le secret des navets

Dans une maison délabrée vivent trois générations d’une famille qui vit de petites larcins, combines, arnaques diverses, allocations, etc. De plus, les charognards rôdent et le passé enterré dans le jardin risque de remonter à la surface. Mais la famille est prête à tout pour défendre ce qu’elle a, même ce qui ne lui appartient pas.

Décor (1)

Le secret des navetsUne grande table. Une seule chaise en bon état. Autrement des tabourets, des chaises branlantes ou improvisées. Une vieille télé.. (Récup etc)

ACTE 1

Le rideau s'ouvre. L'aïeule est assise à une table et compte comme chaque matin l'argent récolté la veille par les membres de sa famille. Elle le met au fur et à mesure dans une tirelire.

Scène 1 : Charlotte / Séraphin

Charlotte / Huit. Neuf. (Elle prend un billet et l'examine). Dix ! Onze. Douze. (Elle croque une pièce de vingt centimes) Quatorze. (Elle sort une petite pièce) Un centime ! (Vers le public) Bande de radins ! Treize. Quatorze ? .. Un bon de réduction pour des pâtes ! Ils ne comprendront jamais rien dans cette famille. Ce qu'il faut c'est d'la fraîche ! Pas des bons pour bouffer des pâtes ! (Elle le met dans la tirelire) Heureusement que je suis là pour faire tourner la baraque. (Elle crie vers les coulisses) Bande de fainéants !

Séraphin entre

Séraphin / Bisous ? (Il tente de l'embrasser, elle évite)

Charlotte / Tiens, vlà l'autre.

Séraphin / Mais c'est moi. Ton petit mari. C'est Séraphin.


Charlotte / Séraphin ! Sert à rien !

Séraphin / (Doucereux) Tu as bien dormi ?

Charlotte / Avec toi.. ?

Séraphin / C'est pour ta santé. Je m'inquiète

Charlotte / Je l'vois venir. Si seulement je pouvais clamser.. Et bien non ! Je n'suis pas encore mûre.

Séraphin / Faut pas dire des choses comme ça.


Charlotte / Je l'savais que j'avais épousé un faux-cul. .. Au fait ! C'est toi qui a ramené un bon de réduction pour un paquet d'pâtes ?

Séraphin / T'aimes pas les pâtes ?

Charlotte / Y'a pas que les pâtes que j'aime pas.

Séraphin / Pour ramener du pognon, j'ai un peu perdu la main.

Charlotte / T'as perdu la main mais pas le poil à l'intérieur.

Séraphin / Je suis un peu vieux pour ça.

Charlotte / T'es vieux pour tout.

Séraphin / Je me disais que j'irais bien acheter des croissants ce matin.

Charlotte / Des croissants.Tu te prends pour Rothschild. On est fauché ! Et monsieur veut acheter des croissants..

Séraphin / T'es sûre ?

Charlotte / Ça veut dire quoi ? Que je planque du pognon en Suisse ? Je vais te dire : Le matin, tu devrais dormir dix heures de plus.


Séraphin / Et pourquoi ?


Charlotte / Tu dirais moins d'conneries.

Séraphin / Et, .. Pour mon argent d'poche ?

Charlotte / (Elle protège le pognon) C'est pas marqué pigeon.

Séraphin / Il me faut pas grand chose.

Charlotte / Faut que t'apprennes à te contenter de peu. (Elle le regarde) J'y arrive bien, moi.

Séraphin / Quand j'étais petit, on n'étais pas riche dans la famille. Même que je mettais les culottes à mon frère.


Charlotte / Tant que c'était pas les culottes à ta sœur..

Séraphin / Je fais quoi aujourd'hui ?

Charlotte / Va vendre des calendriers.

Séraphin / Ceux de l'année prochaine.

Charlotte / Non monsieur. Ceux de cette année.

Séraphin / On est au mois d’août.


