Maman pète les plombs

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Françoise est une épouse bafouée : une jeune femme vient lui annoncer qu’elle est la maîtresse de son mari : Hubert et une deuxième se présente à son tour. Trop c’est trop, la colère va l’emporter. Aidée d’une amie, elle fait appel à un ancien collègue, Maurice, avec l’intention de le faire passer pour son amant et ainsi se venger de son mari. Seulement voilà, Maurice est devenu Mauricette ! Qu’à cela ne tienne, le collaborateur de son mari fera aussi bien l’affaire et sera enrôlé de force ! Et tout ça pour rien : l’une des femmes est en fait la petite amie de son fils et l’autre une inspectrice des impôts venue pour un redressement fiscal ! Trop tard, Françoise est déjà tombée sur cette dernière à bras raccourcis ! Quant à la cousine Gilberte invitée par Hubert qui a l’intention de lui emprunter de l’argent : c’est une vieille fille coincée. Elle va être dans l’affolement le plus total, persuadée que le jardinier la poursuit de ses assiduités alors que le pauvre garçon est tout simplement affublé de tics qui l’obligent à cligner de l’œil et à tirer la langue.

Marie Laroche-Fermis nous offre un moment de pur bonheur avec cette comédie de boulevard d’une drôlerie totale, ponctuée de deux scènes d’une émotion inattendue. Un «pétage de plombs» hilarant. Un vrai régal !

 

 

 

 

 

ACTE 1

 

Françoise Rivet entre, un bouquet de roses de son jardin à la main, suivie de Marcellin. Il porte un panier de pommes de terre et est affublé de tics, ce qui lui fait faire des gestes saccadés. Il y a toujours une ou deux pommes de terre qui tombent et qu’il ramasse.

Marcellin - Je les mets où, les patates, madame Rivet ?

Françoise - Mais comme d’habitude, mon petit Marcellin, dans la cave, avec les autres.

Marcellin - Ah ! ben oui…

Françoise - Attends, je vais t’aider. Calme toi, sinon ce sera pire.

Elle l’aide à ramasser ses pommes de terre.

Marcellin (à chaque fois qu’elle lui en donne une) - Merci… Merci…

Il sort. Lise, la fille, arrive.

Lise - Bonjour maman.

Françoise - Lise, ma chérie ! C’est gentil de passer nous voir.

Lise - Thibaud est là ?

Françoise - Non, ton frère est en stage chez Morand, l’architecte. Par contre, ton père est à la maison. Il faut dire qu’hier, il a eu une journée de fou. Il est rentré tard alors, aujourd’hui, il a décidé de faire agence buissonnière. Tu as vu mes roses ? Elles sont superbes, non ?

Lise (d’une voix morne) - C’est vrai… elles sont magnifiques…

Françoise - Oh ! dis donc, toi, ça n’a pas l’air d’aller.

Lise - Si, si…

Marcellin revient.

Marcellin - Voilà ! C’est fait !… Oh ! mademoiselle Lise ! (Ses tics s’amplifient.)

Françoise - C’est « madame » maintenant, plus « mademoiselle ».

Marcellin - Oh ! pardon !

Lise (l’embrassant) - Bonjour Marcellin. Ce n’est pas grave, je t’assure. J’aimerais bien être encore « mademoiselle ».

Françoise - Marcellin, va donc ramasser quelques courgettes. Ensuite, tu les mettras dans le bac à légumes du frigo, tu seras gentil.

Marcellin - Bien sûr. Au revoir, mademoiselle Lise… euh… pardon, madame Lise.

Lise - Au revoir !

Il sort.

Françoise - Tu veux bien m’expliquer ce que tu as voulu dire par « j’aimerais bien être encore mademoiselle » ?

Lise - Oh ! laisse tomber… Ça va, je t’assure.

Françoise - Allez ! Pas avec moi ! Je te connais comme si je t’avais faite.

Lise - Maman !… C’est très drôle…

Françoise - Viens un peu par ici et dis-moi tout. Ou plutôt non ! Ne dis rien, je sais : tu t’es disputée avec Julien !

