L’Entropie cocasse

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Le professeur Staphylos s’apprêtait à révéler au monde entier le résultat de quarante années de recherches scientifiques.
Il vient d’être assassiné par les sbires de BF15, l’insaisissable et redoutable criminel traqué par les polices des cinq continents.
Dans un bar du quartier du manège se retrouvent les trois héros de cette traque policière :
Hortense, la voyante consolatrice,
Mathieu, l’élégant égoutier,
Clarisse, une voyageuse de passage.
Sauront-ils unir leurs efforts pour faire bon usage de la stupéfiante découverte du professeur Staphylos ?

Lumière. Clarisse est attablée. Elle lit, cachée derrière un grand journal.

Un café est posé sur la table.

HORTENSE

Bonsoir René. Salut la compagnie. Ca y est j’ai mon billet.

Je pars sous les palmiers dans une quinzaine !

Pension complète, piscine à volonté, doigts de pieds en éventail. Le grand luxe !

Je m’y vois déjà ! Je te rapporterai une étoile de mer pour ta collection de crustacés.

Voyant Clarisse.

Madame, je m’excuse. Vous occupez ma place.

CLARISSE

Non. Pas « madame ». Je m’appelle Clarisse.

Je vous demande pardon. Je vous prie de m’excuser.

Elle laisse sa place à Hortense, va chercher une autre chaise et s’assoit près d’elle.

HORTENSE

René, comme d’habitude, s’il te plaît.

Ne vous vexez pas. C’est que je suis superstitieuse.

Je donne mes consultations publiques ici, sur ce siège.

J’ai un premier patient cet après-midi dans un quart d’heure.

Y vaut mieux pas les rater. Les temps sont difficiles.

CLARISSE

Oui. Le monde appartient aux plus pugnaces d’entre nous.

HORTENSE

Devinez à combien ça me revient huit jours aux Caraïbes, voyage compris.

CLARISSE

Je n’en ai pas la moindre idée.

HORTENSE

Trois mille euros ! Tout inclus. Climatisation, salon de beauté, manucure,

sauna finlandais et j’en passe.

Elle va chercher sa boisson habituelle.

Merci René. Alors vous voyez ? J’ai mes habitudes.

CLARISSE

Trois mille euros ! Vous avez les moyens !

HORTENSE

Je me les donne. Je n’ai jamais pointé au chômage.

Pourtant j’en ai traversé de la grisaille.

Je ne dois rien à personne. Autrement dit… je dois tout à tout le monde !

Au fait, je réalise que je suis incongrue. J’ai oublié de me présenter.

Hortense. Comme la reine, si vous connaissez.

CLARISSE

Oui. La reine Hortense. La mère de Napoléon III.

HORTENSE

Vous êtes sacrément cultivée. C’est le gros Louis, un de mes patients qui me l’a fait remarquer un jour.

« Mademoiselle Hortense, vous êtes sublime » qu’il m’a déclaré.

« De surcroît, vous portez le prénom d’une reine de Hollande ».

Ca m’a rendu fière, moi qui suis une fanatique des tulipes.

CLARISSE

Enchanté, Hortense. Mademoiselle Hortense.

HORTENSE

Mademoiselle Hortense, c’est mon nom de chef d’entreprise.

Je suis présidente directrice générale de la société anonyme M.H.V.C.

CLARISSE

MHVC… Cela ne me dit rien.

HORTENSE

C’est une entreprise individuelle.

MHVC, c'est-à-dire : « Mademoiselle Hortense Voyante Consolatrice ».

Je suis voyante professionnelle en public ici. Consolatrice en privé chez moi.

CLARISSE

Voyante ?

HORTENSE

Oui. Depuis le berceau. J’ai des visions. Je suis voyante-visionnaire.

CLARISSE

Des visions ! De quelle nature ?

HORTENSE

De la nature du malheur. Je ne vois que des événements malheureux en général.

Des faillites, des dépôts de bilan, des maladies mortelles, des séparations tragiques,

des meurtres sanguinolents.

CLARISSE

Le bonheur vous échapperait-il ?

HORTENSE

Il n’apparaît presque jamais dans mes visions. Alors vous comprenez, quand je prédis à l’un de mes patients qu’il va être ruiné, ou malade ou même qu’il va bientôt disparaître, c’est le grand choc, le bouleversement.

C’est à ce moment là que commence mon rôle de consolatrice.

CLARISSE

J’entends. J’entends. Vous voyez ici. Vous consolez chez vous.

HORTENSE

Eh oui ! Je ne peux pas m’empêcher d‘être bonne.

Plus la catastrophe que j’annonce est terrible, plus je dois les consoler, leur remonter les bretelles pour que ça n’arrive pas. Une fois rassurés, ils deviennent généreux.

