉDO, menaçant. – Sur 50000 ? C'est tout ?

ALEXIS, rectifiant. – ... Et cinquante centimes...

FRÉDO, menaçant. – Tu te fous de nous ?!

FABRICE, ironique. – C'est moins facile à gagner qu'à perdre...

PAULO. – Alors, écoutez moi bien tous... Fini de rigoler. On va s'installer ici jusqu'à ce qu'on récupère le pognon du patron, d'une façon ou d'une autre ? C'est clair ?

INÈS – Et si j'appelais la police ?

PAULO, attrapant un objet au hasard. – Essayez un peu pour voir... Oh zut, il m'a échappé...

Il laisse tomber l'objet qui se brise au sol.

FRÉDO, menaçant. – C'est fou comme on est maladroit quand on est énervé.

Ils sont tous deux très près d'Alexis et l'entourent de leurs bras.

PAULO, très près à Alexis. – Tu vois mon grand, si c'était au poker, t'aurais au moins gagné une paire.

On frappe à la porte de façon forte.

FLORENTINE, comme chez elle. – Entrez !

FABRICE, mécontent. – Ça vous ennuierait de me laisser commander chez moi !

La porte s'ouvre et une femme beaucoup plus âgée qu'Alexis entre. Elle a fière allure et est bien vêtue. Elle se dirige directement vers Alexis, bras grands ouverts.

MERCÉDES. – Alexis, mon amour ! Que je suis contente de te revoir. Tu es parti un soir d'été... sans un regard, sans m'embrasser... sans un regard sur le passé...

FRÉDO, chantonnant. – Oh Mamy, Oh Mamy Mamy blue, oh Mamy blue...

ALEXIS, affolé. – Mercédes !

FABRICE, fataliste. – Je crois bien que la paire vient de se transformer en brelan !

Le rideau se ferme sur la chanson « Poker» de Charles Aznavour. Voir Youtube et lancer la chanson à « Je prends les cartes, je brasse les cartes etc... »

RIDEAU

ACTE 2

Le même jour, un moment plus tard. Alexis est parti se changer, accompagné de sa mère et de sa grand mère. Les deux frères sont assis. Fabrice est près de Mercédès.

FABRICE. – Mon fils, un gigolo ! Je le crois pas !

MERCÉDES. – Je vous défends de traiter Alexis de gigolo... C'est un être sain...

FABRICE. – Sain de corps, je veux bien... mais d'esprit, c'est moins sûr.

MERCÉDES, enflammée. – Notre rencontre a été merveilleuse et il m'aime...

FRÉDO. – J'savais pas qu'il était amateur d'antiquités, le matador...

MERCÉDES, méprisante. – Goujat ! L'amour n'a pas d'âge, pas de frontière, pas de couleurs.

FRÉDO, moqueur. – Au niveau couleur, on est un peu dans le ravalement de façade, là, non ?

MERCÉDES. – Nous nous sommes rencontrés...

FRÉDO, la coupant en riant. – Dans un vide grenier... (Ou autre marché d'antiquités près de chez vous.)

MERCÉDES, méprisante. – Malotru !

PAULO, agacé. – Frédo, sors téléphoner au boss pour lui expliquer la situation et lui demander la marche à suivre.

Frédo sort, non sans un regard moqueur vers Mercédès.

MERCÉDES. – Je m'appelle Mercédès de la Pinelière, épouse de feu Alexandre de la Pinelière , riche propriétaire d'importants vignobles sur les coteaux de la Loire. Alexandre qui était aussi tortueux qu'un cep de vigne... aussi grappu qu'un cépage de renom... grand amateur de vins ayant de la cuisse mais aussi grand amateur de cuisses qu'il courait en vain... Alexandre qui bonifiait sa vieillesse en me cocufiant à tour de bras...

PAULO, amusé, au public. – Avec les taureaux, il est vraiment attiré par tout ce qui porte des cornes, le Alexis...

MERCÉDES. – Lui, l'éternel soupirant a cessé de soupirer en rendant son dernier souffle, que j'imagine convulsif et joyeux, dans les bras d'une de ses innombrables maîtresses.

PAULO. – Mes condoléances.

MERCÉDES. – Vous arrivez un peu tard, jeune homme. C'était il y a dix ans, y a prescription. Mais depuis, je traîne ma misère, mon dégoût des hommes et ma fortune qui ne me sert plus à rien.

PAULO. – Si on peut vous donner un coup de main pour la fortune, n'hésitez pas.

MERCÉDÈS, rêveuse. – Jusqu'à ce que je rencontre Alexis sur le bateau en rentrant de Sardaigne, l'été dernier...

FABRICE, au public. – Tu m'étonnes qu'il ait oublié sa petite bergère sarde aussi vite.

MERCÉDÈS, rêveuse. – La mère était houleuse... le bateau tanguait... mon estomac se vrillait...

je vomissais mon repas du midi... des macaronis parsemés de copeaux de pecorino à peine digérés... et Alexis est arrivé, tenant une cuvette à la main...

PAULO. – Comme c'est romantique...

MERCÉDÈS. – Malade lui aussi, nous avons partagé la même cuvette avec les mêmes hoquets de souffrance... rejetant à la mer ce que la mer refusait que l'on conservât.

PAULO. – Quel grand moment de partage... Et ensuite ?

MERCÉDÈS. – Tout est allé si vite... Il m'a raccompagnée à ma cabine et nous nous sommes racontés nos vies.

FABRICE. – En ce qui le concerne, ça a dû être rapide.

MERCÉDÈS, rêveuse. – Que nenni ! Outre que c'est un partenaire exceptionnellement doué...

FABRICE. – Pour une fois qu'il est doué en quelque chose...

MERCÉDÈS, enflammée. – Ce garçon possède un potentiel énorme.

FABRICE. – Énorme... mais bien caché.

MERCÉDÈS, enflammée. – Deux passions animent sa vie. La tauromachie...(bref regard vers la porte de la cuisine.) mais je ne pense pas qu'il fasse carrière dans cet art... et l'écriture. Il veut être biographe.

PAULO. – Biographe de qui ?

MERCÉDÈS, enflammée. – De lui même ! Il veut écrire sa vie.

FABRICE. – Le connaissant, ça va être un peu juste pour qu'il nous réécrive la trilogie de Pagnol ou les Rougon-Macquart de Zola. Sans parler des fautes d'orthographe... dix par lignes en moyenne.

MERCÉDÈS. – Je le corrigerai et je l'aiderai dans la publication de ses œuvres. Je connais très bien les éditions Robert Fonfon. Bébert est un ami de longue date qui ne pourra me refuser de parrainer un nouveau talent.

FABRICE. – J'imagine qu'Alexis doit être ravi de votre proposition ?

MERCÉDÈS. – Je n'en sais rien. Il a débarqué avant moi à Toulon et a disparu avant que je puisse lui soumettre le projet...

PAULO. – Pourquoi il s'est barré comme ça, sans vous prévenir ? C'est pas bien.

MERCÉDÈS. – Fierté... timidité... honte... Que sais-je ? Par le commandant de bord, j'ai pu obtenir ses coordonnées afin de le retrouver et avoir une explication sur son départ précipité.

PAULO. – Et pourquoi serait-il honteux ?

MERCÉDÈS. – Sans doute à cause de l'argent que je lui ai discrètement donné... Il a peut être pensé que je voulais l'entretenir et...

FABRICE, cynique, la coupant. – Alors là, ça m'étonnerait... Alexis ne mange pas de ce pain là...

MERCÉDÈS. – Je suis heureux de l'entendre de la bouche de son propre père.

PAULO, intéressé. – Et vous lui avez donné combien ?

MERCÉDÈS, désintéressée. – Trois fois rien … quelques dizaines de milliers d'euros.

PAULO, sifflant d'admiration. – Ah oui, quand même ! C'est bon à savoir...

MERCÉDÈS, à Fabrice, brusquement soupçonneuse. – Ce monsieur est de la famille ?

