ACTE I

 

La lumière est tamisée. Francine est assise au bureau. Elle a des traces noires sur les joues. Devant elle, une bougie allumée et un livret ouvert. Mains autour de la bougie, elle déchiffre des formules « magiques » dans le petit livret.

Francine. – Ma doudou maédé… adada ma doudou doué… mamadou maémé mami… didondoudou tédodu…

Victor ouvre la porte et s’arrête, médusé.

Victor. – Mais… qu’est-ce qui se passe ici ?! (Il va ouvrir les rideaux qui avaient été tirés.) Francine ? Qu’est-ce que vous faites ?

Francine. – Ah non ! Mais c’est pas vrai ! J’étais en pleine séance !

Victor. – En pleine séance de quoi ?

Francine. – Vous pouvez pas comprendre, vous êtes pas initié !

Victor. – C’est quoi ces traces sur vos joues ?

Francine, sort un mouchoir de sa poche et s’essuie le visage. – Des traces ! C’est des signes cabalistiques !

Victor. – Vous faites de la sorcellerie ?!

Francine. – C’est une sorte de rite vaudou, ignorant !

Victor. – Mais ce n’est pas possible ! Pas ici ! Pas au xxie siècle ! (Il souffle sur la bougie.) Elle empeste, cette bougie… (Il regarde sur son bureau.) Mes timbres ! Où sont mes timbres ? Je les avais triés…

Francine. – Je les ai poussés pour faire de la place.

Victor. – Ce n’est pas vrai ! Elle m’a tout mélangé ! Oh non ! Il y en a même par terre !

Francine. – Vous en faites des histoires pour pas grand-chose ! (Elle en ramasse une poignée et les jette sur le bureau.) Tenez ! Les voilà, vos timbres ! Quel maniaque vous faites !

Victor. – Aaaaaaah ! Et en plus, elle me les froisse !

Francine. – Vous avez qu’à y donner un coup de fer à repasser.

Victor. – Gardez votre humour pour vous !

Francine. – C’est pas de l’humour, c’est du sens pratique, mais ça, ça vous passe complètement au-dessus de la tête.

Victor. – Parce qu’en plus vous étiez sérieuse ?

Francine. – Bien sûr ! Mais attention, faut mettre thermostat doux sinon vous allez les cramer.

Victor. – Ce sont des timbres de collection, pas des images gagnées avec des bons points ! (Criant.) De collection, vous entendez ?

Francine, criant elle aussi. – Faudrait être sourde pour pas vous entendre !

Agnès, qui a entendu les cris, arrive.

Agnès. – Il y a un problème ?

Francine. – C’est lui, là, il s’excite parce que j’ai un peu touché à ses affaires.

Victor. – Ta sœur donne dans l’ésotérisme ! Non, mais tu te rends compte ? Elle a pris ses aises et a ruiné mes timbres.

Francine. – Faut pas exagérer.

Agnès, à Francine. – Ce n’est pas possible ! Ne me dis pas que tu as recommencé !

Francine. – J’ai jamais arrêté.

Agnès. – Tu vois toujours cet escroc de Chabouche ?

Francine. – C’est pas un escroc, c’est un marabout.

Victor. – Mais comment elle l’a connu ?

Agnès. – Oh ! rien de plus simple : on voit sa publicité dans presque toutes les revues ! Il y en a même sur le programme télé avec Le Journal du dimanche ! « Le marabout Chabouche : retour d’affection, chance, fortune… »

Francine. – C’est un grand maître au service des malheureux et des faibles.

Victor. – Des faibles d’esprit, ça c’est sûr !

Agnès. – Ce charlatan ne veut qu’une chose : ton argent et celui de tous ceux qui croient venir trouver du réconfort ou une solution à leurs problèmes.

Francine. – Il m’a dit que j’allais enfin trouver l’amour. L’homme de ma vie est là, tout près.

Victor. – Il serait temps !

Francine. – Tout ce qu’il faut faire, c’est dire une fois par jour les mots sacrés devant la bougie magique.

Victor. – Ben voyons ! Et elle coûte combien, cette bougie « magique » ?

Francine. – Quand on aime, on compte pas.

Agnès. – Francine, tu me désespères.

Victor. – En même temps, avec un prénom pareil, c’est normal qu’elle se fasse rouler dans la farine.

Francine. – Je fais ce que je veux. J’ai le droit.

Victor. – D’accord, mais pas dans mon bureau !

Agnès. – Fais ça dans la chambre.

Francine. – Tu parles ! On entend le bruit de la route. Ça déconcentre. Il faut du silence et ici c’est très bien.

Victor. – Je suis désolé mais c’est non ! Vous n’avez qu’à faire tout votre bazar la nuit.

Francine, à Agnès. – Mon bazar ! Tu entends ça ?

Agnès. – Moi aussi je suis désolée, mais il a raison. Puisque tu ne veux rien entendre, fais ce que tu veux, mais discrètement, dans ton coin.

