Le stage de survie

Ils travaillent tous dans la même société et se retrouvent pour participer à un stage de survie, fortement suggéré par leur patron, Monsieur Duchamel, et par Corinne la directrice des ressources humaines. Dès leur arrivée au campement, ils sont accueillis par le coach, Kévin dit Kéké, coach frimeur et légèrement mythomane, chargé de leur inculquer les rudiments de la survie en milieu hostile.

ACTE I
Sur scène, Jean-Pierre et Audrey. Ils portent chacun un sac à dos et observent la cabane.
JEAN-PIERRE, déposant son sac à dos. – A mon avis, ce doit être là.
AUDREY. – Ça m’en a tout l’air. (Enlevant son sac à dos.) Ouf ! Ce n’est pas trop tôt ! Ça fait bien une heure qu’on marche dans cette forêt. La DRH n’avait pas menti : pour arriver jusqu’ici, ça se mérite… Moi je suis habituée à randonner mais j’en connais qui en ce moment doivent commencer à faire sérieusement la gueule. Nous aurions dû les attendre, tu ne crois pas ?
JEAN-PIERRE. – S’il fallait commencer à attendre tous les blaireaux, nous serions encore sur le parking.
AUDREY. – Ça va nous faire tout drôle de côtoyer les collègues dans ce contexte. Je ne sais pas toi, mais moi, j’ai du mal à imaginer Magali sans son tailleur et Monsieur Lafleur sans son costume trois pièces. Ici, ils risquent d’être un petit peu dépaysés.
JEAN-PIERRE. – Ça ne leur fera pas de mal. La plupart d’entre eux ne bougent jamais leurs fesses. Le seul exercice qu’ils s’accordent, c’est d’aller 10 fois par jour de leur poste de travail à la machine à café. Si ce stage peut les secouer, crois-moi, je m’en réjouis.
AUDREY. – Tu les estimes tes collègues de boulot ! Pourtant, tu devrais, Jean-Pierre, tu devrais… Tu n’as pas retenu le discours de notre chère DRH ? « Dites-vous que dans notre entreprise, nous faisons tous partie de la même famille… »
JEAN-PIERRE. – Moi, je suis commercial, je ne passe pas mon temps à me la couler douce dans les bureaux. Je bosse, moi… Je mouille ma chemise. Pas comme tous ces cols blancs planqués derrière leur ordinateur qui jouent au solitaire, regardent leur facebook et vous snobent quand vous passez dans les couloirs. Des clowns que je te dis ! Tous des clowns !
AUDREY. – C’est aussi pour moi que tu dis cela ? Tu sais, Jean-Pierre, ce n’est pas très gentil.
JEAN-PIERRE. – Mais non ma petite Audrey, je sais bien que toi, ce n’est pas pareil. Même si tu bosses dans les bureaux, je vois bien que tu as gardé l’esprit baroudeur. Toi, tu es comme moi, tu aimes l’inattendu, l’exploration… Ne dis rien, je le sais, je le sens, toi, tu es disposée à vivre toutes les expériences, même les plus extrêmes, toi, tu te sens prête à respirer l’enivrant parfum de l’aventure, n’est-ce pas mon petit chat ?
Tout en parlant, il pose sa main sur l’épaule d’Audrey qui calmement lui prend la main pour se dégager.
AUDREY. – Le petit chat n’a pas du tout envie de finir entre les griffes d’un gros matou, alors si tu as des envies d’exploration, tu devrais commencer par cette cabane. Tu crois qu’il y a quelqu’un ?
JEAN-PIERRE. – Normalement oui… Nous allons voir. (Mettant ses mains en porte-voix.) Il y a quelqu’un ? (Plus fort.) Oh, oh ! Y’a quelqu’un ? (À Audrey :) J’ai l’impression qu’il n’y a personne ou alors s’il y a quelqu’un, il est devenu complètement sourd. A force de vivre dans les bois, il doit avoir de l’humus dans les oreilles, le gars… Je vais aller voir là-dedans… (Il s’approche tout en continuant à crier.) Il y a quelqu’un ?
La porte s
’ouvre brutalement et Kéké surgit, un couteau à la main, l’air menaçant.
KEKE, hurlant. – Oui ! Il y a quelqu’un !
Jean-Pierre et Audrey reculent en hurlant
à leur tour.
JEAN-PIERRE, AUDREY. – Ah ! Ah !
KEKE. – C’est vous qui braillez comme ça ?
AUDREY. – Vous nous avez fait peur.
KEKE. – Ah bon ? Et pourquoi donc ?
JEAN-PIERRE. – Si vous rangez votre couteau, nous pourrons peut-être nous expliquer plus sereinement.
KEKE, rangeant son couteau. – Ah oui ! Excuse-moi ! Ce sont de vieux réflexes que j’ai gardés du temps où je baroudais en Afrique. Leçon numéro 1 : toujours anticiper le danger. Leçon numéro 2 : être prêt à frapper avant d’être frappé.
