L’huître

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Bernard se demande si Viviane, son épouse, l’aime encore après tant d’années d’union ; la seule solution qu’il trouve pour lever ce doute est de lui avouer qu’il a une maîtresse, espérant ainsi créer une réaction chez sa femme. Le hic est qu’il n’a pas de maîtresse et que sa femme demande pourtant à la rencontrer, doutant de son mari ! Bernard doit donc se trouver une maîtresse rapidement.

Olivier, en robe de chambre, passe méticuleusement l’aspirateur autour d’un canapé. Sortant par la porte de la chambre, Viviane achève de s’habiller, tout en dansant sur la musique entraînante qui sort de la petite chaîne hi-fi. C’est une chanson d’Umberto Tozzi, Gloria. Elle hurle à tue-tête les paroles italiennes, prend un bibelot et s’en sert comme d’un micro dans lequel elle vocifère les paroles. Puis, face au miroir, elle accroche des boucles à ses oreilles. Tous deux se croisent sans se voir (ils sont dans deux appartements différents). Viviane éteint la chaîne hi-fi, prend un téléphone. Au bout d’un court instant, Olivier débranche son aspirateur et répond avec l’autre téléphone. Les deux personnages sont de part et d’autre du canapé.

Viviane, appartement-Bernard. – Olivier ?

Olivier, appartement-Olivier. – Oui, Viviane !

Viviane. – Tu es prêt ?

Olivier. – Pratiquement. Il ne me reste qu’à finir de passer l’aspirateur, à faire ma vaisselle, me doucher, m’habiller et je serai prêt.

Viviane. – Tu ne veux pas donner un petit coup de peinture aussi ?! Tu as vu l’heure qu’il est ?

Olivier. – Dix-neuf heures. Zut, je n’ai pas vu le temps passer !

Viviane. – Alors, tu laisses tomber ton ménage et tu te dépêches de te faire une beauté ! Les filles quittent la permanence dans trois quarts d’heure.

Olivier. – Je m’active, mais c’est à cause de ma mère ! Elle devait venir pour déjeuner et elle s’est pointée à 17 heures à cause de son train, donc ça a décalé tout mon programme.

Viviane. – Tu parles d’un drame !

Olivier. – J’aurais su qu’elle serait en retard, j’aurais passé l’aspirateur avant son arrivée, mais comme elle ne venait pas, j’hésitais à entreprendre mon ménage et…

Viviane. – Olivier, je suis de tout cœur avec toi dans cette épreuve douloureuse mais… dépêche-toi !!!

Olivier. – O.K., je range mon plumeau et…

Viviane. – Non, tu ne ranges rien du tout. Tu laisses ton plumeau où il est et tu sautes dans un pantalon, une jupe ou un scaphandre et tu viens ! Je passe chez toi dans dix minutes.

Olivier. – Bon, bon… Viviane ?

Viviane. – Oui ?

Olivier. – Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu étais un amour ?

Viviane. – Oui. Mon mari, il y a trente-cinq ans !

Bernard rentre par la porte de son appartement. Il est en tenue complète de cycliste (ridicule tenue bariolée, casque et chaussures spéciales). Il a entendu les derniers mots prononcés par son épouse au téléphone. Simultanément, Olivier rentre dans sa chambre (porte commune aux deux appartements).

Bernard. – Qu’est-ce que je t’ai fait, il y a trente-cinq ans ?

Viviane. – Tu m’as dit que tu m’aimais.

Bernard. – Je suis trop bavard, ça me perdra !

Viviane. – Oui, ça te perdra.

Bernard. – C’est une menace ?

Viviane. – Une mise en garde.

Bernard. – Contre quoi ?

Viviane. – Le temps qui passe.

Bernard. – Si je pouvais faire quoi que ce soit contre le temps qui passe, crois-moi que je le ferais. Je commencerais d’abord par me chercher un dopant pour retrouver mon coup de pédale, tiens ! Même sur du plat, j’ai du mal à suivre, pourtant le bois de Boulogne, ce n’est pas les Alpes. Tu sors ?

Viviane. – Oui.

Bernard. – Encore !!!

Viviane. – Les filles ne peuvent pas rester pour faire la permanence, alors je me dévoue.

Bernard. – Ça fait deux fois cette semaine !

Viviane. – Les hommes qui battent leur femme continuent hélas après 20 heures.

Bernard. – Je vais aussi finir par monter une association pour « les hommes délaissés par leur femme deux fois par semaine après 20 heures » ! Tu y vas toute seule ?

Viviane. – Oui, commissaire. Vous voulez me fouiller avant que je ne parte ? (Elle se colle tendrement contre lui.)

Bernard. – Tu parlais avec qui ?

