Le rêve
Un capitaine de gendarmerie tente de remonter le moral à l’un de ses subordonnés, un major dépressif. Mal à l’aise, il fait appel à un adjudant dont l’intellect limité se révèle plus efficace…
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Nous sommes dans une gendarmerie, il y a deux militaires : un capitaine assis à son bureau et un major lui aussi assis, plutôt avachi, dans un état de profonde dépression.
Le capitaine l’observe, pensif, le major est comme absent. Ambiance silencieuse, malaise…
Le capitaine :(Parlant avec douceur) Jacques (Petit silence embarrassé) je ne sais plus quoi faire.
Major : (Soupir)
Le capitaine : Tu ne peux pas m’aider un peu ?
Major : (Soupir)
Le capitaine : Bon. Tu n’as rien à me dire ?
Major : (Soupir)
Le capitaine : Tu ne fais que soupirer, évidemment, je peux bien mettre ça dans le rapport mais je ne suis pas sûr que notre hiérarchie s’en satisfasse.
Major : (Soupir)
Le capitaine : Soupire tant que tu veux mais sans objet précis à consigner… Bon…J’indique déjà l’en-tête, bien en gros, histoire d’écrire quelque chose. (Il écrit) j’ai l’honneur de vous informer des faits suivants : (Il cherche) Le major Vincent soupire toute la journée et n’en branle pas une…
Major : Pas très réglementaire.
Le capitaine : Aide-moi alors, Je ne sais pas…dis-moi quelque chose.
Brigadier :(sombre)
« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une balle inconnue et que j’aime et qui m’aime
Et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre
Et m’saigne et me pourfend
Car elle me pourfend et mon cœur transparent
Pour elle seule hélas cesse d’être un problème, pour elle seule »
Le capitaine :(Déstabilisé) Tu n’as pas trop le moral en ce moment ?
Major : Couci-couça.
Le capitaine : Bon. Enfin, tu fais de la poésie et c’est pas négatif ça, oui c’est bien la poésie, hein ? Ça soulage, tu extériorises ton émotion en quelque sorte, hum?
Major : Oui, en même temps le poème n’est pas entièrement de moi
Le capitaine : Y’en a un autre qui écrit dans la brigade ?
Major : Verlaine, Paul.
Le capitaine : (S’agaçant) Oh les gars, oh ! On est des militaires quoi ! La sensibilité, j’ai rien contre, mais ça doit rester dans un cadre personnel! En dehors du service ! Où va-t-on là! Oh !
Major : Ça ne se commande pas
Le capitaine : Justement si ! Un gendarme ça doit commander !
Major : (Soupir)
Le capitaine : Et rebelote, nouveau soupir ! Ah ? Petite nuance tout de même. Celui-ci, me semble moins désespéré mais plus agacé, non ?
Major : Bravo, tu deviens expert
Le capitaine : La pointe d’irritation s’entend surtout vers la fin, le son est plus mat
Major : Puisque tu me comprends, traduis
Le capitaine : Jacques, on se connait depuis…pffeeeu
Major : Trop longtemps
Le capitaine : Pourquoi tu dis ça ?
Major : Tout à l’heure, tu me reprochais mon silence, maintenant tu me reproches de parler ?
Le capitaine : Si c’est pour dire des choses désagréables…
Major : Pour qui ?
Le capitaine : Pour moi. Je suis seul avec toi, non ?
Major : Oui, pourtant cette remarque supposée désagréable ne t’était pas adressée.
Le capitaine : Ah ? C’était pour toi ?
Major : (Il acquiesce)
Le capitaine : Bon, alors si tu as des choses désagréables à te dire, attends ton tour, permets moi de commencer d’abord
Major : A vos ordres
Le capitaine : Jacques, tes notes de services sont catastrophiques, plus personne ne veut patrouiller avec toi, tu ficherais le cafard à un puceau en rut en passe d’être déniaisé par une bimbo sulfureuse et débauchée
Major : Un peu excessif…
Le capitaine : Non. Ça devient pénible à la longue
Major : (Il acquiesce)
Le capitaine : Si encore tu faisais ton travail. Mais non, monsieur le major Vincent ne semble pas soucieux de faire le moindre effort. Les gars commencent à se plaindre franchement et si nous n’étions pas amis…
Major : (Il acquiesce)
Le capitaine : Je devrais prendre des sanctions
Major : Prends-les
Le capitaine : Que tu es pénible ! Si je te parle c’est que je n’ai pas envie de les prendre ces sanctions, enfin !
