L’hôtel des vents marins

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Mme Prigent, gérante d’un hôtel situé en Bretagne, est toujours sans nouvelles de son mari disparu en mer et tente de faire bonne figure devant ses clients, avec l’aide de sa serveuse Marjorie. L’établissement propose des séjours « sport et détente » et accueille M. et Mme Morin séduits par des cours de planche à voile. Julien Renard, journaliste très stressé, souhaite profiter de méthodes de relaxation pour se libérer. Enfin, M. Grenier a choisi de découvrir la plongée avec tuba pendant que sa femme, artiste-peintre, tentera de réaliser quelques toiles pour sa prochaine exposition. Les activités nautiques ne sont pas sans risque et la gérante doit maîtriser ses émotions face à certaines situations rocambolesques qui se succèdent et provoquent de nombreux éclats de rire.

ACTE l

SCÈNE 1

François, Éléonore, Marjorie, Camélia

 

Au lever de rideau, bruit des vagues et cris de mouettes.

Éléonore et François Morin entrent par la porte sous arcade située en arrière-plan. Ils sont très énervés et se disputent à propos de l’itinéraire emprunté pour se rendre à cet hôtel en Bretagne. Éléonore a plusieurs cartes dépliées dans la main. Ils tournent autour du canapé.

François - Décidément ! Toi et ton sens de l’orientation ! Pour un peu, on débarquait à Southampton !

Éléonore - Southampton ! Et pourquoi pas la plage de Copacabana pendant que tu y es !

François - Quoi ? La Bretagne, excuse-moi, c’est un peu plus petit que le Brésil. Ce n’est tout de même pas compliqué d’aller d’un point A à un point B, bon sang de bonsoir !

Éléonore - Justement ! On va mettre les points sur les « i » une fois pour toutes. La carte, est-ce que tu l’as ouverte une seule fois avant de partir ? Non ! Est-ce que tu as étudié les itinéraires possibles ? Non ! Est-ce que tu as préparé tes affaires ? Non !

François - Mais moi je ne me trompe jamais.

Éléonore - Tu ne risques pas de te tromper, tu ne fais rien !

François - Je te fais confiance !

Éléonore - Oui ! La confiance règne et la critique est facile. Et le GPS, ce n’est pas fait pour les chiens !

François - Trop cher ! Rien ne vaut une belle carte bien imprimée, bien pliée. Sauf quand on a un peu de mal à la lire.

Éléonore - L’argent te mène par le bout du nez.

François - L’argent ! L’argent ! Tu en profites bien de mon argent pour partir en week-end. Tu ne craches pas dessus !

Éléonore - Arrête de postillonner, François !

François - Quand je pense que tes parents ont osé te prénommer Éléonore ! (Rires forts.) Éléonore ! Ce serait plutôt, « elle est perdue », oui !

Éléonore - Tu radotes ! Tu me l’as déjà faite celle-là, des dizaines de fois. Si j’étais toi, j’irais consulter. Tes neurones commencent à prendre l’eau, mon cher. Et évite s’il te plaît de parler de mes parents. Laisse-les reposer en paix.

François - Si tu voulais prendre le volant à ma place, il suffisait de me le dire. On aurait gagné quarante-cinq minutes, crois-moi.

Éléonore - Amusant ! Tu sais très bien que je n’ai plus mon permis depuis un mois.

François - Ah oui ! J’oubliais ! Madame emprunte les sens interdits et les couloirs de bus !

Éléonore - Comme toi !

François - Seulement moi, je ne me fais pas pincer. (Il nargue Éléonore et fait semblant de tenir son volant.) Moi je passe dans les couloirs de bus ! Moi je roule en marche arrière dans les sens interdits ! Moi je me gare n’importe où ! Moi je grille les feux rouges ! Moi je passe à travers les mailles du filet ! Ça tombe bien, nous sommes arrivés en Bretagne !

Éléonore - Moi je ! Moi je ! Monsieur « moi je », je n’ai pas de leçon à recevoir de vous ! (Elle tourne la tête.)

François - De moi, non ! Mais de ton professeur de planche à voile, oui !

Éléonore - Encore une de tes idées farfelues. Apprendre la planche à voile à nos âges !

François - Et alors ? C’est très excitant, au contraire. Et puis, tu as vu le prix de cette formule tout compris ? Cours de planche à voile et possibilité de faire du kayak de mer et du catamaran.

Éléonore - Non ! Franchement je ne trouve pas ça très marrant. Moi qui n’ai jamais eu le pied marin…

François - Tu te serviras de tes bras, justement !

Éléonore - Avec les trois sciatiques de cet hiver ?

François - Qu’est-ce que tu peux être chiatique quand tu t’y mets ! Tu n’as jamais entendu parler des vertus tonifiantes de l’air marin ?