Lise - Alors là, il n’y a aucun risque… On mange avec Julien, on dort avec Julien, on se promène avec Julien, on fait des tas de choses avec Julien mais… on ne se dispute jamais avec Julien.

Françoise - On dirait que tu le regrettes !

Lise - Évidemment ! C’est exaspérant ! J’en ai assez de sa bonne humeur perpétuelle. Tout va toujours bien ! C’est à chaque fois la même phrase : « Ça pourrait être pire. Il faut positiver. »

Françoise - Eh bien, mais… je ne vois pas ce qui te contrarie !

Lise - Tu n’imagines pas ce que c’est énervant quelqu’un qui ne s’énerve jamais !

Françoise - J’en ai entendu des bêtises dans ma vie mais alors là, tu viens de sortir la perle des perles !

Lise - Et pourtant c’est vrai : jamais un mot plus haut que l’autre, toujours optimiste et, en plus, constamment aux petits soins.

Françoise - De quoi te plains-tu ? C’est un mari prévenant.

Lise - Eh oui ! C’est un mari… C’est bien ce que je lui reproche.

Françoise - ça c’est la meilleure ! C’est toi qui as insisté pour qu’il t’épouse ! Il ne se passait pas un jour sans que tu parles mariage !

Lise - Et comme d’habitude, il a fait ce que je voulais !

Françoise - Et alors ? C’est si grave ?

Lise - Mais bien sûr ! ça prouve qu’il n’a aucun caractère, qu’il est influençable et incapable de prendre une décision tout seul.

Françoise - Et vlan ! le voilà habillé pour l’hiver !

Lise - En attendant, notre vie est d’une platitude….

Françoise - Fais quelque chose de grave ! Je ne sais pas, moi… euh… brûle son pull préféré en le repassant… prends un amant… ou pire, emboutis sa voiture ! ça, les hommes, ça les rend dingues !

Lise - Pourquoi tu me dis ça ?

Françoise - Puisque ça te manque tant, provoque-le, comme ça tu l’auras, la scène de ménage dont tu rêves !

Lise - Tu exagères tout. Je n’ai jamais dit que je voulais en arriver là. Non, juste une petite dispute de temps en temps.

Hubert Rivet arrive.

Hubert - Oh !… Qui je vois ? Ma Liseronnette adorée !

Lise - Bonjour mon papounet.

Ils se serrent l’un contre l’autre, s’embrassent.

Françoise - Mon Dieu, que vous êtes niais tous les deux !

Hubert - Laisse-la se moquer. Elle est jalouse parce que son mari embrasse la plus jolie fille du monde.

Françoise - Et la plus bizarroïde aussi… Quand tu sauras ce qu’elle reproche à Julien !

Hubert - Désolé, tu me diras ça plus tard parce que là, je n’ai pas le temps.

Françoise - Tu pars ?

Hubert - Oui. Je dois aller au bureau.

Françoise - Oh non ! Tu m’avais dit que tu restais à la maison aujourd’hui…

Hubert - J’ai une affaire à régler. Urgente et délicate.

Françoise - Mais Tournier est là pour ça…

Hubert - Tournier ! Tu le connais, il est incapable de s’en sortir tout seul. D’ailleurs, c’est lui qui m’a appelé au secours ! Que veux-tu, il faut que j’y aille…

Françoise - Je te rappelle que ta cousine arrive tout à l’heure.

Lise - Quelle cousine ?

Hubert - Ma cousine Gilberte.

Françoise - Ton père l’a invitée pour la semaine ! Et vu le sujet de ses conversations habituelles, ça va être gai !

Hubert - Oh ! quand même, vous trouverez bien toujours à papoter !

Françoise - C’est sûr… Les propos d’une vieille fille coincée, c’est passionnant…

Hubert - C’est la première fois que je l’invite pour quelques jours.…

Françoise - Quelques heures m’auraient suffi.

Hubert - Que veux-tu… C’est la famille… Bon, j’y vais. Au revoir mon Liseron, à bientôt !

Lise - Je t’aime mon papounet !