Major : Comme tu veux
Le capitaine : Pas complètement. Jacques, pas complètement. Malheureusement, je dois rendre des comptes aussi
Major : (Il acquiesce)
Le capitaine : Je ne peux plus te garder, pour le moment dans la brigade. Et le seul moyen qu’il me reste, sans que ça fasse trop de tracas administratifs, c’est de te déclarer momentanément inapte au service.
Major : (Il acquiesce)
Le capitaine : Mais inapte…Ce n’est pas évident non plus. Quelque chose de physique…Une jambe cassée par exemple c’était parfait ou même une petite entorse.
Major : J’ai été opéré des végétations gamin. Peut-être qu’en trichant sur les dates ?
Le capitaine : (Agacé) Oui…Et peut-être qu’en rajoutant la varicelle et les oreillons, tu obtiendras une pension d’invalidité ?
Major : (Il acquiesce)
Le capitaine : Jacques, c’est de ta carrière dont il s’agit.
Major : Ma carrière ?
Le capitaine : Oui. Bon, major…tu n’as pas beaucoup évolué depuis 20 ans, mais est-ce une raison pour régresser maintenant?
Major : « Qui n’avance pas recule. »
Le capitaine : Oui, ben si pour une fois tu pouvais embrayer pour passer la première. Hum ? Aller de l’avant quoi, histoire de connaitre de nouvelles sensations, voir d’autres paysages …
On frappe
Le capitaine : Entrez
Chabannes : Vous m’avez fait demander mon capitaine ?
(Entre l’adjudant Chabannes…qui ne respire pas la subtilité. La bonne quarantaine, il est toujours premier degré)
Le capitaine : Oui, entrez Chabannes, vous tombez bien. Je dois rédiger une déclaration d’invalidité temporaire pour le major Vincent.
Chabannes : Ah ?
Le capitaine : Oui, le major ne se sent pas bien et peut-être que quelques jours de repos…
Major : Oui mon Capitaine
Le capitaine : Et comme il me manque des termes médicaux pour la rédaction de cette paperasserie… Vous avez été infirmier, non ?
Chabannes : Infirmier ??? Oui, surtout heu…j’étais préposé à la manipulation des …comment dit-on … ! De…Des …(Hésitant) des brancards
Le capitaine : Brancardier quoi ?
Chabannes : Voilà !
Le capitaine : Mais… mais ce n’est pas être infirmier ça
Chabannes : Ben…Comme je leur donnais des coups de main, je me disais que…que ça pourrait le faire…Que ce serait plus… valorisant… Dans mon dossier
Le capitaine : (Agacé) Bon, alors si je lis dans votre dossier que vous êtes pilote, c’est que vous avez déjà pris l’avion et spécialiste des arts martiaux c’est que vous avez vu un film de kung-fu ?
Chabannes : Mon Capitaine, permettez-moi de m’inscrire « dans le » faux …
Le capitaine : Je vous le permets
Brigadier : Merci. J’ai vu toute la série des « Kill bill »par exemple et ben vous ne trouverez pas dans mon dossier que je fais du sabre
Le capitaine : Chabannes, Vous vous foutez de ma gueule ?
Chabannes : Non mon capitaine, ça jamais
Le capitaine : Allez, déguerpissez!
Major : (Le brigadier rit discrètement, le capitaine le voit)
Le capitaine : Chabannes, restez !
Chabannes : Oui mon capitaine
Le capitaine : A défaut d’être utile vous divertissez le major Vincent qui en a bien besoin
Chabannes : Ah ?
Le capitaine : Oui, Tenez, mettez-vous là, dans le coin
Chabannes : Dans le coin ?
Le capitaine : Oui, dans ce coin-là, juste là, voilà. Je pense qu’ici vous vous accorderez parfaitement avec la couleur rose saumon du papier peint.