JEAN-PIERRE. – Donc nous ne nous sommes pas trompés. C’est bien vous l’animateur du stage de survie.
KEKE. – Oui, c’est moi le coach. Je m’appelle Kévin mais tu peux m’appeler Kéké. Et toi ? C’est comment ?
JEAN-PIERRE. – Moi, c’est Jean-Pierre.
KEKE, lui tapant dans le dos. – Bienvenue Jean-Pierre !
AUDREY. – Moi, c’est Audrey. Enchantée. Je suis ravie de faire votre connaissance.
Ils se serrent la main.
KEKE. – Audrey, je t’arrête tout de suite. Ici pas de place pour les mondanités. Tu es venue jusqu’ici pour tutoyer la nature. Alors, si tu t’apprêtes à tutoyer la nature, tu dois aussi me tutoyer comme je vais te tutoyer, d’accord ? C’est clair ?
AUDREY. – Euh… Oui, c’est clair.
KEKE. – Bien ! Je sens que je vais m’entendre avec vous. Vous n’êtes que deux ?
JEAN-PIERRE. – Non, les autres ne devraient pas tarder… Ah ! Les voilà !
Arrivée de Corinne, Magali et Bubu.
CORINNE, à Jean-Pierre et Audrey. – Qu’est-ce qui vous a pris de courir comme cela ! Nous devions arriver tous ensemble.
JEAN-PIERRE. – S’il fallait attendre tous les traînards !
AUDREY. – Faut reconnaître que vous ne marchiez vraiment pas vite.
JEAN-PIERRE. – Même en marchant sur les mains, nous serions arrivés avant vous.
BUBU. – Tout le monde n’a pas le même rythme que vous.
JEAN-PIERRE. – Non ? Sans blague ? Et tu crois que je ne l’avais pas remarqué ? Dans ce groupe, il y a des mollusques qui n’ont pas plus de 2 de tension !
BUBU. – Ce n’est pas parce qu’on marche comme des escargots qu’il faut nous en faire baver.
JEAN-PIERRE. – Ouais ben… Chacun sa croix ! Ce n’est tout de même pas de ma faute si vous trouvez la vôtre trop lourde.
CORINNE. – Bravo ! Belle mentalité ! Je constate Jean-Pierre que ce stage tombe à pic. Je ne crois pas inutile de vous en rappeler les objectifs. Sans doute n’écoutiez-vous pas à la réunion d’information… Donc pour vous et pour Audrey, je vais faire l’effort de me répéter. Nous sommes ici pour travailler la cohésion d’équipe afin de renforcer le sentiment d’appartenance à l’entreprise Duchamel, car je vous le rappelle nous faisons tous partie de la même famille, tous unis contre la dictature de la concurrence donc pas de rivalité mais de la coopération et de l’union, encore de l’union, toujours de l’union… Ce sont ces valeurs de solidarité et de loyauté que nous souhaitons vous faire redécouvrir par le biais de ce stage. Me suis-je bien fait comprendre ?
AUDREY. – Oui, oui madame la directrice des ressources humaines.
CORINNE. – Et vous Jean-Pierre ? Qu’en pensez-vous ?
JEAN-PIERRE. – La même chose qu’Audrey, madame la directrice des ressources humaines.
KEKE. – Oh là ! Holà ! Qu’est-ce que j’entends ! Madame la directrice par ci, madame la directrice par là… Ça ne va pas… Non, non, ça ne va pas du tout. C’est comment ton nom ?
CORINNE. – Corinne Morineau, je suis la directrice des ressources humaines de l’entreprise Duchamel. C’est moi qui vous ai contacté à propos de…
KEKE. – Tut tut tut ! Corinne, je t’arrête tout de suite. A partir de maintenant, tu n’es plus madame la directrice de je ne sais pas trop quoi, tu n’es plus Corinne Morineau, pour moi, tu es Corinne, point barre. Ok ?
CORINNE. – Enfin monsieur…
KEKE. – Kéké ! Appelle-moi Kéké. Et toi, c’est Corinne… Pour moi et aussi pour eux (désignant les autres). Ne proteste pas, je t’explique… Si tout à l’heure, en allant ramasser du bois, tu te fais attaquer par un sanglier… Qu’est-ce qui va se passer ? La personne qui t’accompagne va me prévenir, t’es d’accord ? Oui eh bien, à partir de ce moment-là, chaque seconde, tu m’entends, chaque seconde sera précieuse. Si la personne commence à me dire : « Kéké, pourriez-vous intervenir parce que Madame Corinne Morineau directrice des ressources humaines de l’entreprise Duchamel vient de se faire agresser… ». T’imagines ! Si la personne me dit ça, le temps qu’elle termine sa phrase, tu auras déjà perdu 2 litres de sang… à moitié vidée comme une vieille gourde… Tandis que si la personne me dit : « Corinne ! Sanglier ! ». Tout de suite, je comprends, j’interviens et avec un peu de bol, tu peux être sauvée... Tu saisis ?
