Premier monologue
Hermès entre sur scène, détaille le public, salue de la main.
HERMES
Salutations, ô mortels ! Que celles et ceux qui voient le jour et la nuit, celles et ceux qui endurent la chair soient remerciés de leur présence. Il vous sera, une fois encore et pour quelques minutes, donné de voir l’Olympe. C’est moi, Mercure, qui vous le promet personnellement.
Bref silence.
Maintenant, voici mon rôle.
Il semble chercher quelque chose sous sa toge ou dans une poche, assez longuement d’ailleurs. Il sort un papier qu’il déroule.
Voici. Ceci est le message des dieux.
Il lit.
Vous qui êtes ici regroupés sous le divin ciel, mortels, rejetons de mortels ou de notre lointaine engeance, vous serez entendus. Nous n’ignorons pas notre désuétude, ni les prières mal adressées, ni la confusion idéique qui règne dans vos esprits et imbibe vos propos : de cela nous ne pouvons nous plaindre qu’à nous-mêmes. Nous vous avons laissés errer sur des voies impies, nous vous avons laissés vénérer des idoles et vous tourner vers un dieu unique, tout rempli cependant de nos propos divergents, nous avions besoin de repos et certains d’entre-nous, remarquant le sort dans lequel vous plongiez Rome et vos plus précieux ouvrages, remarquant votre dégoût de l’intelligence et votre appétence pour la stupidité ont détourné leurs pupilles de vous et réservé leurs ouïes pour d’autres espèces terrestres.
Il marque un temps d’arrêt pour dérouler son papier et le maintenir correctement pour le confort de la lecture.
Nous n’avons cependant pas déserté l’Olympe et, constatant votre élan mystique et votre désir des puissances célestes, le roi des dieux en personne en a appelé à une remobilisation et à une assiduité retrouvée, au mois une fois toutes les sept lunes, sur les trônes de l’Olympe, tonnant de sa vibrante guture qu’aucun siège ne devait rester inoccupé. C’est donc après une séance pleine, à quatorze sur les douze trônes, comme votre divin messager pourra l’attester…
Il s’arrête de poser les yeux sur son texte pour regarder le public.
Je l’atteste, en effet.
Puis se remet à lire.
…C’est après une séance digne de la l’Iliaque que nous avons conçu, par la voix sentencieuse du dieu du ciel en personne, approuvé à l’unanimité, ce divin communiqué. Oui, nous constatons à la fois la prospérité et la laideur de vos cités, les pannes que subit votre honneur, nous constatons vos errances et nombre de vos motivations dépourvues d’âmes, et sachez que les dieux s’accusent, ô mortels, davantage que vous-mêmes. Nous craignons de vous avoir baignés dans les eaux du Léthé à de trop nombreuses reprises, nous invoquons pour cela, mortels, votre clémence, et sachez que les dieux ne se détournent jamais de leurs attributs.
Hermès soupire puis reprend.
Si vos destins ont été si mal préparés, s’ils vous conduisent vers notre oubli, nous ne pouvons nous en plaindre qu’à nous-mêmes. Nous nous sommes empêtrés dans de stériles querelles et avons conçus des fortunes illisibles. Mais, solennellement, en ce divin jour, nous vous assurons que les dieux seront désormais irresponsables…
Hermès s’arrête, surpris et mécontent.
Ils ont voulu dire « responsables », je suppose. Ils se sont trompés, manifestement.
On voit qu’il lit dans sa tête le reste du texte.
Bref, la suite est toute du même tonneau.
Il froisse le papier et le jette. Puis il s’avance.
Moi, Mercure, je vous le dis. Les dieux se sont laissés abusés par la Discorde. Et leur incohérence les rend impossible. Ces accusations de vacances : oui oui, citoyens et citoyennes, je fais parti des coupables. Moi le dieu des voyageurs, j’ai voyagé, oui oui, j’ai pratiqué le tourisme ! Et qu’on ne vienne pas me le reprocher. Il faut savoir prendre l’air de temps en temps !
Il circule sur la scène.
Et parfois longtemps.
Silence, Hermès semble réfléchir.
Et le café, hein ! Si je n’avais pas voyagé ! Est-ce que l’ensemble de nos peuples sphériques l’aurait connu, goûté, aimé, recraché, sacrilègement sucré ! Hé non ! Je vous le dis ! Cette expérience serait restée de l’ordre privé, réservée à quelques élus de Bacchus et d’Apollon, cette espèce de dieux qui ne regardent que leur nombril….
Il tourne un peu en rond.
Si je puis m’exprimer ainsi.
Il s’installe sur une chaise, divinement présente.
Oui, je me suis alangui. Des chimistes ont usurpé mes attributs, peut-être. Je pensais, bêtement, que vous auriez la lucidité…
Son visage se fait triste, avec le soupçon d’une petite larme.
… enfin que vous préféreriez une saine mort à ces râles pour vous maintenir dans l’impotence. Les brigands ont plus d’honneur que les bilieux, et ce n’est pas parce que je suis aussi leur dieu que je dis ça. Non, non, non, loin de moi cette bassesse….
Il se relève.
D’ailleurs, nous les dieux, nous outrepassons tous bien souvent nos fonctions. Nous faisons tous cela. Alors brigands, voyageurs ou sédentaires, j’ai des messages pour tous. Je me dois, du reste, de m’adresser aussi aux sédentaires pour leur empêcher de jouir des voix imbéciles.