Charlotte / T'as jamais entendu parler des soldes ?

Séraphin / Quand les gens me voient, ils se méfient.

Charlotte / T'avais qu'à pas sortir de taule.

Séraphin / J'ai passé trois mois en taule, alors que c'est toi qui m'avait dit de siphonner le réservoir de la bagnole.


Charlotte / Tu dénoncerais ta femme ?

Séraphin / Non. Mais j'ai droit à une seconde chance.


Charlotte / C'est moi, ta seconde chance.

Séraphin / Je fais c'que j'peux.

Charlotte / Et tu peux pas grand chose.

Séraphin / Tu ne m'aimes plus comme au premier jour.

Charlotte / Je t'aimerais plutôt comme au dernier.

Séraphin / Moi, je ne te quitterai jamais.


Charlotte / Justement. Si tu pouvais m'quitter cinq minutes. Faudrait aussi que t'ailles chercher des fleurs.


Séraphin / Tu veux des fleurs ?

Charlotte / Des fleurs au cimetière, c'est gratuit.


Séraphin / C'est pour ta fête ?

Charlotte / Non mais ça va bientôt être la tienne. Je veux des fleurs ! J'ai des clients qu'en d'mandent.


Séraphin / Je peux prendre la camionnette ?

Charlotte / J'en ai besoin pour aller à la banque. T'as qu'à prendre le vélo.


Séraphin / A vélo ! J'y arriverai jamais.

Charlotte / T'auras qu'à faire plusieurs voyages.

Séraphin sort

Séraphin / Je te fais un bisou ?

Charlotte / Dégage !

Scène 2 : Charlotte / Candice

Candice entre par la porte principale.

Candice / Bonjour maman.

Charlotte / T'étais où ?


Candice / Chez l'plombier. On avait une facture à régler.

Charlotte / Tu t'es tapé l'plombier ?

Candice / Fallait bien. Et après j'ai rencontré la propriétaire.

Charlotte / T'as rencontré la propriétaire ? T'as pas pu l'éviter ?


Candice / Je l'ai vue trop tard. Et je n'ai pas une bonne nouvelle. C'est à propos de la maison. Elle dit qu'on va être expulsés.

Charlotte / Elle va nous expulser ! Ça fait quarante ans qu'on habite ici !

Candice / A cause des loyers qu'on n'a pas payé, elle dit qu'elle n'arrive plus à joindre les deux bouts.

Charlotte / Et nous alors ! Même un seul bout, on y'arrive pas.

Candice / Pour les loyers, avant, elle ne disait rien, en souvenir de son mari qui nous avait à la bonne.


Charlotte / Ça c'est sûr que son mari m'avait à la bonne. Il avait des scrupules, mais quand je lui ai fait comprendre qu'un arrangement était toujours possible, il n'a pas mis six mois à réfléchir.

Candice / La propriétaire dit qu'elle a un acheteur. Il va bientôt venir visiter. Mais en fait, on pourrait en profiter pour changer d'air.

Charlotte / Et ta grand-mère ? Marie-Louise ! Tu y penses, à ta grand-mère ?

Candice / Ah oui. Elle est enterrée dans l'jardin.


Charlotte / On n'allait pas la mettre dans le congélateur.

Candice / Mamie est sous les navets.

Charlotte / Elle aimait bien les navets.

Candice / Comment on va faire ?

Charlotte / Je te rappelle qu'officiellement, ta grand-mère est toujours vivante !

Candice / T'aurais quand même pu déclarer qu'elle était décédée.


Charlotte / Ta grand-mère a toujours défendu sa famille. Et sa pension, c'était tout ce qui nous restait d’elle.

Candice / Elle aurait bientôt cent ans.

Charlotte / Si on fait gaffe, elle peut vivre encore dix ans de plus.

Candice / Quand même, ça s'fait pas.