Hubert (à sa femme) - Ne fais pas la tête, ma chérie ! Si je pouvais éviter d’y aller… Tu penses bien…

Françoise - En attendant, je ne sais pas comment l’agence tournerait sans toi. Tournier est bien gentil mais tellement timoré…

Hubert - Que veux-tu… Je suis comme Zorro : on a besoin de moi et j’arrive !

Ils s’embrassent. Hubert sort.

Lise - Vous êtes trop mignons tous les deux.

Françoise - Mais Julien et toi aussi, vous êtes très mignons. Allons, reconnais que tu y vas un peu fort. Tu ne peux pas lui reprocher d’être trop gentil !

Lise - C’est vrai… Mais à la longue, je t’assure que c’est agaçant. Ça… et puis aussi le reste…

Françoise - Le reste ? C’est quoi, encore ?

Lise - Il ne rince jamais la baignoire ! Il y a plein de poils… Et il laisse toujours la lunette des toilettes relevée ! Et alors, le fin du fin : « Chérie, je ne trouve pas mon T-shirt. Il n’est pas dans l’armoire. Viens voir… » Alors qu’il a le nez collé dessus !

Françoise - C’est vrai qu’à côté de ça, les grandes catastrophes de ce monde ne sont que des anecdotes complètement insignifiantes !

Lise - Tu pourrais comprendre, quand même !

Françoise - Eh bien, non ! Je ne comprends pas ! À mon époque, il n’y avait pas de période d’essai. On pouvait avoir des surprises, mais vous, vous avez déjà vécu ensemble presque deux ans avant de vous marier.

Lise - Ce n’était pas pareil…

Françoise - Je vois… Avant, tu ramassais ses poils avec amour et tu versais une larme émue en les jetant dans la poubelle. Aujourd’hui, ce sont bêtement des vilains poils de mari que bobonne a la corvée de ramasser derrière lui.

Lise - Tu peux te moquer. Bien sûr, toi, tu es tombée sur papa et lui il est…

Françoise - Il est comme les autres ! Qu’est-ce que tu crois ?

Lise - En quelque sorte, il faut que je me résigne ? C’est ça ?

Françoise - Tout de suite les grands mots ! Résignation, non ; indulgence, oui. La bonne nouvelle étant qu’on en fait ce qu’on veut, quoi qu’ils en pensent. Un mari fréquente les amis que sa femme a choisis ! Le costume dont il a tant envie, il ne l’aura que s’il plaît à sa femme ! Quant aux vacances, il ne les passera jamais à la montagne si son épouse préfère la Côte d’Azur ! Même Napoléon a eu sa Joséphine !

Lise - C’est assez vrai ce que tu dis. Et puis je l’aime, mon Julien.

Françoise - Et lui, il t’adore ! Même enrhumée, emmitouflée dans une vieille robe de chambre, les yeux rougis et la goutte au nez, même vieille et ratatinée, il t’aimera toujours. Et ça, tu vois, ça vaut tout l’or du monde.

Lise - Oh ! maman ! Je voudrais tant qu’on soit comme toi et papa…

Françoise - Vous le serez, j’en suis convaincue. Le temps arrange bien des choses. On devient moins exigeant, plus compréhensif et puis… on vieillit en même temps. On a des rhumatismes en commun ! Avant, quand on se levait le matin, on se disait : « Bonjour mon amour. Tu as rêvé de moi, j’espère ? » Maintenant, c’est : « Comment ça va ce matin ? Ton épaule ? Ton genou ? Ton dos ? » Une check-list, quoi ! La passion a cédé la place à un amour plus profond, plus serein, plus reposant. Finies les grandes scènes de ménage !

Lise - De toute façon, je suppose qu’il n’y aurait plus de réconciliation sur l’oreiller…

Françoise - Ah ! parce que tu crois qu’on ne… plus ?

Lise - Ben…

Françoise - Eh bien, si, figure-toi ! C’est moins souvent qu’avant et il y a certaines acrobaties qu’on évite. Enfin, en ce qui concerne ton père, parce que moi, je suis restée assez souple. Et il faut que je le sois parce que lui, il est de plus en plus raide. Je parle évidemment de son dos ! C’est pas compliqué : il faut envoyer sa demande au moins huit jours avant et avec accusé de réception si on veut avoir une réponse.