CORINNE. – Euh... Oui.
KEKE. – Parfait! Ce que je dis concerne tout le monde. Vous connaissez tous l’expression : « Action ! Réaction ! ». Ça reste valable ici plus que partout ailleurs. Rappelez-vous, la nature est notre mère à tous mais certains de ses enfants peuvent être dangereux pour eux-mêmes. Des questions ?
MAGALI. – On n’a jamais parlé des sangliers pendant la réunion d’information. Alors d’accord, nous faisons ce stage sur notre temps de travail mais on ne nous avait pas précisé qu’il y aurait des sangliers. Je n’ai aucune envie de me faire attaquer par un sanglier.
BUBU. – Si on ne l’attaque pas en premier, ça ne doit pas être bien méchant… Après tout, quand on y pense, un sanglier, ce n’est ni plus ni moins qu’un gros cochon sauvage.
JEAN-PIERRE. – N’aie pas peur Magali ! Si tu veux, nous ferons équipe tous les deux.
AUDREY. – Si tu pars avec lui, tu n’auras pas de mal à le rencontrer le gros cochon sauvage.
MAGALI. – Pourquoi tu dis cela ?
AUDREY. – Ne fais donc pas l’ingénue, Magali. Tu sais très bien que dans chaque homme, il y a un cochon qui sommeille. (Désignant Jean-Pierre.) Et cet homme-là donne l’impression qu’il a le sommeil très léger, le goret.
JEAN-PIERRE, haussant les épaules. – N’importe quoi !
KEKE, à Magali. – Tu sais Magali, tant que tu ne rencontres pas de laie, tu n’as rien à craindre.
MAGALI. – Qu’est-ce que vous me racontez ? Pourquoi vous me dites ça ? En plus il y a des laids dans la forêt ? Pourquoi ? Ils se cachent parce qu’ils ne sont pas beaux à voir ? C’est affreux !
JEAN-PIERRE. – C’est bien pourquoi tu as tout intérêt à faire équipe avec moi. Seul un beau gosse peut faire fuir les laies.
KEKE. – Mais non, Magali… La laie est la femelle du sanglier. Si elle est accompagnée de ses petits, elle voudra les défendre et là, attention : danger ! Si tu sais grimper aux arbres, n’hésite pas ! Si l’animal est tout seul, il n’y a pas de soucis. Sois sûre que dès qu’il te verra, il aura aussi peur que toi et ne pensera qu’à dégager au plus vite.
BUBU. – Tout de même, ce n’est pas très rassurant tout ça.
KEKE. – Comment t’appelles-tu ?
BUBU. – Bonjour Kéké, moi c’est Bruno mais tout le monde m’appelle Bubu.
KEKE. – Ecoute-moi bien Bubu. Rappelle-toi que la peur n’évite pas le danger. Alors ouvre l’œil mais sois confiant. Le groupe est avec toi, Bubu.
CORINNE. – Bien sûr Monsieur Bubu… Euh… Je veux dire… Bubu… Bon d’accord ! Si le coach le souhaite, autorisons-nous à nous tutoyer le temps de cette immersion ; bien entendu, nous reprendrons le vouvoiement lorsque nous serons sur notre lieu de travail. En attendant, soyons fous et laissons faire la nature. C’est bien cela, Kéké ?
KEKE. – Oui Corinne, c’est tout à fait cela.
CORINNE. – Donc… Bubu… Kéké a raison, la peur n’évite pas le danger et c’est dans l’union que nous vaincrons nos peurs, n’est-ce pas Kéké ?
KEKE. – Bien sûr Corinne.
JEAN-PIERRE. – Alors Bubu ? Rassuré ? Kéké et Bubu ! Avec ça, on n’a pas fini de rigoler… (Il s’esclaffe.) Kéké et Bubu ! Bubu et Kéké ! On dirait un numéro de clown ! Excusez-moi ! C’est nerveux ! (Il rit à nouveau, puis prenant une voix de clown.) Et maintenant les petits enfants, voici ceux que vous attendez tous : Bubu et Kéké !
KEKE. – C’est bon, Jean-Pierre ? Tu t’es bien défoulé ?
JEAN-PIERRE. – Mais non ! Je ne me suis pas défoulé, j’ai simplement rigolé. On a bien le droit de rigoler, tout de même ! Non ?
KEKE. – Bien sûr Jean-Pierre… Dans un stage, une petite touche d’humour est toujours la bienvenue, encore faut-il savoir être drôle… Je vais te raconter une anecdote… Il y a quelques années, j’ai accompagné un groupe de touristes en...

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