I
La scène est vide.
Max est dans la cuisine. Il fait du café.
Max (off, avec l’impatience de quelqu’un qui attend un ami qui ne vient pas) - Mais qu’est-ce qu’il fout, bon dieu ! Qu’est-ce qu’il fout !
Il sort de la cuisine. Il porte un plateau sur lequel il y a une cafetière et deux tasses.
1.1 - Max.
Max (exaspéré) - Une heure et demie ! Il a une heure et demie de retard ! (Il pose brutalement le plateau sur le canapé et se sert une tasse de café. Pendant qu’il fait cela, il aperçoit une revue féminine oubliée sur le canapé. Puis, très fort, en prenant la revue avec une sorte de dégoût.) Qu’est-ce que c’est que ça ? (Pour lui-même, en souriant.) Il faut toujours qu’elles oublient quelque chose : un magazine, une écharpe… (Il tire un soutien-gorge dissimulé sous un coussin du canapé.)… un soutien-gorge. (Il feuillette distraitement la revue. Lu.) « Les femmes et l’amour ! » (Parlé.) L’amour, elles ne pensent qu’à ça ! (Lu.) « Une femme sur deux, dont les trois quarts ont moins de trente-cinq ans, pense que l’érotisme est nécessaire à l’amour. » (Parlé.) Tu parles, évidemment ! (Lu.) « Pour la majorité des femmes, la tendresse… » (Il regarde sa montre d’un mouvement vif.) Onze heures ! Qu’est-ce qu’il fout ! Mais qu’est-ce qu’il fout ! (Un temps bref.) Je me calme… (Il fait quelques mouvements pour se détendre. Mais son impatience reprend vite le dessus.) Mais c’est pas vrai ! (Il donne un coup de pied violent dans le canapé. On sonne.) Enfin… (Pour lui-même, en plaisantant.) La violence, il n’y a que ça de vrai, je l’ai toujours dit. (Il laisse sonner plusieurs fois.) Voilà !… Voilà !… Il est pressé maintenant, comme tous les retardataires. (Sonnerie.) J’arrive !… (Sonnerie.) Voilà !… Voilà !… (Il ouvre et hurle :) Tu as une heure et demie de retard ! (Dans sa fureur, il ne voit pas qu’il a ouvert la porte à une superbe jeune femme et continue sur sa lancée.) Tu me refais ce coup-là, je t’éclate la tête !
1.2 - Max, Florence.
Florence ne s’attendait pas à un accueil aussi brutal.
Florence - Bonjour.
Elle lui tend la main. Elle reste un court moment le bras tendu, la main levée car, entre-temps, Max est revenu rapidement au centre du salon. Il se rend compte à présent que ce n’est pas à Julien qu’il a ouvert la porte mais à une « ex ».
Max (se reprenant) - Bonjour… Salut…
Florence - Florence.
Max - Florence ?… Ah oui… Oui, oui, bien sûr. (En tournant la tête légèrement sur son épaule et en parlant entre ses dents.) Je l’avais oubliée celle-là.
Florence - Je te rappelle mon prénom, au cas où tu l’aurais oublié.
Max - Mais je ne l’ai pas… Florence, enfin, on n’oublie pas un si joli prénom.
Florence - Deux mois, on a le temps de penser à autre chose. Ou à quelqu’un d’autre.
Max (on doit comprendre que cette aventure lui était complètement sortie de la tête) - Déjà !
Florence - Oui, oui, deux mois.
Max (enchaînant) - C’est fou ce que le temps passe vite.
Florence (confirmant) - Deux mois et cinq jours. J’ai une excellente mémoire. Et je n’ai pas l’habitude de mentir. (Un temps bref.) Tu m’avais oubliée. L’oubli, ça passe avec le temps, vite, très vite.
Max - Mais non.
Florence - Tu m’aurais rappelée ?
Max - Euh… là, non, mais plus tard… C’est-à-dire que… en ce moment je suis sur un coup… un coup sensationnel, je n’arrête pas, je suis…
Florence - … débordé ?
Max - C’est ça, débordé, je suis débordé.
Florence - Comme il y a deux mois.
Max - Comme il y a… Exactement.
Florence - Et c’est pour ça que tu m’as laissé tomber. (Avec une pointe de malice.) Tu remarqueras que je suis polie, on pourrait le dire autrement.
Max s’approche de Florence, penaud, embarrassé.
Max (gêné) - Tu m’en veux ?
Florence (fermement, sans méchanceté) - Oui.
Max (qui ne s’attendait pas à une réponse aussi nette) - Ah.
Florence - Oui et non…
Max (soulagé) - Ah.
Florence - J’aurais préféré qu’on en parle, qu’on discute, ça se fait tu sais, qu’on se quitte moins… brutalement. (Elle corrige.) Que tu me quittes moins brutalement.