PAULO, se présentant. – Paulo Riquet. Avec mon frère Frédo, nous sommes spécialement attachés à la surveillance et à la protection du sieur Alexis

MERCÉDÈS, la main sur le coeur. – Sa protection ! Alexis serait donc en danger ?

PAULO. – Là il vient d'échapper à un taureau furieux mais vous pensez bien qu'un garçon possédant un tel potentiel, ne se fait pas que des amis... surtout en dehors des enclos à bestiaux.

MERCÉDÈS, avec fougue. – Je le protégerai... Dut-on me passer sur le corps !

PAULO. – Allons bon, vous aussi ?

MERCÉDÈS, surprise. – Comment ça... moi aussi ?

PAULO. – Apparemment, il a une garde féminine rapprochée, ce garçon. Ça nous fait pas mal de corps à enjamber...

Retour de Frédo, téléphone à la main.

FRÉDO. – Je viens d'avoir Neuneuil 2000. Y dit de rester sur place et d'obtenir une solution pacifique au conflit.

MERCÉDÈS. – Je suis heureuse de pouvoir compter sur vous, nous ne serons pas trop de trois pour défendre ce pauvre garçon sans défense.

Retour, côté cuisine de Inès, Florentine suivies d'Alexis, tout pantois. Il s'est changé et est plus présentable. Ils arrivent sur la dernière réplique.

FLORENTINE. – Parce que nous, on compte pour du beurre ?

MERCÉDÈS, les toisant. Oui et du beurre un peu rance. Alors, ne vous mêlez pas de la protection d'Alexis, d'autant qu'à partir de maintenant, je le prends sous ma coupe.

FLORENTINE. – Eh oh doucement, mémée !

MERCÉDÈS, du tac au tac. Mémée vous même ! Vous vous êtes regardée parfois ?

FLORENTINE. – Tous les matins dans ma glace et ce que j'y vois est autrement plus appétissant que le spectacle affligeant d'une vieille couguar en chasse de jeune mâle.

ALEXIS, implorant. – Mamie, s'il te plaît...

FLORENTINE. – Laisse parler ta grand mère, t'en as déjà vu de toutes les couleurs avec ton taureau daltonien. (A Mercédès.) Quant à toi, tu dégages vite fait ou je te mets le portrait en trois dimensions.

FABRICE. – Un peu de calme mamie, les lois de l'hospitalité nous obligent à...

FLORENTINE, le coupant. C'est bien à vous de parler d'hospitalité ! Quand on voit avec quelle délicatesse vous me recevez sous votre toit...

PAULO, s'en mêlant. – M'sieu Fabrice a raison. Vous ne pouvez pas jeter dehors une femme de la classe de madame.

FRÉDO, même jeu. – J'suis pas ben au courant de tout, mais j'fais confiance à mon frère.

FLORENTINE, aux 2 frères. De quoi ils se mêlent les deux Dupont ? (Ou Laurel et Hardy ou autres...) On les a sonnés ?

FRÉDO, déclamant. – On est ici par la volonté du boss et on en sortira qu'à la force des bicyclettes. (A son frère.) T'as vu comment je l'ai sorti la tirade de l'émir ?

PAULO, étonné. – Quel émir ?

FRÉDO, sûr de lui. – L'émir Habo... Tu sais, la phrase qu'il a prononcée dans la salle où il fabriquait du jeu de pommes dans le temps.

PAULO, attristé. – Eh ben, je comprends mieux pourquoi t'as redoublé trois fois ton CP !

INÈS – Dernière sommation Fabrice. Ou tu paies la dette de jeu d'Alexis ou je fais un scandale !

FABRICE. – Des clous ! Madame lui a donné de l'argent lorsqu'ils se sont rencontrés... Qu'il s'en serve !

INÈS – Tu lui en donnes tellement peu qu'il faut bien qu'il s'en procure par ailleurs. (A Alexis.) Pourquoi elle t'a donné de l'argent ?

PAULO. – Rapport à une bassine qu'il lui aurait prêtée pour vomir dedans, tous les deux ensemble. C'est un amour très viscéral.

INÈS – Tu as toujours cet argent, Alexis ?

ALEXIS, tout penaud. – J'ai tout perdu au jeu, sitôt rentré en France.

MERCÉDÈS, un peu choquée. Aux jeux ? C'était censé te servir pour commencer ta biographie

PAULO. – Quel loser ! Et on raconte quoi au patron, nous, hein ?

ALEXIS, tout penaud. – Qu'il me donne un délai supplémentaire ?

INÈS et FLORENTINE – Fabrice, un chèque !

FABRICE. – Que dalle !

PAULO, faisant craquer ses phalanges. – Dans ce cas, on commence le désassemblage...

FRÉDO, même jeu. – Affirmatif frangin !

Ils avancent, menaçants vers Alexis qui se réfugie derrière sa mère et sa mamie.

ALEXIS, paroles de « Laisse mes mains sur tes hanches » en les chantant. – Laissez vos mains sur vos han-hanches, ne faîtes pas ces yeux furibonds, c'est pas très bon la vengean-ance...

PAULO, menaçant. – Va raconter ça à Adamo ! (A actualiser éventuellement.)

MERCÉDÈS, surprise. – Messieurs messieurs, je croyais que nous étions unis pour le défendre ?

PAULO. – Désolé princesse mais on ne joue pas dans la même cour.

FRÉDO. – Affirmatif ! Il a paumé pas mal de pèze au poker et le patron du tripot lui a consenti un prêt à court terme.

PAULO. – A un taux préférentiel de 15% que môssieu refuse de rembourser.

FRÉDO. – Alors nous, on est chargé de récupérer ce pognon.

MERCÉDÈS. Et combien doit-il à votre patron ?

PAULO. – 50.000 euros.

FRÉDO. – Plus les intérêts de retard.

MERCÉDÈS. – C'est tout ? Vous faîtes tout ce tintouin pour si peu ?

INÈS, à son mari. – Prends en de la graine.

MERCÉDÈS. – Je suis toute disposée à affranchir Alexis de sa dette de jeu...

PAULO, ravi. – C'est super sympa de sponsoriser les jeunes en recherche d'emploi.

FRÉDO. – Vous payez par chèque ou en liquide ?

PAULO, sortant un papier de sa poche. – On vous donne la reconnaissance de dette dès réception de la somme.

MERCÉDÈS, calmement. – Affranchir Alexis de sa dette... à une condition...

TOUS, sauf Alexis. – Laquelle ?

Elle fait signe à Alexis de s'approcher d'elle. Il s'exécute, tout penaud. Elle le prend dans ses bras.

MERCÉDÈS. – Qu' Alexis quitte cette maison et vienne vivre avec moi.

FLORENTINE. Vous ne voulez pas qu'il se marie avec vous, tant que vous y êtes ?

MERCÉDÈS. – Pourquoi pas ! Je suis riche, en bonne santé, veuve, sans enfant et sans famille...

INÈS, révoltée. – Non, mais ça ne va pas ! Je ne veux pas d'une belle fille de mon âge !

MERCÉDÈS. – Quelle importance si nous nous aimons. Et puis, nous continuerons à nous voir, tous les cinq... une ou deux fois par an...

INÈS, attristée. – Et moi qui rêvait d'avoir des petits enfants...

FLORENTINE. Là, c'est râpé ma grande. Ta future bru doit être ménopausée depuis au moins quinze ans.

FABRICE, moqueur. – Et c'est un peu mal barré pour qu'elle vienne veiller sur tes vieux jours... Vous êtes bien parties toutes les deux pour partager la même chambre à l'ehpad du coin !

MERCÉDÈS, prenant Alexis par un bras. – Viens chez moi, mon chéri, je vais t'offrir une vie de rêve.

INÈS, attrapant son fils par l'autre bras. – Lâchez le il est à nous.

MERCÉDÈS, ramenant Alexis à elle. – Il a l'âge de quitter sa famille.

FLORENTINE, aidant sa fille à tirer Alexis par le bras pour le ramener vers elles. Pas pour vivre avec une vieille peau !

PAULO, en arbitre. – Réfléchis bien mec. D'un côté tu repars à neuf... compteur à zéro...

FRÉDO. – De l'autre, on te lâche pas d'une semelle.

