Les Trois glorieuses

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Sophie, Évelyne et Danièle, trois animatrices de télévision à succès, moins médiatisées ces dernières années, se retrouvent en compétition pour un projet de “prime time” pour la même chaîne de la TNT. La guerre est déclarée.
Pour ces amies de longue date, tous les coups bas, même les plus redoutables, sont permis pour triompher des autres.

La quarantième comédie de deux auteurs à succès, au ton pertinent, au rythme soutenu et aux répliques irrésistibles.




Les Trois glorieuses

Au lever du rideau, la scène est vide. Un portable sonne sur la table basse. Sophie sort de la cuisine.

Sophie. — Oui, oui, voilà ! Il est onze heures passées et ça sonne déjà ! C’est pas vrai ! (Elle répond.) Oui, j’écoute… Comment ? Non, je n’ai pas passé une commande de couches-culottes ! Désolée ! (Elle raccroche, éclate de rire.) N’importe quoi !

Un homme entre, venant de la chambre : Frédéric, en peignoir. La cinquantaine séduisante.

Frédéric. — Bonjour ma chérie ! (Il étire ses bras.) J’ai dormi comme un loir et cette grasse mat’ m’a fait un bien fou ! Comment il va mon petit cœur ?

Il embrasse Sophie tendrement.

Sophie. — Ouh, tu piques ! Tu pouvais te raser !

Frédéric. — Le café est passé ?

Sophie. — Non.

Frédéric. — La machine est en panne ?

Sophie. — Non, pourquoi ?

Frédéric, consultant sa montre. Oh là là, je vais être en retard au bureau. Tu peux t’en occuper pendant que ?…

Sophie. — Non ! Terminé !

Frédéric. — Qu’est-ce qui se passe ? Un problème ?

Sophie. — Je sature ! Je supporte plus les contraintes de toutes sortes. Faut faire ceci, faut faire cela ! Stop ! Et pour quels résultats ? Tu peux me le dire ?

Frédéric. — Euh…

Sophie. — Tu connais beaucoup de femmes aussi tendres et serviables que moi ?

Frédéric. — La majorité.

Sophie. — Donc je ne suis pas un cas unique de crétine soumise !

Frédéric. — Qu’est-ce qui t’arrive ? Toi, tu déprimes !

Sophie. — Marre qu’on abuse de moi. Toi, en premier ! Qu’est-ce que tu m’apportes, franchement ?

Frédéric. — Ah ! Voilà. On y arrive. C’est à cause de cette nuit… Tu sais que je t’adore mais en ce moment, je suis épuisé physiquement, trop de travail qui me prend la tête.

Sophie. — Si je comprends bien, lorsque tu abuses de tes neurones, plus bas, bien plus bas, ça capitule ?!

Frédéric. — Écoute, je ne suis pas un être surhumain. Les échanges affectifs, c’est bien aussi, non ?

Sophie. — Eh bien moi je souhaiterais que le bonhomme de temps en temps, me prouve qu’il est un homme ! Un mois ! Un mois que l’on ne s’est pas vus. Et rien ! Un bout de bois inerte après quatorze heures de sommeil !

Frédéric. — T’es dur !

Sophie. — J’aurais aimé pouvoir t’en dire autant… J’ai l’impression que tu prends mon appartement pour la succursale d’une maison de repos.

Frédéric, attendri. Je parie que tu m’as regardé dormir ? Oh, t’es trop mignonne.

Sophie. — Je me suis occupée de tout ton linge, lavé, repassé !

Frédéric. — C’est vrai ? (Presque ému.) Ah, tu es… ! Tu es… !

Sophie. — Je suis rien ! Tu vas t’y coller à ton linge ! Terminé la vie de pacha ! On arrête les frais, tu dégages !

Frédéric. — Mais… Mais tu peux pas me faire ça. On s’aime ! C’est ce qu’il y a de plus important, non ?

