PROLOGUE
Duchamel, le promoteur, devant la scène, face au public.
Duchamel - Monsieur le Préfet, Monsieur le Député-maire, Madame la Conseillère Générale, Messieurs les Directeurs du Crédit Général Mutualiste Populaire Agricole, bonjour. Tout d’abord, je tiens à vous remercier d’avoir bien voulu vous déplacer jusqu’ici afin de mieux évaluer et apprécier les perspectives de ce projet. Je sais votre temps précieux, aussi m’efforcerai-je d’être bref. Je suis, comme vous-mêmes, je n’en doute pas, convaincu que le débat public est une pièce maîtresse dans le jeu démocratique, c’est pourquoi j’ai tenu à me présenter devant vous. Certains d’entre vous ont pu objecter en venant leur souci de faire respecter les règlements concernant la loi Littoral ; certes, comme vous, je pense que les espaces proches du rivage n’ont pas vocation à accueillir une urbanisation importante… En effet, comment tolérer certains terrains de camping surpeuplés, aux normes sanitaires totalement déficientes, mais même si en tant que citoyen j’en suis choqué, ce n’est certes pas à moi de faire appliquer la loi, n’est-ce pas Monsieur le Préfet. Je peux en revanche vous sensibiliser à une architecture plus harmonieuse, soucieuse de l’environnement et qui s’intégrerait plus joliment dans le paysage. Je vous rappelle que la loi Littoral n’interdit pas la construction puisque l’on peut construire en continuité de l’existant donc rien n’interdit d’enjoliver ces baraquements délabrés pour en faire un merveilleux joyau dans un écrin de lumière. D’aucuns me parlaient tout à l’heure de la zone d’atterrissage… Est-elle vraiment nécessaire ? Je vous réponds indubitablement oui. Si nous souhaitons attirer une clientèle aisée et notamment la clientèle du Moyen-Orient, la zone d’atterrissage s’avère in-dis-pen-sable… Certes, elle se situe sur la dune mais je vous rappelle ce que la loi stipule : « Lorsque l’aménagement est lié à un service public, la construction, même dans la bande des cent mètres, doit être accordée », ce qui sera le cas puisque les autorités sanitaires et médicales pourront toujours l’utiliser si une urgence se présentait. Enfin pour finir, faut-il vous rappeler les perspectives d’emplois contenues dans ce projet, perspectives réjouissantes puisque ce n’est pas moins de cent cinquante emplois que cette providence pourrait apporter à votre région.
Voilà, chers amis, je n’en dirai pas plus pour le moment. Comme moi, vous porterez ce projet, j’en suis convaincu, et sachez, comme le disait un de mes très chers amis, que ma conviction est sur ce sujet inaltérée car elle est inaltérable. Je vous remercie de votre attention et vous invite à nous retrouver à la mairie afin de continuer notre discussion autour d’un cocktail.
Il sort tandis que la scène s’éclaire.
ACTE I
Scène 1
Joséphine, Le Capitaine
Une réception de camping. Un comptoir, deux tables. Derrière le comptoir, le Capitaine boit un café. Arrivée de Joséphine ; elle rangera balai, seau et produits d’entretien pendant ses répliques.
Joséphine - Des gorets ! Je n’ai jamais vu des gorets pareils ! Si vous voyiez l’état des sanitaires, c’est inimaginable ! Il y en a, on se demande de quoi ils se nourrissent. Bientôt il faudra venir en bottes pour aller jusqu’aux toilettes… et pourtant je les nettoie trois fois par jour… Sales porcs ! C’est de votre faute aussi, vous les laissez ramasser n’importe quoi.
Le Capitaine - Ma chère Joséphine, est-ce de ma faute si certains vont pêcher leurs moules près de la station d’épuration ? C’est là qu’elles sont les plus belles qu’ils disent, résultat : voilà la facture… Enfin ! Je ne peux tout de même pas les empêcher de faire des expériences.
Joséphine - Des expériences ! Tu parles ! Non mais là ! Ça ne va pas… Il va falloir faire quelque chose, c’est moi qui vous le dis… Vous vous rendez compte ? Nous ne sommes encore que mi-juillet, je ne vous raconte pas, si ça continue comme ça, je ne vais jamais y arriver. Vous avez vu le monde ?
Le Capitaine - Que voulez-vous, nous sommes en pleine saison, on ne va tout de même pas se plaindre d’avoir trop d’équipages. C’est le contraire qui serait désolant.