FLORENTINE, violemment. Vos gueules les corbeaux !

FABRICE, intervenant. – Et qu'en pense le principal intéressé ?

ALEXIS, à Mercédès, tout péteux. – Pardonne moi Mercédès... je ne pense pas être encore mûr pour le mariage...

FRÉDO. – Mais si mais si.

ALEXIS, à Mercédès, même jeu. – Nous nous connaissons si peu...

PAULO, idem son frère. – Mais non mais non.

ALEXIS, à Mercédès, tout péteux. – Il faut que je réfléchisse...

MERCÉDÈS, le relâchant. – Je te laisse jusqu'à ce soir.

ALEXIS, pitoyable. – C'est un peu court...

MERCÉDÈS, tentatrice. – L'amour...l'argent... les voyages... les salles de jeux à profusion... la liberté...A toi de choisir...

ALEXIS, indécis. – C'est tentant...

MERCÉDÈS, tentatrice. – Je suis descendue à l'hôtel du Lion d'Or. J'attends ta réponse et j'accours. (Elle l'embrasse.) A très vite mon amour, tu me manques déjà.

Elle sort.

FABRICE, cynique. – Voilà un genre de gibier qui manquait à ton tableau de chasse. Tu bouffes à tous les râteliers, mon cochon !

FLORENTINE, violemment. Arrêtez de le harceler, il est déjà assez malheureux comme ça.

FABRICE, cynique, même jeu. – Ta carrière de matador brisée en quelques minutes... On peut toujours demander au père Basile d'envoyer son taureau chez l'ophtalmo...

INÈS, se forçant à rire. – Ah ah ah. Tu te crois spirituel sans doute ?

FABRICE. – Bien moins que le bestiau qui vient de lui donner une bonne leçon.

Inès et Florentine vont entourer Alexis et le bichonner.

FLORENTINE, affolée. – Tu ne vas pas nous quitter pour suivre cette ensorceleuse ?

INÈS, même jeu. – Cette Lucrèce Borgia !

FLORENTINE, idem. – Cette Mata-Hari !

FABRICE-FRÉDO-PAULO. – Mais si, mais si !

INÈS, outrée. – Vous ne pensez vraiment qu'à votre fric, tous les trois !

PAULO. – Si on ne ramène pas le pognon, on peut dire adieu à notre boulot, nous !

FLORENTINE. – Égoïste ! Y a pas que le travail qui compte dans la vie.

FRÉDO. – Ah ben si, quand même un peu...

ALEXIS, indécis. – Je vais peut être réfléchir jusqu'à ce soir...

INÈS, inquiète. – N'écoute pas le chant des sirènes...

FRÉDO. – Sirène, sirène...Sa couguar elle tiendrai plutôt de la baleine.

FLORENTINE. – Fais comme Ulysse, bouche toi les oreilles quand elle te parle...

FRÉDO. – On laisse Ulysse où il est, y a déjà bien assez de monde dans le coup.

PAULO. – T'as raison mon pote, réfléchis. Et nous, on va attendre sagement ta décision avant d'agir.

INÈS, outrée. – Vous n'allez pas vous installer chez nous jusqu'à ce soir ?

PAULO. – On va s'gêner...

FRÉDO, sortant un jeu de cartes de sa poche. – Qui veut faire un petit poker avec moi, histoire de passer le temps ?

ALEXIS, se levant. – Moi, je veux bien.

PAULO, le faisant se rasseoir. – Rembourse d'abord tes dettes, on verra après.

FRÉDO, à Florentine. – Ça lui dit à la grand mère de tenter sa chance ?

FLORENTINE. – A part la belote, je ne connais rien aux jeux de cartes.

FRÉDO. – C'est quasiment pareil. Je vais vous apprendre si vous voulez, c'est pas très compliqué.

FLORENTINE. – Pourquoi pas, ça me détendra. Allons faire ça à la cuisine.

Elle s'y dirige, suivie de Frédo, tout sourire, qui commence à battre ses cartes.

FRÉDO, en aparté, passant près de son frère. – Oh la dinde ! Comment que je vais te la plumer !

PAULO, en aparté, même jeu. – Va pas au delà de sa pension de retraite, quand même.

Frédo sort en riant, côté cuisine. Presque aussitôt, la porte d'entrée s'ouvre et deux femmes, très excitées entrent. Elles parcourent la pièce du regard et, apercevant Alexis blotti près de sa mère, elles foncent vers lui.

FORTUNATA, menaçante. – Ah te voilà, larve infecte !

ORSULA, une photo à la main. – C'est bien lui et l'adresse était exacte.

ALEXIS, apeuré. – Qui... qui... qui... qui êtes vous ?

FORTUNATA, même jeu. – Fortunata et Orsula Tiras... ça te rappelle quelque chose ?

ALEXIS, apeuré. – Pas... pas... pas... pas du tout.

ORSULA, une photo à la main. – Les soeurs de Violetta Tiras... la petite bergère que tu as séduite sur la colline d'Orgosolo... (Tête de Alexis qui vient de comprendre.) La mémoire te revient ?

ALEXIS, minable. – J'savais pas qu'elle avait des soeurs aussi charmantes...

FORTUNATA, même jeu. – Fous toi de not'gueule, en plus !

FABRICE. – Oh pétard, ça continue !

PAULO. – De la paire, t'es passé au brelan et te voilà maintenant avec deux cartes supplémentaires... Une jolie quinte pour un drôle de loser !

On peut envoyer la même musique et chanson qui ont clôturé le 1er acte.

RIDEAU et ENTRACTE

ACTE 3

Le même jour, quelques instants plus tard. Florentine est avec Frédo à jouer au poker dans la cuisine, Alexis est blotti près de sa mère alors que les deux soeurs sardes sont près de lui, menaçantes. Fabrice suit la scène de loin et Paulo se nettoie les ongles avec un impressionnant couteau.

ALEXIS, tout ratatiné sur lui même. – Puisque je vous dis que je ne l'ai pas touchée votre sœur.

FORTUNATA, menaçante. – Pourquoi tu ne l'as pas touchée... elle ne te plaisait pas Violetta ?

ALEXIS, même jeu. – Si si... mais...

ORSULA, même jeu que sa soeur. – Monsieur fait la fine gueule sur la marchandise ?

ALEXIS, même jeu. – Noooonnn...

FORTUNATA. – Monsieur préfère les filles de la ville ?

ALEXIS, même jeu. – Noooonnn...

ORSULA. – Alors... tu l'as touchée ou tu ne l'as pas touchée, notre petite sœur ?

ALEXIS, timidement. – Juste un peu embrassée...

INÈS, au secours de son fils. – C'est un garçon très attachant.

FABRICE, cynique. – Qui embrasse la vie à pleine bouche.

FORTUNATA. – Chez nous, en Sardaigne, on n'embrasse pas à pleine bouche !

ORSULA. – Donc, tu l'as embrassée ?

ALEXIS, timidement. – Ouiiiiiii.

FORTUNATA. – Combien de fois ?

ALEXIS, timidement. – Je ne sais plus...

ORSULA. – Comment ça, tu ne sais plus ?

ALEXIS, essayant de plaisanter. – Quand on aime... on ne compte pas.

FORTUNATA. – Donc tu l'aimes ?

ALEXIS, très vite puis se rétractant. – Oui... non... enfin oui... enfin non... c'est à dire que....

ORSULA. – Tu l'aimes ou tu l'aimes pas ?

ALEXIS, tout péteux. – Je ne sais plus...

FORTUNATA. – Le problème, c'est que la petite s'est attachée à toi.

ALEXIS, tout péteux. – Juste avec quelques baisers ?

ORSULA. – Nous sommes comme ça, nous les femmes sardes. Quand on embrasse un homme, c'est tout notre honneur qui est en jeu.

FORTUNATA. – Et nous appartenons à cet homme, notre vie entière.

ORSULA. – Si tu devais disparaître de façon tragique, sois tranquille, elle ne se mariera jamais avec un autre.

ALEXIS, dédramatisant. – Faut pas, faut pas... la vie doit continuer malgré tout.