Charlotte / Et bien si, ça s'fait. Tu crois qu'on nous aide, nous ? Quand on demande quelque chose, on nous répond : Démerdez-vous. Et bien on s'démerde ! D'ailleurs, faut que j'aille à la banque chercher sa pension.

Candice / Si on est mis dehors, ils vont tout découvrir. Si le futur acheteur se met à creuser, il risque de tomber sur un os.

Charlotte / Ca c’est sûr.

Charlotte sort

Scène 3 : Candice / Roméo

Candice / Si ça s'trouve, y'en a d'autres. Y'a peut-être plus de monde dans l'jardin que dans l'cimetière ! Et si l'acheteur veut faire du jardinage, on sera logé, mais en taule.

Le téléphone sonne. Elle parle sèchement

Candice / Comment ? .. On n'a pas payé les côtelettes ? .. Vous êtes sûr ? .. Y'a combien de côtelettes ? .. Une centaine ? .. Euh.. On paiera à la fin du mois.. Je sais que j'ai déjà dit ça le mois dernier, mais si ça vous plaît pas, on peut changer d'boucher. .. Bon, d'accord. Je vais passer. (Elle raccroche) Voleur ! Et l'autre qu'est encore barré. .. Roméo ! Tu parles d'un prénom. Si j'avais su.. Le Roméo, je lui aurais balancé un pot d'fleurs du balcon sur la gueule, ça l'aurait calmé tout d'suite !

Roméo entre. Il a un pneu sous le bras. Candice se place devant un miroir et se maquille tout en parlant.

Roméo / Bonjour mon amour !

Candice / C'est ça, salut.

Roméo / Regarde ce que j'amène ! (Il montre fièrement le pneu)


Candice / Pour quoi tu ramènes un pneu ? Ça n'ira jamais sur la camionnette.

Roméo / C'est pas pour la camionnette. Je l’ai pris sur une belle bagnole sur le parking de la mairie. Et il n'est pas abîmé du tout. Et ça, ça va s'vendre !


Candice / T'en a pris qu'un ?

Roméo / J'ai pas eu l'temps pour les autres, y'a un chien qui m'a repéré.

Candice / Il vole des pneus dès l'matin. Tu pourrais au moins attendre la nuit.


Roméo / C'était une occasion à pas rater.

Candice / (Avec une certaine allusion vis à vis de Roméo) Les occasions, des fois, faudrait mieux les rater..

Roméo / T'es fâchée ? Qu'est-ce qui s'passe ?

Candice / La propriétaire veut nous mettre dehors ! A cause des loyers en retard.


Roméo / T’as pas payé le loyer !

Candice / J'allais pas coucher avec la propriétaire.

Roméo / Les charognes. Sous prétexte, qu'on n'a pas d'argent, ils veulent nous ruiner encore plus.

Candice / Et s'ils nous mettent dehors, on va avoir des problèmes avec ma grand-mère.

Roméo / Ca m'étonnerait, elle est morte.

Candice / Oh ! Tu réfléchis quand tu penses ? Elle est officiellement vivante, même si c'est sous une rangée de navets.

Roméo / Ah mais c'est la tuile ça !

Candice / Et comme la proprio a déjà un acheteur, s'il se met à creuser dans l’jardin, ce s'ra la fin des haricots.


Roméo / En plus, il pourrait tomber sur Bobby.

Candice / C'est qui, Bobby ?

Roméo / C'est le chien du voisin, celui qui gueulait tout l'temps.


Candice / T'as tué l'chien du voisin ?

Roméo / Je pouvais pas tuer l'voisin.

Candice / T'as enterré le chien du voisin dans l'jardin ?

Roméo / Sous les patates. A côté des navets.

Candice / Mais pourquoi on n'est pas comme les autres ? Pourquoi on est toujours fauchés ?


Roméo / Dans la famille, on n'a jamais vraiment été faits pour travailler. Nous, c'est d'abord la liberté, et la liberté, ça n'a pas de prix !

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