Max - Hum !
Florence - Je n’aime pas les situations tordues, les ruptures à la sauvette, j’aime les situations nettes. (Un temps bref.) Tu n’as rien à me dire ?
Il est pris au dépourvu et ne sait pas quoi répondre.
Max - Ben… euh… t’as pas changé.
Florence (sur le ton de la plaisanterie) - En deux mois et cinq jours, quand on a terminé sa croissance… (Cependant, elle laisse planer un doute.) Pourtant… (Reprenant.) Je suis très occupée moi aussi. Je passe des examens bientôt, j’ai un boulot dingue. (Avec une petite pointe d’ironie.) Comme toi.
Max (pris au dépourvu) - C’est bien…
Florence - Le CAPES. J’ai envie d’enseigner, c’est une drôle d’idée, n’est-ce pas. Je t’en ai parlé au restaurant.
Max - Tu m’en as parlé… au restaurant… Ah oui ! Je me souviens… hum…
Florence (désignant du regard les tasses sur le plateau) - Tu attends quelqu’un ?
Max - Non. Oui.
Florence (sèchement) - Une femme ?
Max - Non, pourquoi ?
Florence - Comme ça.
Max - Non, j’attends Julien.
Florence - Julien ?
Max - Mon associé… Je t’en ai parlé… au restaurant. (Embarras de Florence qui a visiblement un trou de mémoire.) On a monté la boîte ensemble.
Florence - Ah oui. Oui, oui, tu m’en avais parlé. Excuse-moi, mais en ce moment, je… je ne sais plus très bien où j’en suis… (Sans finir sa phrase, elle laisse entendre par un geste explicite qu’elle a la tête ailleurs.) Julien… Julien… (Elle réfléchit.) Attends…
Max - Je ne fais que ça.
Florence - Julien… le génie, le surdoué.
Max - Oui, n’exagérons rien.
Florence (déçue, s’apprêtant à partir) - C’est ce que tu m’as dit, hein, moi, tu sais, Julien… (Un temps bref.) Vous allez travailler, je suppose…
Elle est très mal à l’aise et semble se demander si elle ne ferait pas mieux de revenir un autre jour.
Max - Reste, tu ne me déranges pas. Julien est un ami, c’est un bon architecte, c’est vrai, et qui plus est un négociateur hors pair, heureusement d’ailleurs, car je ne suis pas doué pour ça, mais il a un énorme défaut…
Florence (avec une pointe d’ironie) - Un seul, pour un homme, ce n’est pas mal.
Max - Il est toujours en retard. Il y a des gens comme ça, ça les amuse de faire attendre les autres.
Florence (contrariée, comme pour elle-même) - C’est ennuyeux.
Max (très fort) - Je l’attends depuis une heure et demie. (De colère, il donne, comme précédemment, un coup de pied violent dans le canapé.) Euh… (Il caresse maladroitement le canapé comme pour s’excuser de l’avoir frappé. Geste comique.)
Florence - Max !
Max (confus après ce qu’il vient de faire) - Excuse-moi… je ne sais pas ce qui…
Florence - Je t’en prie… Tu seras chez toi demain ?
Max - Mais reste, tu ne me déranges pas, je te dis.
Florence - Ça me gêne.
Max (agacé) - Tu veux boire quelque chose ?
Florence (vivement) - Non merci.
Max (insistant) - Le café est encore chaud.
Florence (préoccupée) - Non, non… (Un temps. Elle change de conversation, comme pour dissiper son trac.) Vous étiez sur un gros projet, un supermarché, je crois.
Max - Un casino.
Florence - Un casino, c’est ça.
Max - On l’a bouclé la semaine dernière… (Il cherche désespérément à détendre l’atmosphère.) Le projet, pas le casino. La gloire si on décroche le contrat, malheureusement…
Florence - Vous n’êtes pas seuls.
Max - Non, il y a de grosses équipes sur le coup, mais on est les meilleurs. Julien suit l’affaire de près, c’est pour ça que je l’attends, j’ai hâte de savoir où on en est. (Avec un geste vainqueur.) On va gagner, j’en suis sûr.
Florence - Je vous le souhaite… (Gravement, après un long silence.) Max…
Max - Oui ?
Florence - J’ai… j’ai quelque… quelque chose d’important à te dire.
Max - ???
Florence - Tu ne te demandes pas pourquoi je suis là ? Une fille qui débarque comme ça, du jour en lendemain, sans prévenir, ça ne t’étonne pas ?
Max - ???
Florence - Je suis enceinte.
Max (bondissant) - Toi ? C’est pas possible !
Florence (vexée) - Oh !
Max - Enfin… souviens-toi…
Florence (ironique) - Je me souviens. (Elle pose les mains sur son ventre.) Ma mémoire n’a jamais été aussi bonne.