FORTUNATA. – Pas sans toi. Tes baisers l'ont déshonorée à jamais. Aucun homme digne de ce nom ne voudra d'elle à présent. 

INÈS, au secours de son fils. – Vous n'avez pas l'impression de pousser le bouchon un peu loin ?

ORSULA. – Toi la mamma, quand on aura besoin de ton avis, on t'appellera !

FABRICE, très agacé. – Tu as couché avec cette petite, oui ou non ?

ALEXIS, minable. – Je n'ai pas pu...

ORSULA. – Comment ça... tu n'as pas pu ?

FORTUNATA. – Elle n'était pas assez bien faite pour toi, notre Violetta ?

ALEXIS, minable. – Si si... mais elle sentait un peu trop la chèvre...

ORSULA. – Tu pourrais répéter un peu plus distinctement ?

ALEXIS, se justifiant. – Ce n'est pas de sa faute, l'odeur devait venir du troupeau...

FORTUNATA. – Tu ne te mets jamais d'After chèvre après ton rasage ? (After shave)

Elles éclatent de rire toutes les deux entraînant Alexis, d'abord timidement puis à gorge déployée ensuite.

ALEXIS, en riant. – C'est rigolo ça... c'est un bon calembour...

ORSULA, se fâchant brusquement. – Et ça t'amuse que notre petite sœur soit parfumée naturellement à la sécrétion glandulaire de caprin ?

ALEXIS, se figeant. – Non... mais j'ai pas supporté l'odeur... j'ai l'estomac très très fragile...

INÈS. – Pensez donc, il a vomi pendant son voyage de retour, le pauvre chéri.

FORTUNATA. – Pendant que Violetta te cherchait partout en pleurant toutes les larmes de son corps, monsieur vomissait son mépris par dessus le bastingage d'un bateau.

INÈS, minimisant. – C'est bien triste mais qu'est ce qu'on y peut.

ORSULA. – Qu'il répare !

ALEXIS, apeuré. – Répare quoi... je n'ai rien cassé.

FORTUNATA. – Tu as cassé Violetta psychologiquement.

ORSULA. – En lui parlant du ciel étoilé... le soir près de son feu de camp...

FORTUNATA. – En lui chantant le métèque... avec ta gueule de juif errant, de pâtre grec et tes cheveux aux quatre vents...

ORSULA. – Elle a pensé que le pâtre grec voulait garder le troupeau avec elle.

ALEXIS. – C'est elle qui s'est fait des idées. Moi j'arrêtais pas de sentir la chèvre et le bouc...

ORSULA, le prenant par un bras. – Allez viens, suis nous.

ALEXIS, apeuré. – Pour aller où ?

FORTUNATA. – A Orgosolo. Elle t'attend pour l'aider à garder son troupeau de chèvres.

INÈS. – Il n'a jamais gardé de bestiaux de sa vie.

FABRICE, cynique. – Y a que moi qu'il fait tourner chèvre à longueur de journée.

ORSULA. – Elle lui apprendra, ainsi qu'à traire les bêtes tous les soirs et fabriquer du fromage.

INÈS. – Alexis est végan, il ne mange pas de fromage.

FORTUNATA. – On lui demande pas d'en manger, mais d'en fabriquer !

ALEXIS, s'accrochant à sa mère. – Môman, j'veux pas m'en aller.

INÈS. – Si vous voulez un dédommagement, on peut en discuter.

FORTUNATA. – Chez nous, on tire d'abord et on discute ensuite.

FABRICE. – Ce pourrait être un excellent apprentissage entouré des maris de ces dames.

ORSULA. – Y a pas de maris.

FABRICE. – Vous êtes veuves ?

FORTUNATA. – Fille mère... de mère en fille.

FABRICE. – Tout un programme.

La porte de la cuisine s'ouvre doucement et on voit apparaître la tête de Frédo.

ORSULA. – Qui c'est celui-là ?

ALEXIS, espérant trouver du salut. – Un de mes gardes du corps.

FORTUNATA. – Chouette, on va pouvoir s'amuser.

ORSULA. – Approche bonhomme, n'aie pas peur.

FRÉDO, bredouillant. – J'ai... j'ai... j'ai pas peur... (Il apparaît entièrement.) J'ai froid.

Il est quasi dévêtu, en marcel, caleçon et chaussettes. (Evitez le gag lourd et archi vu du caleçon sale.) Il avance timidement dans la pièce, tirant sur son marcel pour le ramener vers le bas de façon à cacher son caleçon. Il rase les murs et va se protéger derrière son frère.

PAULO, stupéfait. – Frédo, c'est quoi ce cirque ?

FRÉDO, bredouillant. – C'est... c'est … c'est la vieille...

PAULO, stupéfait. – Ne me dis pas que la vieille dinde t'a plumé ?

INÈS. – Si maman est une vieille dinde, votre Frédo est un jeune perdreau de l'année.

FRÉDO. – J'y comprends rien... elle ne sait même pas jouer... à chaque tour, elle demande qui c'est l'atout...

PAULO, en colère. – Toi, un habitué des salles de jeux, te faire avoir comme un gamin par une mamie qui confond belote et poker !

FRÉDO, honteux. – Justement, je m'suis pas méfié... Elle a du jeu plein les mains et elle me sort des quintes flush et des carrés sans savoir leur valeur...

PAULO, le reluquant. – Et pourquoi t'es à moitié à poil ?

FRÉDO. – Elle m'a pompé tout mon fric en trois tours de cartes...

PAULO, attendant la suite. – Et alors...

FRÉDO. – Pour me refaire, j'ai misé mes fringues... mais j'ai encore perdu.

PAULO. – Caleçon, chaussettes, t'as réussi à sauver l'essentiel.

FRÉDO, honteux. – Même pas... elle me les a prêtés...

PAULO. – Tu veux dire que tu as fini la partie en poker déshabillé ?

FRÉDO, honteux. – Par pudeur, elle m'a autorisé à garder le minimum... contre une reconnaissance de dette...

PAULO, en colère. – Tu lui a signé une reconnaissance de dette... pour tes fringues ?!

FRÉDO, minable. – C'était ça ou je sortais tout nu de la cuisine.

ALEXIS. – Heureusement que c'est pas mamie qui a perdu.

FABRICE. – J'ose pas imaginer ta grand mère débouler ici en slibard, gaine et soutien gorge Damart.

PAULO. – Tu es la honte de la profession Frédo! Si môman te voyait...

FRÉDO, minable. – Faudra pas lui répéter...

FLORENTINE, voix off. – Qui veut tenter sa chance ?

PAULO. – T'inquiète Frangin, je vais te récupérer ta panoplie en moins de deux.

FRÉDO. – Fais gaffe, elle est redoutable.

Il sort quelques billets de sa poche et fonce vers la cuisine.

PAULO. – Battez les cartes, j'arrive ! (Il entre dans la cuisine et ferme la porte derrière lui.)

FORTUNATA, à Alexis, ironique. – C'est ça ton garde du corps... qui n'est même pas fichu de protéger sa propre chemise ?

ORSULA, allant vers Frédo. – Regarde Fortunata, il est gros comme un salami, j'en ferais qu'une bouchée. (Elle retrousse ses manches et se crache dans les mains.)

FRÉDO, se ratatinant. – Faut pas forcer sur la charcuterie, c'est pas bon pour le cholestérol.

FORTUNATA, à Alexis, ironique. – Si j'ai bien tout compris, le gros qui se curait les ongles dans son coin, ce serait ton frère ?

FRÉDO, peureux. – Oui... c'est Paulo... mon grand frère qui veille sur moi...

ORSULA. – Il veille sur toi pendant que toi, tu veilles sur Alexis ?

FRÉDO, peureux. – Oui... non... enfin si.... enfin non...

FORTUNATA, à Frédo. – Et pourquoi il a besoin de gardes de corps, Alexis ?

FRÉDO, peureux. – On le protège parce qu'il doit de l'argent à notre patron et on ne voudrait pas qu'il lui arrive malheur avant d'avoir remboursé sa dette.

ORSULA. – Et pourquoi il doit de l'argent ?