Viviane. – Un collègue qui vient d’arriver à l’association. On avait besoin d’un homme qui ait des notions de comptabilité.

Bernard. – Je ne savais pas.

Viviane. – Normal, je ne te l’avais pas dit.

Bernard. – Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?

Viviane. – Parce qu’en ce moment, tu es jaloux comme un pou et que tu vois le mal partout.

Bernard. – Je connais les hommes, figure-toi.

Viviane. – Ils sont comment ? Raconte, moi qui ne suis qu’une pauvre jouvencelle !

Bernard. – Ce sont des prédateurs invétérés, des chasseurs infatigables.

Viviane. – Et pas toi ?

Bernard. – Non. Moi, je ne suis qu’un vieux cycliste !

Viviane. – Justement, en vélo, tu peux attraper tes proies plus facilement.

Bernard. – J’ai déjà du mal à coller au peloton, alors s’il faut que je pique un sprint pour alpaguer des demoiselles ! Elles ont encore de beaux jours devant elles, les malheureuses ! Si tu me trompais, tu me le dirais ?

Viviane. – Pas tout de suite.

Bernard. – Ça a le mérite d’être franc.

Viviane. – Je l’ai toujours été en trente-cinq ans de vie commune.

Bernard. – Et ça veut dire quoi « pas tout de suite » ?

Viviane. – J’attendrais d’abord d’être certaine que cet homme vaille davantage le coup que mon vieux cycliste !

Bernard. – Prends un grimpeur alors, ce sont les meilleurs ! Et Olivier, il est branché vélo ?

Viviane. – Plutôt plumeau. Mais comment tu connais son prénom puisque je ne t’en ai jamais parlé ?

Bernard. – J’ai feuilleté dans ton agenda et j’ai vu : Olivier, Olivier…

Viviane. – De quel droit tu fouilles dans mes affaires ?

Bernard. – Je suis ton mari.

Viviane. – Ce n’est pas une raison.

Bernard. – J’ai quand même plus de raisons d’être soupçonneux que notre femme de ménage.

Viviane. – Je n’aime pas ce genre de nouveauté, Bernard. En trente-cinq ans, je n’ai jamais fouillé dans tes poches, ni même fouiné dans ton portefeuille ! Je n’ai jamais ouvert ton courrier ! Donc, je ne vois pas pour quelle raison tu t’octroierais ce genre de liberté.

Bernard. – Bon, désolé, tu ne vas pas en faire un fromage !

Viviane. – Un fromage, non, mais un plateau de fromage, sûrement !

Bernard. – J’ai l’impression que tu me délaisses en ce moment, alors j’en cherche la cause.

Viviane. – Mais c’est toi la cause ! Depuis que tu es à la retraite, tu es recroquevillé sur toi-même comme une huître, sauf que toi, il n’y a plus de perle à l’intérieur ! Tu n’as plus envie de sortir, plus envie de recevoir. Un vrai bonnet de nuit !

Bernard. – On est sortis toute notre vie, on peut se reposer un peu.

Viviane. – Je ne suis pas fatiguée, moi ! J’en ai encore sous la pédale ! On ne fait plus rien ! Est-ce que tu te souviens du dernier film qu’on a été voir ensemble au cinéma ?

Bernard. – Très bien, c’est comme si c’était hier…

Viviane. – La Grande Vadrouille !!!

Bernard. – Bon, avant-hier…

Viviane. – Et le dernier concert auquel nous avons assisté ?

Bernard. – Je me rappelle parfaitement. Ce n’est pas si loin que ça…

Viviane. – Jacques Brel pour ses adieux à l’Olympia en 1967 ! Il y a quarante ans !

Bernard. – Ce n’est quand même pas de ma faute s’il est mort !

Viviane. – Il y en a encore des vivants qui chantent ! Tu t’encroûtes, Bernard. Si tu ne changes pas, on va droit dans le mur et après quarante ans de mariage, je trouve que ça fait désordre ; alors remets-toi en question, fais quelque chose, fais comme moi, fais un travail sur toi.

Bernard. – Ah oui, ta psy ! Allongée sur un divan, tu parles d’un travail ! Moi, j’appelle ça plutôt une sieste ! « Docteur, j’ai rêvé que j’avais une tête de chameau avec des oreilles carrées, qu’est-ce que ça veut dire ? »

Viviane. – T’es vraiment le roi des préjugés ! Finalement, je me rends compte qu’on s’est croisés toute notre vie, accaparés par le boulot, les enfants, et aujourd’hui, je te découvre enfin… Ne me déçois pas, Bernard.

Bernard. – Tu peux refaire ta vie, si tu veux. Je te rends ta liberté.

Viviane. – Mais mon cher mari, tu ne me l’as jamais prise ! (Elle prend son manteau.)

