Les Amazones

Thésée est fait prisonnier par les Amazones. Son exécution semble inévitable. Pourtant, Orithie, la reine-guerrière, tombe, bien malgré elle, sous le charme du héros grec. Ménalippe, sa ministre des armées, la met en garde : une telle passion ne peut exister dans une nation composée de femmes, les lois de l’État sont claires, et Thésée est un ennemi !
D’autant plus que les armées de l’empire Scythe, allié de Thésée, sont aux portes de la cité. Gélon, leur roi, réclame le sang des Amazones ; ou, pour prix de son indulgence, la main de la princesse Antiope.
Une double union pourrait tout arranger. Mais le cœur de Thésée brûle pour une autre Amazone. Celle dont il a épargné la vie sur le champ de bataille, entraînant sa capture, et dont l’amour est réciproque, n’est autre qu’Antiope.
Repousser les avances d’Orithie, prétendre aux mêmes ambitions que Gélon ; Thésée peut-il vraiment défier deux monarques et survivre ?




Les Amazones

ACTE I

Scène première

Orithie, Ménalippe

Ménalippe

En ce célèbre jour, où selon nos maximes,

Nos captifs au Dieu Mars sont offerts pour victimes.

Où, dans la trêve ouverte après tant de combats,

Ils attendent du sort la vie ou le trépas ;

[5] Reine, dont les vertus passent l’éclat du trône,

Souffrez que sans détour votre peuple Amazone,

Pour le bien de l’État, s’exprime par ma voix.

Orithie

Votre zèle en tout temps fut le soutien des lois :

Âme de mes conseils, et chef de mon armée,

[10] Ménalippe, à vos soins je dois ma renommée.

Ménalippe

Immolons-lui, Madame, un superbe étranger,

Qui par ses seuls exploits mit nos murs en danger.

Cet allié du Scythe en surpasse l’audace,

Dans sa main à l’instant la mort suit la menace ;

[15] On l’a vu nous braver courant de rang en rang :

Mais nos fiers bataillons avides de son sang,

Le séparant des siens, à sa perte l’entraînent ;

Des traits partent encore de ses mains qu’ils enchaînent,

Et ce lion fougueux, par le nombre abattu,

[20] Succomba sous nos coups, sans ternir sa vertu.

II est à redouter, même dans l’esclavage.

Que ne pourra la haine unie à son courage !

On dit que par votre ordre, au mépris de nos mœurs,

De ses fers en ce jour on suspend les rigueurs ;

[25] Libre dans ce palais, il peut par des intrigues,

Chez les peuples voisins se pratiquer des brigues,

Les armer contre nous, et punir nos mépris :

Un homme dans ces murs blesse les yeux surpris ;

On craint que ses complots…

Orithie

Et quelle est cette crainte ?

[30] Seul, avec un des siens, libre dans cette enceinte,

La garde du palais répond de sa fureur ;

Je dois par des égards distinguer sa valeur,

Et veux que l’univers apprenne qu’Orithie

Honore ici le bras qu’elle dompte en Scythie.

[35] Je viens par mes exploits d’étonner ces climats,

Jouissons de la paix après tant de combats ;

Des Scythes belliqueux redoutons le courage,

La mort d’un allié réveillerait leur rage,

Et peut-être leur Roi, l’intrépide Gélon,

[40] Viendrait pour le venger jusques au Thermodon.

Ménalippe

Mais l’étranger lui-même, amoureux de sa gloire,

De ses chaînes, s’il vit, gardera la mémoire ;

Son bras, des ennemis ranimant le courroux,

Pour payer vos bienfaits, s’armera contre vous.

[45] D’un héros dans les fers, prendre ainsi la défense,

Loin d’être grandeur d’âme, est manque de prudence ;

Au sang versé pour vous, immolez un captif,

Ou tremblez que le peuple ambitieux, actif,

N’ait recours aux forfaits pour hâter la justice :

[50] Enfin j’ose à la cour parler sans artifice,

Craignez de la livrer au poison de l’amour.

Orithie

Qui voudrait par ses feux profaner ce séjour ?

Son culte en est banni.

Ménalippe

Des fureurs qu’il inspire,

Orithie est bien loin d’appréhender l’empire ;

[55] Ce Dieu si redoutable est pour vous sans attraits ;

Mais toute votre cour est en butte à ses traits,

Et la jeune Antiope exposée à l’orage.

Orithie

Elle vient, calmez-vous, et changeons de langage.

Scène II

Orithie, Antiope, Ménalippe

Antiope

Quelle terreur, Madame, ou quels nouveaux projets

[60] À l’esprit de révolte excitent vos sujets ?

Orithie

Vous, qui devez bientôt partager ma puissance,

De ce peuple farouche arrêtez la vengeance ;

Il veut pour sa victime un Prince audacieux,

Captif en ce palais.

Antiope

Contre ces furieux

[65] Je dois servir ici les Grecs qui m’ont servie,

Et viens en leur faveur implorer Orithie.

Prête à céder au nombre, un de ces étrangers,

Par pitié pour mes ans, m’arracha des dangers.

Si leur devoir la vie, est honteux à ma gloire,

[70] L’effort de l’avouer surpasse leur victoire :

Imitons leurs bienfaits ; qu’ils trouvent parmi nous

Des vertus dont l’éclat rende leurs yeux jaloux,

Et que nos bords glacés, du midi soient l’exemple.