FABRICE, intervenant, agacé. – Parce que notre fils est un joueur invétéré qui court les casinos, les salles de jeux, les champs de courses...

INÈS. – Fabrice !

FABRICE, même jeu. – Ces dames ont le droit de savoir avec qui leur sœur va se marier.

FORTUNATA, pragmatique. – Pas grave. Seul avec les chèvres, sur la colline d'Orgosolo, il sera vite désintoxiqué de son addiction aux jeux.

ALEXIS. – Eh oh doucement, je ne suis pas encore fiancé...

FORTUNATA. – C'est tout comme. Violetta t'aime, tu l'aimes... alors où est le problème ?

ALEXIS. – Je ne veux pas passer mes journées entières à parler avec des chèvres …

ORSULA. – En amour, faut savoir faire des concessions.

FABRICE, insistant. – Il sait faire ça très très bien... les concessions, c'est son truc.

ALEXIS. – Papa !

FORTUNATA. – Et quand vous serez mariés, le troupeau de Violetta t'appartiendra...

FABRICE, allant vers son bureau. – Bougez pas, je vais voir dans mon bureau ce que je peux lui apporter comme dot... De quoi nourrir le troupeau pendant deux ou trois ans...(Il sort vers son bureau.)

ALEXIS, à sa mère. – Môman... il est en train de me brader contre des bestiaux...

FORTUNATA. – Tu as de la chance d'avoir un papa qui aime bien les chèvres.

ORSULA. – Tu verra, toi aussi, tu les aimeras les chèvres à Violetta

ALEXIS, à sa mère. – Elles puent ses chèvres, c'est atroce !

ORSULA. – Au bout de trois jours, tu sentiras tellement toi même que tu n'y prêteras même plus attention.

FORTUNATA, fermement. – Assez discuté ! Vous nous payez le voyage du retour et vous nous accompagnez qu'on présente ce jeune homme à la Mama pour avoir sa bénédiction.

ALEXIS. – Parce que c'est la Mamma qui décide ?

ORSULA. – Toujours. A 102 ans, y a pas intérêt à se passer de son avis.

INÈS. – A cet âge là, elle ne doit pas faire peur à grand monde...

ORSULA. – Elle non... son vieux fusil de chasse, lui, est très persuasif.

FORTUNATA. – Toujours chargé, sur ses genoux, prêt à intervenir à toute éventualité...

ORSULA. – Les deux hommes qui nous ont lâchement séduites, il y a 20 ans, en ont fait les frais. (Voir âge possible en fonction de celui des 2 sœurs.)

FORTUNATA. – Ils ont eu le tort de lui tourner le dos avec mépris.

INÈS. – Elle les a abattus de sang froid ?

ORSULA. – Touchés dans leur intimité fessière seulement...

FORTUNATA. – 200 grammes de chevrotine chacun. D'après le médecin, leurs derrières ressemblaient plus à de la viande hachée qu'à des culs (ou des fessiers.) de séducteurs.

INÈS. – Vous ne croyez tout de même pas que je vais livrer mon fils unique à des sauvages de votre espèce !

ORSULA. – Il va bien, falloir ma petite dame...

FORTUNATA. – Sinon, on casse tout et on fout le feu à la baraque !.

ALEXIS, minable. – Môman, j'veux pas retourner en Sardaigne...

INÈS. – Nous nous y opposerons de toutes nos forces.

ORSULA, montrant Frédo. – Ah oui ? Et vous comptez sur le salami pour nous intimider ?

FORTUNATA, à Frédo. – Il en pense quoi, le fier à bras ?

FRÉDO, intimidé. – Faut... faut... faut que je demande à Paulo...

ALEXIS, minable. – Môman, elles me font peur... J'aime encore mieux partir avec Mercédès.

ORSULA. – Quelle Mercédès ?

FORTUNATA. – Il veut se barrer avec sa bagnole ce salopard !

FRÉDO, timidement. – Mercédès... c'est une autre femme qu'il a rencontrée sur un bateau.

ORSULA, attrapant Frédo par son marcel. – Tu le savais et tu ne disais rien.

FRÉDO, timidement. – Vous... vous ne m'avez rien demandé...

FORTUNATA, à Frédo. – Qu'est ce qu'elle a de plus que notre Violetta... cette Mercédès ?

FRÉDO, timidement. – Elle est riche...

ORSULA, tenant toujours Frédo par son marcel. – Très très riche ?

FRÉDO, se rattrapant. – Oui... mais très très moche... Je suis sûr que votre petite sœur est beaucoup plus jolie qu'elle... surtout avec des frangines aussi séduisantes que vous...

FORTUNATA, à Frédo. – Te fous pas de not' gueule l'Apollon !

ORSULA, lâchant Frédo pour aller vers Alexis. – Je le crois pas ! Tu as préféré la richesse d'une vieille bourgeoise décrépite à l'innocente beauté d'une jeune bergère désargentée ?

ALEXIS, bredouillant. – Oui... non... c'est à dire que...

ORSULA, tout près d'Alexis. – C'est à dire que quoi ?

ALEXIS, bredouillant. – C'est à cause du roulis et du tangage...

ORSULA, menaçante. – Le roulis ? Je vais te rouler quelque chose, tu vas voir !

INÈS. – Il était malade sur le bateau et la Mercédes aussi.

FORTUNATA, du tac au tac. – De quoi je me mêle ! On parle à ton fils !

ALEXIS. – Môman a raison. Le fait d'être malades tous les deux nous a rapproché. Sinon, vous pensez bien que n'aurais pas oublié votre sœur aussi vite...

FORTUNATA. – Tu me fais un bel hypocrite... mais sois tranquille, on va t'apprendre les bonnes manières de chez nous, crois moi.

ALEXIS, affolé. – C'est la faute à Mercédès... c'est elle qui m'a provoqué.

ORSULA. – Et elle est où, ta Mercédès en ce moment ?

On sonne à la porte d'entrée et la porte s'ouvre sans attendre. Retour de Mercédès, toute excitée. Elle va droit vers Alexis qu'elle embrasse fougueusement, sans se soucier des autres. Les deux sardes s'écartent tandis que Frédo plonge se cacher derrière un fauteuil.

MERCÉDÈS. – Alexis, mon amour !

ALEXIS, affolé. – Mercédès ! Tu ne devais revenir que ce soir...

MERCÉDÈS. – Je t'ai tellement dans la peau que ne peux pas attendre plus longtemps. As-tu réfléchi ?

ORSULA - FORTUNATA, ensemble. – Réfléchi à quoi ?

MERCÉDÈS, réalisant la présence des soeurs. – Qui sont ces dames ?

ORSULA - FORTUNATA, ensemble. – Les soeurs de Violetta !

MERCÉDÈS. – Et qui est Violetta ?

ALEXIS, à Mercédès. – Je vais t'expliquer...

MERCÉDÈS. – Inutile... j'ai compris... C'est une de tes conquêtes de voyage ?

ALEXIS, un peu péteux, à Mercédès. – Oui... mais je l'ai pas fait exprès...Je te le promets...

MERCÉDÈS, enflammée. – Comment pourrais je t'en vouloir ? Tu es tellement beau et intelligent que tu fais des ravages dans tous les cœurs.

ALEXIS, content du dénouement. – Je suis bien content que tu le prennes comme ça.

MERCÉDÈS, enflammée. –Je sais que ce n'était qu'une amourette de rien du tout... une passade avant de me connaître.

ORSULA, outrée. – Notre petite sœur... une passade !

FORTUNATA, même jeu. – Une amourette de rien du tout !

ORSULA, outrée. – Alors qu'elle se morfond à en mourir dans notre village !

FORTUNATA, même jeu. – Que sa vie est brisée à cause de ce coureur de jupons !

MERCÉDÈS, avec dédain. – Bah ! Elle s'en remettra, elle est jeune. Elle trouvera bien un imbécile de touriste à alpaguer à son tableau de chasse.

ORSULA, outrée. – Non madame ! Les filles d'Orgosolo n'alpaguent pas les touristes et elles ne se visitent pas comme la chapelle Sixtine ou la tour de Pise...