Lise - Oh ! maman ! Tu n’es pas croyable !

Une voiture s’arrête. Les portières claquent. La mère regarde par la baie vitrée.

Françoise - Tiens, voilà la cousine ! Le taxi vient de la déposer. Tu vois, elle, elle n’a jamais ramassé que ses propres poils mais… elle est seule !

Lise - Je vais l’aider pour ses valises. (Elle sort.)

Le téléphone sonne.

Françoise - Allô !… Ah ! c’est vous, Tournier ?… Vous voulez parler à Hubert ? Mais il n’est pas là, puisqu’il est à l’agence… C’est vous-même qui lui avez demandé de venir !… Il est forcément dans son bureau… Eh bien, allez voir ! (Elle attend. La cousine et Lise entrent avec les valises. Elle se tourne vers les deux femmes et dit bonjour avec un petit signe. Elle parle à nouveau au téléphone.) Ah ! vous l’avez trouvé ! Eh bien, vous voyez ! Avouez que vous êtes sacrément distrait… Au fait, passez-le-moi… Comment ça, vous ne pouvez pas ?… Ah ! il est déjà en ligne ! Bon, laissez, vous lui direz seulement que sa cousine est bien arrivée… Mais non, il n’y a pas de mal… Au revoir. (Elle raccroche. À sa fille.) N’importe quoi ! Tournier perd la tête : il demande après ton père alors qu’il est dans le bureau d’à côté ! (À Gilberte.) Alors, le trajet s’est bien passé ?

Gilberte - C’était épuisant… Heureusement que je viens me reposer un peu.

Françoise - Votre domicile est à combien de kilomètres, déjà ?

Gilberte - Vingt-quatre !

Françoise - C’est bien ce qui me semblait… Quelle aventure…

Gilberte - Et puis le taxi était très inconfortable.

Lise (à part, à sa mère) - ça m’étonnerait, c’était une grosse Mercedes… (Fort.) Bon, moi, j’y vais. Au revoir, cousine Gilberte !

Gilberte (vexée) - Tu pars déjà ? Je ne t’aurai pas vue longtemps…

Françoise - Attends, je t’accompagne jusqu’à ta voiture. (Elles sortent toutes les deux.)

Gilberte - Après un pareil voyage, j’aurais pu avoir un accueil un peu plus chaleureux… (Elle reste plantée avec ses valises.)

Marcellin revient avec un panier de courgettes.

Marcellin - Mme Rivet est pas là ?

Gilberte - Non !

Gilberte le regarde fixement car il est plein de tics mais plus elle le regarde, plus il se trouble et plus les tics deviennent forts. Elle croit qu’il lui fait de l’œil. Elle est offusquée, détourne le regard (« Oh ! c’est une honte ! Mon Dieu ! » etc.). Les gestes saccadés de Marcellin lui font échapper des courgettes. Il les ramasse, en tient une.

Marcellin - Elle est belle ma courgette, hein ?

Gilberte - Je vous en prie !!!

Marcellin - Vous pouvez la tâter. Elle est très ferme. Ça, c’est de la belle courgette !

Gilberte se signe et s’enfuit vers la chambre sans ses valises.

Gilberte - Jésus Marie Joseph !

Françoise revient.

Françoise - Allons bon ! Où elle est ?

Marcellin - C’est la dame qui était là que vous cherchez ?

Françoise - Oui, Mlle Gilberte, c’est la cousine de mon mari.

Marcellin - Elle est partie par là comme si elle avait peur.

Françoise - Peur de quoi ?

Marcellin - Je sais pas… Des légumes, peut-être…

Françoise - Des légumes ? Marcellin, allons, ne dis pas n’importe quoi ! Tiens, sois gentil, va me ramasser quelques haricots et puis tu pourras rentrer.

Marcellin - Cet après-midi, je viendrai enlever les mauvaises herbes. Y en a plein vers les salades.

Françoise - C’est bien. (Marcellin s’en va.) Bon, je n’ai plus qu’à lui apporter ses valises.

Elle va pour les prendre mais à ce moment-là, Gilberte revient de la chambre. Elle hésite, regarde et finalement s’avance.