Francine. – Vous êtes bornés tous les deux ! C’est bien malheureux que je puisse pas rentrer chez moi, je débarrasserais le plancher vite fait bien fait, mais j’ai pas le choix. (À Victor.) Faites pas cette tête, je vous en achèterai un de carnet de timbres, comme ça on sera quittes !

Elle ramasse sa bougie, son livret de formules et sort.

Victor. – Elle n’a aucune idée de leur valeur et en plus, la voilà fâchée maintenant ! On va avoir droit à la soupe à la grimace tous les jours. Elle restera peut-être moins longtemps que prévu…

Agnès. – On lui a dit une dizaine de jours. Le voisin du dessus était en vacances, la fuite d’eau a été importante, il faut attendre que ça sèche avant de faire les réparations.

Victor, soupire et retourne à ses timbres. – Bon, je n’ai plus qu’à recommencer.

Agnès. – Tu as le temps, Alice et Sébastien n’arrivent que dans une heure. (Victor s’assoit à son bureau.) Détends-toi, ça ira, je ferai en sorte que tu aies la paix.

Elle lui fait une bise et s’en va. Il prend son album, réunit ses timbres, commence à faire le tri, essaye de les lisser avec la main. Il soupire.

Victor. – Quel gâchis ! Je n’y crois pas… (Sophie apparaît derrière sa chaise, habillée de blanc, le teint pâle. Elle le regarde, attendrie. Elle veut mettre une main sur son épaule mais c’est comme si une vitre la séparait de lui. Agnès toque doucement à la porte.) Qu’est-ce que c’est, encore ?

Elle entre avec un plateau sur lequel il y a une tasse.

Agnès. – Ce n’est que moi, mon chéri. Tiens, j’ai pensé qu’une petite infusion de tilleul t’aiderait à te détendre.

Victor. – ça va, je t’assure.

Agnès. – Tss tss tss… Je te connais bien. Avale ça, allez, pour me faire plaisir ! (Il s’exécute.) C’est bien, je ne te dérange pas plus longtemps.

Elle repart avec le plateau, sur la pointe des pieds.

Sophie. – Elle est aux petits soins, dis donc.

Victor. – C’est vrai, elle est très attentionnée. (Il sursaute, éberlué.) Qui a dit ça ?! Qui a parlé ?!

Sophie. – C’est moi !

Il se lève d’un bond, affolé, et regarde autour de lui.

Victor. – Qui ça, « moi » ?! Où ?

Sophie. – Non seulement tu m’as remplacée, mais en plus tu ne reconnais plus ma voix !

Il court dans tous les sens, regarde sous les meubles.

Victor. – Sophie !!! C’est toi, Sophie ?!

Sophie. – Tu te souviens de mon prénom, c’est déjà ça.

Victor. – Mais ce n’est pas possible, on me fait une blague !

Sophie. – Je t’assure que non.

Il continue de chercher, regarde dans les rayons de la bibliothèque, dans le placard, derrière les tableaux.

Victor. – Il y a sûrement un haut-parleur quelque part. (En criant.) S’il y en a qui trouvent ça drôle, moi ça ne m’amuse pas du tout !… Agnès ! Agnès !

Agnès accourt.

Agnès. – Mon chéri, qu’est-ce qui se passe ?

Sophie. – Ta bobonne s’inquiète, on dirait.

Victor. – Tu as entendu ? Tu as entendu ?!

Agnès. – Oh oui ! Je t’ai entendu ! Il faut dire que tu as crié assez fort pour m’appeler.

Victor. – Non ! Je parle de maintenant, là, ce qu’elle vient de dire !

Agnès. – Qui ça ?

Victor, à Sophie. – Dis quelque chose, toi !

Agnès, se méprenant. – Mais que veux-tu que je te dise ?

Victor. – Mais non, pas toi ! Elle !

Agnès. – Je ne comprends pas.

Sophie. – Je veux bien faire un discours si ça te fait plaisir, mais il n’y a que toi qui peux m’entendre.

Victor. – Il n’y a que moi ?!

Agnès, inquiète et apeurée. – Mais oui, voyons, il n’y a que toi, je n’ai personne d’autre dans ma vie… Qu’est-ce qui t’arrive ? Une crise d’angoisse, c’est ça ?

Victor tombe sur sa chaise et s’essuie le front.

Victor. – Ce n’est pas possible… (Il se relève d’un bond.) Qu’est-ce que tu as mis dans ton infusion ?

Agnès. – Mais… du tilleul, c’est tout !

Victor. – Ah oui ? Tu n’aurais pas ajouté autre chose, par hasard ?

Agnès. – Mais non, enfin ! Arrête, tu me fais peur !

Francine arrive.

Francine. – C’est quoi ces cris ?

Victor. – C’est elle ! C’est cette...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.



Retour en haut
Retour haut de page