Éléonore - L’air marin ! (Face public.) L’air malin, oui ! Et têtu en plus !

François - Un coup de fouet idéal pour faire disparaître la fatigue. (Il écarte les bras et respire fort.) Régénération ! Revitalisation ! Action, réaction ! Et même un peu de libido ! (Il tourne autour d’Éléonore.) Libido par-ci, libido par-là !

Marjorie entre par la porte en arrière-plan et s’approche de François et Éléonore, avec deux coupes à la main. Elle tente de s’interposer.

Marjorie - Madame, monsieur…

François - Imagine-toi au milieu de l’océan ! (Il fait des grands gestes qui font reculer Marjorie.) Dans l’immensité du bleu azur ! Sur ta planche ! Au milieu des dauphins ! Et le vent qui t’emporte vers le large ! Et la brise de mer qui soulève tes cheveux ! (Il attrape la coupe des mains de Marjorie.) Et le sel sur tes lèvres ! (Il boit la coupe.) Et les chalutiers qui passent ! (Bruit de bateau.)

Marjorie - Madame… (Elle tend le verre à Éléonore.)

Éléonore - Mais tu délires complètement mon pauvre François ! Tu te prends pour un vieux loup de mer ! (Face public.) Un peu déplumé le vieux loup de mer ! Il faudra déjà que tu arrives à tenir dessus ! (Elle boit la coupe.)

François (remarque Marjorie) - Tenir dessus ! Bonjour mademoiselle. C’est vous qui donnez des cours de planche à voile ? (Avec un large sourire.) C’est avec vous que nous allons parler du wishbone et des empannages ?

Marjorie - Euh… c’est-à-dire que … (Elle récupère les verres.)

Éléonore - François, enfin ! Tu vois bien que c’est une petite serveuse !

Marjorie (vexée) - Bienvenue à l’hôtel des Vents Marins. La direction vous a offert le verre de l’amitié. Bon séjour !

François (regarde Marjorie de haut en bas) - Bon début, en effet !

Marjorie sort par la porte côté jardin.

Éléonore - Tu ferais mieux d’aller chercher les valises dans la voiture pendant que j’attends l’hôtesse d’accueil.

François - Les valises ! Les tiennes surtout !

François sort en arrière-plan. Camélia, la responsable de l’hôtel, entre par la porte côté jardin. Elle tient un dossier à la main.

Camélia - Madame ! Je me présente : Camélia Prigent, responsable de cet établissement. (Elle lui serre la main.) Vous avez réservé ?

Éléonore - Oui, au nom de Morin. (Elle épelle son nom.) M… O… R… I… N…

Camélia se place derrière le comptoir et ouvre son agenda en tournant les pages.

Camélia - Morin, Morin, Morin…

Éléonore (s’impatiente) - M… O… R… I… N…

Camélia - Ah ! voilà ! Morin ! Avec stage de planche à voile. Formule à cent cinquante-trois euros.

Éléonore - Ça, c’est mon mari.

Camélia - Comment ?

Éléonore - Non, je disais c’est mon mari qui a choisi cette formule.

Camélia - Nous avons deux formules pour la réservation.

Éléonore - Oui, tout à fait. Mon mari et moi.

Camélia revient en avant-scène et observe Éléonore de la tête aux pieds.

Camélia - On cherche à se perfectionner pour faire des grandes traversées ?

Éléonore - Non ! Juste tenter d’apprendre à tenir sur cette foutue planche. Enfin, surtout François. Moi je me serais bien contentée de ma planche à repasser !

Camélia (étonnée) - Débutante ! Vous savez nager ? C’est obligatoire !

Éléonore - Et qu’est-ce qui vous fait croire que je ne sais pas nager ? Même si mon mari me dit souvent que j’ai oublié d’enlever ma bouée, je vous assure que je sais parfaitement nager.

Camélia - Je vous crois madame. Je voulais m’assurer que… Chambre cinquante-six madame. Si vous voulez bien me suivre…

Camélia et Éléonore empruntent la porte côté cour pour quitter la scène.

 

 

SCÈNE 2

Marjorie, Julien, Camélia

 

Julien entre en arrière-plan. Il porte une casquette, une vareuse et a quelques tics nerveux. Il se retourne plusieurs fois, scrute la pièce avec insistance et avance en avant-scène. Après plusieurs hésitations, il ose utiliser la cloche pour appeler quelqu’un. Il s’assoit ensuite sur le canapé et tient ses sacs fermement (bandoulière et sac à dos). Marjorie revient par la porte côté jardin. Elle remarque l’homme et s’approche timidement de lui.

Marjorie - C’est vous qui avez sonné ?