Sophie. — « Tu » m’aimes ! Nuance ! Moi, j’apprécie ta présence, ton humour. Tu es un amant occasionnel mais ça s’arrête là. Et puis je ne vais pas continuer à payer un type éternellement fauché qui a les bourses plates !

Frédéric. — Pan dans la gueule ! Sympa.

Sophie. — Tu gagnes pourtant ta vie dans les studios de Télémonde, non ?

Frédéric, attendri. C’est là-bas pour un tournage qu’on a lié connaissance, tu te rappelles ?

Sophie. — Un jour maudit ! Ton addiction au poker est redoutable. T’es criblé de dettes de jeu et moi je ne veux plus être ta planche à billets ! Ça fait madame et son gigolo. Et regarde-toi, un gigolo plutôt défraichi !

Frédéric, toujours attendri. Je me souviens quand je t’ai vu la première fois, tout de suite ce fut le coup de foudre !

Sophie. — Ça aurait dû être un coup de balai, oui ! En tout cas, tes prestations bas de gamme, il va falloir y remédier très vite ! Je te donne une dernière chance jusqu’à la fin de la semaine. (Tête de Frédéric.) C’est comme ça. Dis-moi, je ne suis pas jalouse mais tu as quelqu’un d’autre qui épuise ta libido ?

Frédéric. — Même pas.

Sophie. — Alors c’est accablant. Bientôt tu ne seras même plus classé à l’argus des bonnes occasions !

Frédéric. — T’inquiète ! Je vais me reprendre. (Consultant sa montre.) Oh là là, je vais être en retard au bureau.

Sophie. — Tu travailles même le samedi ?

Frédéric. — Ah, on est samedi. Tu vois, tu vois ! Ça va mal, je sais plus comment je vis.

Sophie. — J’attends des visites. J’ai invité deux copines à prendre le thé. Danièle Gilbert et…

Frédéric, la coupant. Hein ! Quoi ! Danièle Gilbert ! Il faut surtout pas que je la voie celle-là !

Sophie. — Tu la connais ? Attends ! Attends ! Ne me dis pas que tu as couché avec elle ?!

Frédéric. — Pendant plusieurs semaines. Ça a été assez orageux entre nous.

Sophie. — Évelyne Leclercq va également se joindre à nous.

Frédéric. — Oh putain de putain de putain !

Sophie. — Ah, non ! Avec elle aussi tu as effectué des prouesses physiques ?

Frédéric. — Y’a longtemps. C’était une chaude à l’époque, je te le dis ! En plus, elle est complètement barrée de la tête !

Sophie. — Mais tu te tapes que des animatrices de télé, on dirait ? C’est un toc ?

Frédéric. — Des opportunités. Mais qu’est-ce qu’elles viennent faire chez toi ? Vous faites une réunion d’anciennes combattantes de l’ORTF ?

Sophie. — Reste poli ! Nous sommes toujours en forme et en activité. On apprécie de se voir de temps en temps et de papoter. Mais t’es fâché avec elles ?

Frédéric. — Ben… Avec Danièle ça s’est plutôt mal terminé.

Sophie. — C’est-à-dire ?

Frédéric. — Je lui ai posé deux lapins, elle a pas aimé du tout, du tout. Il y a quelques mois, on s’est croisés dans un resto, elle s’est déplacée jusqu’à ma table pour me balancer une assiette de tagliatelles dans la tronche !

Sophie. — La vengeance est un plat qui se mange chaud !

Sophie rit.

Frédéric. — Elle a un caractère redoutable. Mais elle savait être très câline aussi.

Sophie. — Ça va ! Le plus vexant dans tout ça c’est de passer après les deux autres et de récupérer les restes. J’ai une fierté. Tu aurais pu me le dire.

Frédéric. — Je suis un type discret.

Sophie. — Oui, c’est ça. Allez ! Va vite t’habiller avant qu’elles débarquent.