FORTUNATA, même jeu. – Et elles n'ont pas de tableau de chasse comme peuvent en avoir certaines cougars.

MERCÉDÈS, agacée. – Assez discuté ! Alexis n'est pas pour vous, il est à moi. D'ailleurs il est à vendre pour la modique somme de 50.000 euros. Vous avez cet argent sur vous ?

ORSULA - FORTUNATA, ensemble. – 50.000 euros ?

La porte de la cuisine s'entrebâille doucement et la tête de Paulo apparaît de la même manière que celle de Frédo précédemment.

PAULO, timidement. – Frédooooo...

MERCÉDÈS, ravie. – Voilà ma garde rapprochée qui arrive.

FRÉDO, sortant de derrière son fauteuil. – Tu l'a eue, la mémée ?

PAULO, confus. – Pas vraiment.

Entrée toute péteuse de Paulo, vêtu comme son frère en début d'acte. Mêmes gestes pour cacher sa nudité.

MERCÉDÈS, découvrant Frédo et Paulo en caleçon. – Monsieur Frédo, monsieur Paulo...que faîtes vous dans cette tenue ?

ORSULA, outrée. – Ces français, quels indécents !

FORTUNATA, même jeu. – Si la mamma était là, je ne donnerais pas cher de vos attributs virils.

Instinctivement, ils se protègent le bas du corps. Inès en profite pour sortir côté appartement. Retour de Fabrice du bureau.

FABRICE, intervenant, amusé. – Vous avez débâché un max, les gars ! Des bouffées de chaleur ? Un début d'andropause ?

PAULO, confus. – C'est vot' belle mère...

FABRICE, le coupant. – Qui vous a donné des bouffées de chaleur ? Y a vraiment pas de quoi tomber en pâmoison devant elle.

PAULO, confus. – Elle est redoutable.

FRÉDO, moralisateur. – Je t'avais dit de te méfier.

PAULO, se justifiant. – J'ai gagné les trois premiers tours... Elle n'avait que des paires ou des brelans... Des clopinettes quoi !

FRÉDO. – Et ensuite ?

PAULO, s'enflammant. – Au quatrième tour, elle me sert un carré de neuf en première main... Un carré de neuf, c'est du costaud... alors j'ai tout misé sur le tapis...

FRÉDO. – Et alors ?

PAULO, dépité. – Elle me sort un carré de roi. Tu te rends compte Frédo... un carré de roi sur un carré de neuf ! Du jamais vu, incroyable !

FRÉDO, s'énervant. – T'as paumé tout ton fric sur ce coup là ?

PAULO, catastrophé. – Tout...

FRÉDO. – Ça ne m'explique pas pourquoi t'es à moitié à poil ?

PAULO, minable. – Elle m'a proposé de jouer tes fringues contre les miennes. J'ai accepté … d'autant que j'avais un carré de dames en main.

FRÉDO. – Me dis pas qu'elle avait mieux ?

PAULO, douloureux. – Siiiii ! Elle a étalé un carré d'as sur la table. Elle a un pot du diable cette vieille.

FRÉDO. – Elle t'as aussi laissé le minimum vital ?

PAULO, tout péteux. – Contre une reconnaissance de dette...

FRÉDO, lui donnant à son tour une claque derrière la tête. – Bravo ! T'es guère plus fin que moi.

FORTUNATA. – Voulez vous bien vous revêtir tout de suite, vous êtes devant des dames respectables.

PAULO, montrant la cuisine. – On veut bien mais la vieille nous a piqué nos fringues.

Inès qui était sortie quelques répliques plus tôt revient avec une vieille couverture.

INÈS, leur donnant la couverture.Cachez vous là dessous, on vous a déjà assez vus. Tout habillés vous étiez déjà très moches mais alors là, c'est le pompon !...

Ils se jettent sur la couverture, chacun essayant d'en tirer le maximum pour se cacher. Paulo étant le plus « volumineux », il s'accapare quasiment toute la surface du plaid, au détriment de son frère qui tire de son côté pour en récupérer un bout.

FRÉDO. – Eh oh, prends pas tous les draps, j'le dirai à môman !

ORSULA, à Alexis. – Ils sont beaux, tes protecteurs.

FORTUNATA, même jeu. – Chez nous, dans le maquis, ils ne survivraient pas trois jours.

ORSULA. – Embrochés par les sangliers... griffés par les chats sauvages...

FORTUNATA, même jeu. – Piqués par les scorpions... mordus par les serpents...

ORSULA. – Empoisonnés par les plantes toxiques et couverts d'allergie par des insectes ravageurs... (A chaque énoncée, les deux gars se ratatinent sur eux mêmes.)

PAULO, tout péteux. – Ça ne donne pas très envie d'aller chasser le sanglier en Sardaigne. Pas vrai Frédo?

FRÉDO. – Affirmatif Frérot !

FORTUNATA, avec mépris. – Ça tombe bien, on n'a pas besoin de lopettes chez nous.

ALEXIS, peureux. – Moi aussi, j'suis pas très partant pour...

FORTUNATA, le prenant par l'épaule. – Toi, c'est différent, tu connais déjà le pays...

ORSULA, même jeu à l'autre épaule. – Et tu reviens là bas pour ton mariage... pas pour la chasse.

ALEXIS, peureux. – Oui... mais les bêtes, les serpents, les scorpions... tout ça...

FORTUNATA, le serrant contre elle. – T'inquiète pas beau frère, Violetta te fera connaître la faune et la flore de l'île et te dira comment te protéger des dangers.

ALEXIS, peureux. – Ah oui... beau frère carrément... déjà... (Implorant, à son père.) P'pa, fais quelque chose...

FORTUNATA, le serrant contre elle. – Il a déjà beaucoup fait ton père, en te préparant une dot.

ORSULA, le serrant de l'autre côté. – Et tu seras très heureux entre nous et la mamma.

ALEXIS, inquiet. – Parce qu'il faudra que nous vivions tous ensemble ?

ORSULA, le prenant au col. – Tu ne voudrais pas laisser une vieille de 102 ans toute seule à la merci du premier brigand venu ?

ALEXIS, timidement. – Elle a son fusil pour se défendre... et vous, vous serez là aussi...

FORTUNATA, même jeu que sa soeur. – Et s'il s'enraye son vieux pétard ? Qu'est ce qu'elle fait la pauvre mamma  avec ses deux pauvres filles sans défense auprès d'elle ?

INÉS, pas convaincue. – Sans défense, sans défense...

FORTUNATA. – Ça ne se voit peut être pas, mais nous sommes extrêmement fragiles toutes les deux.

ORSULA. – Et puis chez nous, dans le maquis, nous avons le culte de la famille. Quand un homme épouse une fille, il prend avec elle, son père, sa mère, ses frères et ses sœurs...

PAULO - FRÉDO, instinctivement, chantant la chanson de Claude François. – Oh oh, ce serait le bonheur...

FORTUNATA, s'énervant. – Et ça vous fait rire, vous, les deux Dupont ?

ORSULA, aux autres. – Allez zou, ramassez vos affaires et préparez vos valises, on part dès ce soir.

MERCÉDÈS, les montrant du doigt. – VOUS, vous partez. Alexis vient avec moi et sa famille reste ici. C'est clair ?

FORTUNATA, à sa soeur. – Qu'est ce qu'elle a dit la mère bagnole ?

ORSULA. – Apparemment, la mercédès a un problème à l'allumage.

Arrivée de Florentine, venant de la cuisine, toute radieuse, avec les vêtements de Paulo et de Frédo sur les bras.

FLORENTINE, radieuse. – Incroyable, en une demie heure, je viens de me payer six mois de retraite. Nettement mieux que la revalorisation préconisée par le gouvernement. (L'indexation)

INÉS. – Tu te rends compte maman s'ils t'avaient plumée...

FLORENTINE, radieuse. – Aucun risque ma petite fille, je joue au poker trois fois par semaine, au club avec les copines.

INÉS. – Oui, mais là, tu jouais avec des spécialistes.