Chabannes : Ah ?
Le capitaine : Oui
Chabannes : Sauf votre respect, c’est pas ma couleur préférée
Le capitaine : Vous préférez vous mettre de ce côté-ci, courbez en deux, sous le lampion, prêt de l’abat-jour ?
Chabannes : heu… non
Le capitaine : Alors fermez-là.
Jacques, je cherche la bonne tournure pour indiquer que tu es assez dépressif pour obtenir quelques jours de repos mais, évidemment, pas trop non plus, sans quoi, tu risques de te faire interner un bon bout de temps…
Chabannes : Ça, je confirme. On sait quand on entre, on ne sait pas quand on n’en sort.
Major : S’en sortir ? (Il ricane) Passer d’une prison à une autre… Quel pied
Le capitaine : Oui, oui, oui, je sais, ton goût de l’absolu, on est tous des prisonniers et nananni et nanana et la vie ne vaut rien et les saveurs n’ont pas de goût et la lumière est obscure et quand j’étais bébé, ma mère ne me talquait pas le cul avec assez d’amour…
Chabannes : Sauf votre respect mon Capitaine, faut pas parler comme ça à un dépressif. C’est un truc que j’ai appris à l’infirmerie. C’est des gens qu’il ne faut pas bousculer.
Le capitaine : Tiens donc ?
Chabannes : C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire. En fait, faut les optimiser
Le capitaine : Les optimiser ?
Chabannes : Oui, les valoriser en quelque sorte et valoriser aussi ce qui les entoure, ce qu’ils font, ce qu’ils disent…voilà ! On valorise tout ce qu’on peut
Le capitaine : Ah ? On prend tout ce qui est positif et on en fait un « package » quoi ?
Chabannes : Oui, c’est ça
Le capitaine : Bien, puisque vous savez comment on s’y prend, positivez-moi donc le major Vincent.
Chabannes : Faut du tact mon capitaine et là, franchement, parler comme ça devant un patient, c’est pas très tact.
Le capitaine : Oh ! Arrêtez vos délicatesses Chabannes, on n’est pas des femmelettes, non ?
Chabannes : Non !
Le capitaine : Bon ! Alors hop ! Optimisez moi le major Vincent et au trot !
Major : Je me sens déjà mieux là
Chabannes : Ah ?
Le capitaine : C’est de l’ironie Chabannes, ignorez sa remarque et au boulot !
Chabannes : Heu Brigadier, (Cherchant) vous…vous avez un beau képi
(Silence)
Le capitaine : Je sens déjà un net progrès
Chabannes : Mon capitaine faites excuses mais…
Le capitaine : Bon, bon, bon, je me tais
Major : Si seulement c’était possible
Le capitaine : (Agacé) J’ai dit que je me taisais !
Major : Dire c’est bien…
Chabannes : Faire, c’est mieux ! C’est ce que je dis aussi à mes enfants
Le capitaine : Qu’est-ce qui vous prend Chabannes? Vous me prenez pour l’un de vos moutards? Attention mon vieux! Pas de familiarité !
Major : (A Chabannes, narquois) Son excellence conserve en toute occasion une prépotence inaltérable
Le capitaine : Jacques, ne nous rends pas la situation plus pénible, ce n’est pas le moment de plaisanter
Major : Bien. Mon adjudant, allez-y, je suis prêt pour une consultation
Chabannes : Heu…
Major : Nous en étions à mon képi et son esthétique avantageuse
Chabannes : Heu…
Le capitaine : Bon, on va peut-être passer les étapes du polo, de la veste et de la coiffure
Major : Tu trouves que je suis bien coiffé ? (S’amusant à être ambigu) C’est la première fois que tu me le dis ça
Le capitaine : Fais le mariole
Major : Et mes mains, tu les aimes mes mains ? Et mes jambes, tu les trouves jolies mes jambes ?
Le capitaine : C’est ça, si tu me demandes pour tes fesses, c’est la taule directe!
Major : Je ne te demande pas
Le capitaine : Tu fais bien. On est reparti Chabannes ? Houhou !!!
Chabannes : Heu…
Major : Mon adjudant, avant de continuer, j’ai besoin de savoir, vous êtes de quelle école ? Freudienne, Lacanienne ou Jungienne ?