Julien - Chut ! (Il se relève brusquement et se retourne plusieurs fois.) Je suis Julien Renard et j’ai pris une option sur la formule détente et relaxation.

Marjorie - Avec les massages bien-être, cuisses, face avant, genoux, fessiers ?

Julien - Non ! Non !

Marjorie - Massages californiens, suédois, australiens ?

Julien - Pas de massages !

Marjorie - Les soins du visage sont proposés cette semaine à prix réduit.

Julien - Non ! Je ne veux pas me faire refaire le visage !

Marjorie - Je vous conseille tout de même un petit gommage aromatique.

Julien - Un gommage !

Marjorie - Un gommage avec des éclats de purée de papaye par exemple.

Julien - Ni purée, ni papaye, s’il vous plaît ! (Il demande à Marjorie de s’approcher.) Je souhaiterais que mon séjour dans votre établissement soit le plus discret possible. Je suis journaliste au journal « Phare-Éclair » et je prépare un article important. Je tiens à ne pas être dérangé.

Camélia revient et traverse la scène pour sortir côté jardin. Elle remarque Julien et lui fait quelques clins d’œil et quelques signes de la main.

Marjorie - J’aurai la joie de vous proposer des cours individuels de qi gong… (Prononcer « tchi gong ».)… dans le cadre de votre formule.

Julien - Si vous voulez mais alors discrets, discrets, les cours !

Marjorie - Bien monsieur ! Puis-je vous servir un verre ?

Julien - Non ! Pas d’alcool ! Jamais d’alcool ! Je peux savoir où je loge ?

Marjorie - Une seconde ! (Elle ouvre la porte côté jardin et hurle.) Madame ! On le met où le Renard ?

Julien (totalement consterné) - Mademoiselle !

Camélia (en coulisse) - Surtout pas dans le poulailler Marjorie ! Non, je plaisante ! Enfermez-le dans la vingt-deux et prenez-en bien soin !

Marjorie revient près de Julien et lui fait un sourire en se trémoussant.

Marjorie - La vingt-deux, ça vous convient ?

Julien - Ça se trouve où ?

Marjorie - Dans les Côtes d’Armor.

Julien - Pardon ?

Marjorie (tente de se faire remarquer) - Dans l’aile gauche de l’hôtel, monsieur Renard. Si vous voulez, je peux vous accompagner…

Julien - Inutile. (Il se retourne plusieurs fois.) Je trouverai bien le chemin tout seul.

Marjorie (le retient par le bras quand il commence à partir) - Dites ! C’est sur quoi votre article ?

Julien - Si je vous le dis, vous me promettez de garder le secret ?

Marjorie - Monsieur ! Secret professionnel, enfin !

Julien (regarde autour de lui) - Je travaille sur le bernard-l’ermite ! Un magnifique et adorable crustacé mais en grand danger malheureusement !

Marjorie (assez fort) - Vous vous intéressez à des bernard-l’ermite ?

Julien - Mademoiselle ! Moins fort !

Marjorie (rigole bêtement) - Ma sœur a un copain qui s’appelle Bernard. Mais qu’est-ce qu’il est con ! Celui-là, il aurait mieux fait de rester dans sa coquille !

Julien - Ils vont bientôt disparaître si personne ne s’en occupe. C’est d’une extrême importance.

Marjorie - Jamais entendu parler de ça, moi. Même ici sur nos côtes ?

Julien - Partout ! Plus de bernard dans cinq ans !

Marjorie - C’est ma sœur qui ne va pas être contente ! Elle l’a dans la peau, comme on dit, son Bernard ! Non, enfin ! Excusez-moi, je vous raconte des bêtises ! Ils vont tous mourir ?

Julien - Si l’on ne fait rien, c’est une espèce qui n’existera plus.

Marjorie - Et qu’est-ce qu’on va devenir ?

Julien - Chaque espèce a son importance, mademoiselle. Il n’y a aucune raison pour que l’on se préoccupe davantage des dauphins que des bernard-l’ermite. C’est comme si on protégeait davantage les beaux que les moches. Tout le monde a sa place sur notre belle planète !

Marjorie - Tout le monde ? Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Pas tout le monde.

Julien - Si ! Toutes les espèces ont un rôle à jouer dans l’écosystème !

Marjorie - Vous ne trouvez pas que nous sommes déjà assez nombreux ?

Julien - Vous savez, quand on est journaliste, il faut s’intéresser à tout. Plus l’actualité est large et plus l’encre coule rapidement.

Marjorie - Comme la seiche ! J’ai appris ça à l’école.

Julien - Justement je commence à sécher. Je dois aller me reposer. Nous aurons peut-être l’occasion de reparler de tous ces sujets une prochaine fois…

Marjorie - Pendant les cours de qi gong, Bernard… enfin je veux dire...

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