Et vous ? Qu’est ce que vous me racontez ? Vous êtes nouvelle dans le quartier ?

CLARISSE

Non. Je viens de loin. Je suis à la recherche d’un précieux objet.

HORTENSE

Quoi donc ? Si je peux vous être utile.

CLARISSE

Un diamant. Un énorme diamant.

HORTENSE

Un diamant dans ce quartier ! Comment que c’est possible ?

CLARISSE

Il s’agit d’une bague que j’ai récemment perdue un soir d’ivresse.

J’étais avec cet homme qui me l’avait offerte.

HORTENSE

Votre fiancé ?

CLARISSE

Non. Un homme de passage. Un passager.

Le matin même nous ne savions rien l’un de l’autre.

Il avait frappé à ma porte dans l’après-midi pour me vendre des babioles, des ustensiles de cuisine, je crois.

A force de paroles, il m’embobina comme on dit.

Il était charmant, j’étais seule, à quoi bon résister ?

HORTENSE

A qui le dites-vous ? Des fois c’est un vrai calvaire de résister.

J’en vois certains, ils voudraient une séance à l’œil.

Pour m’enjôler ils font du baratin. Et que j’t’embrouille et que j’t’emberlificote.

Avec moi ça prend pas, j’ai des principes.

Je suis une professionnelle de la voyance directe et de la consolation.

Ils ne me prendraient pas au sérieux si je leur annonçais des misères gratuitement.

Revenons à votre amoureux.

CLARISSE

Il souriait comme l’on doit sourire.

Avec ce juste mélange de tendresse, d’ironie et de gourmandise.

HORTENSE

Je décolle !

CLARISSE

A la tombée du jour, il m’a emmenée dans ce quartier, sur les lieux de son enfance.

Nous avons dîné là-bas, au bout de la rue, dans le bistrot, à l’angle.

A la fin du repas, il a sorti de sa poche un anneau étincelant et l’a glissé à mon doigt.

Il l’avait reçu la veille de sa grand-mère.

HORTENSE

Quel homme !

CLARISSE

Au moment où nous nous sommes embrassés sur cette place, la bague a glissé.

Elle s’est échappé, a roulé le long de la rue en pente puis a disparu.

Dans un égout peut-être.

Je n’ai pas pu me dégager de son étreinte. Je me suis abandonnée.

Il riait. Il riait. J’étais contrariée mais je l’ai suivi.

HORTENSE

Ca, je vous l’aurais prédis si on s’étaient connues avant.

CLARISSE

Nous avons prolongé notre rêve dans l’hôtel, près du manège silencieux.

Au petit matin…

HORTENSE

Il vous a demandé en mariage.

CLARISSE

Le bel oiseau avait repris son vol. J’entendais la pluie contre les vitres.

Hortense essuie furtivement une larme.

Je me suis préparée en hâte et me suis sauvée. Des affaires importantes m’attendaient ailleurs.

HORTENSE

Que c’est triste !

CLARISSE

Pas du tout ! Au contraire !

C’est donc vrai que vous n’êtes pas entraînée à saisir le bonheur à pleines mains quand il passe à votre portée ! Je vous plains !

HORTENSE

Vous m’avez chavirée avec votre marchand d’ustensiles qui fait apparaître des diamants comme un magicien.

Vous espérez le revoir un jour ?

CLARISSE

Evidemment !

HORTENSE

Comment s’appelait-il ?

CLARISSE

L’arc-en-ciel de Bagdad.

HORTENSE

C’est original pour un représentant en ustensiles.

CLARISSE

C’est le nom du diamant ! Toutes les pierres d’exception portent un nom !

Sa voix de velours résonne encore :

« Ma chérie, je vous couronne et vous confie l’arc-en-ciel de Bagdad ».

HORTENSE

C’est pas à moi que ça arriverait !

CLARISSE

Pas un seul de vos… patients… n’a de faiblesse pour vous ? Rassurez-moi.

Vous êtes une belle fille. Vous possédez, me semble t-il-, une réelle nature, altruiste, authentique.

Vous méritez ce qu’il y a de mieux.

HORTENSE

Des fois, y’en a un qui en rajoute.

Une chaîne par ci, une broche par là, un bracelet de pacotille.

CLARISSE

Cela vous sied à merveille.

Il est vrai qu’ils manquent d’imagination.

HORTENSE

Détrompez-vous. Pas tous. Mais, c’est des secrets. Et des secrets… c’est des secrets !

CLARISSE

Vous tombez à pic. J’adore les secrets. J’en connais d’innombrables.

HORTENSE

Vous êtes comique vous ! Je ne vous connaissais pas y’a dix minutes et vous me demandez de vous confier mon intimité.