Si le sang des humains arrose notre temple,

[75] Ce n’est point notre arrêt, c’est l’ordre du destin :

Souvent pour les vaincus ma voix l’implore en vain :

Qu’aujourd’hui la pitié propice, à Thémiscyre,

De la paix à jamais assure ici l’empire !

Ménalippe

On ne peut l’affermir qu’en observant les lois,

[80] Leurs leçons et les Dieux font les guides des Rois ;

Jadis, pour parvenir à la gloire où nous sommes,

De nos champs notre audace extermina les hommes ;

Chacune à son tyran osa se dérober ;

Un instant sous nos coups les vit tous succomber.

[85] Si le Ciel m’eût fait naître en ce jour de carnage,

Que ce hardi projet eût flatté mon courage !

Quel plaisir de remettre un peuple en liberté,

D’établir de nos lois la sage austérité,

Et délivrant nos cœurs d’un joug que je déteste,

[90] D’immoler les objets d’un charme trop funeste !

En tous lieux leur orgueil a su nous abaisser ;

Montrons que sans leur force on peut les surpasser :

Unissons leurs vertus à notre utile adresse,

Et craignons des captifs la fureur vengeresse :

[95] La dîme de leur sang est due aux Immortels ;

Payons sans différer ce tribut aux autels ;

Le reste loin de nous doit subir l’esclavage :

Mais on veut le trépas d’un chef dont le courage

Répand ici l’effroi dans un peuple indompté.

Orithie

[100] Depuis quand prétend-on régler ma volonté ?

Les mortels dont le front est ceint du diadème,

Ne connaissent de loi que leur pouvoir suprême :

Souvent jugeant à tort de leurs motifs secrets,

De la plus juste cause on blâme les effets.

[105] Nous devons mépriser la censure publique,

Et dans ses vrais détours suivre la politique ;

Sa prudence inconnue aux vulgaires humains,

Par un crime apparent prévient des maux certains.

Je vous servirais mal en suivant votre envie :

[110] La mort de l’étranger dont on craint la furie,

Peut de l’État paisible ébranler le repos ;

Thésée est né des Dieux, respectons ce héros.

Antiope

Songeons que des tyrans ils frappent l’injustice.

Ménalippe

Par le sang d’un héros rendons le Ciel propice.

[115] Vous, Prêtresse du temple et Reine de ces lieux,

Satisfaites le peuple en honorant les Dieux.

Leur bras toujours vainqueur protégea nos batailles ;

Que leur culte à jamais règne dans nos murailles :

Offrons-leur pour encens les plus nobles captifs.

Orithie

[120] L’Oracle m’apprendra ses arrêts décisifs :

Est-ce à nous de choisir, au gré de nos caprices,

Le sang qui doit rougir le fer des sacrifices ?

Sachons des Dieux l’encens qui plaît à leurs autels.

Madame, les héros sont chers aux Immortels :

[125] Le fils d’Égée à Mars consacra son courage ;

L’immoler dans son temple est peut-être un outrage.

Cet illustre guerrier ne doit finir son sort

Qu’au milieu des combats, en affrontant la mort ;

C’est là que, pour punir ses fureurs meurtrières,

[130] Son trépas doit venger le sang de nos guerrières.

Ménalippe

La victime en vos mains assure mieux nos coups ;

Sans consulter les Dieux, prévenons leur courroux.

En tous lieux notre sexe, à leur culte fidèle,

À les servir ici, montre encore plus de zèle :

[135] Je le redis, craignez…

Orithie

Annoncez qu’aux Autels

On saura par ma voix l’ordre des Immortels :

Allez ; et modérant l’ardeur qui vous anime,

Songez qu’auprès des Grands trop de zèle est un crime.

Scène III

Orithie, Antiope

Antiope

Que je crains les complots d’un peuple furieux !

[140] Contre les souverains il réclame les Dieux,

Et jaloux du bonheur d’un règne sans alarmes,

Par l’effroi qu’il y jette, il en ternit les charmes.

Quel trouble suit les Rois !

Orithie

Un plus cruel tourment

Saisit mes sens d’horreur.

Antiope

Dans ce fatal moment,

[145] Madame, si j’ai pu mériter votre estime,

Dévoilez à mes yeux le sort qui vous opprime.

Élève de vos mains, jointe à vous par le sang,

Bientôt associée aux droits de votre rang,

Tout à vos intérêts m’attache dès l’enfance.

Orithie

[150] Que ce soit l’amitié, non la reconnaissance.

Votre mère, en mourant, vous remit en mes mains :

Vivez d’accord, dit-elle, et montrez aux humains

Que deux cœurs vertueux règnent sans jalousie ;

Surtout des feux d’amour redoutez la furie.

[155] Elle expire à ces mots. Loin de craindre vos droits,

Prenant soin de vos jours, j’obéis à ses lois.

Je régnais avec elle, et vous touchez à l’âge

Où, du trône avec vous, je dois faire un partage :

Ce moment tarde trop à mon cœur généreux.

[160] Vos charmes, vos vertus ont surpassé mes vœux ;

J’aime à voir la valeur qui déjà vous illustre.

Moi, qui suis parvenue à mon sixième lustre,

Un triomphe à mes yeux n’a plus rien d’éclatant,

Et mes vastes...

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