Chabannes : Heu…
Le capitaine : Il est de l’école du « claquage dans ta gueule si tu continues à nous faire chier avec ta déprime »
Major : Tiens donc ?
Le capitaine : Nouvelle thérapie
Major : A la subtilité typiquement militaire
Chabannes : (Désarçonné) Mon capitaine, je vais retirer de mon dossier que j’ai été infirmier
Le capitaine : Pourquoi ?
Major : Vous avez besoin qu’on vous valorise aussi ?
Chabannes : J’suis pas à ma place mon capitaine
Le capitaine : Mais vous aussi Chabannes vous avez un beau képi
Major : Et vous présentez très bien !
Chabannes : Merci. Je peux partir ?
Le capitaine : Non ! En ce moment, le brigadier Mathieu fait le mariole mais une fois que vous serez sorti, je vais de nouveau me retrouver face à un dépressif morbide et silencieux. Restez ! (Soudain très touchant) Ce n’est pas un ordre Chabannes, Je vous le demande comme une faveur, comme à un ami, s’il vous plait ?
Major : (Etonné) Je ne te reconnais plus
Chabannes : (S’apprêtant à refuser) Mon capitaine, faites excuse mais je…
Le capitaine : Et en même temps mon p’tit Chabannes, l’honnêteté m’oblige à vous avertir que si vous partez, je vous saque la gueule à mort
Major : Là, je te reconnais !
Chabannes : Je reste
Le capitaine :(Très faussement ému) Merci
Chabannes : Mon capitaine, pour parler, sans vous commander, il faudrait que je sois seul avec le brigadier, parce que ça peut être intime quoi, des choses qu’on ressent … c’est pas toujours facile à exprim…
Le capitaine : Chabannes pour la millième fois, nous sommes des militaires ! Les états d’âmes à la mords-moi le nœud, c’est bon pour les lopettes, les civils.
Non mais, vous vous imaginez, lors d’interpellations, que l’un d’entre nous se mette à brailler : « Mon Dieu, je ne sais pas, je ne sens pas vraiment cette arrestation, en tout cas pas aujourd’hui, non, pas aujourd’hui. J’ai besoin de me recentrer, de me retrouver, de faire un point sur mon moi intime, d’être en accord profond avec mon être et mon action, de conscientiser de façon plus aigu l’impact que cet acte aura sur ma psyché afin de tenter de concevoir les retombées qu’une telle mission impliquera sur l’état pulsionnel de mon inconscient… Etc. »
Vous nous prenez pour des comédiens ratés ou quoi ! Enfin ! Chabannes !
Major : (Moqueur) Que tu causes bien
Le capitaine : Et l’autre raison pour laquelle je ne vous laisse pas seul avec ce gugusse, c’est qu’il a une petite propension au foutage de gueule à tire larigot, je préfère donc rester là et faire le gendarme. (Au brigadier) Gendarme, hum ? Double avantage mon cher Jacques, je t’empêche de dire des conneries et je te donne une leçon pratique du métier.
Chabannes : Je ne suis pas sûr que ça aide vraimen…
Le capitaine : Au contraire ! Imaginez les avancées géniales pour l’optimisation d’une telle thérapie : l’alliance d’un gendarme et d’un psy. Et quand le patient résiste, intervention du gendarme : « Tu vas parler de tes névroses, hein, salope ! » Et une p’tits gifle si elle se cabre (il fait mine de gifler) et l’autre là, avec ses phobies mesquines, « t’as peur des araignées, espèce de tafiote ! (Montrant sa main) Et ça, t’as peur de ça ? Tient (il fait mine de gifler) Pétochard va ! » Et celui-là qui nous les brise avec ses pannes sexuelles, « Alors Duchnock, tu peux plus satisfaire bobonne, allez hop ! (il fait mine de gifler), file lui donc la même chose sur son vaste popotin, qui sait ? Ça pourra peut-être déclencher quelque chose ? »
Les gens s’écoutent beaucoup trop Chabannes, ils finissent par se convaincre de l’ampleur de leurs moindres petits bobos. Leur vie est si terne qu’ils s’accrochent à leurs petites névroses de femmelettes pour se donner l’illusion qu’ils existent, qu’ils ressentent, petit ego satisfait à peu frais… J’te foutrai tout ça à la légion moi, bande de délicats !
