Les Etrangers

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Un grand chef et trois de ses concitoyennes, gagnés par l’ennui, décident d’aller voir du pays. Ils partent avec l’idée bien ancrée qu’ils n’ont de toutes façons rien à apprendre et que leur civilisation est nécessairement la meilleure. Ils font des rencontres déroutantes et décalées qui ne manquent pas de les troubler malgré tout…

 

LE MONUMENT AUX MORTS

Décor : un monument aux morts, genre obélisque.

LE GRAND CHEF (grandiloquent) - Chères concitoyennes, chers… (Il réalise que son auditoire n’est composé que de femmes.) Euh… Chères concitoyennes ! Nous voici réunis pour honorer nos morts tombés au champ d’honneur, dont la stèle ici présente gardera à jamais les noms dans sa mémoire de pierre ! La Patrie a fait graver les noms de nos illustres soldats en lettres dorées - nos fils, nos pères, nos frères, nos maris… euh… vos maris ! (Il arrête son discours car il vient de découvrir une saleté sur la stèle.) Chiffon ! (Fiona lui tend un chiffon. Le grand chef astique les lettres sur le monument puis reprend son discours.) ...Ainsi, pour l’éternité ce granit conservera le souvenir éclatant (il insiste sur le mot éclatant.) De nos vaillants militaires qui ont allègrement trucidé leur semblables pour vaincre la barbarie ! (Juliette vomit.) La gerbe, je vous prie ! (Noémie apporte la gerbe de fleurs et le Grand Chef la dépose religieusement au pied du monument aux morts, se recueille quelques secondes et se retourne plein d'allégresse.) Hop ! Une bonne chose de faite !

FIONA (s’adressant à Juliette) - C’est dégueulasse ! Tu aurais pu te retenir !

JULIETTE - Je n’y peux rien, je suis enceinte !

FIONA - Encore !

JULIETTE - Faut bien faire de la chair à canon !

LE GRAND CHEF - Mesdames ?

TOUTES - Oui ?

LE GRAND CHEF (pincé) - Comment se fait-il qu’à part vous, personne ne soit venu ? Une commémoration c’est important tout de même !

JULIETTE - C’est la quinzième fois en trois mois, aussi !

LE GRAND CHEF (outré) - Il faut bien honorer nos morts !

NOEMIE - Ben oui, mais quinze fois de suite, ça commence à faire beaucoup !

LE GRAND CHEF - Ce sont des dates anniversaires !

FIONA - Quinze à suivre, on finit par s’y perdre ! Les gens viennent aux premières commémorations puis finissent par se lasser ! C’est toujours un peu le même protocole et le même discours !

LE GRAND CHEF (vexé) - Merci !

JULIETTE - On devrait regrouper les morts de toutes ces guerres dans une commémoration commune.

LE GRAND CHEF - C’est impensable !

FIONA - Faudrait peut-être quand même y penser.

LE GRAND CHEF - Je ne peux pas faire ça. Le 13 avril 1825, c’est la date de la première croisade ; le 17 avril 1889, c’est la deuxième croisade ; le 19 avril 1891, la troisième croisade ; le 29 avril 1901, la quatrième…

FIONA - Vous n’allez pas énumérer toutes les croisades, il y en a neuf en tout !

LE GRAND CHEF - Non. C’est juste pour dire que ce sont des dates importantes.

FIONA - On ne prétend pas le contraire.

NOEMIE - Oui, enfin ! Moi, cela m’ennuie un peu !

JULIETTE (complice à l’égard de Noémie) - Je me souviens à l’école : toutes ces dates à retenir par cœur !

LE GRAND CHEF (désignant la stèle, contrarié) - Si vous êtes ce que vous êtes aujourd’hui, c’est grâce au sacrifice de ces gens là ! (Un temps.) Il n’y a pas que les croisades. J’aurais pu évoquer le 1er avril 1954, date de notre victoire sur les Zôtres…

NOEMIE (A Juliette) - Ils ressemblaient à quoi les Zôtres ?

JULIETTE - Je ne sais pas, je n’en ai jamais vu.

LE GRAND CHEF (méprisant, balayant l’espace de la main) - Un Zôtre ne ressemble à rien, c’est bien pour ça qu’on les a massacrés !

NOEMIE - Ah bon. (Un temps.) Et les Zuns ? On s’est bien battu contre les Zuns ?

FIONA - Oui. On les a matés le 12 mai 1957 !

LE GRAND CHEF - C’est juste. D’ailleurs il ne reste plus un seul Zun.

JULIETTE (attristée en regardant la stèle) - Toutes ces guerres !..

LE GRAND CHEF (ferme) - Il a toujours fallu se battre. Quand ce n’était pas contre les Zuns, c’était contre les Zôtres ! De ces guerres, nous avons retiré beaucoup de gloire, mais nous avons perdu aussi beaucoup d’hommes…

NOEMIE - C’est sûr, les hommes, ça manque !

FIONA - Mouais ! Les hommes, c’est un mal nécessaire…

NOEMIE - C’est beau un mâle !

JULIETTE - On a tous perdu un mari, un père, un frère, parfois un fils, ou un ancêtre dans l’une de ces guerres, nous le rappeler sans cesse avec des commémorations c’est douloureux !..

FIONA - Pour être franche, on ne se sent pas toujours concernées. C’est la raison pour laquelle le public vient si clairsemé. Chacun vient honorer ses morts et ses guerres…

LE GRAND CHEF (méprisant)- Les égoïstes !

JULIETTE - Une seule date pour réunir le chagrin de la nation serait une bonne solution.

NOEMIE - C’est sûr : il vaut mieux avoir plein de monde pour commémorer une bonne fois, que personne pour se recueillir quinze fois !

JULIETTE (flagorneuse) - Vous aurez une foule d’oreilles attentives pour votre discours au lieu d’un auditoire blasé et dispersé !

LE GRAND CHEF (mollement, car légèrement déçu) - Bon. Je me rallie à cette idée. Il faudra que l’on décide d’une date. (Un temps, prenant un ton plus enjoué.) Allons boire le verre de toutes les victoires passées et de toutes celles à venir !

(Ils sortent.)

LE PROJET NÉ DE L’ENNUI

Décor : Une table et des chaises, une bouteille et des verres.

A l’ouverture, on entend des rires, car les personnages sont légèrement grisés par le vin.

JULIETTE - J’ai trop bu ! (Se caressant le ventre.) Excuse-moi mon petit chou, je te donne le mauvais exemple !

LE GRAND CHEF - Au contraire ! Si tu veux que ton fils devienne un soudard digne de ce nom, il faut qu’il boive ! Et le plus tôt sera le mieux !

JULIETTE (inquiète) - Et si c’est une fille ?

LE GRAND CHEF - Une pisseuse ? Quelle horreur ! Je ne dis pas ça pour être désagréable, mais pour aller au combat la fleur au fusil, on n’a pas trouvé mieux que les gars. Les filles, ça préfère faire la cuisine ou tomber amoureuse.

NOEMIE - C’est vrai ! Moi, j’adore tomber amoureuse !

FIONA - Ouais ! Comme à ce jeu là on est plus souvent couchée que debout, tu ne risques pas de tomber de haut !

NOEMIE - Je n’suis pas une Marie-couche-toi-là, non plus ! (Un temps.) De toute façon, des hommes il y en a de moins en moins. Au propre comme au figuré. J’ai essayé les femmes, mais c’est pas mon truc. Y’a pas à...

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