FLORENTINE, radieuse. – Eh ben tout spécialistes qu'ils sont... ils ne savent même pas tricher ces deux andouilles.

PAULO, révolté. – Quoi ! Vous avez triché ?

FLORENTINE, radieuse. – Un peu mon n'veu... et tu n'y as vu que du feu.

PAULO - FRÉDO, outrés. – C'est dégueulasse !

FRÉDO. – Voleuse !

FLORENTINE, radieuse. – Doucement Frédo, un peu de respect avec les personnes âgées et fragiles psychologiquement

PAULO, révolté. – Rendez nous notre argent !

FLORENTINE, montrant son front. – Eh oh, c'est pas marqué banque centrale là haut. (Ou nom de banque de votre région.) Mais comme j'suis une bonne fille, je veux bien vous rendre vos fringues.

Elle leur tend leurs vêtements. Ils lui arrachent des mains et se trompent dans leur précipitation, Frédo prenant les fringues de son frère.

FLORENTINE, les faisant se presser. – Et grouillez vous à vous rhabiller avant que je ne change d'avis. Vous êtes pitoyables.

Ils vont s'habiller très vite et, comme Mercédès leur parle en même temps, ils ne se rendront compte de leur erreur qu'une fois habillés.

MERCÉDÈS. – Monsieur Paulo... Si je rembourse la dette de jeu d'Alexis, vous pouvez me certifier que votre patron lui fichera la paix ?

PAULO, ravi. – Vous me signez un chèque et je vous donne la reconnaissance de dette. Affaire réglée, on n'en parle plus.

MERCÉDÈS, à Inès et Fabrice. – Voilà, vous pourrez dormir tranquille. Plus de menaces sur la tête de votre fils qui va retrouver la liberté... avec moi.

ORSULA - FORTUNATA, ensemble. – Et nous, et nous ?

FORTUNATA, menaçante. – Hors de question que vous partiez avec ce jeune homme.

MERCÉDÈS, faisant front. – Et vous comptez m'en empêcher ?

ORSULA, même jeu que sa soeur. – Tu n'as pas bien compris qui nous sommes ?

MERCÉDÈS, faisant front. – Deux fauchées qui n'ont pas un rond pour payer la dette de jeu de ce charmant garçon. Je vous ai déjà dit qu'il valait 50.000 euros...

FORTUNATA, menaçante. – Chez nous, on tire d'abord et on paye ensuite.

FRÉDO, comme un commissaire priseur. – On a dit 50000 euros à droite... qui dit mieux ? Mesdames ? Monsieur Fabrice ? Madame Inès ? 50000 euros à droite une fois... 50000 euros deux fois... 50000 euros trois fois ! Adjugé vendu ! Ce magnifique Alexis de 35 ans d'âge est attribué à madame Mercédès pour la somme de 50000 euros. Félicitations chère madame. (Il serre la main de Mercédès qui lui répond.)

MERCÉDÈS, tendant le bras vers Paulo. – Merci. Monsieur Paulo, la reconnaissance de dettes s'il vous plaît...

Paulo cherche dans ses poches, n'y trouve rien, réalise qu'il n'a pas la bonne veste. Il va fouiller dans les poches et fausse poches de la veste que porte son frère, sans n'y rien trouver. Stupéfaction. Tous le regarde.

PAULO, penaud. – Je l'ai perdue...

FRÉDO. – Comment ça, tu l'as perdue ?

Ils se remettent à fouiller chacun dans les poches de l'autre, sous le regard agacé de Mercédès. Il peut y avoir un jeu de scène intéressant à faire sur ce coup.

FLORENTINE, tenant un papier, main levée. – Ce serait y pas ça que vous cherchez des fois ?

FRÉDO, penaud. – Le papier du patron !

PAULO, agressif. – Rendez moi ça tout de suite.

FLORENTINE, fermement. – Des clous ! Ce papier est à moi. (Elle le glisse dans son soutien gorge.) Là, il est bien au chaud.

PAULO, autoritaire. – Frédo, va le chercher !

FRÉDO, réfractaire . – Eh oh, pourquoi moi ?

PAULO, autoritaire. – Parce que je suis le cerveau et toi l'exécutant (Ou je suis la tête et toi les bras et les jambes.)

FRÉDO, dégoûté. – J'en ai marre de toujours me taper les corvées ! Et puis, moi, on m'a toujours appris qu'il valait mieux s'adresser au Bon Dieu plutôt qu'a ses saints. Et là y a deux malabars de seins qui m'inspirent pas confiance. (Il avance, bras tendu vers la poitrine de Florentine.)

FLORENTINE, en position de karatéka. – Il reste où il est le nabot où je lui déglingue sa culasse.

FRÉDO, reculant. – Elle veut pas la dame...

PAULO, autoritaire. – Vas y en force.

FRÉDO, devant Florentine qui fait des moulinets avec ses bras. – Elle m'fout la trouille, la tortue Ninjà.

FLORENTINE, en position de karatéka. – Trois ans de taekwondo et deux de ju-jitsu au club. Faut pas me chercher.

FRÉDO, apeuré. – Si maintenant les vieux troquent la danse des canards contre les sports de combats...où va-t-on !

FLORENTINE. – Et en plus, je vous rappelle, à tous les deux, que j'ai gagné vos vêtements... le plus honnêtement du monde... avec tout ce qu'ils contenaient.

Les deux gars fouillent fébrilement dans leurs poches.

FRÉDO, affolé. – Mes papiers !

PAULO, même jeu. – Mes clés de bagnole !

FRÉDO, affolé. – Mes bonbons !

PAULO, même jeu. – La reconnaissance de dette !

INÉS. – Bravo maman, t'es trop forte.

FABRICE. – J'avoue, belle maman, que depuis une heure vous remontez dans mon estime.

FLORENTINE, fière. – Et ça vous écorcherait le bec, mon gendre, de me féliciter ?

FABRICE, moqueur. – Vous ne voulez pas non plus qu'on vous décerne le prix Nobel de la paix ?

FLORENTINE. – N'empêche que, grâce à moi, Alexis ne finira pas ses jours, acheté par une vieille poupée Barbie refaite de partout.

MERCÉDÈS. – Alexis, dis quelque chose...

ALEXIS, tout minable. – Ben, c'est à dire...

MERCÉDÈS. – C'est à dire quoi ?

ALEXIS, même jeu. – C'est à dire...

MERCÉDÈS. – C'est bon, j'ai compris. La reconnaissance de dette étant perdue, tu n'es plus à vendre... C'est ça ?

FLORENTINE. – T'as tout pigé ma grosse, alors tu dégages, Ça pue le Botox dès que tu bouges.

ORSULA - FORTUNATA, ensemble. – Dans ce cas, s'il est gratuit, il est à nous !

Elles se précipitent vers Alexis mais Mercédès s'interpose entre eux. 'elles entourent à nouveau.

MERCÉDÈS, bras en croix. – Si je ne peux pas l'avoir, personne d'autre ne l'aura.

ORSULA , menaçante. – T'es sûre de ça , la blondasse ?

MERCÉDÈS. – Je n'ai pas l'habitude de donner mes jouets à d'autres.

(Têtes outrées de tous.)

FORTUNATA , menaçante. – Sauf qu'Alexis n'est pas un jouet mais notre futur beau frère.

ORSULA . – La mamma ne nous pardonnerait pas de ne pas le rapporter intact à la maison.

FORTUNATA. – Et Violetta en mourrait de chagrin.

MERCÉDÈS, montrant les deux gars.- Et si je demandais à ces messieurs de vous virer comme des malpropres ?

Les deux frères sont assis quelque part, dépités, démoralisés.

FRÉDO, dépité. – A quoi bon. On a raté notre mission...

PAULO, même jeu. – Le boss va nous virer...

FRÉDO, dépité. – Neuneuil ne nous pardonnera jamais d'avoir paumé 50 tickets... S'il se met à loucher de not'côté...

PAULO, même jeu. – Il va nous envoyer ses tueurs... On est foutu...

MERCÉDÈS, invitant à la rejoindre avec le bras.- Paulo et Frédo avec moi ! A l'attaque !