Major : Quand il est comme ça, faut laisser faire
Le capitaine : C’est de ta faute aussi. Regarde dans quel état tu me mets
Major : Remercie moi au contraire, d’une certaine façon je te révèle à toi-même… peut-être qu’une analyse…
Le capitaine : (Très calme, très tueur psychopathe) Jacques, tu sais que je n’ai jamais tué un homme, jamais. Menacé oui, mais tué non (Silence)
Chabannes : Heu… Vous dites ça pourquoi?
Le capitaine : Oh, c’est un message subliminal que je tente de faire passer à l’intention du major Jacques Vincent, Vincent, vous l’avez bien reçu ?
Major : 5 sur 5
Le capitaine : Parfait. Chabannes, officiez
Chabannes : (Ne comprenant pas) Je ne suis qu’adjudant mon capitaine, pas officier
Le capitaine : Mais je…J’utilisais le verbe, le verbe officier qui veut dire à peu de chose près : agissez
Chabannes : Ah ? Comme je ne suis qu’adjudant, sous-officier quoi, je ne comprenais pas
Le capitaine : Il est vrai que depuis le début, vous êtes fidèle à votre grade, vous sous-officiez beaucoup !
Chabannes : Compris. Mon capitaine, je prends la main !
Le capitaine : Faites-donc
Chabannes : Heu… Voir tout en noir major, c’est pas la bonne solution, non, c’est pas la bonne solution ! Du tout !
Major : Mon adjudant, n’avez-vous pas l’impression parfois d’être de trop ? De ne pas être légitime, d’être un imposteur, un imposteur d’autant plus misérable que l’imposture est si dérisoire qu’elle n’apporte que dégoût et mépris pour celui qui la pratique ?
Chabannes : Ben… pas trop, non
Major : Le jeu des relations sociales par exemple, n’y voyez-vous pas là comme une pitoyable comédie, chacun jouant un rôle mal défini, un rôle poussif en s’illusionnant sur l’importance de son personnage, s’enfermant dans des certitudes étriquées et puériles
Chabannes : Une fois, oui, j’ai bien ressenti ça. Un samedi matin au retour d’un bivouac.
Major : Dégout, dégout, dégout ! Dégout de soi, des autres, dégout d’être. Se sentir comme un misérable rat puant, indigne de respirer, ne trouvant aucune légitimité à vivre, enviant les trépassés…
Chabannes : Ah… oui ?… Heu…Moi, c’était pareil, mais quand même en beaucoup moins fort, hein ?
Le capitaine : (Soufflant) Psitt, Chabannes, et si vous nous reparliez du joli képi de notre major si primesautier ?
Chabannes : Ah oui ! Optimiser ?
Le capitaine : Voilà
Chabannes : Major, Heu… laissez-moi vous dire que vous êtes très excessif(Le capitaine fait un signe pouce levé pour l’encourager).
Si vous êtes sur terre, ben c’est que vous avez une raison d’y être. On n’est pas là par hasard, non, mon vieux, là-dessus je suis catégorique. Faut s’trouver des plaisirs pour profiter des choses. Je ne sais pas moi, une bonne bibine avec des copains, le sport tiens, c’est très détendant ça ! Le sport. Et pis les femmes, c’est bien ça aussi !
Major : C’est détendant ?
Chabannes : Oui ! Mais pas toutes… la vérité m’oblige à dire que certaines, non !
Major : Comment choisir alors ?
Chabannes : Une étrangère qu’on ne comprend pas… (Plaisantant) ou une sourde muette ! Idéal !
Major : Avec moi, il faudrait qu’elle soit aussi aveugle
Chabannes : Mais non major, faut pas dire ça… vous êtes (Hésitant) beau …hein !...Enfin… d’une certaine façon… (Voulant se rattraper) en tout cas par rapport à plein de gens que je connais … Et même par rapport à des animaux
Major : Que vous connaissez aussi ?