Il cherche quelque chose, trouve un verre d’eau et le boit.
Je ne suis pas le seul à le dire.
Il repose longuement le verre.
Oui, oui, d’autres aussi, bien d’autres… Vous haïssez l’intelligence. Il faut être con pour mériter vos louanges ! Et bientôt, en plus d’être con, il faudra être couard ! Il faudra cumuler la stupidité aux vices : car cela excusera votre propre bêtise, vos lâchetés, vos déshonneurs. Et oui, je le vois ! J’ai voyagé assez pour le voir. Et je remarque que ceux qui veulent s’élever au-dessus des autres, se croire des immortels en quelque sorte à notre image, sont les plus pourris de vices.
Il regarde le public.
Nous savons où ils se trouvent.
Il fait quelques pas aériens.
En tout cas, moi je le sais.
Il regarde le ciel.
(Avec dédain). Les autres….
Il se rapproche, plus martial.
Voilà. Le message est passé. C’est ce que j’avais à vous dire. Les dieux sont incohérents. Incompréhensibles. Voilà, vous pouvez rajouter cela à mon message, c’est moi, Mercure, qui vous le dis. Parole de dieu.
Il arrête son regard.
Je ne sais pas si m’occuperai de vous. Non, je ne sais pas. À vrai dire et cela s’entend, pour le moment je n’en ai pas envie. Alors, vos prières et vos destinées, je ne sais pas.
Il va pour se retirer, dos au public, lève un bras, comme un adieu. Puis reviens sur ses pas.
En même temps, ça voudrait dire que je laisse d’autres et uniquement d’autres s’en occuper. Alors, au final, je ne sais pas, voilà. Je ne sais pas. C’est ce que j’avais à vous dire.
Silence.
Et bien sûr, les douze viendront s’exprimer tour à tour… je veux dire les quatorze…enfin les treize autres… vous pourrez tous les voir et les entendre, cela figurait dans le message. Et, soi-disant, dans le fameux serment à l’unanimité. Mortels, je vous ai avertis. Mes messages sont brefs et clairs, mortels, ils ne sont pas nimbés de signes ni sujets à l’interprétation. Ne vous méprenez pas. Et maintenant, votre psychopompe vous retrouvera au moment voulu. Que vous pensiez à moi ou nom. Qu’est-ce qu’on ne fait pas pour vous quand même…
Silence méditatif.
Mais je ne sais pas franchement.
Il se retourne et part en levant un bras. Il attend de dos, avant de choisi un côté pour se retirer. Il lève à nouveau le bras, plus longuement, plus solennellement, plus fraternellement et plus divinement bien sûr puis, enfin, se retire.
Deuxième monologue
Héra entre vivement sur scène, visiblement en colère.
HERA
Et j’aurais dû me taire ! Faire comme si de rien n’était, comme si je pouvais tout lui passer, à l’autre coléreux ! Non mais dîtes-moi !
Silence, elle s’approche, visiblement pas calmée.
Et après ça, il ne faudrait pas être aigrie ! C’est la meilleure ! Être pétrie de bonnes intentions ! Non mais ! Des centaines et des centaines d’années qu’il va à gauche et à droite, et bien plus que tout le monde, si, si, si, et moi, Junon, la déesse du mariage, s’il vous plait, je dois l’adouber ! Mais quel exemple ! Hein ! Encore d’aller à droite à gauche comme ça… on y va toutes bien sûr, et tous les dieux… mais lui, il s’en vante, et c’est si visible ! Je passe pour quoi, moi, après ? Regardez-moi, regardez-vous…
Elle montre du doigt plusieurs fois dans le public.
Auprès de vous, je passe pour quoi ? C’est à peine si on me respecte, si on ne m’oublie pas même. Une vieille mégère, oui, voilà mon image, prête à semer la zizanie. On m’a bien brossé le portrait, chez vous !
Elle se racle la gorge.
Alors oui, j’ai excité des zèles, oui, oui, oui, j’ai fait des petites saloperies comme ça, comme les autres en définitive…
Elle crache.
Et à moi, on va aller me le reprocher, mes saloperies à moi seraient plus vilaines que les autres ! Bien sûr, tiens ! Des faux-culs et des menteuses vous êtes, des petites racoleuses, des pies vous êtes si vous propagez ça.
Silence.
Et même si c’est vrai. D’abord, j’ai le droit, le droit, d’être aigrie. Moi, Junon, j’ai le droit avec moi. Le droit ! Et vous, si je colportais toutes vos saloperies…
Silence. Elle bat la scène divinement de gauche à droite.
On rigole moins, là, hein ! Parce je les connais, moi, vos saloperies. Et ce que vous pensez des autres. Et comme vous bavez sur les autres par derrière….
Elle s’arrête majestueusement toujours.
Alors, oui, parfois, je les colporte, mais parfois seulement, quand cela me semble bon. Et digne ! Digne d’être colporté bien sûr. C’est ce que je voulais dire par digne.
Elle se redresse encore.
La rancune est attisée en moi et je l’attise !
Elle regarde bien tout le monde et semble détailler le public.
(Assez...
de 1 à 14 rôles pour acteurs ou actrices