Joséphine - Ce qui est désolant, c’est de tout laisser faire. On voit bien que ce n’est pas vous qui nettoyez ! Moi je veux bien continuer mais, à ce moment-là, les heures supplémentaires, il va falloir les payer… Je veux bien mettre les mains dedans mais faudrait que ça me rapporte un peu plus de bonheur, si vous voyez ce que je veux dire.
Le Capitaine - On verra, Joséphine, on verra.
Joséphine - Faut pas croire que c’est un plaisir de venir ici. À cette heure, je serais bien mieux dans mon chez-moi plutôt que de venir trimer chez les autres, croyez-moi ! Rien que de penser au travail qui m’attend, je suis déjà fatiguée, lessivée d’avance… Alors ? Ça y est ? Je viens de voir que nous étions complets.
Le Capitaine - Eh oui ! Nous sommes quasiment complets… À cette heure-ci, pour trouver un emplacement disponible, il faut s’accrocher… Autant essayer de chercher une aiguille dans un tas de goémon ou vouloir passer le cap Horn pendant l’hiver austral… Aujourd’hui encore, il y a des dizaines d’équipages qui attendent à l’entrée. Ils attendent les désistements qu’ils me disent… Comme si à « L’Abri côtier » on avait l’habitude de se désister !
Joséphine - C’est vrai qu’ici, ce sont les mêmes qui reviennent tous les ans. Il y en a, ça fait plus de vingt ans. Plus de vingt ans, vous vous rendez compte, vingt ans !
Le Capitaine - Eh oui ! Que voulez-vous, ce sont de braves matelots… Pour rien au monde je ne changerais ce fidèle équipage.
Joséphine - N’empêche… Ils sont peut-être très braves comme vous dites, mais en tous les cas, ils ne sont certainement pas tous très fins.
Le Capitaine - Ah bon ? Et pourquoi donc ?
Joséphine - S’obstiner à pêcher des coquillages tous les ans au même endroit pour ensuite venir retapisser mes cabinets, moi je n’appelle pas ça être très fin. Bon ! Ce n’est pas le tout, on papote, on papote, il va falloir tout de même que je finisse mon chantier…
Le Capitaine - Et moi, il est grand temps que je me préoccupe de l’organisation du concours de boules.
Scène 2
Joséphine, Le Capitaine, Roger
Entrée de Roger.
Roger - J’y compte bien ! Parce que figurez-vous qu’il y en a qui sont déjà prêts depuis longtemps.
Le Capitaine - Alors ! Roger ! Cet entraînement ?
Roger - Je suis au top… D’ailleurs, c’est ce que j’ai dit à ma femme : « Maintenant, pour faire les carreaux, je suis meilleur que toi. » Vous allez voir, cette année, on va le gagner le grand prix du camping. Ah ! c’est beau les vacances, pas vrai Joséphine ?
Joséphine - Parlez pour vous ! C’est vous qui êtes en vacances ! Si vous croyez que moi, j’ai le temps de m’amuser !
Roger - Ne me dites pas que vous allez vous plaindre, Joséphine, vous rendez-vous compte de la chance que vous avez ? Vous travaillez entourée de charmants beaux gosses comme moi et en plus vous respirez le bon air iodé toute la journée. Vous les sentez ces effluves marins ? Ah ! Joséphine, il y en a plus d’une qui aimerait être à votre place !
Joséphine - Effluves marins ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Tiens, il est temps que j’aille les nettoyer vos effluves marins.
Elle sort.
Scène 3
Le Capitaine, Roger
Roger - Ben dites donc ! Elle n’a pas l’air contente la Joséphine.
Le Capitaine - Ne faites pas attention, elle s’est levée côté bâbord ce matin… Ben oui, du pied gauche.
Roger - Vous avez vu Capitaine, encore une belle journée qui se prépare, pas vrai ? Ils l’ont dit à la radio, c’est à cause de l’anticyclone qu’y z’ont dit, y passe des vacances avec nous l’anticyclone, alors vous pensez si on est peinard… J’vais vous dire le fond de ma pensée : moi d’habitude, les anti, ils m’emmerderaient plutôt, c’est vrai quoi ! Jamais contents, toujours à gueuler… Les ant-nucléaires, les antimilitaristes, les anti… Est-ce que je sais moi ! Mais alors là, les anticyclones, je n’ai rien contre, au contraire. Pas vrai que j’ai raison, pas vrai ?
Le Capitaine - Ben…
Roger - Remarquez, je serais paysan, j’dirais pas ça, c’est vrai quoi ! Mais moi, de l’eau, je n’en ai pas besoin de tant que ça, hein ? Juste un peu pour le...