Le capitaine : (Soufflant à Chabannes) Chabannes ! Le képi, c’était mieux
Chabannes : (Bas, rapide) J’peux pas toujours causer que d’ça mon capitaine
Major : (Ricanant)
Le capitaine : (Vaguement méprisant) Au moins vous l’amusez
Chabannes : (Froissé) C’est parce que je le revigore !
Le capitaine : (Sceptique) M’ouais
Major : Pouvais-je rêver meilleur thérapeute ?
Chabannes : (Content) Ah !
Le capitaine : Sarcasme !
Chabannes : (Vexé) Peut-être, peut-être, mais c’est déjà une réaction positive
Major : Capitaine, vous devriez vous en tenir à votre récente injonction
Le capitaine : C'est-à-dire ?
Major : Vous taire
Chabannes : C’est vrai mon capitaine, c’est qu’on a aussi besoin de causer à cœur ouvert, nous !
Major : De se confier
Chabannes : Parce qu’avec vous, on se sent critiqué tout le temps !
Major : Tout le temps !
Chabannes : Même quand vous parlez pas, ben vous avez le regard critiqueur !
Major : Une horreur !
Chabannes : Moi j’vous apporte toute mon expérience de …heu (cherchant ses mots)…de « psychanaliseur »
Major : De « thérapeuteur! »
Le capitaine : De bonimenteur!
Chabannes : Et…Voyez ! Là, là quand je vous l’dit ! Vous sapez toute ma crédibilité, vous me sabotez ma séance. Honnêtement, mon capitaine, je ne me sens pas estimé à ma juste place.
Major : Que voulez-vous mon adjudant, le capitaine a une psychologie à la Terminator
Le capitaine : Pas du tout, Jacques, je suis un être humain avec des fragilités aussi. Simplement, je dis que toutes ces dépression, ces névroses en fait, c’est que dans la tête tout ça, hein ? Finalement
Major : Peut-être qu’une lobotomie…
Le capitaine : Je n’ai pas dit ça. Tu vois, tu exagères toujours
Chabannes : C’est quoi une lobotomie ?
Le capitaine : Une opération de cervelle dont vous n’avez pas besoin Chabannes
Chabannes : Tant mieux !
Major : Si on achevait la séance ? (Se levant) Marquez ce que vous voulez mon capitaine, je m’en fous
Le capitaine : Tititititi. Chabannes, la séance est-elle finie ?
Chabannes : Ben….Heu…
Le capitaine : Je suis de votre avis, on continue. Sisite major !
Major : On n’arrivera à rien
Le capitaine : Mais si, je ne sais pas moi…tiens, raconte-nous l’un de tes rêves
Major : Je fais souvent ce rêve étrange et péné …
Le capitaine : Mais non pas celui-là, en plus je ne comprends rien, c’est chiant. Un vrai rêve pas une poésie
Chabannes : Moi cette nuit j’ai rêvé que je mangeais des croquettes de thon, alors que j’aime pas le thon…ni les croquettes d’ailleurs…étrange hein ?
Le capitaine : Chabannes retournez vous placer sous le lampion, prêt de l’abat-jour
Major : Un rêve ?
Le capitaine : Oui, allez grouille. J’analyse ça vite fait comme ça hop, on va découvrir ce qui te tracasse depuis tant d’années, pas compliqué merde !
Major : L’inconscient dévoilé par un rêve ?
Le capitaine : Voilà !
Chabannes : Peut-être que les croquettes c’est un symbole qui voudrait dire boulettes, et le thon ce serait pas du thon, non, mais du merlu ou du hareng…
Le capitaine : Chabannes, voyez, je sors mon pistolet et je le dépose sur le bureau. (Au major, un bic à la main prêt à noter) Crayon, papier, parle, j’analyse.
Major : J’ai rêvé cette nuit que j’étais assis sur le siège d’un tracteur qui faisait tantôt pofpof et tantôt pif pif
Le capitaine : (Qui écrit) Et tantôt pif pif, c’est pas des couillonnades ça ?
Major : Soudain le chemin que j’emprunte se trouve bloqué par un amas de socquettes aux couleurs toutes plus flamboyantes les unes que les autres.
Le capitaine : Oui ?