Frédéric, voix douce. Tu veux me frotter le dos ? (Tête de Sophie renfrognée.) Oui, bon, un autre jour. Tout compte fait, ça me fera plaisir de revoir ces deux toquées !

Sophie. — Non ! Non ! Tu décampes ! On a pas besoin de toi.

Frédéric. — Un petit bisou avant de partir ? (Il l’embrasse, elle reste froide.) Tu… Tu n’oublies pas sur la commode ?

Sophie. — Quoi donc ?

Frédéric. — Ma petite enveloppe.

Sophie. — Comme tu as débuté prématurément les soldes et que tu marches au rabais, je te donne la moitié de ce qui était prévu.

Frédéric. — Ha ! Ça m’arrange pas du tout.

Sophie. — Désolée bébé. Pour la prochaine fois, pense à pratiquer une révision totale du moteur.

Grand sourire de Sophie.

Frédéric. — Drôle ! (On sonne à la porte.) Oh, merde !

Sophie. — C’est Danièle ! Toujours ponctuelle.

Frédéric se rend dans la chambre tandis que Sophie sort vers le séjour. Elle revient presque aussitôt avec Danièle, un grand cabas accroché à son épaule.

Danièle. — Coucou ma Sophie ! Que je te regarde ! Tu es rayonnante !

Sophie. — Merci.

Danièle. — Ça te réussit !

Sophie. — Quoi donc ?

Danièle. — Le botox ! Ça te donne une mine particulièrement épanouie.

Sophie. — Justement, tu devrais essayer !

Danièle. — Oh, non ! J’ai une trouille des piqures. Mais j’ai la pêche ! Tiens ! Regarde ! (Elle lève la jambe vers le haut, pause un pied sur un haut de chaise.) Alors ?

Sophie. — Une reine du Lido !

Danièle, reposant sa jambe, un regard circulaire. Oh ! Ta terrasse. Un bijou, une merveille. (Fixant la salle.) Et la vue sur ce champ de pommes de terre !… Avec ce ciel lumineux. C’est le paradis.

Sophie. — Installe-toi.

Danièle. — Alors comment tu vas ? Tu as sorti un nouveau livre, tu es passée chez Drucker, il paraît ?

Sophie. — Il marche pas mal.

Danièle. — Quoi ? Michel a eu un accident ? Je savais pas.

Sophie. — Je te parle de mon livre. Il se vend pas mal. (Elle crie en direction de la cuisine.) Frédéric ! Si tu as une minute, tu peux apporter plusieurs verres et le jurançon dans le frigo…

Danièle. — Frédéric ! Qui est-ce ? Oh ! Ça me rappelle un mauvais souvenir. Il y a quelque temps, je suis sortie avec un bonhomme, le même prénom et plutôt viril. Mais un mufle, un goujat ! Un extérieur trompeur pour un intérieur plutôt décevant.

Frédéric entre, toujours en peignoir, avec un plateau, des verres, une bouteille de vin. Il pose le tout sur la table.

Danièle, dans un cri. Oooh ! C’est lui ! (Bas à Sophie.) Mais qu’est-ce que tu fiches avec ce malotru ?

Sophie. — Je l’ai récupéré comme objet d’art !

Frédéric. — Salut ma Danou ! On s’embrasse ?

Danièle. — Non. Je suis très, très rancunière ! Sale type !

Frédéric. — Pardonne-moi. Je me suis mal conduit avec toi. En tout cas, ça me fait plaisir de te revoir. Je t’ai jamais oublié, tu sais.

Sophie. — Si je dérange votre intimité, vous le dites ?

Frédéric. — Je… Je vais prendre ma douche.

Frédéric sort, dépité.

Danièle. — Je l’ai quand même regretté ce voyou. C’était épatant à tous les niveaux avec lui.

Sophie. — Ah, oui ? Il doit y avoir un mode d’emploi qui m’échappe !

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