Max est abasourdi.
Max - Un enfant, tu te rends compte… Alors ça… Eh ben… (Il va s’asseoir sur le canapé.) Enfin, tu as bien fait de venir quand même. (Il reste assis un long moment. Puis, avec mille précautions.) Et… qu’est-ce que… qu’est-ce que tu as l’intention de faire ?
Florence (avec énergie) - Je n’ai pas le choix, figure-toi !
Max - Non… enfin… hum… je ne sais pas… tu as l’intention de… de le garder ?
Florence (fermement) - Oui.
Max - Ah. (Un temps.) Et… tu es sûre… Ah ! c’est gênant, un homme ne devrait jamais poser ce genre de question à une femme. Tu es sûre…
Florence (hésitant) - Oui… J’en suis sûre.
Max (remarquant l’hésitation de Florence) - Florence, j’ai besoin d’une réponse franche.
Florence (avec beaucoup d’hésitation en effet) - Oui, j’en suis sûre… (Puis très bas, comme pour elle-même, et on doit comprendre qu’elle n’est pas sûre d’elle.) Oui.
Max - Tu es sûre, tu peux me jurer, que je suis bien le père ?
Florence - Oh !… Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? (Comme pour dire qu’elle est une fille bien.) Regarde-moi !
Max - Justement. (Un temps.) Excuse-moi… (Il est à court d’arguments.) Mais merde !
Florence - Ne t’énerve pas, s’il te plaît.
Max - On ne se connaît pas, on s’est vus trois ou quatre fois à tout casser.
Florence - On se connaît un peu quand même, non ? Enfin, il me semble, après ce qu’on a fait.
Max - On ne connaît pas les gens parce qu’on a couché avec eux. On a fait l’amour une fois, un soir…
Florence - Deux fois.
Max - Deux fois, si tu veux.
Florence - Mais je ne voulais pas, moi, pas comme ça ! Rassure-toi, tu es bien le père de cet enfant.
Max - Mais comment est-ce qu’on a pu faire une chose pareille ?… (Florence lève les yeux au ciel.) Enfin, quoi, un enfant ce n’est pas rien et, pardonne-moi ce mauvais jeu de mots, mais nous ne sommes plus des enfants, on avait fait attention.
Florence - Tu étais complètement soûl.
Max (rectifiant avec autorité) - Oh ! oh ! oh !… Disons, pour être exact… (En désignant le ventre de Florence.)… car il ne faudrait pas que cet enfant qui nous entend sûrement déjà ait une mauvaise opinion de son père, que j’avais un peu bu.
Florence (en souriant) - Et j’avais bu moi aussi, je ne me le pardonnerai jamais.
Max - Et on dit que l’alcool tue !
Florence - Max !
Max - Oui. (Comme il aurait dit : quoi encore ?)
Florence - J’ai autre chose à te dire.
Max - Ça ne peut pas attendre ? Parce que là…
Florence (qui n’a pas envie de plaisanter) - C’est important.
Max (résigné) - Je t’écoute.
Florence (gravement, comme s’il s’agissait en effet d’une chose importante) - Voilà… Enfin, tu imagines la situation dans laquelle j’étais, je me suis affolée, je ne savais pas quoi faire… Je suis allée voir mon père et je lui ai tout raconté.
Max (étonné car il s’attendait à quelque chose d’important) - Et alors ?
Florence - Et alors, il est au courant, de toi, de moi… (En mettant les mains sur son ventre comme précédemment.)… de nous.
Max - C’est tout ?
Florence - C’est beaucoup. Si tu le connaissais, tu comprendrais.
Max - Et comment a-t-il pris la chose, papa ? (Il sourit.) Tiens, ça me fait drôle tout à coup de prononcer ce mot-là.
Florence - Tragiquement. Ça ne l’a pas fait rire, mais alors pas du tout. Il a un sens de l’humour très personnel.
Max - C’est rien, il s’en remettra.
Florence - Je lui ai dit que… Ça va ?
Max - Très bien, je te remercie, j’ai connu des jours meilleurs, mais ça va, je tiens le coup.
Florence - Vraiment, hein, parce que…
Max - Oui, ça va.
Florence - Je lui ai dit que j’allais me marier.
Max - Tu lui as dit que tu allais te marier !… Avec qui ?
Florence - Ben avec toi, évidemment.
Max - Mais tu es complètement folle !
Florence - Ne crie pas, je t’en supplie ! Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ?
Max - Attendre.
Florence - Ah oui ! J’aurais eu l’air fin le jour du mariage. (En dessinant un gros ventre avec ses mains.)
Max - Ne penses-tu pas… (Avec un tourbillon de la main.)… qu’il eût été, comment dirais-je, plus convenable de me demander mon avis avant de lui dire ça ?
Florence (en souriant) - «...