Major : Des bleues, des rouges, des vertes, des blanches
Chabannes : Des jaunes ?
Major : Aussi
Le capitaine : Chabannes !
Major : Je ne peux plus passer, aussi je prends sur le bas-côté et pénètre dans une prairie aux herbes extraordinairement hautes, des touffes gigantesques
Chabannes : Touffe ? Pénètre ? Mon capitaine, j’ai déjà ma p’tite idée, hein ?
Le capitaine : (Le capitaine prend son pistolet et fait mine de tuer Chabannes) Pan pan, Chabannes vous êtes mort. Oui ?
Major : J’aperçois des carcasses de voitures, le paysage d’abord idyllique se révèle de plus en plus angoissant, un petit vent glacial se lève, des nuages couvrent les pâturages, au loin j’aperçois un cavalier qui surgit hors de la nuit, court vers l’aventure au galop et incroyable, son nom, il le signe à la pointe de l’épée. Puis il disparait en laissant des tas de graffitis un peu partout
Le capitaine : Oui
Major : Je continue malgré tout. Le tracteur a de plus en plus de mal à avancer. Les pofpof puis les pifpif deviennent plus laborieux. Je tourne la tête vers la chaussée dans l’espoir d’y revenir enfin et là, là j’aperçois de jolies jeunes femmes à moitié nues m’invitant d’abord à les rejoindre puis exhibant ensuite des objets tranchants. Couteaux, pinces, haches, qu’elles présentent à bout de bras en se convulsant sur des rythmes saccadés, le tout accompagné de regards de haine… Je n’ai plus du tout envie de les rejoindre.
Chabannes : Est-ce qu’elles sont à poil ?
Le capitaine : Chabannes !!!
Chabannes : (Innocent) Je cherche un lien avec la touffe mon capitaine !
Major : De l’endroit où je me trouve je n’aperçois que des bouts de chairs engoncés dans des vêtements en charpies
Chabannes : (Très obsédé) Rapprochez-vous major.
Le capitaine : Mais…C’est un rêve abruti, comment voulez-vous qu’il se rapproche ?
Major : Et même au contraire, je m’éloigne
Chabannes : (Déçu) Alors on saura pas ! Foutu !
Major : Je vous promets mon adjudant que si je fais de nouveau ce rêve, j’irai voir
Chabannes : Rêvez aussi que je suis avec vous, comme ça je vous filerai un coup de main
Le capitaine : (Ironique) Je peux venir aussi les gars, j’apporterai des bières, on organisera une petite sauterie?
Chabannes : C’est pas prudent mon capitaine, des femmes armées de…d’armes blanches, ça peut vous trucider un homme.
Major : Dans mon souvenir, elles sont redoutables
Chabannes : Faudrait les désarmer d’abord, ça je sais faire
Le capitaine : Surtout si elles sont à poils, espèce de dégueulasse !
Chabannes : Elles sont menaçantes aussi!
Major : Bref, quoi qu’il en soit je m’éloigne
Le capitaine : N’allez pas trop vite brigadier, attendez que Chabannes fasse le deuil de ce si joli tableau, plus la moindre petite touffe en vue
Chabannes : Peuh…
Major : Je m’enfonce dans cette étrange prairie, les herbes de plus en plus hautes et denses, le ciel de plus en plus sombre et menaçant…soudain, soudain j’entends une musique étrange, c’est une danse, je la reconnais, oui, c’est bien une danse, c’est la danse des…
Chabannes : Canards ?
Major : Des esprits, la danse des esprits
Le capitaine : Lui, il n’est toujours pas sorti de la mare
Major : Une danse envoutante, enivrante qui monte de plus en plus fort (Il se met à chanter) oooohaaah
Une musique, la danse des esprits, monte : https://www.youtube.com/watch?v=rw9vExIGnR8
Les 3 personnages vont commencer à être envoutés
Chabannes : (Chante aussi) Tatatatatata
Major : Le tracteur se dirige tout seul
Chabannes : (Chante aussi) Tatatatatata
Major : Je ressens les vibrations jusque dans la peau
Chabannes : (Chante aussi) Tatatatatata
Major : Je ne m’appartiens plus
Le capitaine : (Commençant à danser) Tatacada papa papa !