CLARISSE

Comme il est dit dans la chanson : « Le temps ne fait rien à l’affaire ».

Tout est dans l’intensité.

Cet homme dont je viens de vous parler. Je n’ai pas eu le temps de le découvrir.

Malgré cela nous avons échangé ce que nous recelions de plus intimes en nous :

notre âme !

HORTENSE

Vous croyez ?

CLARISSE

C’est ce que nous enseignent les plus grands philosophes.

HORTENSE

Vous avez lu des philosophes ?

CLARISSE

Cela va de soi.

HORTENSE

J’ai eu un patient philosophe l’année dernière. « J’étudie la sagesse » qu’il me disait.

En tout cas, ce n’est pas avec moi qu’il a préparé son diplôme !

Il était émoustillé par les chœurs de l’armée rouge.

Vous savez « Kalinka » et « Les râteliers de la Volga » ?

Pendant nos séances de consolation, il m’appelait Dimitri.

La sagesse ! Tu parles ! Moi j’appelle ça de l’hypocrisie.

CLARISSE

« Les plus grandes âmes sont capable des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus ».

HORTENSE

Si vous le dites.

CLARISSE

Première partie du « Discours de la méthode ». Descartes.

HORTENSE

Vous avez péché ça dans une méthode pour jouer aux cartes ?

CLARISSE

René Descartes. L’un de nos plus brillants penseurs.

HORTENSE

Y paraît que les fameux philosophes, ils font des études pendant leur vie entière pour apprendre a penser.

CLARISSE

Entre nous, c’est un parfait alibi pour ne rien faire d’autre. Penser !

Il faut agir dans la vie ! De l’action que diable !

Alors, ce petit secret ?

HORTENSE

Vous y allez fort. D’accord.

CLARISSE

Je suis tout ouïe.

HORTENSE

Pour mon dernier anniversaire…

CLARISSE

Ca vous fait quel âge ?

HORTENSE

Euh… t’huit ans.

CLARISSE

Je vous écoute.

HORTENSE

Jojo, mon fidèle patient camionneur, m’a invitée a passer un week end dans le Calvados chez sa maîtresse la fameuse…

Elle murmure un nom à l’oreille de Clarisse.

CLARISSE

Non ! L’épouse du ministre des affaires…

HORTENSE

Elle-même ! Elle nous a reçus, avec son mari. Nous sommes quasiment des intimes.

Jojo m’a présentée comme sa sœur jumelle.

Elle en a pincé pour moi.

CLARISSE

C’est hallucinant !

HORTENSE

Elle m’a avoué sa passion le dimanche soir, au clair de lune, au bord du bassin des sylphides.

Elle voulait divorcer, s’enfuir avec moi.

CLARISSE

Vous en avez profité au moins ?

HORTENSE

Non ! Son politicien a passé toute la nuit, à ses genoux, à la supplier de rester.

Le lendemain au petit déjeuner, elle a capitulé.

Je l’entends encore. Quelle allure !

« Si je renonce à mon amour pour cette déesse – c’était ma pomme la déesse en question – ce n’est pas pour votre immonde personne, mais pour éviter le scandale, pour satisfaire votre insatiable ambition, pour votre carrière, pour l’honneur de nos familles, pour sauver la France !

Telle une vierge antique soumise aux caprices des dieux, je m’immole sur l’autel de la patrie !

Pardonne moi, ma bien aimée ».

Elle s’est sacrifiée ! On s’est dit adieu. J’étais toute chose.

CLARISSE

Et votre camionneur ?

HORTENSE

Du coup elle a rompu. Il a eu du chagrin le pauvre Jojo. C’était un romantique, un vrai de vrai. Pour le consoler ils lui ont offert deux poids lourds, aux frais de la princesse.

CLARISSE

Je n’en crois pas mes oreilles !

Avec de tels éléments, vous aviez la possibilité de déstabiliser le gouvernement,

de provoquer un remaniement ministériel, voire une dissolution de l’assemblée nationale ou une révolution !

HORTENSE

Vous auriez fait ça vous ?

CLARISSE

Sans hésiter une seconde !

Vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre journée !

Comment peut-on patauger ainsi, trottiner à côté de son destin ?

Dès ma plus tendre enfance, j’ai compris que les bottes de sept lieues n’étaient pas seulement destinées aux petits pieds des gnomes imaginaires, mais aussi aux grandes pointures, aux esprits désireux de conquérir le monde.

Je les ai chaussées et n’ai eu de cesse, depuis, de satisfaire mon unique ambition :

tirer les ficelles de ces marionnettes minuscules qui composent le genre humain !

Au gré de ma fantaisie, j’ai visité les coins et les recoins de notre planète, cette carambole filante, partagée entre les puissants et les impuissants.

Tel un illusionniste, j’ai manipulé des cartes truquées devant des publics béats d’admiration.