ORSULA, main apaisante. – Soyez raisonnables les gars et vous serez invités à la noce à Orgosolo.

PAULO, désabusé. – Avec tous les serpents, les sangliers, les chats sauvages... Non merci !

FORTUNATA. – Soyez tranquilles, on prendra soin de vous.

ORSULA , aguicheuse. – Et puis, nous aussi, nous avons besoin d'hommes près de nous...

Têtes des deux gars qui ne sont pas très partants.

MERCÉDÈS,en surenchère. – Je vous embauche tous les deux. Au Smic pour commencer, blanchis, nourris, logés.

FRÉDO, dépité. – Faut que j'en parle à Josiane...

PAULO, claque derrière la tête. – Elle sera d'accord Josiane. (Tête de Frédo qui râle.) Vous disiez donc, blanchis, nourris, logés ?

MERCÉDÈS, aguicheuse. –Et plus si affinités... monsieur Paulo...

PAULO, tendant la main. – Topez là, patronne. On commence quand ?

MERCÉDÈS. – Tout de suite. Virez moi ces deux affreuses mégères !

Toujours dans leurs mauvais habits, ils vont récupérer un instrument contondant dans la pièce (A prévoir.) et s'avancer, menaçants, vers les deux sardes qui, pour le coup, prennent peur et se replient vers la sortie. Cette scène peut se faire au ralenti sur la musique de « Le bon, la brute et le truand » d'Ennio Morricone.

ORSULA - FORTUNATA, ensemble, au moment de sortir. – On l'aura un jour... on l'aura !

Elles sortent en hurlant tandis que les autres, victorieux, reposent leurs instruments. Florentine et Inès s'en emparent à leur tour et menacent Mercédès et ses sbires.

INÉS. – Après vous, messieurs dames, la porte est grande ouverte.

Personne ne bouge et Mercédès la toise avec dédain.

FLORENTINE, menaçante. – T'as entendu ce qu'a dit ma fille ou t'as les tympans sclérosés par l'âge ? (Elle lève on arme vers elle.).Va être temps de dégager le secteur, c'est bientôt pire que les manifs des ronds point, dans cette maison !

A partir de cet instant, les deux frères vont se positionner en gardes du corps auprès de Mercédès et procéder à son évacuation dans un excès de zèle risible.

PAULO, tendant les mains devant lui. – On vous protège patronne.

FRÉDO, même jeu. – Pas d'esbroufe, laissez nous sortir.

PAULO. – Frédo surveille les arrières.

FRÉDO, étonné. – Les arrières de la patronne ?

PAULO. – Mais non, banane, les arrières sur la rue.

MOMO. – J'trouvais que tu d'venais bien familier tout à coup.

PAULO, à Mercédès. – Faut lui pardonner, il a un p'tit défaut de fabrique, le frangin. (Aux autres.) Hop hop hop, on ne bouge pas et on laisse madame Mercédès partir tranquille.

MERCÉDÈS. – N'en faîtes pas trop, les gars, n'en faîtes pas trop... (A Alexis) Adieu Alexis et merci pour ce bon moment.(Comme aurait dit Valérie à François...)

Ils sortent. Florentine va fermer la porte. Tous se détendent en prenant des poses diverses dans la pièce.

FABRICE, se levant. – Je me taperais bien un petit whisky pour fêter la fin de cette aventure.

INÉS. – C'est pas le travail que tu auras fait qui aura permis un heureux dénouement.

FLORENTINE. – On ne vous a quasiment jamais entendu parler, ni prendre parti pour votre fils.

FABRICE, se servant. – Bien trop occupé à vous observer patauger dans la semoule.

ALEXIS, peiné.– Quand je pense que tu étais prêt à donner un cadeau pour te débarrasser de moi... T'aurais donné combien ?

FABRICE, se servant à boire. – Ta tenue de matador pour que tu t'exerces avec les chèvres et le bouc de Violetta. J'espère que cela te servira de leçon à l'avenir.

ALEXIS, rassuré. – Compte sur moi, p'pa. Finie la tauromachie, ce n'était pas un métier pour moi.

FABRICE, buvant. – A la bonne heure. (Un peu ironique.) Et maintenant, vois-tu un autre métier davantage dans tes cordes ?

ALEXIS, fier. – J'ai pensé à Gondolier...

FABRICE, recrache son whisky. – Gondolier... en Vendée ?

INÉS. – C' est super, y en a pas.

FABRICE. – Et tu comptes la faire naviguer où, ta gondole ? Sur le Blaison ? Sur la fosse du Grenouillet ? (Choisir un tout petit cours d'eau ou un petit étang près de chez vous.)

INÉS et FLORENTINE, chantant la chanson de Sheilà. – Laisse les gondoles à Venise, le printemps sur la tamise... on n'ouvre pas les valises, on est si bien...

FABRICE. – Bien dit, vous les laissez à Venise les gondoles. Et toi, vas t'embaucher pour remplir celles de chez Leclerc, de gondoles. Ça te changera les idées.

INÉS. – Ça m'aurait bien étonné que tu ne le brimes pas encore.

ALEXIS. – Vous fâchez pas pour moi. J'vais réfléchir encore un peu. Mais de toute façon, terminés les voyages, terminées les femmes, je reste auprès de vous, en sécurité.

FABRICE. – Oh putain, c'est pas possible !

INÉS. – C'est très bien mon chéri. Il n'y a qu'une chose qui nous chiffonne, ta grand mère et moi.

INÉS et FLORENTINE, dans un même ensemble. – C'est que nous n'aurons jamais de petits enfants !

On sonne à la porte d'entrée.

FLORENTINE, hurlant. – Entrez !

FABRICE, hurlant lui aussi. – Vous pouvez me laisser commander chez moi, oui ou zut !

La porte s'ouvre et une femme entre. C'est Pélagie, la québécoise qui avance dans la pièce. (Ce rôle peut être tenu par une autre actrice déjà sortie de scène.)

PÉLAGIE, fort accent canadien. – Bonjour mon beau chum !

ALEXIS. – Pélagie !

INÉS. – La québécoise !

PÉLAGIE, fort accent canadien. – T'as ben l'air surpris d'vouère icite. Hey, donne moé un gros bec, mon chouchou (m'embrasser). Tu vas tomber sul cul, j'ai une belle grosse surprise pour toé ! Pis là, attache ben ta tuque avec d’la broche. (Tiens toi prêt ). (Elle retourne et appelle.). Félix, Charlie, ouh ouh les jumeaux, venez dire bonjour à vot' pèèèère.

VOIX, enfant off. – Papa, Papa !

FLORENTINE, complètement sonnée. – Oh pétard ! Deux d'un coup !

On sonne à nouveau à la porte d'entrée.

FLORENTINE et FABRICE, hurlant. – Entrez !

La porte s'ouvre et une autre femme entre. C'est Natacha, la russe qui avance dans la pièce. (Idem, ce rôle peut être tenu par une autre actrice déjà sortie de scène.)

NATACHA, fort accent russe. – Privet moya lyubov' (Bonjour mon amour) ! Il fait meilleur ici qu'à Moscou.

ALEXIS. – Natacha !

INÉS. – La russe !

NATACHA, fort accent russe. – J'espère ne pas déranger trop toi... je ne suis pas venue toute seule. (Elle se retourne et appelle.).Vladimir, Boris, Nicolaï... allez les triplés, venez dire bonjour à vot' papouchka.

VOIX, enfant off. – Papouchka, papouchka, papouchka !

FLORENTINE, complètement sonnée. – Encore trois autres !

INÉS. – Et des bolchéviques en plus !

FABRICE, avec philosophie. – S'il ne sait rien faire sur le plan local, notre loser, faut reconnaître qu'à l'international, il se débrouille très bien. Encore un quinté... et gagnant celui-ci !

FLORENTINE, fataliste. – J'pensais pas devenir arrière grand mère autant de fois et en aussi peu de temps. Alors, fermez la porte, baissez le rideau...

FLORENTINE et INÉS , gestes à l'appui, au public. – Et circulez, y a plus rien à voir !

RIDEAU et FIN


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