Major : Le tracteur s’approche d’un banc de sable, dessus un homme crache du feu et joue avec des torches
Le capitaine : Tatacada papa poupou !
Chabannes : Tatatatatata
Brigadier : Le sol est jonché de flambeaux !
Le capitaine : Tatacada papa poupou !
Chabannes : Tatatatatata
Major : (Arrêt net de la musique) Soudain une lumière éclatante jaillit du ciel et m’aveugle, je tombe à la renverse, noir.
Le capitaine : Et ?
Major : Je me réveille dans le lit d’une petite maison toute coquette, située dans un paysage tyrolien, il fait beau, auprès de moi … Solange
Le capitaine : Solange, ma femme ?
Brigadier : Oui
Le capitaine : (Troublé) Ben, qu’est-ce que ? Qu’est-ce qu’elle fait là, Solange ?
Chabannes : Oui, qu’est-ce qu’elle fait là, madame la capitaine Solange?
Major : (Gêné) Elle me soigne, me caresse, et etc.
(Silence)
Le capitaine : (Accusant le coup) Bon ! Ce n’est qu’un rêve, donc je suis magnanime
Chabannes : Etc. quoi ?
Le capitaine : Etc. Rien ! Il se réveille et on oublie tout !
Chabannes : Faites excuses mon capitaine mais etc. ça dis pas tout, peut-être que derrière ce etc. Madame Solange…
Le capitaine : (Prenant son pistolet) Chabannes si vous associez d’une manière ou d’une autre le mot « touffe » avec ma femme, je tire !
Chabannes : (Outré) Oh ! Mais, jamais j’ai pensé à votre femme comme ça! Voyons !
Major : Vous l’avez pensé autrement ?
Chabannes : Toujours très bien habillée, avec beaucoup de correction
Le capitaine : Bien ! La séance est finie, hein ? Chabannes ?
Chabannes : Heu…oui. N’empêche que si j’avais été dans le rêve du brigadier, votre femme, mon capitaine, elle serait respectée
Le capitaine : Merci
Chabannes : Elle ne ferait de caresses à personne, vous pouvez bien me croire. A part vous bien sûr !
Le capitaine : Allez, on s’en va
Chabannes : Parce que, si on n’y prend garde, ça commence par une caresse et puis ça peut dégénérer, ça s’est déjà vu. Faut être vigilant !
Major : Et l’adjudant sait de quoi il parle. Caresse puis tripotage et hop ! Bouffage de cul !
Le capitaine : Jacques !!!
Chabannes : (Outré !) Mon capitaine, sachez que je ne mangerai jamais les fesses de madame la capitaine, même si elle me le demandait !!! Ça me gênerait beaucoup trop !!!
Le capitaine :(Au brigadier) Jacques ! Qu’est-ce qui te prend ?
Chabannes : (Outré, au brigadier) N’avez-vous pas honte ? Parler ainsi de fesses que vous ne connaissez même pas !
Major : Je complétais vos idées, mon adjudant
Chabannes : Aaheghueu !!! Même pas vrai !!! Pour moi la capitaine, c’est … c’est comme si c’était ma mère !
Le capitaine : Chabannes, Sortez !
Chabannes : Mais…
Le capitaine : Retournez à vos rêves tout pourris de croquettes de thon, exécution !
Chabannes : (Très dignité blessé) Voilà, je me suis confié à cœur ouvert et l’on me bafoue. Vous me faites mal mon capitaine (Il sort)
(Silence, puis le brigadier et le capitaine se mettent à rire)
Major : Séance finie ?
Le capitaine : Oui, finalement, c’est moi qui vais demander quelques jours de repos
Major : Un coup de blues ? Veux-tu que je t’analyse à mon tour, maintenant que tu m’as indiqué la méthode ?
Le capitaine : Au revoir Jacques
Major : (Se levant pour partir) Mon Capitaine
Le capitaine : (Amusé) Ton baratin de rêve m’a tout de même bien amusé
Major : Le rêve était peut-être faux, mais pas l’aveu, bonne journée Charles.
(Il sort, le capitaine reste perplexe)