Je me suis régalée en observant à la loupe les rouages subtils de la politique.

Dans le sillage des dirigeants, j’ai dansé aux sons d’orchestres désaccordés par mes soins.

Mon mépris envers ces pantins machiavéliques n’a eu d’égal que mon extrême jouissance à les utiliser selon mon bon vouloir.

Si vous saviez Hortense, la satisfaction que l’on éprouve à bâtir son propre avenir, jour après jour, à disposer à loisir de cette irréversible succession d’instants !

Si je pouvais vous insuffler une infime parcelle d’énergie pour vous animer !

Ce serait un effort inutile. Nous sommes différentes.

Vous acceptez, alors que moi, je refuse !

Vous m’entendez, je refuse ! Je refuse !

Aujourd’hui, après avoir tant dominé et utilisé les hommes grâce à mon génie, je vois se profiler à l’horizon l’ombre de la Grande Faucheuse.

Elle vient à ma rencontre en riant aux éclats et se rapproche inexorablement.

Si je ne la brise pas, elle gagnera la partie.

Pour l’anéantir il me manque l’essentiel : l’Eternité !

Elle vacille et tombe.

Comprenez-vous ? L’Eternité !

Elle s’évanouit.

HORTENSE

René, appelle le SAMU des urgences.

Quelle histoire !

Et mon patient, monsieur Charles, qui ne va pas tarder !

En attendant il faut que je me remémore mes visions.

Elle sort de son sac une boule de cristal et un carnet qu’elle feuillette.

Oh, la, la ! C’est épouvantable ce j’ai annoncé à monsieur Charles vendredi dernier.

C’est tragique ! J’espère que je l’ai assez consolé et que ce n’est pas arrivé.

Sinon je lui ferai comprendre qu’il a été trop radin.

C’est vrai ça, il a toujours l’air d’avoir des oursins au fond des poches.

Bon, ensuite…

Professeur Staphylos. Lundi dix huit heures quinze.

Qu’est-ce qu’il m’a fait marrer le Staphylos avec sa formule magique.

Une formule magique ! J’vous jure. J’en vois des déjantés.

Quatre milliards huit cent soixante quinze millions…

CLARISSE (Se redressant brusquement)

Formule magique ! Vous avez dit : « formule magique » ?

HORTENSE

Ah ! Ca fait plaisir ça.

René, tu peux décommander le SAMU des urgences. Elle est revenue.

Ca vous arrive souvent ?

CLARISSE

Je suis sujette à des malaises provoqués par l’inertie, la mollesse de mes contemporains.

HORTENSE

Vous me trouvez molle ?

CLARISSE

N’en parlons plus. Vous venez d’évoquer une formule magique.

HORTENSE

Motus et bouche cousue. Cette fois vous ne m’aurez pas. Je sais me taire.

CLARISSE

Vraiment ?

HORTENSE

J’ai juré. Et quand je jure, je suis une tombe. Une concession à perpétuité.

CLARISSE

Cette formule, d’où la tenez-vous ?

HORTENSE

N’insistez pas, je vous dis. N’insistez pas. Je n’ai pas le droit de la divulguer.

CLARISSE

Ce n’est pas ce que je vous demande.

HORTENSE

Ah bon !

CLARISSE

Pas du tout. Que voulez-vous que je fasse d’une formule magique ?

Ce sont des histoires d’enfants, ou de fou.

HORTENSE

Justement, c’est une histoire de vieux fou. Un autre de mes patients.

CLARISSE

Vous racontez avec un tel talent !

HORTENSE

Il s’agit du professeur Staphylos. Je l’évalue comme carrément timbré.

CLARISSE

A-t-il cherché à vous nuire ?

HORTENSE

Non. C’est un savant international. Chimiste, physicien, membre de l’institut, décoré par des rois, double prix Nobel.

C’est un chercheur. Où plutôt, un trouveur.

Pendant nos entretiens privés, il marmonne souvent des choses étranges.

CLARISSE

Quel genre de choses ?

HORTENSE

Du genre, relaxation du stress viscoplastique, dichlorure d’antimoine dopé au bismuth,

thermodynamique de second ordre, et cætera.

Il m’a même déclaré dans son délire que l’entropie de l’univers ne fait qu’augmenter.

Vous vous rendez compte ? Cinglé, je vous dis !

Je me marre avec lui. Je retiens tout. Je pige que dalle mais je retiens tout.

CLARISSE

A part ça ?

HORTENSE

Figurez-vous qu’il m’a confié un trésor « inestimable » qu’il a prétendu.

« A ne pas mettre entre toutes les mains ».

CLARISSE

Ce sont ses propres mots ?

HORTENSE

Oui. C’est qu’il me...

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