Gilberte - Il est parti ?

Françoise - Qui donc ?

Gilberte - L’espèce d’énergumène qui était là.

Françoise - Vous voulez parler de Marcellin ?

Gilberte - Je ne veux pas connaître le nom de cet individu !

Françoise - Quoi ?

Gilberte - Et un individu peu recommandable…

Françoise - Marcellin ? C’est une crème ! Il m’aide pour le jardin, ça me rend service et ça lui fait du bien.

Gilberte - Il m’a tenu des propos… déplacés !

Françoise - À vous ?

Gilberte - À moi, parfaitement !

Françoise - Vous avez mal interprété ses paroles, j’en suis sûre… Il est un peu simple mais très gentil.

Gilberte - C’est ce que vous croyez !

Françoise - Mais que vous a-t-il dit exactement ?

Gilberte - Il est hors de question que je profère de telles horreurs ! Et je vous prierais de ne pas insister.

Françoise - Comme vous voudrez… Bon, venez vous installer. (Elle soulève les valises.) Bon sang ! Mais qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?

Gilberte - Eh bien, mais… mes provisions.

Françoise - Vos provisions ? Mais de quoi ?

Gilberte - Je ne consomme que du biologique. Toute cette nourriture frelatée de supermarché, je n’en veux pas.

Françoise - Les légumes viennent de mon jardin. La viande de chez mon boucher. Quant au pain…

Gilberte - Alors ça, je ne veux pas le savoir ! Chez moi, je mange sain. Et je ne veux pas me détraquer l’estomac et l’intestin pendant que je suis chez vous.

Françoise - Je vois…

Gilberte - Je ne dis pas ça pour vous vexer, bien entendu.

Françoise - C’est une évidence…

Gilberte - Et je ne vous empêche pas de vous nourrir selon vos habitudes. Mais moi, je m’en tiendrai aux miennes. Aussi, je vous serais reconnaissante de me faire mes petits plats à part.

Françoise - Ce sera avec plaisir, chère Gilberte. (À part.) Je m’en voudrais de te faire éclater la boyasse, vieille tordue !

Gilberte - Pardon ?

Françoise - Je disais :« il faudra que je le fasse, bien entendu ».

Elles partent vers les chambres.

Hubert revient. Il a l’air tendu, soucieux, se verse un verre, s’assoit dans un fauteuil. Son fils Thibaud arrive.

Thibaud - Salut papa. Eh bien, dis donc, je te suivais, je t’ai fait des appels de phares mais tu n’as pas réagi.

Hubert (bondissant) - Tu me suivais !!! Qui t’a dit de me suivre ?

Thibaud - Eh ! du calme ! Personne. Je revenais du bureau d’architecte.

Hubert - Quel architecte ?

Thibaud - Ben Morand ! Mon stage !

Hubert - Ah oui ! Ton stage… Excuse-moi, c’est qu’on a beaucoup de travail à l’agence, j’en reviens et…

Thibaud - Et là, tu reviens de l’agence directement ?

Hubert - Oui… Tout à fait. Pourquoi tu prends cet air ahuri ?

Thibaud - Parce que tu étais sur la rocade sud. Ce n’est pas le chemin.

Hubert - Pas le chemin, pas le chemin… J’en ai assez de la rocade nord. Tu veux que je te dise ? Le nord, toujours le nord… Alors aujourd’hui, j’ai pris le sud.

Thibaud - Oui, mais c’est carrément à l’opposé…

Hubert - Et qu’est-ce que ça peut te faire, hein ? Est-ce que je te demande par où tu reviens ! C’est quand même pas à mon âge que je vais justifier mon itinéraire ! C’est un monde !

Françoise revient des chambres

Françoise - Ah ! Hubert, tu es rentré !… Oh ! mais toi aussi, mon grand, tu es là. Alors ce stage, ça se passe toujours aussi bien ?

Thibaud - Oui. On travaille sur le projet de lotissement et il m’y associe complètement.

Françoise - Dis donc, c’est intéressant, on est fier de toi. N’est-ce pas, Hubert ?

Hubert (qui a le nez dans son agenda) - Hein ? Quoi ?