Bernard. – Et c’est avec cet Olivier que tu parlais au téléphone ?

Viviane. – Non, avec Winston Churchill ! Il y a des restants de lasagnes dans le réfrigérateur.

Bernard. – Encore un truc italien !

Viviane. – Si tu pouvais être aussi fantaisiste qu’eux !

Bernard. – Que les lasagnes ? Pas de problème.

Viviane. – Tu as encore le sens de l’humour, ça me rassure. Il est assorti à ta tenue.

Bernard se regarde bêtement tandis que Viviane quitte l’appartement-Bernard.

Bernard. – Bon, là, j’ai été pitoyable ! (Il ôte son casque et enlève ses chaussures pour des mules tout aussi ridicules.) En même temps, je n’ai pas tout à fait tort. Les hommes on ne peut pas leur faire confiance alors que les femmes… on ne peut pas leur faire confiance non plus ! On la connaît l’amitié homme-femme : le soir, on boit un pot amicalement ; le matin, on boit un café amicalement ; et entre les deux, on a fait l’amour amicalement !… Pourquoi Viviane me tromperait ? À son âge ?… Tromper, c’est un truc de mec !… En plus, quand on devient senior, comme ils disent, on n’en a plus l’envie, ni la force ! Sauf s’il n’y a plus d’amour…

Il regarde le téléphone puis appuie sur une touche (dernier appel). Le téléphone sonne dans l’appartement d’Olivier. Ce dernier sort de la chambre presque habillé (jean, pull cachemire) et décroche.

Olivier. – Allô ! (Bernard reste muet.) Allô !

Bernard, après un temps. – Winston Churchill ?

Olivier. – Ah non !

Bernard. – J’ai dû me tromper.

Olivier. – Apparemment. Euh… sans vouloir être alarmiste, il me semble que cette personne est décédée il y a quelque temps.

Bernard. – C’est peut-être pour ça que je n’ai plus de nouvelles d’elle.

Olivier. – Ça a sûrement un lien, effectivement. Désolé, au revoir…

Bernard. – Attendez !

Olivier. – Oui ?

Bernard. – Non, rien.

Il raccroche. Olivier fait de même.

Olivier. – Churchill ! N’importe quoi !

Bernard. – Elle me trompe avec un junior !!!

Il rentre dans sa chambre (même porte que celle empruntée par Olivier). Olivier enlève les peluches sur son pull avec un petit rouleau adéquat. On sonne à sa porte. Il va ouvrir. Viviane apparaît.

Viviane. – Heureusement que tu habites à deux pas, je n’avais presque plus d’essence dans mon scooter.

Olivier. – Je suis prêt, je n’ai plus qu’à me coiffer.

Viviane. – Bernard m’a fait une scène avant de partir. Il est d’une jalousie maladive depuis qu’il est à la retraite.

Olivier. – C’est parce qu’il t’aime. Il a peur de te perdre.

Viviane. – Il devrait avoir confiance en moi depuis le temps !

Olivier. – C’est en lui qu’il ne doit plus avoir confiance. En vieillissant, il doit douter de son pouvoir de séduction.

Viviane. – Il sait parfaitement que notre relation s’est bâtie sur d’autres piliers que le simple aspect physique ; sinon, tu penses bien que j’aurais choisi un modèle plus tape-à-l’œil !

Olivier. – Mais c’est classique, toi tu travailles toujours alors que lui passe ses après-midi à pédaler !

Viviane. – Ça pour pédaler, il pédale, surtout dans la choucroute ! Il croit que j’ai quelqu’un.

Olivier. – L’inconscient !

Viviane. – Pourquoi ? C’est si improbable que ça ?

Olivier. – Non ! Juste que je sais que tu l’aimes malgré son fichu caractère.

Viviane. – Évidemment. Je vais finir par me prendre un amant finalement, puisqu’il est persuadé que j’en ai un ! Le résultat sera le même, mais au moins j’en aurai profité !

Olivier. – Alors je pose ma candidature car tu es toujours une très belle femme.

Viviane. – Tu es mignon. Je vieillis moi aussi.

Olivier. – Et alors ? Comme tu dis souvent : « C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures » !

Viviane. – Depuis le temps, la confiture s’est transformée en gelée ! Et ta petite infirmière ?

Olivier. – Partie avec l’anesthésiste. Enfin, partie avec la Porsche de l’anesthésiste ! Je ne lui donne pas une semaine à celui-là.

Viviane. – Pourquoi ?

Olivier. – Le chirurgien se fait livrer sa Jaguar dans deux jours ! Tu penses bien qu’avec ma Fiat Panda, je ne pesais pas lourd. J’attends toujours le grand amour. Trouver...

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