Françoise - Tu es complètement dans la lune !

Hubert (toujours absent) - Mais non… Quelle idée…

Françoise - Vraiment ? Au fait, comment trouves-tu ma nouvelle robe ? (Elle fait un clin d’œil à son fils.)

Hubert (qui ne la regarde toujours pas) - Bien… Très bien…

Françoise - Elle n’est pas trop décolletée, ou un peu trop courte ?

Hubert (la regardant distraitement) - Mais non, c’est parfait.

Françoise (se plantant devant lui) - Parfait, en effet ! D’autant que je suis en jogging ! À part ça, tu n’es pas distrait… Tu es sûr que tout va bien ?

Hubert - Tout va on ne peut mieux.

Françoise - Je ne peux pas en dire autant ! Ta cousine est une calamité !

Hubert - Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Françoise - Elle accuse Marcellin de lui avoir fait des avances !

Thibaud - N’importe quoi !

Françoise - Je ne te le fais pas dire. C’est sûrement son célibat avancé qui la travaille. De plus, elle s’est amenée avec une pleine valise de nourriture.

Hubert - Pour nous ?

Françoise - Mais non ! Pour elle ! « Des aliments issus de la production biologique » uniquement. Il paraît qu’ici, elle risquerait l’indigestion et la colique ! Bref, elle a déclaré la guerre à notre malbouffe.

Hubert - Elle ne reste qu’une petite semaine.

Françoise - Sept jours interminables, tu veux dire ! Mais quelle idée tu as eue ?

Hubert - Ce n’est pas la mer à boire.

Françoise - Non, c’est la cousine à se farcir ! Au fait, et à l’agence ?

Hubert - L’agence ? Ah oui ! Eh bien… Ce n’est pas encore ça mais… ça s’arrange… doucement… L’immobilier n’est plus ce qu’il était.

Françoise - À propos, Tournier est complètement à côté de ses pompes. Il t’a appelé ici alors que tu étais dans ton bureau !

Hubert (affolé) - Tournier ?! Il a appelé ici ?!

Françoise - Oui…

Hubert - Ici… Là ? Tu veux dire chez nous ?

Françoise - Évidemment… Quand je dis ici, c’est ici, quoi !

Thibaud (à son père) - Il est distrait, dis donc, pour ne pas t’avoir vu ?

Hubert - C’est que… c’est un grand malade…

Françoise - Ah bon ?

Hubert - … de la mémoire. Il m’inquiète. D’ailleurs, c’est pour ça que je passe beaucoup de temps à l’agence… Il y a des matins où il ne se souvient plus de ce qu’il a fait l’après-midi… Tu te rends compte ?

Thibaud - ça ne serait pas plutôt le contraire ?

Hubert - Hein ?

Thibaud - « L’après-midi il ne se souvient plus de ce qu’il a fait le matin. » Tu as dit l’inverse !

Hubert - C’est possible…

Françoise - C’est parce que ton père est surmené. (À son mari.) Oh ! mon pauvre chéri, j’imagine que ce doit être un souci…

Hubert - C’est le moins qu’on puisse dire, mais que veux-tu…

Françoise - Et moi qui en rajoute en me plaignant de ta cousine… En tout cas, heureusement que tu es rentré déjeuner… C’est que je ne sais pas quoi lui dire, moi ! (Elle part côté cuisine.) Allez la prévenir qu’on passe à table dans une dizaine de minutes.

Le père et le fils commencent à partir côté chambre lorsque le téléphone sonne. Hubert se précipite sur le téléphone.

Hubert - Laisse ! Je réponds. Vas-y, je te rejoins. (Thibaud sort côté chambre.) Allô !… Ah ! c’est toi, ma Lison… Oui… Ah ! alors, si tu as peur… Mais bien sûr, voyons, ça va nous rappeler le bon vieux temps… Je vais le dire à ta mère. Elle va être ravie… À ce soir. (Il raccroche. Thibaud revient.) Je viens d’avoir ta sœur au téléphone. Elle couchera à la maison ce soir et demain. Julien part en séminaire pour deux jours et elle a peur la nuit toute seule.

Thibaud - Dans un deux-pièces !

Hubert...

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